Les Mondes Perdus

 

     comme u

 

Retour aux sources, donc, avec un examen impitoyable par Christophe Thill du livre fondateur du mythe

 

James Churchward, Mu, le continent perdu, 
J'ai Lu, coll. " L'aventure mystérieuse ", 1969 (1ère éd. 1926)

   

 

 

 

 

Troano [9], dans lequel il voit un récit de la fin de Mu, les travaux d’archéologues plus sérieux n’y ont jamais rien trouvé de semblable.   Sur un certain nombre de points, les thèses de Churchward paraissent difficilement compréhensibles à moins de se replonger dans le contexte intellectuel de son époque, c’est-à dire le premier quart du xxe siècle. Rappelons tout d’abord que, si l’idée de la dérive des continents a été proposée dès la fin du xixe siècle, ce n’est que dans les années 70 que s’est imposée la tectonique des plaques, première théorie capable d’expliquer de manière convaincante le mécanisme d’un tel phénomène. Auparavant, mis en présence de certains faits gênants, comme la présence de la même espèce animale dans des régions séparées par des milliers de kilomètres de mer, les paléontologues n’avaient d’autre ressource que de postuler l’existence d’hypothétiques ponts de terre reliant les continents à cette époque et ayant disparu depuis. Si des tels isthmes pouvaient être définitivement submergés par l’océan, alors pourquoi pas des continents entiers ? Dans cette optique, la chose n’avait rien d’invraisemblable. Dans le cadre de la vision moderne d’une croûte terrestre divisée en plaques glissant, comme sur un tapis roulant, d’une dorsale à une fosse océanique, les choses sont cependant bien différentes. L’effondrement au fond de l’océan de tout un continent ne fait plus partie du domaine de l’acceptable.

Rappelons aussi qu’à cette époque, la théorie de l’évolution était loin d’avoir l’évidence qu’elle possède aujourd’hui. Les bases génétiques de la sélection naturelle n’avaient pas encore vraiment été dévoilées, et le darwinisme se trouvait en concurrence avec des dizaines de théories qui lui étaient opposées (orthogenèse, lamarckisme, mutations…). Le créationnisme, bien sûr, ne manquait pas à l’appel ; aussi il est peu étonnant de voir notre auteur revendiquer pour l’être humain une “ création spéciale ” qui le met à part de la nature. Dès les années 30, la redécouverte des lois de Mendel par Morgan et son équipe imposeront

 

   

la “ théorie synthétique ” issue du darwinisme, ce qui changera quelque peu la situation. Enfin, on retrouve ici l’influence d’un important courant de pensée de la fin du xixe siècle : le diffusionnisme. Créée par des anthropologues et des géographes allemands, l’école diffusionniste s’attachait à reconstituer le processus de transmission des traits culturels d’une société à l’autre, en en suivant la trace dans le temps mais aussi dans l’espace. L’idée fut reprise et poussée à l’extrême par des savants britanniques, qu’on qualifia d’hyperdiffusionnistes ou d’héliocentristes. Pour sir Grafton Elliot-Smith (auteur de Children of the Sun) par exemple, toutes les cultures dérivaient de celle de l’Égypte ancienne, et toutes les religions avaient leur origine dans le culte de Râ, le soleil. On retrouve un écho de telles idées jusque dans les années 50, avec les expéditions de Thor Heyerdahl, dont l’ambition était de montrer que des navigateurs égyptiens avaient pu atteindre l’Amérique avec les moyens dont ils disposaient (et peut-être, qui sait, y fonder une civilisation…). On voit ce que doit à ces théories l’idée de Churchward selon laquelle Mu serait la source de toutes les cultures de l’humanité.

  Avec Mu, le continent perdu et ses suites (L’Univers secret de Mu, Le Monde occulte de Mu), Churchward a offert à notre imagination un nouveau monde englouti, qu’il a fait vivre de manière flamboyante. Pourtant ses travaux sonnent le glas de ce genre de recherches : après guerre, les excentriques tels que lui ou son congénère Augustus Le Plongeon se font rarissimes. Ceux que la fibre occulte démange préfèrent se consacrer à la vague de soucoupes volantes qui déferle alors sur le monde, délaissant les visions fantastiques pour un univers plus proche de la SF, dont les lois inconnues offrent plus de latitude que celles de la géologie et de la biologie, désormais structurées par des théories unificatrices cohérentes… Y a-t-il encore aujourd’hui une place pour les explorateurs des continents perdus ? Il semble bien que non, et c’est fort dommage, car si ce genre de théories est loin d’être un modèle de rigueur scientifique, il possède par contre un charme et une poésie assez rares.  

  Christophe Thill©

 

Zanthu


 [9]Conservé au British Museum.