JOSÉ        MOSELLI

SA VIE, SON ŒUVRE  

 par René BARONE et Claude HERMIER

 

TROISIEME PARTIE 

 

JOSÉ MOSELLI : SON ŒUVRE 

Ses romans

 3.1 - LE PREMIER ROMAN DE JOSE MOSELLI 

par J. Van Herp 

(article paru dans Désiré 2° série, n°31, 1er trimestre 1981) 

 

Au temps où Marabout publiait "La Fin d'Illa" et "La Guerre des Océans", la sœur de José Moselli, qui devait avoir alors près de 90 ans, écrivit à la Maison, à la fois pour donner quelques précisions sur son frère que pour soumettre quelques textes encore inédits. 

De son frère, elle nous apprit qu'il était fils de banquier et qu'il travailla dans la banque. On pouvait s'en douter : non seulement les banques, en tant que lieu de l'action, jouent un rôle certain - voir "W...vert.." et "Létio-Moussi" - mais également les tractations des banquiers, les escroqueries à l'assurance, la baraterie, les lancements de sociétés parfois farfelues(1). 

Et ce n'est pas un profane qui, dans "La Montagne des Dieux", aurait eu l'idée d'une souscription composée de 20 000 actions, dont 100 actions A ayant chacune 100 voix, et le reste, les actions B, devant se mettre à 100 pour avoir une voix, ce qui permettait de posséder la maîtrise de l'affaire avec un capital minime.

 Il aurait fait la marine pour "ennuyer" sa famille, mais, après trois ans de navigation, il se serait "rangé", travaillant à Alexandrie, puis sur la côte d'Azur, après avoir résidé au Brésil.

 Il possédait bien le brevet de capitaine au long cours et avait servi, en tant qu'officier de pont, sur un paquebot faisant Marseille-Yokohama. Aucun doute là-dessus : le manuscrit complet, qui était proposé, relatant un tel voyage : un aller-retour Marseille-Japon. Que dire de ce roman ? D'abord qu'il révèle, à la lecture du manuscrit, un Moselli dessinateur.

 En regard du texte, se trouvent les portraits à la plume des divers personnages. Et ces croquis sont fort bien venus. Pour le reste, Moselli a subi l'influence de deux auteurs bien oubliés : 

Diraison-Seyler, auteur des "Maritimes" et Jean Bosc avec le "Vice Marin". Nous avons un roman gris, presque une chronique de la vie à bord du paquebot, les rivalités mesquines entre les officiers, les ports d'Orient qui ne sont qu'escales à charbon :

 tout pittoresque semble gommé, anéanti par les obligations de la navigation des long-courriers.

 Cependant, on trouvait la peinture d'un port, de son atmosphère particulière, parfois en trois phrases grises, qui n'étaient pas sans rappeler la manière de Simenon exotique. Cela sentait les détails observés, les souvenirs frais encore, mais surtout le roman nous apparaîtrait singulièrement audacieux, encore en ce temps pourtant déjà bien au fait. 

Moselli ne courait visiblement pas encore la carrière d'auteur pour la jeunesse. Car enfin, si le paquebot échoue, de nuit, sur les côtes d'Indochine, c'est que l'officier de pont était trop occupé à peloter le jeune novice, qu'à surveiller l'état de la mer. Jeune novice que l'auteur croque comme un joli blondinet, fort joli mais pas efféminé, et que se disputent sournoisement deux des officiers du bord. A l'époque, et durant quelques années, le public fut assez friand de telles intrigues. Cela semblait une obligation dans la vie maritime. Outre son audace le roman était trop court et demeura en cartons.

 Qu'est devenu le manuscrit ? Il fut renvoyé à l'agence Maurice Renault et j'ai, depuis, vainement essayé de le retrouver. Sans doute est-il retourné à la sœur de Moselli.

 Il est à craindre, vu son âge, qu'elle soit morte depuis. Peut-être des lecteurs de "Désiré" pourraient-ils en retrouver la trace ? (2). Il serait intéressant, je crois, de le publier à quelques exemplaires.

 Ce qui est faisable de nos jours, grâce à la polycopie. Et je pourrais même, vu le bon marché de la photocopie, ici en Belgique, reproduire les illustrations de Moselli.

 C'est une idée que je lance. Je crois qu'il vaut la peine qu'on y réfléchisse car il serait regrettable, pour ses amis, de perdre ainsi toute trace de cet ouvrage. 

 

 

(1) "La Dayak Treasure Company" - Romans ou nouvelles "banquaires" de Moselli : "Les conquérants de l'Abîme", "La Dernière Affaire d'Alexandre Bullen", "La Montagne des Dieux" et passim, "Le Totem de l'Homme Mort",... 

(2) Des lecteurs de "Désiré" habitant Marseille ou la région. L'adresse que nous avions était : Toussaint Léandri, 24 Parc Drommel, Marseille. 

 

 


 

 

3.2 - W... VERT .. 

par Claude Hermier 

(article paru dans le Chercheur des Publications d'Autrefois, n° 4-mai/juin 1972)

 

 Il est dans la vie d'un Chercheur de Publications d'Autrefois des moments d'une rare qualité. Il y a peu, j'ai ouvert un bien lourd paquet : ce sont alors offertes les premières années de "L'Intrépide". Moment d'émotion où plus rien d'autre ne compte que des images, des titres, des noms. Chères images, prestigieux auteurs, titres évocateurs. Les sens et l'esprit sont alors en parfaite harmonie.

 ... Un dimanche pas comme les autres que celui du 22 mai 1910. Les buralistes proposaient une nouvelle publication pour enfants, "L'Intrépide, Aventures, Voyages, Explorations".

 Une idée des Offenstadt, installés 3, rue de Rocroy, à Paris : leur "Journal des Voyages". Page trois du n° 14 on lit :" Prochainement paraîtra un grand roman inédit d'aventures extraordinaires. Ce roman passionnera et intriguera au plus haut point tous nos lecteurs. W...Vert.. tel est le titre énigmatique de ce roman aux aventures étranges.

" Les numéros suivants reprendront, à quelques différences près, cette annonce. C'est le 18 septembre 1910, au n° 18, qu'est livré aux lecteurs le nom de l'auteur : José Moselli. Page dix de ce numéro, dans un rectangle de 13cmx8, on lit en effet :

" Très prochainement paraîtra W...Vert.., grand roman d'aventures étranges inédit, par José Moselli", etc. etc. Enfin, dans le n° 25 du dimanche 6 novembre 1910, la couverture annonce :

 

" Nous commençons dans ce numéro...". Suit une composition signée André Galland de 18cmx15. Un canot automobile fend les eaux vert-sombre de l'océan ayant quatre hommes à son bord, et qui ont engagé, deux à deux, une lutte sans merci. Un requin, gueule déjà retournée, est prêt à happer l'un des protagonistes largué du canot. Cette dramatique scène nocturne est éclairée par l'un des phares d'un croiseur situé à l'arrière plan. Ce même croiseur éclabousse de lumière un yacht argenté, nimbé d'une auréole rougeoyante. De l'espace surgit un W énigmatique, constitué par la juxtaposition de pierres vertes taillées, ce W est suivi de trois pierres ajoutant à l'ambiguïté du signe. Tel un sceau, le mystère déjà s'incruste dans l'esprit du lecteur. Cet astre d'épouvante envoyé sur la Terre est accompagné de l'adjectif VERT et de deux points. La scène est couronnée par deux dragons vert-jaune, posant leur mufle sur un crâne humain. Immanquablement l'esprit se porte à des milliers de kilomètres, en Extrême-Orient. "Voir page 6 le début de ce sensationnel roman" est-il noté au bas de cette heureuse illustration. 

Vingt-deux chapitres s'échelonneront sur autant de numéros. Deux pages environ pour chaque feuilleton. Le texte, sur quatre colonnes, est agrémenté de quarante huit illustrations finement dessinées par André Galland.

 Le premier chapitre, "Le Mystère de la Gare du Nord" démarre le roman par une bonne intrigue policière... Début juin 1902. Des disparitions mystérieuses sont signalées à Paris-Nord. "Il y a cinq jours, M. Ulric Van Danne, capitaine de navire, venant de Dunkerque, était attendu sur le quai par sa sœur. Elle le vit descendre du train, courut à lui, mais il se perdit dans la foule". Même aventure arrive à M. Debœuf, marchand de couleurs, au Procureur de la République Michon, enfin à M. Duménil, conservateur du Musée du Louvre, pas moins ! ... C'est au jeune journaliste Albéric Rauze que sera dévolu l'honneur de les retrouver. Mais tout n'est pas si simple dans le monde de Moselli. Le directeur de "L'Informateur", journal où travaille Rauze, ira de surprises en surprises quand, avant le retour de mission de son employé, il verra arriver de Pernambuco le cache-poussière de celui-ci, puis d'Alexandrie sa casquette, ses souliers tout droit de Bergen, et même son revolver qui aura le tampon de San-Francisco ! N'importe, Rauze débarquera chez son patron trente-sept jours plus tard, et habillé de ses vêtements !

 Rien d'impossible vraiment pour un jeune talent : Moselli a 28 ans quand paraît son feuilleton hebdomadaire. Dès ce premier chapitre, l'audace des situations, la concision du style, la sûreté de la phrase, la dureté des faits, s'imposent. Ces caractéristiques typent d'emblée Moselli. Les lecteurs qui en ont fait un familier de leurs rêveries reconnaissent à coup sûr cette écriture originale et talentueuse. "C'est du Moselli !".

 Déjà, les principaux thèmes que l'on trouve tout au long de l'œuvre du romancier sont présents : la cruauté de certains individus, le forçat accusé à tort, l'appât du gain, l'exotisme sans vernis, l'odyssée de la mer, le fantastique du quotidien.

La cruauté de l'homme est exploitée dès le 6ème chapitre, et c'est Rauze qui en fait les frais : "Monsieur Rauze, lui dit Blast, nous allons vous inoculer un poison violent, son antidote vous sera remis dans quinze jours si vous obéissez complètement à nos ordres. Au contraire, nous vous abandonnerons à votre sort, et c'est la mort." Chapitre 10, "Dans la cellule d'un condamné à mort", une scène de torture, le prélude d'une série innombrable : "Cams écarta la chemise de Lucien et lui découvrit la poitrine, sur laquelle il traça de longues incisions au moyen de son rasoir [...] - Là, soupira Cams, maintenant, jeune homme, on va vous saler comme un cochon : cela conserve ! [...] Cams écarta les bords des blessures et y introduisit soigneusement des grains de gros sel [...]. Et Blast délia les bras du prisonnier, puis il promena sous chacun d'eux la flamme de la bougie : une horrible odeur de chair brûlée emplit la cave, tandis que Lucien hurlait [...]. Blast avait posé la bougie à terre et raclait avec son couteau les brûlures produites par la flamme".

 Chapitre 15, la "première pendaison" de Moselli : "Un marin s'approcha de l'infortuné magistrat et lui entoura le cou d'un nœud coulant [...] ; la corde se tendit et souleva peu à peu le malheureux Michon ; bientôt celui-ci fut debout, à demi étranglé, la pointe de ses pieds s'appuyant seule sur le pont, Rudge fit arrêter un instant l'ascension et s'approchant de lui, cria : - Tu fais une bien sale tête pour un monsieur si distingué ! [...] La corde se tendit et enleva Michon, tandis que Rudge, ravi, regardait le procureur, la langue pendante hors de la bouche..." 

 L'exotisme - si l'on peut dire - de Moselli n'a pas sa place dans les dépliants touristiques. Pas de romantisme. L' explication est simple. L'auteur, grand voyageur, a bien connu les lieux où ses personnages évoluent. Il ne peut que parler avec familiarité de ce qui fut pour lui le quotidien. 

Les lieux de l'action, si lapidairement traités qu'ils soient, le sont toujours avec exactitude. Au chapitre VIII, "Chinatown", par exemple, suivons le mousse Maurice Blair et Parker dans la ville chinoise de San-Francisco : "Sur le pas des portes, des barbiers rasaient minutieusement les oreilles ; de bizarres épiceries avançaient sur la chaussée, malgré l'heure tardive, leur étalage hétéroclite : des carcasses de volailles, aplaties et couvertes de sauces gélatineuses, bleues ou roses, des chiens tapés et desséchés ; plus loin, c'étaient des boutiques de pharmaciens, alignant à leurs devantures des herbes racornies, étiquetées de petits carrés de papier rouge.

 "Au milieu de la rue [...] et, par endroits, des femmes, accroupies devant leurs portes, une chandelle à la main, brûlaient des papiers rouges recouverts de prières pour éloigner les mauvais esprits".

 Chaque remarque est exacte. Moselli, au cours de ses voyages, a enregistré jusqu'au moindre détail. Nous sommes loin d'un matériel de pacotille. Et pourtant, rien de la description sèche et sévère, rien de la fastidieuse énumération. Aucun souci didactique. Pas de notes en fin de page, cela nuirait à l'action, distrairait. L'auteur s'adresse autant à des adultes qu'à des enfants.

 Le marin Moselli est fin psychologue. La rude vie qu'il a menée à bord des bateaux lui a ouvert un des visages de l'homme, le moins reluisant.

 Plus les manigances des méchants seront odieuses, plus raffinés les supplices qu'ils infligeront à leurs semblables, et mieux ressortira la justice. Car ces méchants n'ont rien de banal et l'intérêt qu'ils suscitent accapare sans cesse le lecteur. Ils sont le ressort essentiel de l'action. Aussi la médiocrité n'est pas leur fort.

 La trame de chaque phrase, de chaque roman, ne peut être, cela va de soi, qu'une perpétuelle interrogation, qu'une incessante inquiétude, ou plutôt une mise en éveil. Mais le mal va vite : de la sollicitation à l'action il n'y a qu'un pas. Aussi ne nous étonnons pas de voir l'innocent payer pour le coupable : la justice est une grande Dame qui exige beaucoup de sacrifices.

 C'est le cas du matelot James Saunders condamné aux travaux forcés à la place de Blakbury et Moore, assassins du Polonais Bilinski. C'est le cas de Michon, pendu haut et court par les hommes de Blakbury et celui de son compagnon en malheur Debœuf : "Rudge s'approcha du malheureux Debœuf, livide de terreur, il tira froidement son revolver de sa poche, l'approcha de la tempe du marchand de fromage et pressa la gâchette : une détonation retentit, la cervelle trouée, Debœuf s'écroula, mort". Ces deux exécutions sont gratuites, comme le seront pas mal d'assassinats à venir dans "W...Vert..", et ailleurs

 Gens de mer sont les héros moselliens. Au deuxième chapitre de "W...Vert..", qui s'intitule "Conversation à bord du Mélanésien", nous sommes déjà du voyage. C'est sur mer, sur le bateau que Moselli excelle pour construire l'intrigue. Cet espace limité confère une densité extraordinaire à l'évolution de chaque phase du feuilleton. Les protagonistes devront user d'artifices pour mener à bien leur tâche. Une fausse manœuvre et c'est le plus souvent la mort pour rançon. C'est dans la cabine, la cale, que l'on séquestre, torture, assassine, lieu idéal :

 l'impunité de certaines exactions y est quasi certaine. Univers concentrationnaire de petite dimension, où la chaleur est étouffante, où l'on vit ficelé, où la nourriture vous est ingurgitée de la plus déplaisante façon, et quelle nourriture ! Comment s'en évader ? Entre autres artifices, la manche à air est la porte de secours de prédilection de l'emmuré. Porte de secours, mais aussi cachette, lieu d'attente... Au chapitre XII Van Danne "l'invente" pour lui et pour d'autres, qui ont noms Marcel Dunot, etc. "Van Danne avait parfaitement reconnu ce qu'était ce conduit : une manche à air dont l'orifice était situé sur le pont, derrière la cheminée. 

"Avec mille précautions, afin de ne pas donner l'éveil, s'aidant de ses pieds, de ses coudes, de ses mains, de ses genoux, commença son ascension. Elle fut lente. Par endroits, des boulons écaillaient le cylindre de fer et meurtrissaient cruellement le courageux marin qui s'aidait de ses aspérités pour accélérer sa montée.

" Van Danne est frère de Marcel Dunot, le Roi des Boxeurs qui, dès le début de ses innombrables aventures, utilise l'une des manches à air du "Provence". "Délibérément, il s'engouffra dans la manche à air et, s'aidant des pieds, des mains, des coudes et des genoux, se laissa doucement descendre dans le conduit de tôle".

 Déjà le pont du bateau est le prélude à de dures actions. C'est de celui du "Mélanésien" que l'infortuné Bliquet sera basculé. Celui du "Laranda" verra la pendaison du procureur Michon... C'est sur les ponts des divers bateaux, qu'il fréquentera, que Dunot sera vraiment consacré Roi des Boxeurs. Que de têtes il y fracassera ! Que d'ennemis y seront exterminés ! 

Mystère, suspense, fantastique. C'est au travers de ces éléments que la justice se fraye son chemin. Je ne dévoilerai pas le mystère W...Vert.. si ce n'est qu'au départ de l'intrigue une noix de coco contenant deux plaques d'or gravées est recherchée avec beaucoup d'ardeur par les uns et les autres... Que plus tard il est question d'une curieuse secte chinoise, Létio Moussi, qui a son mot à dire quant aux plaques du précieux métal... 

W...Vert.. est-il le premier roman de José Moselli ? Dans son n° 253 (28 mars 1909) "Le Petit Illustré" démarre "Les Aventures d'un Jeune Policier" (Jean Flair), illustrées par G. Dam, et ce, jusqu'en 1912. Réédition dans la "Collection d'Aventures" du n° 44 (1.3.1917) au n°47, mais cette fois "par G. Dam et José Moselli". 

Monsieur Jean Monniot a posé la question dans le n° 1 du "Chasseur d'Illustrés" : "L'attribution du texte à José Moselli pour la période 1909 à 1912 n'est-elle pas fausse ? Ne doit-on pas l'attribuer à G. Dam seul ?". 

Oui, car Jean Flair reparaîtra dans "Le Petit Illustré" en 1915 "à travers la guerre". L'illustrateur n'est plus G. Dam et aucune mention d'auteur. Mais la "Collection d'Aventures" reprend ce second récit (n°s 48 et 49, puis 226 à 230), qui est signé cette fois José Moselli, seul. Monsieur Monniot note : "Le style, le genre, et la construction des aventures de la période 1909-1912 sont nettement différentes d'avec la période de guerre (1915-1919) qui, elle, est nettement du Moselli".

 Dans une lettre récente, M. Lagneau me signalait : "Notre numéro spécial Moselli contenait en hors texte la reproduction d'une couverture du "Conteur Populaire", éditeur Rouff. Il s'agissait d'une courte nouvelle de Moselli intitulée "Noël Sanglant", et l'éditeur précisait : "nouvelle inédite de José Moselli", ce qui laisserait supposer que l'auteur était déjà connu en 1910, date de la publication. Donc il aurait été publié auparavant... 

"Mais je crois, personnellement, que G. Dam avait écrit seul la première partie de Jean Flair parue dans "Le Petit Illustré", série interrompue en 1912. La grande guerre est venue. José Moselli, sans doute avec l'accord de Dam, a repris le personnage à son compte, et nous a raconté ses aventures pendant les hostilités. Lorsque "Jean Flair" a été réédité dans la "Collection d'Aventures", l'éditeur s'est trouvé devant deux noms d'auteurs, et il a associé ces derniers dans les quatre premiers volumes relatant les aventures du héros de 1909 à 1912, puis le nom de Moselli seul a figuré dans la suite, qui était réellement de Moselli.

 "La première série de Jean Flair parue dans "Le Petit Illustré" n'est donc pas, à mon avis, un signe de collaboration de Moselli. Il n'en reste pas moins que, peut-être, cet auteur avait déjà écrit, ne serait-ce que des nouvelles, et aurait été publié par d'autres éditeurs que les Offenstadt avant "W...Vert..", sans doute par Rouff, comme la mention rappelée plus haut et portée par cette firme pourrait le laisser supposer..." Voilà des idées fort intéressantes qui demandent à être développées. 

 Peu de temps après la parution de ce papier un ami m'écrivait. De sa correspondance j'extrais de mémoire : " Les camps de concentration allemands c'était mené en douceur comparativement aux Offenstadt" . Que ne peut-on raconter quand on est antisémite et très très à droite ! 

 

 

 


 

 

 

 

3.3 - LE SULTANAT DE KAZONGO

 

 par Claude Hermier

 

Article paru dans "Le Chercheur de Publications d'Autrefois" ° 11 (mars 1947)

 et dans "L'Annonce-Bouquins" 

 

 

Il est bon de rêver à ces pays d'au-delà les déserts.

 Il est bon de traverser les déserts, que les embûches soient nombreuses, traîtresse l'eau des fleuves, et cruels les hommes qui tendent l'embuscade.

 Il faut que ce rêve soit dur. Comme le sont le soleil et les hommes. Plus douce alors sera la clarté de la lune sur le bivouac. Et plus feutrée l'ambiance de la tente.

Il est bon que notre fauteuil soit l'évasion. S'évader en lisant des histoires. En regardant des images.

Là-bas, c'est le sable et ses mirages. C'est la forêt aux inquiétants murmures.

 C'est le village de paillotes où se dressent des poteaux colorés. 

C'est la danse des sauvages à la lueur des feux. 

C'est la palme qui chuchote et invite. L'œil devient mobile.

 

 De lumière et d'ombre tour à tour. 

L'œil est vert comme le fleuve et s'argente de pirogues.

 Rouge des lueurs du couchant et du sang des guerriers. 

Gris de l'acier des fusils et des sabres.

 Éblouissant des diamants du lointain pays d'Afrique. 

 

Anxiété de l'oreille. 

Bruit de sable sur les rochers. 

Froissement d'herbes dans la savane. 

 

Annoncé dans le n° 51 de l'hebdomadaire "L'Intrépide", "Le Sultanat de Kazongo" paraît dans le n° 57 du 18 juin 1911 en double page centrale. C'est un feuilleton sous images dessinées par André Galland. "Le Bison Noir du Far-West" de Jo Valle qui figurait depuis le numéro un à cette place de choix est relégué sur une simple page. 

Ce deuxième feuilleton de Moselli à paraître dans "L'Intrépide" (le premier est W...Vert..) se termine en page 5 des n° 92 et 93 (25 février 1912). 

Ce qui frappe quand on feuillette ce roman, comme on le fait communément avant de le lire pour un texte sous images, c'est la finesse du dessin par ailleurs très agréable et la fraîcheur des couleurs. L'œil a du plaisir à s'arrêter sur le jaune-orangé du sable, sur le brun des tentes, le vert pâle de la nuit égyptienne, le bleu, le rouge et le vert des vêtements. 

Vous vous appelez Pierre Maraix et travaillez comme fondé de pouvoir à la Maison Sapajou d'Algue de Marseille quand, vers les trois heures d'un certain après-midi, vous entendez soudain, venant de derrière la porte de votre bureau, "le bruit d'une conversation proférée en langue barbare". Surgissent trois hommes. "Le premier, un mulâtre maigre et sec comme un vieil échalas, mesurait presque deux mètres de haut. Il était vêtu d'une splendide redingote, et sur sa tête brillait un chapeau haut de forme dont la cime atteignait presque le plafond. Derrière lui venaient deux géants noirs [...] Des costumes de confection trop étroits et trop courts moulaient leurs corps athlétiques [...] Leurs têtes se recouvraient d'un fez, et ils avaient les pieds nus...

 

" A l'époque les gens de couleur habillés à l'Européenne dérangeaient. C'était incongru. On en riait. Et comme de bien entendu, ils portaient mal l'habit. Un nègre ne se concevait qu'avec un cache-sexe ou un pagne. J'ai sous les yeux une carte postale ancienne. La scène : des Malgaches posant habillés à la Française, avec comme commentaires : "Une famille malgache dans toute sa splendeur".

 

 Sur la carte de visite du mulâtre : "Comte Macario de Moucharabieh, Grand Vizir du Sultan de Kazongo".

 Moucharabieh sourit : "Je suis envoyé par mon maître le sultan Djabbir pour acheter quelques centaines de fusils". Paiement comptant en diamants énormes, de cinq mille fusils et de munitions dont le sultan a besoin. "... Le tout devant être livré à Kazongo, dans le sud de l'Etat du Congo, par les soins du vendeur que Macario piloterait".

 Et vous, Pierre Maraix, breton de Paimpol, vous êtes désigné pour convoyer les colis jusqu'à Kazongo "moyennant la forte somme".

 

 ... Nous voici en terre d'Afrique. Des images fortes, des mirages ! La nuit africaine. A quelques kilomètres du Caire, près du tombeau du khalife Emin Kebir, elle nous donne rendez-vous. Lumière glauque de la lune. Atmosphère inquiétante dont l'Anglais Samuel Hutch se soucie d'ailleurs fort peu. Les images de Galland sont la porte ouverte sur un univers trouble autant que féerique conféré par des teintes bleues aux nuances très séduisantes. Un décor sous-marin. Ce rendez-vous de onze heures ne pouvait qu'être fatal à Hutch. Le jeu de la lumière lunaire sur les pierres disloquées et écroulées l'avertissait pourtant ! ... Il va se retrouver un peu plus tard dans la pyramide de Khéops en fort mauvaise posture.

 

 Grandiose panoramique sur une crypte où s'entassent plus de trois cents fanatiques musulmans de toutes races.

 

Le choléra. Déjà dans "W... Vert.." il était inoculé des germes pathogènes à un innocent. Cet acte est renouvelé sur Hutch par un descendant direct de Mahomet. 

 

Des coups de feu ! Le train que nous avons pris au Caire pour la Haute-Egypte est attaqué par des Bédouins. Belle double page que celle du numéro 68. La poudre, le sang, la cruauté se mêlent en un épouvantable ballet . Notre convoi est devenu dragon... de chaque wagon sortent des langues de feu. Nous échapperons de peu à ces pirates du désert. 

 

Le Nil. Notre dahabieh a fière allure. Notre œil s'arrête sur les eaux vertes du fleuve, les berges ensablées, les palmiers à l'allure fière. Voici les montagnes roses d'Abou-Simbel. Superbe, ce coucher de soleil dans les sables ! 

... Suivons cette grande ombre qui, brusquement, alors que tout dort, quitte la dahabieh. Le croissant lunaire soulève pour nous ce que la clarté trop vive du soleil ne saurait dévoiler. "Après avoir franchi une étroite vallée, Baptistin vit tout à coup un spectacle grandiose [...] Sur le fronton d'une haute montagne, quatre colosses, haut de plus vingt mètres, taillés dans le roc vif, s'érigeaient au-dessus d'une sorte de terrasse surplombant le Nil [...] A la suite du mulâtre, Baptistin traversa une immense salle, puis il arriva dans une cour. Cette cour était entourée de toutes parts de gigantesques statues d'hommes accroupis à tête de singe [...] Le Marseillais grimpa à son tour sur la statue et aperçut alors que le sommet de la tête était percé d'un trou... " .

 

Nous débouchons dans une salle immense. Et là s'offre une scène hallucinante. Une estrade où siègent sept vieillards. Trois géants Noirs et six Blancs. Les Blancs, des Anglais agenouillés derrière six épieux de fer fichés en terre. Une foule d'Arabes survoltés. "Baptistin entendit six hurlements et vit les géants noirs soulever les Blancs et les laisser retomber l'un après l'autre sur les pals où ils s'enfoncèrent lentement [...] Une clameur féroce répondit aux cris des victimes et résonna sous les voûtes de granit".

 

 Image saisissante que celle des esclaves noirs fournis par le traiteur Gabardall à Moucharabieh. "Par la trappe un concert de hurlements s'échappa [...] A la lueur de la lanterne, ils aperçurent plus de deux cents nègres ayant chacun un cercle de fer autour du cou..

." Il faut que ce rêve soit dur.

 Comme le sont le soleil et les hommes. "Les musulmans esclaves, ayant chacun un colis sur la tête, se mirent en marche l'un derrière l'autre... Dans la journée qui suivit le départ de nombreux cadavres de noirs morts du choléra furent rencontrés. Ce ne fut qu'en pénétrant dans le pays de Donfilé que les difficultés commencèrent..." La dix neuvième image du chapitre XIX "A travers le Lado". Que de fois ai-je rêvé à une scène de ce genre ! Etant enfant... et plus tard... Je suis un explorateur avec casque colonial en liège... Avec mes compagnons je suis en pays défendu, en pays de la peur et du mystère... Ils sont là, ces sauvages avec sagaies et boucliers coloriés, et à cheval sont les chefs. De cette foule ennemie des sagaies pointées vers le ciel. Autant de barreaux, autant d'embûches ! La vision est trop insupportable ; l'inconscient, de qui cette scène avait surgi, se révulse. C'est le choc, le réveil ! ... Il est bon de traverser le désert. La voici la rude épreuve que nous attendions. Nous perdons notre route. Pas de boussole, plus de vivres. Les moustiques, pour ajouter à notre détresse. La soif, bien sûr. Nos chevaux meurent d'épuisement. Le torride soleil nous fait délirer. La nuit, et c'est la ruée des hyènes qu'il nous faut repousser. Nous boirons le sang de celles qui seront abattues.

 "Au jour, les trois hommes parvinrent à se traîner pendant quelques centaines de mètres. Puis de nouveau épuisés, ils se laissèrent tomber sur le sable, incapables du plus petit effort..." Du déjà vu, des poncifs, des clichés, diront certains. Oui, mais c'est conté par Moselli et c'est illustré par Galland. 

 

... L'œil s'argente de pirogues.

 "Ils aperçurent six grandes pirogues, montées chacune par une cinquantaine d'énormes nègres armés de lances et d'arcs".

 ... C'est le village de paillotes. "Ils aperçurent une agglomération de cases faites de bambou et de feuilles de palmiers".

 Les anthropophages. Maraix l'avait deviné en ramassant, dans la pirogue qui amenait les prisonniers au village voisin, un tibia humain. Nos amis ont pour compagnons d'infortune quatre Hambourgeois gros et gras. On les gavera les uns et les autres d'un liquide composé de noix de coco pilées et d'arachides, tels des cochons à l'engraissage.

 

 ... Où se dressent des poteaux coloriés. 

Encore une scène que Moselli devait décrire en jubilant. Ah ! Mes lecteurs en redemandent, aussi vais-je les servir ! "Soudain, un petit nègre, vêtu d'un pagne jaune à raies rouges et casqué d'un vieux bidon à pétrole dans lequel il avait planté des plumes d'autruche, fendit la foule et arriva près des Européens. Il tenait à la main une auge de bois remplie d'une bouillie rouge qu'il posa sur le sol [...] Il trempa le doigt dans la peinture et, en dialecte congolais, s'écria : "Je commence par celui-ci, c'est le plus gras ! Moi, je me réserve les jambes" [...] Le nain saisit à sa ceinture une sorte de faucille et s'approcha du premier Allemand et saisissant le bras du malheureux, il le trancha." Des atrocités de ce genre, on en est friand. 

 

Une des toutes dernières. Moucharabieh - un traître - va être crucifié selon la loi de Kazongo.

 "Puis, tenant entre ses dents d'énormes chevilles en bois dur et dans sa main un marteau, un guerrier grimpa le long de l'échelle appuyée à la croix. Il saisit une des mains fiévreuses du mulâtre et, ayant pris une cheville dans la bouche, il l'appuya contre la paume du misérable et l'enfonça d'un formidable coup de marteau. Le sang gicla. Moucharabieh poussa un horrible cri de souffrance, aussitôt couvert par les clameurs de la foule." Ce feuilleton fort bien imagé est un poème. Des images fortes tout en étant oniriques.

 

 Oui, l'Afrique de Moselli est une Afrique de rêve. Un tourbillon coloré qui m'emporte loin, très loin sur les rives du "Journal des Voyages". 

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