Philippe Marlin ©

 

Jeudi 29 mai 2003 :

Une fois n’est pas coutume, Air France n’est pas en grève. Après avoir grillé quelques tonnes de kérosène, je débarque à Toulouse pour la réunion Sherlock Holmes de France. La chaleur est épouvantable.
Le 9 rue Lambic est une adresse célèbre, puisqu’il s’agit du siège social du fameux Lignon’s Team (parapsychologie holmésienne & saunièrologie ufologique). Une maison comme je les aime, pleine à craquer de livres et avec un joli petit jardin. Les premiers holmésiens arrivent et se retrouvent autour d’un sympathique buffet en plein air (chaud). Une seconde vague débarquera ensuite à la gare Matabiau.



Puis c’est le départ pour la rue de la Colonne où sommeille paisiblement la mythique Fabrique Giscard. Mais oui, vous avez bien lu, la fabrique de statutaire religieux à laquelle l’église de Rennes-le-Château doit ses plus belles pièces. Le bâtiment en soi est un monument……. Il me rappelle certains décors de trains fantômes……Mais pas de carton-pâte ici ; de la bonne vieille pierre orrnée de sculptures grimaçantes et tarabiscotées. Il a été classé immeuble protégé en 1998 au titre de la législation sur les monuments historiques : « Fabrique Giscard, 25, avenue de la Colonne, y compris l’ensemble des ateliers et locaux techniques (avec façades et toitures), espaces d’exposition avec éléments fixés, monte-charges, bibliothèque, bureau, fours, cour et son sol avec groupe statuaire, malaxeur et bassins, verrière et portail d’entrée (CAD  806 AE 43) : inscription par arrêté du 13 mars 1998. »


Nous avons rendez-vous pour la visite à 14h30…….. Il nous faudra attendre 15 heures, le temps que le dernier descendant de la famille (72 ans) émerge d’une sieste bien compréhensible !
Accueil chaleureux. Manifestement la relation avec le Lignon’s Team est cordiale, et nous aurons même l’autorisation de prendre des photos……. ce qui semble tout à fait exceptionnel. Pierre Jarnac me dira plus tard ne pas avoir eu un tel privilège, lors de sa propre visite. L’ambiance est totalement décalée, quelque chose alliant la nostalgie d’une fin de règne et une passion dévorante. Le père Giscard n’a pas d’enfants et « le commerce de statutaire religieux  n’est plus ce qu’il était ». Les ateliers sont en sommeil et le travail au four trop difficile pour un homme âgé qui n’a plus de personnel. L’activité actuelle se limite à la fabrication de quelques « Sainte Germaine de Pibrac » de petite taille pour une congrégation religieuse.
L’artisan de la Colonne nous explique avec d’infinis détails la technique du moulage. Un exposé intimiste et parfois poignant dans lequel revient sans cesse le rôle joué par son père (Papa) dans l’essor de l’entreprise. La famille, bien qu’aujourd’hui disparue, est du reste très présente dans les lieux : les portraits du père, de la mère, des grands pères, oncles et tantes sont légion…….

 

QUELQUES NOTES PRISES LORS DE LA VISITE DE LA MANUFACTURE GISCARD
(Jeff Swingell) 

> giscard

LA MAISON

La maison dessinée et bâtie par ses aïeux en 1855.
En 1975, la maison est classée et l'atelier le sera en 1999.

LA VIE DE J. G.


A 6 ans il perd sa mère. Son père (professeur à l'école des beaux-arts) se remariera avec la petite fille de l'auteur (Gaston Virebent ) du tympan émaillé de la Dalbade. (Thème : couronnement de Marie )
Petit, il faisait des billes en terre cuite pour l'école. Il a fait l'école des beaux-arts (comme son père) et le service militaire puis au boulot !

LES OEUVRES

Au début, en 1855 la maison Giscard produisait des œuvres profanes. Puis l'art religieux prédomina. Aujourd'hui Joseph est revenu au profane et utilise les négatifs des débuts. 

Exemple 1 : Ste Germaine de Pibrac
La 1ère pièce est réalisée le mieux possible ; puis on moule le sujet qui est alors perdu. Avant de mettre le plâtre blanc on met de l'ocre rouge dans l'eau pour le teinter. on coule le plâtre puis on brise le moule à son tour ("moule à creux perdu"). On conserve le sujet en plâtre.
Pour démouler on utilise du savon noir.
On ne démoule que le lendemain. D'abord le devant, et le lendemain soir le dos. Ensuite enlève les bavures sur le sujet et on laisse sécher avec un linge sec pour ne pas que ce soit trop rapide. En séchant le sujet en terre rétrécit de 7 cm en largeur et en hauteur. Pour une statue de 1 m de haut il faut prévoir 1,07 m. Le sujet sera rouge une fois cuit ! La cuisson peut monter jusqu'à 1100°. Selon l'épaisseur du sujet adapter pour la cuisson pour éviter un éclatement.

Exemple 2 : Statue de CUJAS (depuis 1940)
Avant que les allemands ne la fondent (pour fabriquer des obus) la mairie a apporté le bronze pour en faire un moule et ensuite une statue en pierre reconstituée qui se trouve aujourd'hui chez J.G.
La statue en résine de la Place du Parlement a été réalisée à partir de celle en pierre reconstituée.
Rem : Beaucoup de statues ont été fondues sans qu'on en garde le souvenir !

Auguste Virebain auteur des Cariatides des 6 fenêtres rue des marchands (face à l'hôtel d'Assézat). Il y a 12 statues car elles vont toujours par paires. Le sujet est le même, seule la jambe change !

LA TERRE UTLISÉE
La terre qu'utilise aujourd'hui J. Giscard est de couleur rouge (car elle contient de l'oxyde de fer) et provient de chez GELIS (ami de son père).
A partir de déchets de briques sèches non cuite ( terre de Gelis ) et travaillées une seule fois.

On les place dans le délayeur, on met l'eau et la terre dessus. Quand les 26 caisses sont faites on ajoute de la brique cuite broyée ( celle utilisée sur les terrains de tennis "terre battue" )
Le limon obtenu est laissé à durcir (raffermir) dans des paquets en plâtre puis on les met à la masse.

LA CUISSON
Le 1er jour : on allume un petit feu que l'on le laisse monter progressivement. Il faut 2 jours de chauffe pour que le feu soit à bonne température. Il est nécessaire d'être 2 pour surveiller.
Sur les parois du four des "regards" (petites briques amovibles) servent de guide (permettent de voir à l'intérieur du four). On se sert également de ces regards pour guider le feu à droite ou à gauche.
Le sujet est cuit quand la couleur est uniforme. Il faut ensuite une semaine pour défourner afin d'éviter le chaud et froid (qui ferait craquer les sujets ).
"Temps et patience pour éviter le chaud et froid"
Avec les fours électriques la cuisson se fait par paliers. Lorsque la température atteint 1200° il faut couper le feu puis le rallumer car s'il atteint trop rapidement une température élevée et risque de faire éclater le sujet.

Trouvé sur internet
"Notre métier est un métier artisanal par excellence, un métier d’art florissant à la fin du XIXe siècle qui avait entièrement disparu au milieu du siècle dernier. Il se décompose en différentes phases parmi lesquelles on compte la création, le moulage - d’après une création ou un modèle original -, l’estampage – soit l’impression de l’argile à l’intérieur du moule ou des moules, - le démoulage et la retouche, qui consiste aussi à assembler les différentes pièces qui composent la statue, le séchage, la cuisson, et enfin la patine."

Petite interruption : Patrice Conus, l’holmésien suisse arrive avec sa grosse valise à roulettes et en costume sherlockolmien plus vrai que nature. Mais comment fait-il pour supporter une telle houppelande sous les 38 degrés ambiants ?

Les saunièrologues que nous sommes contemplent avec émotion quelques modèles des stations du chemin de croix de RLC ; on peut voir également les anges du dessus du bénitier, ainsi que la chaire de l’église. Des pièces non décorées, issues du catalogue standard de la Fabrique. Et le diable ? Le moule de notre Asmodée existe-t-il toujours ? Non, nous explique le père Giscard, car cette pièce était une pièce unique, commandée spécifiquement par Saunière. Ci-joint le document publié par Octonovo sur son site © :

Contrat SAUNIERE / GISCARD
portant sur la statuaire de l'église de Rennes le château.

Le contrat de la statuaire de l'église de Rennes le château est un document intéressant à plus d'un titre... surtout à cause des pièces qui manquent:
- Le diable: Apparemment une oeuvre unique, du moins tirée à un seul exemplaire connu à ce jour. il semble bien qu'il ait été réalisé sur commande spéciale de l'abbé (contrairement au chemin de croix), et il serait intéressant de connaître les exigences liées à sa réalisation.
- Le bas relief de Marie Madeleine sous l'Autel, que l'abbé est réputé avoir peint de ses mains.
- La chaire qui est elle aussi en terre cuite. Je confirme qu'elle a bien été fabriqué e par GISCARD, et là encore, elle correspond à un modèle standard proposé par le statuaire.
Concernant les fameuses "directives" que l'abbé SAUNIERE aurait imposé à son statuaire concernant les oeuvres destinées à l'église, on peut voir qu'elles sont limitées. Les indications ésotériques que certains ont voulu y voir en relation avec l'affaire de Rennes le château ne me semblent pas plausibles. Par contre, GISCARD est un compagnon du tour de France, connaissant bien son symbolisme. Il a aussi, peut être, appartenu à certaines sociétés ésotériques. Son oeuvre est pleines d'allusions et de symboles qui n'ont pas manqués d'être relevés.
Enfin, le prix de 2500,00 francs correspond à plusieurs années du salaire de l'abbé SAUNIERE à l'époque. De même, chacun relèvera que l'abbé n'a en rien limité sa dépense... Par exemple, tous les modèles sont en terre cuite, plus chère que le plâtre. De la même façon, les sujets sont peints à l'huile etc...

           L'an mil huit cent quatre vingt seize et le vingt du mois de novembre, entre Monsieur Giscard peintre statuaire , résidant à Toulouse, rue de la colonne, 25, d'une part; et Monsieur l'abbé Saunière, curé de Rennes le Château, canton de Couiza, Aude, d'autre part, a été convenu ce qui suit:
             Pour la somme de Deux mille cinq cent francs, payable par annuités de cinq cent francs, à partir de fin décembre mille huit cent quatre vingt dix sept, Monsieur Giscard, statuaire résidant à Toulouse, s'engage dans le délai de quatre mois à fournir à Monsieur l'abbé Saunière, Curé de Rennes le Château, et à lui rendre franco de port et d'emballage en gare de Couiza Montazels et les articles ci-après:
 1°) Un bas relief, grandes bosses, en terre cuite inaltérable, exécution tout à fait artistique et irréprochable, riche polychromie, pierreries, yeux émaillés. Diamètre : trois mètres. Titre du bar relief: " Venez à moi etc. " onze ou douze personnages.
 2°) Un chemin de croix en terre cuite, scène en haut relief; personnage peints (1) au naturel, costume de l'époque, fond paysage, exécutions irréprochables est conforme au modèle envoyé (2) dont la hauteur et de 1 mètre 26 centimètres et la largeur de 0 mètre 60 centimètres: Riches polychromie partout.
 3°) les piscines avec groupe représentant, le baptême de N.S.J.C. par Saint-Jean Baptiste en terre cuite artistique, riche porte en cuivre doré, exécution irréprochable, polychrome comme ci-dessus; pierreries, yeux émaillés. Hauteur du sujet: deux mètres 90 centimètres Largeur: 0 mètre 80 centimètres. Tout conforme au modèle donné.
 4°) Sept statues, toujours en terre cuite de 1 mètre 30 centimètres de hauteur chacune, décoration extra-riche, peintures moyen age et en plein, Pierreries, yeux émaillés. Nom des Sts Vierge mère avec enfant Jésus, Saint Joseph avec enfant Jésus, conformes l'un et l'autre au modèle désigné. Saint Antoine de Padoue avec enfant Jésus debout sur le livre. Sainte marie Madeleine patronne de la Paroisse. Saint Antoine ermite second patron. Sainte Germaine avec deux agneaux et St Roch. Toutes ces statues au conformes aux modèles décidés et irréprochables quant à l'exécution.
 5°) Six socles assortis aux dimensions des statues furent. Quatre avec deux têtes d'anges aux yeux émaillés: deux socles avec une seule tête d'ange aux yeux aussi émaillés. Et Un Septième socle, forme colonne avec quatre anges debout. Décor extra-riche et peinture moyen age; Pierreries, yeux émaillés, conformes au modèle. La hauteur de ce dernier socle sera donnée plus tard. 
6°) Deux pinacles, style roman, comme d'ailleurs pour tous les autres articles, pour les deux statues de la Ste Vierge et de Saint Joseph, même matière, même exécution artistique et même richesse de décoration.
 7°) Trois autres petites statues de chacune de 0 mètre 70 centimètres, ni plus ni moins de haut décoration extra riche, pierreries, yeux émaillés. Ces trois statues sont une Vierge romane un Saint Joseph et le Sacré Coeur de Jésus.
            Avec tous ces articles qui seront peints à l'huile, de façon à pouvoir supporter plusieurs lavages, Monsieur Giscard s'engage, en outre, à venir, sinon lui, du moins à envoyer à ses frais un ouvrier pour la pose du bas relief: " Venez à moi, etc. " et pour le restant si toutefois le séjour de cet ouvriers était nécessaire, ce que je ne crois point.
De son côté, Monsieur l'abbé Saunière, Curé de Rennes le Château, s'engage à son tour à solder à Monsieur Giscard, peintre statuaire à Toulouse, la somme de deux mille cinq cent francs comme il a été dit plus haut, par annuité de cinq cents francs, à partir de la fin du mois de décembre mil huit cent quatre vingt dix sept.
             Il s'engage de plus, à faire transporter à ses frais de Couiza à Rennes tous les articles dont il a été parlé et à nourrir et loger l'ouvrier envoyé.
             Enfin, en cas de décès, Monsieur l'abbé Saunière autorise Monsieur Giscard à enlever de l'église de Rennes le Château, les objets qui n'auraient pas été payés, à moins que la commune où la fabrique se chargeât de les solder.
             Fait en double au presbytère de Rennes le Château ne, les mêmes jours mois et an que dessus.
             Signature des deux contractants.

 

 

 

 

 

(1) Ce n'est donc pas l'abbé qui peint le chemin de croix...

(2) Pour éviter toute équivoque, je tiens à préciser que le modèle est présenté par Giscard à l'abbé SAUNIERE et non l'inverse. En effet, le chemin de croix de l'église de Rennes le château est un modèle standard, vendu à plusieurs exemplaires. il en existe dans d'autres églises. Ce n'est donc pas Bérenger SAUNIERE qui soumet un modèle à GISCARD avec des indications de sa façon correspondant à Rennes le château.  Enfin, il est utile de savoir que le chemin de croix présent à Rennes a été repeint partiellement à une époque récente. La façon dont il apparaissait exactement du temps de l'abbé nous est donc inconnue. Bien entendu, les rajouts opérés ont "un sens".


Merci à lui pour nous avoir donné l’autorisation de le reproduire.