JOSÉ        MOSELLI

SA VIE, SON ŒUVRE  

 par René BARONE et Claude HERMIER

 

 

3.15 - Quelques notes sur "Le Roi des Boxeurs" de José Moselli,

tirées de la grande réédition fasciculaire illustrée par Puyplat.

Par Claude Hermier

(paru dans Désiré, 1°série, n° 24, octobre 1969)

   

 Tout jeune -une dizaine d’années- j’ai eu entre les mains quelques fascicules de la célèbre collection.

 Je fus immédiatement conquis, d’autant que les illustrations servaient admirablement le texte. Il me souvient que c’était pour moi des histoires sérieuses auxquelles je participais pleinement, à la différence de tant d’autres. Déjà, j’avais senti le caractère d’authenticité propre aux romans de Moselli. L’enfant que j’étais, se rebutait au didactisme de certains auteurs, qui, souvent,  s’intégrait mal au récit. Je baignais alors en plein mystère car mes livres scolaires donnaient des textes d’un certain Emile Moselly. Etait-ce le même ? A cela s’ajoutait le fait que, possédant des fascicules épars, les aventures de Marcel Dunot paraissaient ne jamais commencer et ne jamais finir... Ce n’était pas sans charme !

 L’impression fut si forte que, bien des années après, ces fascicules me revinrent en mémoire, entre-temps la poubelle avait été le lot du peu que j’avais possédé, mais, sans nul doute, j’étais le seul à en rêver... Et  “Désiré” vint... et le miracle se réalisa : Moselli, et d’autres, n’étaient pas pour tous des inconnus ! Une annonce, de l’argent,  la collection complète du “Roi des Boxeurs”.

 Paru, à l’origine, dans “L’Epatant” d’octobre 1912 à août 1914, “Le Roi des Boxeurs” relève du genre picaresque. Le talent de Moselli, se jouant des difficultés, évite les écueils inhérents à ce genre : jamais de digressions, de didactisme. Les nombreuses aventures du héros sont parfaitement liées, l’emboîtement est tel qu’on a l’impression d’une écriture à jet continu, si bien que jamais la lassitude ne s’empare du lecteur. Il en résulte des récits pleins de vie et qui n’ont, à mon sens, pas vieilli.

 Chez Moselli, l’homme, seul est en cause ; tout le reste ne fait que graviter autour et ajoute à sa connaissance. Les contrées témoins de ses pérégrinations, les éléments naturels ne servent qu’à le définir peu à peu.

 L’homme... tout d’abord Marcel Dunot, le Roi des Boxeurs, celui qui requiert toute la sympathie de l’auteur et du lecteur par sa bravoure, sa franchise, son sens de la justice, mais avant tout image de l’inquiétude au sens le plus large... Ses comparses, eux, ne sont le plus souvent que de “braves garçons”. Quant à ses ennemis, ils sont la condition nécessaire à son existence. Autant dire que le monde est pour lui une jungle sans compromis.

 J’ai parlé d’inquiétude... Témoin la première aventure de notre héros : soutier à bord du “Provence”, paquebot assurant la ligne Le Havre-New York, il monte sur le pont supérieur tourner la manche à air de la chaufferie. Un homme alors surgit, aux allures équivoques, qui s’engage dans la manche à air qui donne dans le dortoir des émigrants ! Dunot, mis en éveil, le suit : l’aventure est lancée. L’inquiétude, voilà le ressort premier de ses aventures ; elle se matérialise par un état d’éveil perpétuel. Cette qualité n’est pas dévolue à tout le monde. Ne sommes-nous pas environnés de menteurs, de voleurs, voire d’assassins, mais le plus souvent ne passons-nous pas outre afin “d’éviter des ennuis” ; ne rageons-nous pas d’avoir essuyé une calomnie, un outrage. La paresse, bien souvent, l’emporte sur toute autre considération.  Détectant là, une affaire louche, Dunot n’hésite pas. L’action suit immédiatement la pensée... Il avait vu juste : l’individu est le chef de la “Main Noire”, une société aux buts criminels, Fred Mac Farlan, par ailleurs - et ne fallait-il pas s’y attendre - boxeur de talent, lui aussi.

 Image de l’inquiétude, Dunot est aussi celle de la lucidité. Il n’est jamais dupe : la politique, une vraie combine pour “écraser le petit”, par exemple. Les aventures de son héros sont donc pour Moselli, l’occasion de dévoiler sans ambages ses idées sur la guerre, la politique. Il nous brosse alors, avec une verve rarement atteinte, une caricature de la mise en place et du dénouement des gouvernements. Arrivant au Honduras en pleine guerre civile, Dunot est nommé Ministre de la Marine par le général Gurgel pour fait d’armes ! Au cours d’une mêlée mémorable, il met en fuite “l’ennemi” et tue son général-président Zoccupastro. “Noble et vaillant capitaine... l’illustre général Gurgel del Amoral... me charge de vous féliciter pour votre admirable vaillance ! ... Il vous nomme ministre de la marine de la République du Honduras !

 

 - Ah ! répondit Marcel Dunot, sans trouver d’autres paroles (f.4, p.27).

 Ministre de la Marine, il le restera peu de temps, car obligé de fuir, il se retrouvera dans le camp adverse, celui dont il a tué le général et... sera nommé Président de la République. Ni lui, ni ses amis ne prennent d’ailleurs bien au sérieux cette subite promotion.

“Un des généraux” s’approcha du jeune Français et lui tendit sa propre épée en criant : - Viva el présidente !

-    Il paraît que me voilà président, maintenant, pensa Marcel Dunot. Tâchons d’être à la hauteur ! (fascicule 6, page 45).

Mais la caricature devient farce... tous les généraux parlaient à la fois :

 - Le général Gumersindo veut être ministre des finances !

 - Il le sera !

 - Le colonel Ladrugado y Castelpo veut être ministre de la guerre !

 - Entendu !

 - Le sénateur Arteaga Rivas demande à être directeur des hôpitaux

 - Ça va !

 - Le docteur Juan de Insolitortovent...

 - Ah ! la barbe... Dis à ces messieurs qu’ils reviennent (f. 6, p. 46).

... devient farce amère... “Señor présidente, dit Proserpino Carcano, j’étais directeur des douanes il y a quatre mois, j’avais été nommé par le Président Fulano...”

 - Quoi ? il me semblait que je succédais à Gurgel, qui lui-même avait pris la place de Zoccapastro ? interrompit Marcel Dunot.

 - Et vous avez raison, señor présidente, car le misérable Zoccapastro avait lui-même renversé le noble Fulano !

 -... je voudrais seulement que vous me rendiez ma place !

 - Quelle place ?

 - Celle de directeur des douanes !

 - Directeur des douanes ! La place est prise, mon pauvre général... mais si vous voulez une place de douanier, je suis à votre disposition (f. 7, p. 51).

 Marcel Dunot ne peut en supporter davantage.

 -... Je ne suis pas un domestique ! grommela Proserpino... une fois vainqueur je vous fais fusiller comme traître à la nation.

 - Ah ! bon, eh bien ! fait fusiller celui-là, sale nègre, tonna Marcel Dunot.

 Et d’un bond il arriva sur Proserpino, surpris, et lui décocha un furieux coup de tête dans l’estomac (f. 7, p. 52).

 

 

 Du fascicule 40 environ au fascicule 136, c’est la guerre de 1914-1918. La Belgique, les Balkans, l’Afrique Orientale Allemande et l’Amérique Centrale (principalement le Canal de Panama) sont le théâtre de ses aventures. Marcel Dunot y donne libre cours à sa haine du “Boche”. Haine viscérale, sans compromis. "Un physiologiste a affirmé que les Allemands possèdent des boyaux plus longs de cinquante centimètres que les autres races humaines. S'il s'était trouvé au camp d'Oukami, cette nuit-là, il en eut certainement conclu que son affirmation était prouvée car, bien que les Boches furent à peine une douzaine, ils engloutirent en moins de deux heures les monceaux de viande qui leur étaient servis" (107/852). L'Allemand, c'est l'incarnation du mal. Au cours d'une beuverie - la scène se passe en Afrique Orientale Allemande - des officiers allemands ne s'amusent-ils pas à tirer sur des Noirs enchaînés (107/Les cibles vivantes).

Fascicule 89 "Dans le temple du Dieu Konsat", Dunot et ses compagnons, prisonniers des Allemands sont parqués dans un enclos palissadé. Ils sont gardés par des Noirs à la solde des Allemands. Hélas, ils ne sont pas seuls. "Hommes, femmes, enfants, vieillards, maigres et hâves, revêtus de loques sordides, étaient étendus sur le sol nu, sans aucun abri contre le soleil. Dans un angle, plusieurs corps décharnés étaient entassés les uns sur les autres. Marcel, les ayant mieux regardés, reconnut que c'étaient des cadavres !" (89/706).

En fait, cette haine du "Boche", n'est qu'une facette de la xénophobie de Dunot.

Le chef de la "Main Noire" est un mulâtre, les Chinois "parlent un charabia auquel on ne comprend rien" ! Le fanatisme musulman est développé dans les fascicules 28 et 29. Sans oublier les "nègres" : "A la vue des féroces nègres, les enfants crièrent plus fort" (89/708). "Les noirs s'étaient tus : aussi cruels que les Boches, ils gardaient le silence afin de ne pas perdre la moindre plainte du supplicié" (103/821)... Même Vermeulen, son ami belge, n'est qu'un "brave Belge".

Pour remettre bon ordre aux exactions de ces "sauvages" Dunot use à merveille de sa force physique. Quand son fusil s'enraye ou qu'il n'a plus de cartouches, il se sert de son arme comme d'une massue. Les barres de cabestan lui sont aussi très utiles : "Dunot, pris d'une rage furieuse, fit tournoyer sa barre, fracassant les têtes, enfonçant les poitrines,... sans s'apercevoir des coups qui lui étaient portés. Il fauchait les têtes de sa terrible barre toute dégoulinante de sang et de débris de cervelles" (2/16). Sa vengeance se traduit le plus souvent par l'anéantissement de l'ennemi.

Les bateaux sont le "terrain" sur lequel il évolue avec le plus d'aisance. Les descriptions que Moselli en donne, juste nécessaires à l'action présente, sont toujours précises. Chaque action nouvelle apporte un peu plus à la connaissance du bateau.

Les manches à air, écubiers, haubans... sont les éléments indispensables au déroulement de l'action. Moselli excelle à décrire les évolutions de Dunot dans les "bas fonds" des bateaux à l'intérieur desquels il s'est introduit à l'insu de tous : "Se faufilant entre les embarcations et les multiples claires-voies donnant sur le pont, il l'atteignit, en saisit les poignées et d'une secousse, la fit pivoter sur ses galets, de façon à ce que son large orifice fut tourné contre le vent" (1/3). "M. Dunot s'élança à travers le fouillis d'échelles de fer et de passerelles accrochées un peu partout entre les cylindres, les pompes et le condenseur. A la clarté d'une lanterne dont il se munit, il se rendit compte d'un coup d'œil que la tige du tiroir était parfaitement rectiligne... Le jeune français s'engagea dans le tunnel de l'arbre de couche, sorte de couloir cylindrique aux parois de tôle, situé à fond de cale, et dans lequel passe l'arbre d'acier, mû par la machine et sur lequel était fixée l'hélice" (35//275/276).

 

Du fascicule 40 environ au fascicule 136, c'est la guerre de 1914-1918. La Belgique, les Balkans, l'Afrique Orientale Allemande et l'Amérique Centrale (principalement le Canal de Panama) sont le théâtre de ses aventures. Marcel Dunot y donne libre cours à sa haine du "Boche". Haine viscérale, sans compromis. "Un physiologiste a affirmé que les Allemands possèdent des boyaux plus longs de cinquante centimètres que les autres races humaines. S'il s'était trouvé au camp d'Oukami, cette nuit-là, il en eut certainement conclu que son affirmation était prouvée car, bien que les Boches furent à peine une douzaine, ils engloutirent en moins de deux heures les monceaux de viande qui leur étaient servis" (107/852). L'Allemand, c'est l'incarnation du mal. Au cours d'une beuverie - la scène se passe en Afrique Orientale Allemande - des officiers allemands ne s'amusent-ils pas à tirer sur des Noirs enchaînés (107/Les cibles vivantes).

Fascicule 89 "Dans le temple du Dieu Konsat", Dunot et ses compagnons, prisonniers des Allemands sont parqués dans un enclos palissadé. Ils sont gardés par des Noirs à la solde des Allemands. Hélas, ils ne sont pas seuls. "Hommes, femmes, enfants, vieillards, maigres et hâves, revêtus de loques sordides, étaient étendus sur le sol nu, sans aucun abri contre le soleil. Dans un angle, plusieurs corps décharnés étaient entassés les uns sur les autres. Marcel, les ayant mieux regardés, reconnut que c'étaient des cadavres !" (89/706).

En fait, cette haine du "Boche", n'est qu'une facette de la xénophobie de Dunot.

Le chef de la "Main Noire" est un mulâtre, les Chinois "parlent un charabia auquel on ne comprend rien" ! Le fanatisme musulman est développé dans les fascicules 28 et 29. Sans oublier les "nègres" : "A la vue des féroces nègres, les enfants crièrent plus fort" (89/708). "Les noirs s'étaient tus : aussi cruels que les Boches, ils gardaient le silence afin de ne pas perdre la moindre plainte du supplicié" (103/821)... Même Vermeulen, son ami belge, n'est qu'un "brave Belge".

Pour remettre bon ordre aux exactions de ces "sauvages" Dunot use à merveille de sa force physique. Quand son fusil s'enraye ou qu'il n'a plus de cartouches, il se sert de son arme comme d'une massue. Les barres de cabestan lui sont aussi très utiles : "Dunot, pris d'une rage furieuse, fit tournoyer sa barre, fracassant les têtes, enfonçant les poitrines,... sans s'apercevoir des coups qui lui étaient portés. Il fauchait les têtes de sa terrible barre toute dégoulinante de sang et de débris de cervelles" (2/16). Sa vengeance se traduit le plus souvent par l'anéantissement de l'ennemi.

Les bateaux sont le "terrain" sur lequel il évolue avec le plus d'aisance. Les descriptions que Moselli en donne, juste nécessaires à l'action présente, sont toujours précises. Chaque action nouvelle apporte un peu plus à la connaissance du bateau.

Les manches à air, écubiers, haubans... sont les éléments indispensables au déroulement de l'action. Moselli excelle à décrire les évolutions de Dunot dans les "bas fonds" des bateaux à l'intérieur desquels il s'est introduit à l'insu de tous : "Se faufilant entre les embarcations et les multiples claires-voies donnant sur le pont, il l'atteignit, en saisit les poignées et d'une secousse, la fit pivoter sur ses galets, de façon à ce que son large orifice fut tourné contre le vent" (1/3). "M. Dunot s'élança à travers le fouillis d'échelles de fer et de passerelles accrochées un peu partout entre les cylindres, les pompes et le condenseur. A la clarté d'une lanterne dont il se munit, il se rendit compte d'un coup d'œil que la tige du tiroir était parfaitement rectiligne... Le jeune français s'engagea dans le tunnel de l'arbre de couche, sorte de couloir cylindrique aux parois de tôle, situé à fond de cale, et dans lequel passe l'arbre d'acier, mû par la machine et sur lequel était fixée l'hélice" (35//275/276).

Dunot n'a pas de vie privée. Les rares femmes qui se trouvent mêlées à sa vie n'éveillent en lui aucun sentiment amoureux. Il y a seulement quelques allusions -dans les premiers chapitres- à Denise Pordon, la fille de son patron, un industriel de Saint-Quentin, chez qui il travaillait comme ouvrier avant de s'embarquer sur "La Provence", "Il resta seul à songer à la France, à St Quentin, à Denise Pordon, qui sans doute était maintenant mariée à Joseph Honorat..." (7/50). Mais il y a plus, Denise est fille du "grand patron" et tout laisse à penser que Dunot a un rival, Joseph Honorat, probablement ingénieur chez Pordon. La position sociale de Dunot restreignait ses chances bien que Denise n'ait probablement pas été insensible au charme de notre héros. Ses exploits, pense-t-il, amèneront Pordon à réfléchir. "N'empêche que me voilà président de la république... C'est Joseph Honorat qui en fera une tirelire lorsqu'il saura cela ! Et le grand patron donc ! Et il sera bien obligé de me croire !" (6/46).

Ici encore il y a lutte -et ce n'est pas la moindre- contre les tabous sociaux. Les premiers exploits de Dunot semblent d'ailleurs trouver leur justification dans la conquête de Denise Pordon.

Dans cette œuvre, les dialogues sont nombreux. Dunot et ses semblables ont un franc parler, à la différence du contexte au style châtié. "Dis donc, Dunot, le vent a changé ! ... Regarde voir un peu ! ... hein ? Il me semble que tu ferais pas mal de grimper là-haut et de tourner la manche ! On étouffe ici !" (premières lignes). "-Dans la cambuse, mon vieux, si les moricauds en ont laissé, comme de juste ! Et alors, ça va mieux ? Lève-toi, mon vieux, et t'en fais pas : on les a eus !" (95/759).

Ce genre de dialogue, ne l'entendons-nous pas chaque jour. Ici encore, l'authenticité prime.

Mais "Le Roi des Boxeurs", c'est aussi PUYPLAT. Les illustrations sont bien sûr le charme propre aux fascicules. Le dessin de Puyplat rappelle celui de la gravure sur bois. Chaque illustration de couverture est en elle-même un tableau. Un réalisme d'une rare intensité qui "colle" parfaitement au texte. Foisonnement de la nature tropicale, dureté des scènes de bagarres, attitudes bien campées des protagonistes, "faciès" on ne peut plus évocateurs des "sauvages" et des malfrats.

 

Fascicule 7 : Ignacio - Noir, nouvellement promu général - apparaît plein de bêtise et de fatuité. Sa bouche et ses lèvres rappellent celles de nos clowns.

 

Fascicule 10 : Réfugié dans les haubans du "Queen Margaret", Dunot, armé d'une gaffe, en perce le crâne d'un chinois qui lâche sa hache et tombe en arrière, tandis qu'un de ses acolytes grimpe, un couteau entre les dents.

 

Fascicule 13 : "La loi du lynch". Deux voleurs sont pendus à la même corde par un groupe de mineurs. La scène se passe à Dawson, la ville de l'or, au Klondyke. Puyplat insiste sur les grimaces des misérables, sur la langue pendante et démesurée de l'un, sur leurs doigts recroquevillés semblables à des pinces.

 

Fascicule 89 : "Dans le Temple du Dieu Konsat". Dunot et son ami Tom Field sont enfermés dans l'enceinte palissadée dont j'ai parlé plus haut ; sur la gauche de l'image, hommes, femmes et enfants meurent d'inanition et sont "traités" en cadavres grotesques et répugnants. Sur la palissade, un Noir, une sagaie sur l'épaule, veille, impassible, semblable à un pantin.

 

Fascicule 107 : "Les cibles vivantes". Autre morceau de choix : une table ; derrière, des Boches hilares, suffisants, monocle à l'œil, armés de fusils tirent sur des noirs entravés. Un phonographe, posé sur la table, nasille des valses viennoises.

D'autres, de moindre importance, valent pour un détail.

 

Fascicule 118 : Notons le visage de démon de van Peters pendu par ses compatriotes allemands : sa langue pareille à un dard, son œil rond.

Le temps passe... Le dernier fascicule, depuis longtemps est lu et rangé dans quelque coin d'un placard. Les aventures de M. Dunot s'estompent ; une qualité nouvelle s'en dégage : le souvenir. Il se fait si pressant parfois... Les fascicules sortent de leur ombre et commencent à vivre leur vraie vie. On éprouve le besoin d'en parler, de prendre des clichés des meilleurs dessins, de les feuilleter.

Souvenir... quelque fois plus : présence !

Bien souvent, au cours de voyages en Afrique, dans le Sud-Est Asiatique ou dans l'Océan Indien, un paysage, des visages, me mettent en alerte... J'ai "vu" cela quelque part... pas de doute, c'est Moselli-Dunot-Puyplat qui me font signe... A l'île Maurice, ce sera un rivage riche en cocotiers sur lequel deux gardiens, fusil sur l'épaule veillent... En Tanzanie, sur le lac Tanganyika, ce seront les épisodes des fascicules 94 et 95 qui revivront... Présence de M. Dunot à Bangkok... partout... dans le cargo chargé d'émigrants qui de Kuching (Sarawak / Bornéo) me ramène à Singapour...

 


 

 

3.16 - LE ROI DES BOXEURS

par Michel Guillaumin

(article paru dans le Chercheur des Publications d'Autrefois, n° 6)

 

"Le Roi des Boxeurs" débuta dans le n° 237 de "L'Epatant", le 17 octobre 1912, et c'est dans "L'As" n° 133 du 15 octobre 1939, soit 27 années plus tard, que parurent pour la dernière fois les aventures de Marcel Dunot.

S'il n'est pas possible de résumer ici, même dans les grandes lignes, les péripéties de cet énorme roman d'aventures, on peut cependant en rappeler les différents épisodes.

Ayant eu quelques accrochages avec le directeur technique des usines de tissage Pordon, le jeune ouvrier ajusteur Marcel Dunot quitte Saint-Quentin, sa ville natale, et gagne New-York où il entre en lutte avec le boxeur mulâtre Fred Mac-Farlan et la puissante association la "Mano Negra".

Après avoir été éphémèrement président du Honduras, Marcel Dunot part pour l'Alaska où il acquiert, avec son ami Fullerton, un terrain aurifère de valeur.

Ses démêlés avec Mac-Farlan le conduisent en Chine, en Russie, puis en Orient. Il se trouve en Egypte lorsque éclate la guerre de 1914, pendant laquelle Marcel Dunot mènera la lutte contre les espions de tous acabits.

Après la guerre, Marcel Dunot a d'abord maille à partir avec plusieurs milliardaires américains : Frank-Flint, magnat de l'automobile, et Mathias Landers, roi du pneumatique, qui veulent s'emparer de la formule du caoutchouc synthétique appartenant au chimiste Senozan, puis Randolph H. Spanker qui recherche un galion englouti contenant un trésor.

Marcel Dunot a ensuite affaire au banquier Issac Newcomb qui convoite d'énormes quantités de platine entassées dans un îlot inconnu, puis à l'aventurier Boris Foff, à ses complices Idrik Doble et Thomas Slink, ainsi qu'à leur associé, le richissime Hoggenheimer, magnat du diamant.

Marcel Dunot part, avec un nouvel ami, Carrenza, à la conquête des trésors des anciens indiens Yapurés, trésors que leur disputent la bande de Racanti, le policier félon, et celle du général bolivien rebelle Ippolito Lastro.

Marcel Dunot se trouve ensuite aux prises avec le redoutable Saumarez et son complice Pedro Clofo, qui revendiquent la propriété d'une mystérieuse "estancia".

Echoué, par les hasards d'un naufrage, à Haïti, alors qu'il comptait sérieusement regagner la France, Marcel Dunot défait l'infâme Charlemagne Sale-Trou qui veut s'emparer du pouvoir. Enfin, Marcel Dunot entre en lutte avec les espions japonais dirigés par l'implacable Nagoaka et l'histoire s'achève par la mort de ce dernier et la destruction de son repaire de Singapour.

Les aventures du Roi des Boxeurs se terminent en septembre 1935. "Décidé à profiter des plaisirs de la vie", Marcel Dunot conservera son claim du Klondyke et son estancia d'Amérique du Sud renfermant d'importantes richesses.

Marcel Dunot est resté célibataire. La seule femme qui l'ait ému, Denise Pordon, fille du propriétaire de l'usine de St Quentin, est à peine entrevue tout au début du récit. De temps à autre, son souvenir est évoqué, mais va s'estomper avec le temps. Il en est question une dernière fois, pendant la guerre, lorsque Marcel Dunot apprend par son ami Perrin, de passage à St Quentin, qu'elle est toujours célibataire et qu'elle paraît heureuse que Marcel n'ait, après tout, pas si mal réussi.

Mis à part Jacqueline Perrin, la sœur de son ami, les autres femmes que Marcel Dunot ait pu rencontrer ne sont guère sympathiques : telle Mme Blair-Stock, l'épouse d'un richissime yankee, qui estime que tous doivent être à son service. Remerciant Marcel, qui l'a tirée des plus mauvais pas, d'un "maintenant je n'ai plus besoin de vous", elle s'entend conseiller d'employer à des leçons de savoir-vivre la gratification qu'elle a, néanmoins, cru hautainement devoir lui proposer.

Marcel Dunot, autrement, n'a guère eu affaire qu'à des mégères plus ou moins repoussantes, aussi complaisamment dépeintes que les forbans les plus sinistres. Voici pourtant un portrait peu commun dans le "Roi des Boxeurs" et même dans toute l'œuvre de José Moselli :

"... Une jeune chinoise vêtue d'un large pantalon de taffetas noir, retenu par une ceinture de soie vert-jade et d'une sorte de tunique de satin rose brodée de bambous et de papillons, descendait les marches de l'échelle.

"Ses petits pieds étaient chaussés de babouches à semelles de feutre, en satin jaune orné de guirlandes de roses délicatement brodées.

" Sur sa poitrine, une sorte de chapelet fait de boules de nacre pendait.

"Elle avait la tête nue, ses cheveux noirs rassemblés en un lourd chignon, étaient maintenus par de longues épingles à tête d'or.

"Autour de ses hanches, une ceinture en cuir de Russie servait de support à deux étuis contenant l'un un poignard, et l'autre un pistolet automatique.

"Elle sauta doucement dans la cale et Marcel Dunot vit qu'elle tenait à la main un mignon éventail en ivoire travaillé...".

Mais il s'agit de "Mme Eventail", pirate chinoise, sorte de "Dragon-Lady" (Personnage de "Terry et les Pirates" célèbre bande dessinée américaine) avant la lettre, qui fait impitoyablement mettre à mort les prisonniers qui ne peuvent pas payer leur rançon...

On comprend que Marcel Dunot soit toujours resté réservé avec les femmes...

 

Le récit, dans l'ensemble, n'a pas vieilli. Qu'il s'agisse de marchandages, d'interrogatoires ou de simples discussions entre amis, l'action est fréquemment émaillée de monologues ou de dialogues apportant de l'humour à l'histoire. Voici par exemple, les discussions préliminaires à l'achat d'un bateau :

"... Si c'est pour acheter du pétrole nous n'en avons plus une goutte !

- C'est au sujet du bateau...

- Ah ! le bateau ! Pouh ! Nous ne voulons pas le renflouer ! Il n'en vaut pas la peine ! Juste bon à faire du bois à brûler ! Il faut être fou et stupide comme Alfredo pour vouloir le renflouer ! Et à moitié pourri avec ça ! Il a assez de choses à faire sans encore m'ennuyer avec ça ! Maintenant, il ne naviguera plus ! Nous vendrons notre pétrole et basta !

- Et si on... quelqu'un voulait l'acheter, ce bateau ?

- Il y a quelqu'un qui veut l'acheter ? s'écria la grosse femme en se redressant.

- Oui... peut-être les señores qui sont là voudraient justement le...

- Oh ! nous voulons seulement le voir ! interrompit Marcel Dunot. Si par hasard il nous convenait, on pourrait peut-être s'arranger. Mais vous venez de dire qu'il est en piteux état ! Dans ce cas, n'est-ce pas, nous...

- Oh ! j'ai dit ça pour qu'on ne m'ennuie pas avec lui ! Mais c'est encore un très bon bateau ! s'écria la grosse femme. Un bateau solide et résistant et bon à tout ! Il n'y aurait seulement qu'à le renflouer ! Et vous auriez le meilleur bateau du rio ! C'est parce que je ne veux plus qu'Alfredo navigue, vous comprenez, que je vous ai dit ça !".

Et voici un autre exemple. Marcel Dunot, président du Honduras, reçoit la visite du général Proserpino Carcano qui voudrait récupérer le poste qu'il occupait précédemment :

"Illustre président, je suis le général Proserpino Carcano y Poulaguès, Grand'Croix de...

- Ça va bien ! Je l'ai vu sur votre carte de visite ! Et alors ? coupa Marcel Dunot qui commençait à s'énerver.

- Señor présidente, répondit Proserpino Carcano, j'étais directeur des douanes il y a quatre mois, j'avais été nommé par le président Fulano...

- Quoi ? il me semblait que je succédais à Gurgel qui lui-même avait pris la place de Zoccopastro ? interrompit Marcel Dunot.

- Et vous aviez raison, señor presidente ! Car le misérable Zoccopastro avait lui-même renversé le noble Fulano !

- Ah ! bon. Et que voulez-vous que cela me fasse ?

- Oh ! señor presidente, pas grand'chose... D'abord cela m'est égal, je voudrais seulement que vous me rendiez ma place !

- Quelle place ?

- Celle de directeur des douanes !

- Directeur des douanes ? Attendez... directeur des douanes ? La place est prise mon pauvre général ! ... C'est le docteur Miguel Arteaga qui l'a... Mais si vous voulez une place de douanier, je suis à votre disposition !

- Douanier, un homme comme moi ! Vous m'insultez, señor presidente ! Je veux qu'on me rende ma place !

- Ce n'est pas une mauvaise idée ! Allez le dire au docteur Arteaga !

- Il ne voudra pas !

- Je m'en doute ! Et que voulez-vous que j'y fasse ?

- Oh ! c'est simple, señor presidente ! Vous n'avez qu'à le révoquer et à me mettre à sa place !

- Ça mon vieux général, vous pouvez vous fouiller !

- Me fouiller ! Me fouiller quoi ? demanda le nègre, qui ne comprenait pas.

- Vous fouiller les poches pour voir si vous n'y trouverez pas votre nomination ! lui apprit Marcel Dunot sérieux.

Le général Proserpino serra les poings.

- Alors, dit-il menaçant, vous ne voulez pas me nommer directeur des douanes ?

- J'en ai bien du chagrin, mais je ne peux pas mon cher général ! Et puis vous commencez à me raser avec vos histoires ! Sur votre carte, vous aviez écrit que vous veniez "pour une affaire urgente intéressant le salut du pays". Si c'est votre nomination, cette affaire, vous feriez bien de me débarrasser le plancher, et vite !

- Débarrasser le plancher ? Je ne suis pas un domestique ! grommela Proserpino. Et ma nomination intéresse le salut de la révolution et, une fois vainqueur, je vous fais fusiller comme traître à la nation !".

 

 

Certaines parties du "Roi des Boxeurs" rappellent d'autres romans du même auteur : l'épisode des Aérois, par exemple, qui ont construit des repaires souterrains dans le Pacifique et qui utilisent des moyens scientifiques pour dérouter les navires et s'emparer de leurs équipages, n'est pas sans rappeler "L'Empereur du Pacifique"  (Paru dans "L'Intrépide" de 1932 à 1935). Les aventures de Marcel Dunot en Alaska font penser à "Tavar-la-Hache" (Paru dans "L'Epatant" en 1929-1930). Les épisodes qui se déroulent au Honduras, puis bien plus tard, à Haïti, évoquent "Zaraza-el-Grande" ("L'Epatant" en 1930-1931) et "Les Champs d'Or de l'Urubu" ("Les Romans de la Jeunesse-Croix d'Honneur" en 1914-1915 et dans "Cri-Cri" de 1929 à 1931). Enfin, dans l'épisode de l'île du platine, on retrouve le thème du "Catapaz de l'île perdue" ("L'Epatant" en 1936-1937).

Quelquefois, le récit prend des allures de roman policier, par exemple lors des mystérieux empoisonnements survenant à bord du "Swan", alors que ce dernier vogue vers la mystérieuse île du platine. Ou encore lorsqu'une vague d'empoisonnements toujours ravage la mine de "Diamant-City". Ou bien encore au sujet du rôle équivoque de Kermoff dans l'affaire Saumarez.

Rarement le genre science-fiction est abordé : peut-être dans l'affaire des Aérois (ces derniers ont inventé un dispositif qui dérègle à distance les compas, et ont composé un gaz qui fait tomber les marins en léthargie), ou encore lorsque Marce Dunot, égaré dans une immense caverne souterraine, a dû affronter les "Gaks", "peuple de l'abîme", êtres stupides, de race inconnue, vaguement humains, aux gros yeux globuleux et qui adorent une énorme sphère de malachite...

 

Il n'empêche que la variété des péripéties, la vivacité du style, le pittoresque de certains faits, circonstances, situations, dialogues, le réalisme de certaines scènes confinant parfois au dantesque font que le "Roi des Boxeurs" reste passionnant à lire. Les épisodes de guerre même, à de rares exceptions près, ne paraissent inactuels qu'en surface : l'intérêt et le "suspense" restent constants, c'est l'aventure pure qui transparaît à travers la lutte contre l'ennemi-prétexte.

 

Ainsi, cette gigantesque histoire, comprenant peut-être 4000 pages, où la formidable imagination de l'auteur se donne libre cours, constitue pour moi le plus captivant des romans d'aventure.

 


 

 

 

3.17 - UNE PHILOSOPHIE LUCIDE DE L'HOMME.

( CELLE DE BORIS FOFF DANS LE ROI DES BOXEURS )

 

Il y a deux sortes de philosophies : celle qui formule des hypothèses sur la matière, l'énergie, le temps, l'univers, etc., et celle qui soliloque sur l'homme.

C'est de cette seconde philosophie, celle de la nature de l'homme dont nous allons nous occuper.

On croit que les plus grands penseurs qui aient dissertés de l'homme ont noms Montaigne et Gœthe ! Lamentable erreur. A mon avis, le seul, le vrai, le grand philosophe de l'homme, ce fut BORIS FOFF (date de naissance inconnue, lieu de naissance, la Russie, mais où ?), et tout simplement parce que ce fut une parfaite crapule. Il a donc parlé de l'homme sans illusions aucunes et en connaissance de cause.

Nous ne connaissons Boris Foff que par ce qu'en a écrit Moselli. La question se pose, Foff a-t-il existé ? Il y a tout lieu de le croire, car ce qu'a écrit Moselli est si vivant, si vrai, qu'on ne peut douter qu'au cours de ses voyages, l'écrivain n'ait rencontré un tel aventurier. Il le décrit si bien et si parfaitement que le personnage vit devant nous. Certainement, très certainement, Foff a existé, je l'assure, bien que n'ayant pas eu moi-même le temps et les moyens de le prouver. Mais, comme ce qui importe au fond, c'est LA PHILOSOPHIE DE BORIS FOFF, son message, nous allons donc tenir pour fait ce qui n'est que probable certitude, dépeindre Foff d'après Moselli et citer Foff de même. Mais, nous donnons les références, les numéros de fascicules et les numéros de pages où Foff est en cause, dans "Le Roi des Boxeurs" Aventures inédites, par José Moselli, fascicules à 20cmes, qui ont paru tous les dimanches.

Début, sauf erreur, le n°203 "Les embûches du "Mangrove"" Août 1929, page 188 : c'est dans l'île d'Espirito-Santo, la plus grande de l'archipel des Nouvelles-Hébrides, que Marcel Dunot, mais probablement José Moselli lui-même, fit la connaissance de Boris Foff, dont de nombreux croquis, bouillant de vie, prouvent derechef qu'il a bien existé.

203/539 - Portrait : Sur l'appontement, un petit homme de forte corpulence attendait, une carabine rouillée en bandoulière. Son costume de toile kaki était déchiré et taché. Plusieurs boutons manquaient et avaient été remplacés par des ficelles rouges. Ses bottes n'avaient pas meilleure mine  : leurs semelles étaient grossièrement ressemelées, leurs tiges éraillées et fendillées. L'homme montrait une face poupine, au nez épaté, aux pommettes saillantes, aux joues et au menton recouverts d'une épaisse barbe noire. Ses petits yeux jaunes avaient une expression de naïveté et de jovialité qui plaisait. Poliment, il retira le vieux chapeau de paille troué qui lui servait de coiffure, ce qui découvrit son crâne où il ne restait plus qu'une couronne de cheveux bouclés allant d'une oreille à l'autre.

Il y a quelque chose de Lénine dans ce portrait et nous allons voir que le bandit a autre chose de commun avec le grand révolutionnaire pour les uns, le démagogue pour les autres  ; l'intelligence ! Et c'était aussi un homme d'action - de mauvaises actions ! (J.L.).

Trêve de préambules : à nous la bonne soupe : les sentences de Boris Foff !

203/540 :

Ne fais pas aujourd'hui ce que tu peux faire demain.

Si tu ne veux pas être volé, entre dans trois boutiques.

Celui qui monte sur le dos d'un tigre, a constamment peur de tomber.

203/541 :        

Pour commencer un grand voyage autour du monde, on sort d'abord de chez soi, comme
pour... acheter des cigarettes.

On est tué la même chose pour 5000 dollars que pour 50.000, alors il vaut mieux préférer 50.000.

204/548 :

La robe ne fait pas le médecin.

Il vaut mieux suer que grelotter !

204/550 :

Avec le plus beau parapluie du monde, on se crotte quand même les souliers.

Nul n'est infaillible, il n'y a que quand on est chauve qu'on ne peut pas se faire de raie.

204/551 :

Un escargot est plus lent qu'une hirondelle, mais ne risque pas de tomber.

Celui qui n'est pas fatigué, n'a pas besoin de se reposer.

Celui qui n'a pas de chemise, ne risque pas de la déchirer.

Ce n'est pas une raison parce qu'on doit 100.000 dollars, qu'on peut les payer !

Quand on se gratte, c'est parce que l'on sent une démangeaison.

206/563 :

De la modestie ! Quand on a le nez trop long, il pleut dessus !

Celui qui se lave avec de l'eau sale, ne sera jamais propre.

Mieux vaut manger de la mauvaise soupe que de recevoir des coups de bâton.

206/564 :

Quand on prend le numéro gagnant, on gagne à la loterie.

206/565 :

Celui qui n'a pas d'argent, ne peut pas acheter des souliers.

 

... Pendant que Marcel Dunot lutte dans le "mangrove" contre les canaques cannibales de la Mélanésie, puis sur le Pacifique, des Nouvelles-Hébrides aux îles Salomon et des Salomon aux Samoa, nous perdons la trace de Boris Foff, nous ne le retrouvons qu'entre Pago-Pago (Samoa) et Auckland (Nouvelle-Zélande) quand le schooner "Snark" tente de pirater le paquebot-croisière de luxe "Paris".

1° Le "Snark", cela ne vous dit rien ? C'était le yacht de l'inoubliable Jack London, celui sur lequel, il fit, avec Mrs Charmian J. London, ses dernières grandes croisières. Faut-il voir dans l'utilisation de ce nom, un discret hommage et souvenir de José Moselli envers le grand écrivain américain ?

2° Moselli excelle dans ces récits de piraterie en haute mer. On se rappelle notamment de la tentative d'arraisonnement du "London" par les "Requins du Pacifique", dont vint à bout Richard Daguerre.

 

219/669 :

Monseigneur le grand-duc Athenase Theodorowich n'était autre que le chef des pirates, Boris Foff ! Sous les apparences d'un passager distingué, "fascinating" ! il avait préparé le coup, mais Dunot était intervenu à temps. Le pseudo cousin du dernier tsar était arrêté. Et voici les sentences qu'il émit, lors de son interrogatoire :

220/674 :

Il lui fallait, hélas, aller jusqu'au bout :

     Quand on rentre dans une seringue, il faut se résigner à sortir dans de sales endroits.

Hélas il avait été vu et pris :

     Il ne suffit pas d'acheter un billet de loterie pour gagner le gros lot.

Il avouait tout :

     Celui qui se noie, n'a pas peur qu'il pleuve !

 

Boris Foff  s'évade de la prison d'Auckland, et Dunot, après des aventures prodigieuses et passionnantes, en entend reparler à Durban (Natal - Afrique du Sud) [n° 251, page 924], où, avec son lieutenant Idrik Dobl, il fait le bandit dans le veldt. (Ce sont de vieilles connaissances des lecteurs de "Désiré" car ils ont eu affaire à Marcel Dunot au Colorado (Désiré n°6, page 57)).

 

264/1031 :

Boris Foff, cependant ne réapparut que plus tard, quand Dunot et un certain Rottenbach sont dans "La fosse de l'épouvante !" : la fosse aux serpents ringhals.

264/1034 :

Foff n'avait pas changé. Marcel reconnut sa face ronde terminée par un collier de barbe, son petit nez camard, ses yeux jaunes !

264/1035 :

Parle, dit-il à Dunot, ne crains rien :

     Celui qui doit se noyer, est sûr de ne pas être pendu !

Il interrompit Idrik :

     Celui qui parle trop, attrape mal à la gorge et devient boiteux.

Dunot faisant l'innocent :

     Celui qui dort ne s'aperçoit pas quand on mange son gigot !

On apporte un blessé :

     Mieux vaut se faire porter que de traîner une voiture !

Il conseille de nouveau à Dobl de se taire :

     Dans une bouche fermée, les rats n'entrent pas !

Il console Rottenbach épuisé :

     Un chameau fatigué vaut mieux qu'un ministre mort !

     Et celui qui va mourir appelle encore son médecin !

     L'homme le plus fort du monde tombe quand on lui coupe la tête !

Il y a du relativisme dans sa philosophie :

     Les petites mouches font ruer les gros ânes !

     Une carafe renversée laisse échapper le meilleur vin du monde !

265/1038 :

Prisonnier de Dunot, il montre du sang-froid :

     Les montagnes ne se rencontrent pas, mais les tortues finissent par se heurter si elles   ne s'arrêtent pas !

Il met en garde Dunot qui le menace :

     Celui qui boit du vin empoisonné trouve toujours qu'il a bon goût !

265/1039 :

     Quand on est boiteux il vaut mieux avoir un bâton qu'un chapeau !

265/1040 :

Pour un prisonnier :

     Mieux vaut manger de l'herbe, que d'avoir le nez coupé !

     Un aéroplane vaut mieux qu'une mitrailleuse vide !

     Quand on n'a plus d'argent, on peut toujours en emprunter !

     Deux bonnes mémoires sont excellentes, excepté lorsqu'il pleut, mieux vaut alors un parapluie !

     Il est difficile de se libérer de ses habitudes, c'est pourquoi nous mangeons tous les jours.

Il menace :

     Celui qui s'occupe des affaires des autres finit toujours par entreprendre un voyage !

Il nuance :

     Ceux qui viennent de loin mentent souvent... mais il y a aussi des menteurs qui ne  voyagent  pas !

Il abrège ses discours, car...

     Le meilleur plat peut donner des indigestions.

Et ponctue :

     Quand on a le plat on se sert !

     Un homme intelligent peut être honnête ou fripon,... mais un imbécile n'est jamais qu'un  imbécile !

266/1042 :

     Ce n'est pas parce que la soupière est grande, que les saucisses sont bonnes !

     Quand on est aveugle, on n'a pas besoin de lunettes !

     Nabuchodonosor est mort il y a quatre mille ans : quand on est mort, c'est pour longtemps !

266/1043 :

     Les fourmis sont plus intelligentes que les locomotives, mais elles sont moins grosses!

Du tac au tac, Marcel Dunot, sentence à son tour :

     Quand on se croit le plus malin et qu'on ne l'est pas, on est un imbécile !

      Trop parler nuit. - Le silence est d'or. - On ne s'est jamais repenti d'avoir tenu sa  langue !

266/1044 :

Boris essaie de soudoyer Dunot :

     Mieux vaut manger la moitié de la soupe que de boire une purge !

266/1045 :

     Il vaut mieux faucher le champ du voisin que de planter du foin !

267/1052 :

Eloge de la résignation :

     Même en le lavant pendant quinze jours, d'un nègre on ne fait pas un blanc !

Si vous avez à jouer carte sur table :

     Quand un chapeau vous va, mettez-le !

Ne vous laissez pas aller aux extrémités :

     Mieux vaut laisser son enfant morveux que de lui arracher le nez !

Il ne faut pas fanfaronner :

     Quand on ne veut pas mordre, il ne faut pas aboyer !

267/1054 :

Pour ceux qui travaillent mal :

     Lorsqu'on tond un cochon, on fait plus de bruit que de besogne !

     Il faut couper son habit d'après l'étoffe que l'on possède !

     Quand l'aveugle conduit l'aveugle, ils tombent tous deux dans le fossé !

     Si tous les idiots avaient des clochettes, on entendrait un joyeux carillon !

267/1055 :

De la sagacité :

     La meilleure sauce est un bon appétit !

     C'est une belle chose que de mourir glorieusement, mais il vaut mieux être en bonne  santé !

     Le cheval meurt de faim en attendant que l'herbe pousse !

     Si le ciel tombait, toutes les alouettes seraient prises !

     Pour attraper un voleur, cherchez un autre voleur !

268 :

Ne pas se laisser impressionner :

     Lorsque le perroquet est sur son perchoir, il crie fort !

     Il vaut mieux boire avec un ennemi qu'attraper la peste !

272/1092 :

L'intérêt avant toute chose :

     Un chien mort vaut mieux qu'un chien vivant, s'il a un collier d'or autour du cou !

     Il n'y a que les morts qui soient complètement honnêtes !

275/1120 :

De la patience :

     Il ne faut tuer sa vache que quand on n'en a plus besoin !

De la sagesse :

     Il faut plumer la poule, mais pas la faire crier !

276/1124 :

     Il vaut mieux hériter d'un nègre galeux que de n'avoir pas d'argent !

     Il vaut mieux faire un beau rêve que de recevoir des coups de bâtons !

     Le chameau qui n'a pas appris à nager n'en fait pas moins un bon coureur !

     LE SAGE N' A PAS D' ENNEMIS... QUAND IL EN A, IL LES SUPPRIME !

     Une poire mûre est meilleure que trois noix véreuses !

     L'escargot ne peut comprendre comment vole le vautour !

     La vue d'un ami est un plaisir, surtout quand il vous apporte de l'argent !

     L'homme loyal a confiance, surtout lorsqu'il sait qu'il n'a rien à craindre !

     Le chameau voudrait bien nager, mais il doit courir sur le sable !

276/1125 :

     Celui qui oublie ses amis, n'est pas oublié par ses ennemis !

     L'argent réjouit le cœur de l'homme !

     Ne confondons pas les potirons avec les ballons captifs !

278/1138 :

     Le chameau ne peut se déplumer puisqu'il n'a pas de plumes !

     Quand un lion a des cornes, c'est qu'elles ne lui appartiennent pas.

 

Il suffit, la suite et fin des sentences à un prochain numéro. Une première conclusion :

La philosophie de Boris Foff n'est-elle pas celle qui s'est exprimée par-ci, par-là dans "Désiré" depuis le n° 1 ?

Oui, parce que cette philosophie est celle des hommes de soixante ans, qui savent de quoi tout retourne :

 

Ils ont fait la magique étude du bonheur,

Ils ont fait l'expérience de la vie,  Qu'aucun n'élude.

Bilan de ces saisons à chercher des châteaux :

           Les âmes des hommes n'ont QUE défauts.

 

Mais, ceux qui étaient collectionneurs ont quand même pu :

- Saluer la beauté des fascicules Eichler et des illustrés Offensdadt.

- Ressentir la vigueur des romans de José Moselli.

- Admirer la force de frappe des poings de Marcel Dunot.

- Apprécier la philosophie de Boris Foff.

 

LA PHILOSOPHIE DE BORIS FOFF EST UN HUMANISME

 

                                                                      J.L.

 


 

 

3.18 - LE MONDE DE L'ABÎME ou UN MONDE PERDU

Une aventure de Marcel Dunot

racontée par JOSE MOSELLI

(Article paru dans le Bulletin des Amateurs d'Anticipation Ancienne et de Fantastique, n°11)

par Claude Hermier

 

Situation : LE ROI DES BOXEURS, nouvelles aventures inédites par José MOSELLI (Société Parisienne d'Editions).

 

Sur les 516 fascicules que compte cette série, seuls 7 ressortissent de l'anticipation ou peu s'en faut.

 

n° 42 : Le peuple de l'abîme (Janvier 1933)    n° 46: La gangue de pierre ( février 1933)

     n° 43 : Dans l'inconnu.                                  n° 47: L'agonie sous la terre.

n° 44 : Une vieille connaissance                     n° 48: Dans le cratère

n° 45 : Au fond du gouffre.

 

 

Il fut un temps où courut le bruit d'un peuple abâtardi vivant dans des cavernes souterraines    de la Cordillère des Andes (des renseignements concernant cette légende seraient les bienvenus).  Le compagnon de Marcel Dunot, Carranza dira : "J'avais entendu parler de certaines légendes... D'un peuple qui vivait sous 1a Cordillère... C'est chez lui que nous devons être !".

 

 

Jean de La Hire y entraînera ses Boys-Scout, et, curieusement, José Moselli son héros favori, car les aventures du Roi des Boxeurs sont toujours bien ancrées dans le réel.  Ce monde perdu, hors du temps, ne pouvait être chez Moselli qu'un monde de cauchemar ;   une espèce de réduit sans soleil d'où l'on ne revient pas (Dunot est l'exception).

Aventures... Une passerelle de lianes enjambant un précipice où coule un torrent. Marcel Dunot et Carranza, son compagnon, poursuivis par des malfrats, empruntent le pont. Rupture des cordes, plongeon dans le torrent, qui continue sa course sous terre... Les ténèbres. Nous débouchons au milieu d'un bassin : lumière glauque d'aquarium, air pesant. Le sommeil.

 

Le réveil : "En rangs serrés, des êtres bizarres, qu'il prit d'abord pour des singes, formaient autour de lui  un cercle étroit... Des singes ?... Des êtres recouverts de poils d'un blanc sale, qui se tenaient debout comme des hommes.  Les plus grands n'avaient pas un mètre cinquante de hauteur. Leurs faces aux lèvres énormes - que l'on aurait pu appeler babines - avaient des nez écrasés, des pommettes saillantes et des yeux ! ... Des yeux sans paupières, ronds, de la dimension d'une pièce de deux francs, globuleux, et qui saillaient en dehors de la boîte crânienne, des yeux jaunes, à larges pupilles noires, dont le regard produisait une impression étrange. Et pour compléter cet aspect stupéfiant, des crânes chauves ! Sans un poil ! Sans un cheveu, lisses comme des boules de billard et flanqués de larges oreilles plates aux lobes énormes. Etaient-ce des singes ? Ou bien des hommes d'une espèce inconnue ?"

Ces "êtres" articulent d'une voix rauque, presque humaine, de courtes phrases formées de syllabes où abondent les "r" ; Raw, riw, row, ruw, rah... Ils semblent comprendre quelque peu l'espagnol car on croit distinguer les mots amigos, hombres, buenos,...

 Le chef, sorti de l'imagination de Moselli, ne pouvait avoir qu'un physique remarquable : "L'être était haut, comme ses congénères, d'environ un mètre quarante, mais ce qui le différenciait du reste de l'assistance, c'était que sa grossesse égalait ou peu s'en fallait, sa hauteur ! Une véritable barrique ! ... Un monstre ! ... Il s'avançait  lentement sur ses courtes pattes, son ventre rond et tendu, ressemblait assez à une outre. Ses bras avaient une longueur démesurée, ses mains touchaient presque le sol. La droite serrait une sorte de massue en pierre rouge polie.  Dans la gauche, Marcel Dunot et Carranza reconnurent une petite marmite d'aluminium toute cabossée. L'horrible individu portait autour de son cou énorme, un grossier collier qui eût fait l'envie d'une reine.  Un collier fait d'émeraudes polies, dont certaines atteignaient la grosseur d'une noix...". Il s'appelle Horg ; son peuple, les Gaks.  Avec le talent qu'on lui connaît, José Moselli va nous convier à vivre durant quelques pages dans un monde qui, bien qu'hors normes, est possible ; un raccourci saisissant où nous est décrite une peuplade s'étant adaptée à un milieu difficile pour survivre.

Le milieu : une succession de grottes en basalte, un sol de sable grisâtre. La végétation : des plantes aux feuilles molles, transparentes ; des champs d'avoine  naine à la couleur vert-pâle.  De l'eau, mais sulfureuse.  Un lac où se pêchent des poissons au corps blanchâtre, sans yeux, à l'odeur  ammoniacale et que l'on mange crus. En guise de 1égumes : des racines rappelant des navets.  Cette clarté verdâtre : I'immense voûte de ces grottes gigantesques est sous un lac dont le fond est en cristal de roche  ; ainsi la lumière du jour est filtrée. 

Le Saint des saints : une grotte éclairée par un jour livide.  Sur la partie supérieure d'une gigantesque stalagmite, un énorme bloc de malachite de forme sphérique.  Et, accompagnant la sphère, divers objets : marmite d'aluminium cabossée, passoire au fond crevé, machine à laver rouillée, collier de cuir racorni portant  des grelots de cuivre. Plus loin une autre stalagmite supportant des massues de pierre polie et un crâne de crocodile "Une espèce de temple" dira M. Dunot après que Horg se sera livré "à une espèce de mimique accompagnée de cris gutturaux" autour de la sphère.

 Nous assisterons à un sacrifice, ce qui ne nous étonnera pas. Car, nous le savons, José Moselli est un maître ès supplices... C'est non loin de la sphère que Horg et son acolyte Harou œuvrent au milieu d'une foule excitée. Trois victimes à demi-enterrées sur lesquelles s'acharnent Horg et Harou à coups de massues de silex : "Orbites sanglantes et vides suintant un liquide rouge". Marcel Dunot arrivant à l'improviste dérange les officiants et les assistants. Alors Horg s'agite, brandit la marmite d'aluminium d'une main et de l'autre le collier de mule. Dunot et Horg s'affrontent. Et Horg aura la tête fracassée par le crâne de crocodile arraché à sa cheville de pierre par le Roi des Boxeurs. Un peu plus tard il délogera la sphère de malachite qui se brisera ; il pourra alors délivrer Carranza que les Garks avaient emmuré dessous.

 Un point d'importance. Comment l'air est-il renouvelé dans les cavernes ? Dunot nous l'explique : le bassin d'où ils ont émergé au début de leur aventure se vide et se remplit régulièrement. C'est de là que l'air arrive.

Nos héros s'en sortiront. Car, bien au-delà de ce bassin, un gouffre dans lequel ils descendront  avec les difficultés que l'on peut imaginer ; et, au fond, un torrent. Ils s'y jetteront... Enfin un bassin d'eau calme. Puis une galerie devenant boyau. Pénible cheminement dans l'eau et l'obscurité. La galerie devient plus large, s'élève peu à peu. Un peu de lumière ; un peu d'air. Enfin le fond d'un cratère d'un volcan éteint... La liberté.

 


 

3.19 - LE NUMERO 136 BIS DU

"ROI DES BOXEURS - AVENTURES INEDITES"

"MONSIEUR EUSEBE LUCHON, 1013"

Par Claude Hermier

(paru dans Désiré, 1°série, n° 26, février 1970)

 

Ce fascicule -encarté dans le n° 136 du 1er juillet 1928 et annoncé comme supplément gratuit- joue le rôle charnière entre les 136 fascicules de la "Grande Réédition" et les "Aventures inédites".

Dans ce numéro 136bis où domine un sentiment de malaise qui va crescendo, Moselli nous brosse en sept pages les préoccupations majeures de son héros.

Dès le début, Dunot fait montre d'une belle décontraction. La guerre de 1914-1918 est finie, et il se propose de mettre en société un claim qu'il a acquis au Klondyke depuis plusieurs années (fascicules. 11, 12 et 13) avec son ami Fullerton.

Mais le Klondyke c'est loin et Dunot annonce à Monsieur Fordier, agent de change en bourse :

"- Il faudra d'ailleurs que j'aille voir comment ça se passe là-bas et que je retrouve mon associé. Du diable si je sais où il est ! A bientôt donc !".

Moselli ne nous dit rien de la réaction de M. Fordier. Nous pouvons supposer que, à la manière de son client, il a dû penser :"C'est un peu raide !". Car, curieuse façon d'aborder une affaire. Ses premières paroles, en effet, étaient du ressort du dialogue :

"- Alors, c'est entendu, Monsieur Fordier ! ... " et très affirmatives "-Dès que j'aurai tous les papiers relatifs à mon claim du Klondyke, je vous les enverrai...".

Mais une phrase restrictive suit :

"- Nous verrons, si, comme vous le dites, on peut mettre l'affaire en société...", pour se terminer en soliloque "- Il faudra d'ailleurs...".

Les exemples sont nombreux dans LE ROI DES BOXEURS où Dunot affirme, puis se reprend, enfin devient incertain. Et le doute s'installe.

Le voici qui sort de la Bourse de Paris. S'impose l'atmosphère de la rue. C'est la fin novembre. Il fait froid, le ciel est gris et le trottoir boueux. La nuit descend rapidement.

Dunot n'a-t-il pas tout à coup la "sensation confuse" d'être suivi ! Pourtant nous sommes rue du Quatre Septembre - non loin de la Place de la Bourse - où l'animation est grande à cette heure. "Il feignit d'examiner les casquettes exposées à la devanture d'un grand chapelier [...] Il changea de trottoir [...] L'homme, vingt mètres plus loin, l'imita...". Un le suit, c'est certain. Et sans plus attendre "Marcel Dunot l'empoigna rudement par le bras...". Son suiveur a le visage verdâtre et un accent bizarre. Etrange ! il semblerait que le Roi des Boxeurs se soit trompé. "Malgré tout il était préoccupé".

De préoccupé, il devient méfiant, quand, après avoir sauvé d'une chute une femme qui venait de glisser, il constatera qu'elle lui a volé son portefeuille. Et d'ailleurs, souvenons-nous, cette femme n'avait-elle pas des "allures masculines" ? Y a-t-il relation avec l'épisode précédent ? Il semblerait bien ! A qui se fier maintenant puisque le moindre incident devient suspect.

... Et cette petite fille qui, maintenant qu'il est assis à la terrasse d'un café, lui demande d'acheter un bouquet de violettes ! A lui, pas à un autre ! Et insiste-t-elle, cette gamine ! La voilà maintenant qui le regarde avec insistance. Elle s'en va ensuite rapidement "Comme si elle s'enfuyait". Le bouquet serait-il empoisonné ? "Je fais du cinéma". La peur maintenant. "Il se sentait envahi par de sinistres pressentiments". Le voilà désemparé, lui qui comprend vite, pourtant.

L'homme au visage verdâtre le suivait-il ? Faisait-il partie d'une agence privée ?

La grande femme qui l'a volé n'était-elle pas un homme déguisé ?

La petite fille ne vendait-elle des violettes de façon à avoir l'opportunité de l'accoster ?

Plus tard.

"L'ennemi" se montre enfin au grand jour. Il est bousculé par un malotru qui, non content de son incongruité, le provoque ? Dunot sait maintenant à quoi s'en tenir, il n'a plus à se battre contre des fantômes. "L'homme grinça des dents [...] Son poing se détendit dans la direction de la mâchoire du roi des Boxeurs. Mais Marcel Dunot d'une parade bloqua le coup et, tout aussitôt, riposta...".

L'aventure se terminera par une tentative d'enlèvement car si l'homme est boxé, il a un comparse qui usera de ruse avec Dunot.

Rude journée !

Tous ces "incidents" ont donné faim à notre ami. Il s'assoit à une table du "Partridge's" "un des plus cossus établissements des Champs-Elysées". C'est alors qu' "Un homme de haute taille vint s'asseoir à sa table - sans lui en demander la permission" ! Il lui présente sa carte "Eusèbe Lochon, 1013". Il vient de la part de M. Dupont-Delarue. D'ailleurs Dunot n'a-t-il pas déployé un journal dès qu'il s'est assis : "L'aviation à travers le Monde", signe convenu pour une rencontre ! Eusèbe Lochon, devant l'étonnement de Dunot :" Je vous croyais un homme sérieux, Monsieur Senozan !". Un quiproquo ! Et l'affaire semble grave ! Lochon parle de contrat, de convention !

Comme c'est souvent le cas, Moselli, joue sur l'ambiguïté de la situation.

Dunot ressemble à un certain Senozan et, coïncidence, il déploie un journal, signe de reconnaissance entre Lochon et Senozan. C'en est trop ! Le Roi des Boxeurs " avait empoigné Lochon par la ceinture et le col de son habit...".

C'est au dessert que viendront six hommes dont l'un est commissaire de police. Dunot est obligé de les suivre mais constate au vestiaire qu'on lui a volé ses papiers. Finalement il se retrouve dans une limousine quand "brusquement, les six policiers sautèrent à la gorge du Roi des Boxeurs [...] L'auto filait toujours" (Fin du fascicule).

 

Le schéma de ce fascicule se retrouve tout au long du "Roi des Boxeurs" :

Un climat d'insécurité dû à l'ambiguïté des personnages et de leurs actes.

Le héros s'inquiète à juste titre.

Les aventures vont suivre. Dunot va devoir combattre, pour la juste cause, des ennemis redoutables. L'inquiétude faisant place assez souvent à un sentiment de culpabilité car le Roi des Boxeurs finit, plus souvent qu'à son tour, par le plus clairement percevoir la frontière bien-mal.

 


 

3.20 - UNE AVENTURE DE MARCEL DUNOT

extraite de la série fasciculaire Le Roi des Boxeurs Aventures Inédites.

du n° 201 (septembre 1929) au n° 230 (mars 1930)

par Claude Hermier

 

Un roman de José Moselli ne se consomme pas, il se vit. Ceux qui ont le bonheur d'accompagner ses personnages trouvent là une source d'évasion peu commune.

L'écriture, le ton de son discours étaient neufs à l'époque et rompaient avec les formes qui tombaient en désuétude. Aujourd'hui encore et demain, toujours aussi vivante est et sera sa prose.

C'est avec le Roi des Boxeurs qu'il donne sa pleine mesure. Le nombre de feuilletons imparti à un roman paraissant dans un hebdomadaire comme "L'Intrépide" - pour ne citer que celui-ci - était forcément limité. Ce qui n'est pas le cas dans la série fasciculaire du Roi des Boxeurs. Pensons, 516 fascicules pour un nombre relativement faibles d'épisodes. Le romancier pouvait de ce fait développer amplement les différentes séquences de chaque aventure.

Le présent épisode court sur 30 fascicules ce qui correspond à environ 800 pages d'un actuel livre de poche.

 

Le Français Pierre Cordier, propriétaire d'une factorerie aux Nouvelles-Hébrides, révèle, avec quelque imprudence, à l'Américain Cecil Madox Spanker, metteur en scène et propriétaire du yacht le Snark, qu'il connaît l'emplacement d'un ancien galion espagnol coulé, contenant une grande quantité d'or. Le secret lui a été confié par Pedro Gambusino, au Callao, au Pérou.

Cordier est alors enlevé par des Canaques.

Spanker, très intéressé par ce que lui a révélé Cordier, entreprend de le délivrer en l'échangeant contre de la pacotille.

Il engage Marcel Dunot comme homme de main car il se méfie du capitaine Fessenden commandant le Snark.

Le yacht mouille dans la baie des Coquins de l'île d'Espirito-Santo, là où vit un coprah-maker, le Russe Boris Foff, qui, lui a-t-on dit, connaît bien les Canaques.

Le romancier campe avec Foff ce qu'on peut considérer comme la figure emblématique de l'aventurier sans scrupule.

Mais ce n'est pas l'être frustre, la brute. Foff est intelligent, non dénué de culture, sentencieux. L'approche qu'en fait le romancier est remarquable de psychologie fine. A se demander s'il ne l'a pas rencontré.

"Sur l'appontement, un petit homme de forte corpulence attendait, une carabine rouillée en bandoulière. Son costume de toile kaki était déchiré et taché. Plusieurs boutons manquaient et avaient été remplacés par des ficelles rouges. Ses bottes n'avaient pas meilleure mine. Leurs semelles étaient grossièrement ressemelées, leurs tiges éraillées et fendillées.

L'homme montrait une face poupine, au nez épaté, aux pommettes saillantes, aux joues et au menton recouverts d'une épaisse barbe noire. Ses petits yeux jaunes avaient une expression de naïveté et de jovialité qui plaisait."

Trompeuse est l'apparente bonhomie de Foff.

Son habitation : "La maison de Mr Foff était aussi délabrée, aussi piteuse et calamiteuse que lui-même. Le plancher de la galerie qui l'entourait était pourri par l'humidité et crevé en maints endroits. La main courante n'existait plus.

Quant aux feuilles de tôle ondulée qui constituaient le toit de la maison, elles semblaient avoir été peintes en rouge-brun. En réalité, elles étaient recouvertes d'une épaisse couche de rouille.

La pièce où Foff fit entrer ses visiteurs sentait le chien mouillé. Elle renfermait deux escabeaux de bambou, plusieurs caisses vides et une demi-douzaine de petits fûts de bière. Des tableaux brisés étaient suspendus de travers aux cloisons de bois. Dans un angle, un phonographe, dont le pavillon de fer-blanc était cabossé, était posé sur une planche placée elle-même en travers d'une vieille lessiveuse. Sur le plancher moisi, des bouteilles de whisky vides étaient éparpillées."

 

Moselli excelle dans les descriptions misérabilistes. Rien d'exagéré. Sous les Tropiques, ce genre de logis était encore courant il n'y a pas si longtemps. Et combien de fois ai-je vu la "case" de Boris Foff à la Réunion, à l'île Maurice, aux Comores, à Madagascar. Et je me disais, et je me dis encore - car ces "cases" n'ont pas complètement disparu - Moselli, le Roi des Boxeurs sont passés par-là.

Foff sait l'enlèvement de Cordier. "Je crois que ce sont les bushmen du mont Ferbu qui l'ont enlevé ! ... Ils aiment beaucoup les blancs, une fois rôtis à point ou fumés ou salés ! ... Il y a un an, ils sont descendus dans la baie des Navigateurs... Ils ont emmené tout l'équipage d'un schooner Anglais... Trois blancs et six noirs... et tous ont été mangés ! ... J'ai vu ça ! ..."

Cynique Foff ? Certes non ! Il en est ainsi des Canaques de l'intérieur. Et de nous avertir.

Il y a la mangrove. "Un Blanc y fait quatre kilomètres par jour" ; les pistes "semées de pièges empoisonnés". Nous cherchions l'aventure périlleuse, non ! Par touches le romancier nous appâte. Foff : "Nous risquons d'être massacré avant d'y arriver !"

Spanker est pressé. Foff : "Toujours pressé ! Tout de suite ! ... Hein ! ... Comme si la mort ne venait pas assez vite ! ...

Pour arriver chez les Bushmen il va nous falloir affronter la mangrove dont Moselli parle en termes expressionnistes tant est grande sa fascination pour ce type de végétation.

 

"Mais la piste dans laquelle s'étaient engagés les cinq hommes devint méconnaissable, et disparut tout à fait. Et ce fut ce qu'on appelle le (sic) mangrove, un fouillis qui défie toute description : des racines gigantesques qui s'entrelacent autour des troncs d'arbres vivants ou morts, entre lesquels poussent des végétaux plus petits. Le tout est envahi par des lianes, certaines minces comme un fil, d'autres de la grosseur du poing. La plupart sont dures comme des fils de fer. Certaines sont garnies d'épines vénéneuses. Au-dessus de cette inextricable barrière, les grands arbres étendent leurs ramures épaisses, si épaisses que les rayons du soleil n'arrivent pas jusqu'à terre. Une demi-obscurité règne, cependant que du sol, chargé d'humus, fait de milliards de végétaux en décomposition, une humidité chaude et âcre monte..."

Dans "La Montagne des Dieux", le chimiste Honoré Sanard, le mousse Robert Lanni, le capitaine Simon Ferragut et une douzaine de marins devront, eux aussi, affronter la mangrove d'Espirito-Santo : "Impossible de suivre la berge du fleuve : le cours d'eau était maintenant encaissé entre deux lignes de falaises à pic, recouvertes d'une végétation touffue, presque aussi impénétrable qu'une muraille ! Pandanée, palmiers, fougères arborescentes, myrtes, cèdres, araucarias, acajous, bois de fer poussaient les uns contre les autres, leurs troncs jaillissaient d'un fouillis de racines énormes que recouvrait une épaisse couche d'humus. Le soleil avait peine à traverser les frondaisons des géants de la forêt. Une demi-obscurité régnait, cependant que du sol, montaient des bouffées d'humidité chaude..."

 

Boris Foff truffe ses paroles d'aphorismes. Jean Leclercq en avait parlé dans un intéressant article paru dans sa revue "Désiré" : "Une philosophie lucide de l'homme". [Cet article est repris dans ce recueil]. En fait c'est bien Moselli qui fait sienne les sentences du Russe.

Difficile progression. "Les cinq hommes ne marchaient plus, si l'on peut dire : ils se livraient à un infernal travail d'acrobatie qui leur permettait d'avancer à l'allure de deux ou trois cents mètres à l'heure"

Le danger. Goro, le Canaque de la petite troupe, est blessé par une flèche. Foff : "Elle est empennée de plumes de canards sauvages ! ... Ça signifie dans le langage des bushmen, que nous seront rôtis et dévorés comme des canards si nous continuons à avancer !"

Foff disparaît, puis c'est au tour de Fessenden.

Un orage d'une rare violence éclate pour ajouter à la difficulté de la progression. La maîtrise de Moselli est telle que nous vivons le déchaînement des éléments. "Ce fut comme si un océan se fut déversé des cieux noirs... Des avalanches d'eau crépitèrent, s'abattirent, hachant feuilles et branches, coulant par jets énormes, fusant, jaillissant, giclant avec une violence effroyable. Les quatre hommes, qui s'étaient arrêtés, faillirent être asphyxiés, noyés sous les tourbillons liquides qui menaçaient de les ensevelir... Aux sifflements de ce déluge s'ajoutèrent bientôt les craquements des branches effondrées par le poids du liquide, les grincements des lianes rompues par les rafales, les claquements produits par le feuillage, haché, broyé par les lanières d'eau qui le fouettaient de toutes parts...

Les nuages noirs, qui s'étaient encore abaissés, semblaient maintenant toucher les cimes des arbres. L'obscurité était presque complète. Par instants, les grondements de la foudre, étouffés par le fracas de l'averse, s'entendaient, répercutés par les échos..."

Et l'auteur de continuer à harceler Marcel Dunot et ses compagnons. La souffrance de l'homme étourdi, assourdi, haletant transi, aveuglé,...

Richesse du vocabulaire. Les mots comme autant de coups portés aux aventuriers. Ces mots, ils frappent, cinglent, blessent.

Quelle force se dégage de ces pages ! Le souffle immense de la nature est parfaitement rendu. Ainsi que sa hargne, sa noirceur bouleversante, son incandescence destructrice. C'est hallucinant !

 

La nature, mais aussi les hommes. Les voici les sauvages que nous attendions, que nous demandions. Ils arrivent. Les Canaques cannibales.

"... une vingtaine de cannibales surgirent des fourrés environnants : ils étaient en tenue de guerre : leurs visages barbouillés de blanc et de rouge, des colliers de fins coquillages autour du cou ; les uns agitaient des sagaies à pointes d'os humains ou des massues terminées par des renflements de bois dur en forme de becs d'oiseau..."

Dunot les mettra en fuite... Mais ils enlèvent Spanker !

Réapparition de Fessenden qui dit avoir été capturé par les Canaques durant la tornade et avoir pu s'échapper. Lequel Fessenden met fin aux jours de Goro qui, blessé par les Cannibales, est dans l'incapacité de se déplacer. "Je l'ai empêché de souffrir davantage !". Le capitaine tente peu de temps après de supprimer Dunot à l'aide d'un casse-tête. Les poings du Roi des Boxeurs entrent en jeu. Son agresseur est mis KO. Ayant repris connaissance, il affirme avoir agi sous l'influence d'un accès de fièvre !

Peu de temps après, c'est Boris Foff qui surgit en piteux état. Il s'explique : "Je viens de nulle part ! ... Je veux dire que je suis tombé dans un piège canaque... Dans une sorte de trou de loup : un fossé aux parois à pic, dissimulé par un léger plancher de clayonnage, et dans lequel j'ai bien failli rester ! ..." Il y est resté deux jours et deux nuits ! Il a quand même pu s'en sortir par un heureux hasard. "Et ma chance a voulu que le vent fasse tomber dans mon trou une énorme branche morte". Il s'en est servi pour remonter à la surface. Marcel Dunot le fouille et trouve dans son portefeuille une "plaque d'os de la grandeur d'une pièce de cinq francs d'avant guerre, sur laquelle des figures géométriques étaient gravées [...] Quelque chose lui dit que cette plaque avait une valeur. Boris Foff ne l'aurait pas gardée sans cela...". Il la dissimule dans la doublure de son brodequin.

... Les deux coquins profiteront de la nuit pour déguerpir. Dunot : "Ils ont fui pendant que je dormais ! ... Ils étaient de mèche ! [...] Fessenden devait avoir rendez-vous avec Foff, lequel a dû s'entendre avec les cannibales ! ..."

Rencontre avec un Canaque. On ne se lasse pas de les voir surgir, les sauvages de Moselli. L'effet de surprise jamais ne s'émousse. Le romancier les campe avec beaucoup de minutie.

"Et il vit...

A moins de dix mètres de lui, un grand gaillard de race noire, à la face camuse, tailladée de tatouages hideux, était debout, immobile. Son corps était peint en guerre, c'est-à-dire barbouillé de dessins blancs, ocres et rouges, qui lui donnaient un aspect affreux. Ses cheveux crépus avaient été rougis au lait de chaux. Autour de son cou et de ses jarrets, des bandeaux de petits coquillages blancs et luisants étaient suspendus. Son unique vêtement - si l'on peut dire ! - consistait en une corde de phormium à laquelle était suspendus un casse-tête en bois poli, et une chevelure humaine engluée de sang caillé, sur laquelle de grosses mouches bourdonnaient."

On notera la touche naturaliste : le sang caillé, les mouches bourdonnantes.

... Un village canaque se dessine. C'est la nuit. Marcel Dunot assiste, caché, à une réunion qui a lieu dans la plus grande case. "Le Club des Cannibales", songe plaisamment notre ami.

Sont-elles savoureuses les pages qui suivent ! Ils sont une quarantaine : des hommes de tous âges. Ils fument, boivent, causent, rient. Des guirlandes de crânes humains, avec dans leurs orbites des pierres de lune et des opales luisant à la lumière des lampes à huile de coco. Est là "Un gros nègre, dont les pieds, gonflés par l'éléphantiasis, ressemblaient assez à des pattes de pachyderme."

Arrive un petit homme suivi de deux esclaves extrêmement maigres portant sur leurs épaules une barre de bambou à laquelle est suspendue une jarre. Les deux captifs n'ont plus de mains :"Au bout de leurs bras, c'étaient des moignons tranchés à l'articulation du poignet." Dans la jarre, une mixture dont vont se délecter les Canaques.

"Marcel Dunot n'en croyait point ses yeux, reconnut des lambeaux de chair humaine... une main dont le bout des doigts avait été tranché, une oreille... des côtes.

Ces affreux débris étaient englués d'une sorte de saumure dont les cristaux brillaient."

Claquement des mâchoires, reniflements de plaisir, craquement des os sous les dents limées en triangle.

... Dans une autre hutte, sept vieillards squelettiques. Au-dessus de la porte, une grappe d'objets ovoïdes, qui ne sont pas des noix de coco, mais des têtes humaines ! Les vieux Cannibales en caressent, d'ailleurs, de leurs mains décharnées, qu'ils se passent l'un à l'autre. L'une des têtes a appartenu à un Blanc. L'un des Cannibales est en train d'en "fumer" une, fixée à une lance, au-dessus d'un feu de braises.

"La fumée, déjà, l'avait fortement noircie, avait ratatiné les oreilles et les ailes du nez, rétracté les lèvres qui découvraient les dents... Les paupières s'étaient fripées, plissées, rentrées, desséchées..."

Il y a une trentaine d'années, j'étais à Bornéo, chez les Sea Dayaks de l'Etat de Sarawak. Un village bâti sur pilotis (Long House). Le temple de rondins de bois, branches, feuillages. Des crânes d'anciens ennemis - me dit le chef du village accompagné du sorcier - suspendus à des lianes. Et dans les orbites des boules de... papier d'aluminium (celui dont sont protégées les tablettes de chocolat). On était loin des pierres de lune et des opales. Du papier d'aluminium ! Vrai, ai-je pensé avec dépit : il n'y a plus de Dayaks.

Le Roi des Boxeurs est revenu à la grande case. Caché dans "l'enchevêtrement de poutrelles et de chaume coiffant la hutte". Arrive un Canaque aussi large que haut, portant plusieurs colliers de dents humaines. Combien de fois Moselli s'amusera à camper ces chefs de tribu à l'accoutrement grotesque. Je le vois jubiler devant la feuille de sa machine à écrire. Taper avec frénésie, en martelant du pied. Mes lecteurs vont en avoir pour leurs vingt centimes ! Et certes, nous ne serons pas déçus.

Voici... "Le monstre, car, vraiment, il avait quelque chose de monstrueux, avançait lentement, avec un dandinement bestial. Son corps adipeux et déformé était aux trois quarts enveloppé, empaqueté dans un pagne de phormium teint en rouge, auquel étaient accrochés toutes sortes d'objets : deux pipes, plusieurs roues de cuivre dentées, provenant de quelque réveille-matin, une petite soucoupe de porcelaine de Chine ébréchée, un fragment de miroir auquel adhérait encore un morceau de cadre en cuivre doré, et enfin, un large couvercle de casserole en aluminium battant neuf.

Comme coiffure, l'horrible individu avait posé sur sa tête, un grand pavillon de phonographe en tôle peinte en violet, avec des fleurs autour. Comme ce pavillon, très large, lui eût entièrement recouvert la tête, s'il y avait été posé tel quel, on l'avait rempli d'un rembourrage qui l'empêchait de descendre trop bas.

Le hideux et grotesque personnage montrait une face plate aux lèvres lippues, au nez écrasé. Ses yeux disparaissaient presque entre deux bourrelets de chair noire. Ses oreilles, déjà énormes naturellement, étaient distendues par les objets qui avaient été insérés dans leurs lobes percés. Et quels objets : dans le lobe droit, une lampe de TSF, à l'intérieur argenté, était encastrée. Le lobe gauche était orné - si l'on peut appeler ça orné ! - d'une petite boîte à poudre de riz en métal nickelé ! ..."

Et comme l'auteur, on se pose la question : "Comment ces objets disparates autant qu'hétéroclites étaient-ils arrivés chez les Cannibales ?"

"Le gros Canaque avait les mains recouvertes de gant de fil gris, trop petits pour lui, ce à quoi il avait remédié en les perçant. Ses doigts boudinés passaient à travers les trous du tissu.

A sa ceinture, un ancien sabre d'abatis, nu, était suspendu, à côté d'un étui de cuir, d'où dépassait la crosse d'ébène d'un pistolet automatique de fort calibre. L'extraordinaire personnage tenait dans sa main droite une de ces scies dites égoïnes, de grand modèle qu'il agitait grotesquement."

Un individu le suit, remarquable lui aussi. "Qu'on se figure un homme de taille gigantesque, revêtu, depuis le menton jusqu'aux talons, d'une sorte de robe en fibre de cocotier tressée et bariolée de dessins rouges, noirs, verts et blancs.

Un masque de bois sculpté cachait son visage. Un masque hideux, tout noir avec un nez qui ressemblait à un mufle, une bouche largement ouverte et garnie de deux rangées de dents humaines taillées en triangles et plantées dans deux lèvres peintes en rouge vif...

Au-dessus de ce masque, un vieux chapeau haut-de-forme au poil usé et roussi était posé et retenu par des cordelettes qui allaient s'attacher à la robe du bizarre personnage. Pour augmenter le lustre du vieux chapeau, une coupe de champagne en cristal bleu, toute ébréchée, avait été plantée dans sa partie supérieure..."

L'homme au pavillon de phonographe entonnera pendant près de quatre minutes et sans discontinuer le liquide contenu dans une calebasse. L'homme au masque de bois sera moins assoiffé que son compagnon. Son masque, pas des plus commodes pour cette opération, nécessitera l'utilisation d'un tube de bambou long d'environ quarante centimètres.

Le village est en émoi. Un grondement sinistre, des cris, des appels, des vociférations. "Le ton sinistre des conques marines [...] Un concert aussi discordant qu'affreux". Et surtout un "mystérieux ronflement", un "bourdonnement sauvage".

Avec Moselli, nous sommes constamment sur le qui-vive, en éveil permanent.

Encore une scène d'une sidérante beauté dans le registre de l'effroi. Un tableau superbe et fascinant. Une polyphonie aux harmonies morbides et hystériques. L'illustration du fascicule 208, d'une belle spontanéité dans son traitement, montre une fois de plus que Puyplat est l'inégalable illustrateur du Roi des Boxeurs.

"Marcel vit des guerriers bariolés sauvagement, des sorciers avec leurs masques de fibres, des vieillards amaigris, aux visages plissés comme des nèfles, des hommes atteints de maladies horribles : lèpre, éléphantiasis, tumeurs de toutes sortes ; des femmes aux faces bestiales et stupides, dont beaucoup portaient sur leur dos leur dernier-né"

..................................

"Qu'attendait cette foule ?"

Marcel Dunot aperçoit une forte troupe.

"Et quelle troupe !"

Des guerriers peints, des sorciers, le gros cannibale au pavillon de phonographe, l'homme au masque de bois, des adolescents nus, des guerriers.

Enfin, une douzaine de captifs nus, barbouillés de rouge et entravés. Des Noirs bien gras et deux Blancs... Cecil Madox Spanker et Pierre Cordier !

Roulements de baguettes sur les calebasses tendues de peau. Mugissement des conques marines. Clameurs de la foule. Les malheureux prisonniers sont palpés par hommes, femmes, vieillards. L'un des captifs noirs est assommé à l'aide d'une massue puis saigné au-dessus de l'oreille au couteau. L'homme au masque de bois recueille son sang dans une calebasse.

Dunot n'en peut plus. Son arc fait merveille. Le Canaque au pavillon de phonographe, celui au masque de bois et les exécutants sont frappés à mort par les flèches décochées.

Dunot délivre l'Américain et Cordier. Il parfait son travail en se coiffant du pavillon de phonographe attaché sur le crâne du gros Canaque. Cris de terreur des guerriers et assistants qui s'écartent... La plage. Fuite en pirogue... Une cataracte. Les trois hommes, projetés hors de la pirogue, se retrouvent quinze mètres plus bas sains et saufs... Ils n'iront pas loin car des Canaques les surprennent. Un chef fouille Dunot, lui retire ses brodequins et y découvre la plaquette d'os que le Roi des Boxeurs avait trouvée dans le portefeuille de Boris Foff et cachée dans la doublure de sa chaussure. Surprise des cannibales. Le chef s'excuse, "il ne savait pas que nous avions l'os des ancêtres ! ... Il demande pardon ! Il va nous faire délier ! ...

Il dit que nous sommes de grands chefs ! ..." traduit Pierre Cordier.

Cordier : "On dit que ces plaques sont découpées dans le crâne des chefs renommés pour leur vaillance ! ... Mais il faut que le chef soit tué en combattant, dans une bataille victorieuse ! ...

Celui qui possède une de ces plaques devient tabou ! ... Il a le droit de tout faire, même de ne pas obéir au chef de la tribu, ni aux sorciers. A la seule condition qu'il se montre brave dans les combats !

Aussi les Naturels attachent-ils une grande importance à la possession d'un tel fétiche ! ... Et on m'avait toujours dit qu'aucun blanc n'avait pu s'en procurer ! ..."

 

Nous sommes au tiers de l'épisode.

 

Un mot sur les faits les plus importants qui vont se succéder.

Pierre Cordier et Marcel Dunot sont amenés à embarquer sur le schooner "Margaret".

Un bateau comme Moselli aime à nous y embarquer.

"Ses bordages, anciennement peints en blanc, étaient éraillés, couverts de taches de rouille ; ses deux mâts, fendus de bas en haut, semblaient prêts à s'abattre ; les cordages de son gréement, qui n'avaient plus été goudronnés depuis des temps immémoriaux, avaient pris une teinte jaunâtre..."

Le capitaine du yacht, Watson :" Une des meilleurs marins des mers du Sud" ; dommage qu'il boive. Assez mal embouché à l'encontre de son subrécage Clover : "Clover ! Fumier de cheval enragé ! ... Chien galeux confit dans le vinaigre ! Marchand de têtes de morts moisies ! ... Arrive, chameau puant ! ..."

Watson fait le métier peu reluisant de recruteur de "travailleurs libres". Il s'explique... "J'embauche des Canaques aux Nouvelles-Hébrides... Je les trimballe en Australie, où on les emploie dans les plantations, et je touche cinquante livres par travailleur recruté! ..."

En fait il s'entend avec les chefs de tribus pour échanger des carabines contre un lot de travailleurs.

Cordier explique à Marcel Dunot :" La Margaret se livre à la traite des noirs! ... Les Canaques livrés par les chefs sont débarqués en Australie, où ils travaillent dans les plantations, sous la surveillance de contremaîtres bien armés. La plupart ne revoient jamais leur pays [...] Lorsqu'ils s'enfuient, on les pourchasse comme des bêtes fauves..."

Faute de carabines à échanger, Watson attire les Canaques, de l'île Malo, en mettant "en mouvement un phonographe à pavillon de fer blanc qui entonna un bruyant shimmy".

Une fois à bord Watson les enivre au whisky drogué. Ils sont ensuite jetés dans la cale.

Mais les "travailleurs" démolissent la cloison "qui sépare la cale du puits aux chaînes des ancres et du magasin à peinture". Les marins canaques sont égorgés. Un fanal renversé dans le magasin à peinture, et c'est l'incendie. Il sera maîtrisé grâce à Dunot qui fera beaucoup pour réduire les engagés.

 

Nous retrouvons un peu plus tard Boris Foff alias grand-duc Theodovitch Athanase. Il s'est rendu maître du Snark avec l'aide de Fessenden. Le yacht de l'Américain maquillé devient le Goblin et se livre à la piraterie, pas moins. Dunot et Cordier mettront fin aux activités de l'homme aux sentences. "Celui qui se noie n'a pas peur qu'il pleuve !" est la dernière qu'il prononcera devant nous avant d'aller à Sing-Sing. Quant au Snark-Goblin il réussit à s'enfuir. Il sera rattrapé par le Margaret que Dunot a remis en état.

 

Après maintes aventures - les aventures du Roi des Boxeurs n'étant qu'autant d'épreuves - nous voici près du but : le galion espagnol et son or. Il nous faut aller au nord du cap Lisburn, très probablement, pour le trouver.

 

Presque à pied d'œuvre, nous retrouvons une vieille connaissance, l'Américain Cécil Madox Spanker, qui nous a devancés à bord du petit vapeur le Paloma. Madox est en train de torturer le vieux Pedro Gambusino qui connaît le secret du galion. Rappelons que Gambusino avait parlé du chargement d'or de ce bâtiment coulé, à Cordier. Le vieillard est sauvé alors qu'il est en piteux état. Rendu fou par les tourments il se jette à la mer et se noie.

Le Paloma saute, c'est très probablement le fait de Gambino qui a voulu se venger. Spanker meurt noyé.

L'épave du galion est repérée. Cordier vêtu d'une tenue de scaphandrier plonge. La pompe à air est mise en action... Mais voici que la corde du signal vibre violemment. Cordier est remonté. Une fois émergé nous constatons que le tuyau d'arrivée d'air est coupé ! Il reviendra à la vie après plusieurs minutes de respiration artificielle.

Dunot plonge à son tour. Et il voit : " Soudain, il distingua, entre les coraux, une masse rougeâtre. Il marcha dans sa direction et reconnut la carène d'un navire, la carène du Paloma !

[...] Au dessus, contre les rambardes, il distingua des cadavres entièrement déchiquetés par les requins, sans doute. D'horribles débris humains composés d'ossements auxquels adhéraient des lambeaux de chair, de muscles, et que le léger déplacement des eaux produit par l'avance du Roi des Boxeurs faisaient osciller doucement. La plupart n'avaient plus de tête.

[...] Pendant une vingtaine de minutes encore, il chemina au hasard, à travers les formations de corail. Tout à coup, il tomba en arrêt en distinguant, entre les fûts d'une véritable forêt de madrépores, une masse noirâtre aux contours arrondis [...] C'est sûrement l'épave du galion ! s'affirma Marcel Dunot, tout joyeux [...] C'était bien la coque, ou plutôt une partie de la coque d'un navire naufragé [..] Brusquement, Marcel Dunot s'arrêta devant une vaste ouverture aux contours irréguliers, qui trouait la carène du galion sur près de quatre mètres de longueur sur deux de hauteur.

Autour de cette ouverture des coraux avaient poussé. Marcel Dunot, machinalement, regarda à ses pieds. Il eut un haut-le-corps. Plusieurs briques grisâtres parmi les débris du corail. Il en ramassa une, la gratta légèrement. C'était un lingot d'or"

Un formidable remous et "devant lui, un être assez semblable à une gigantesque chauve-souris venait d'apparaître". C'est un seat boat, une chauve-souris de mer. C'est elle qui avec son bec a coupé le tuyau d'air de Cordier.

Belle description de la bête, du "monstre". Des minutes de cauchemar. Dunot la tue avec son poignard. Les requins attirés en font ripaille.

Le lendemain le Roi des Boxeurs redescend. Environ sept mille kilos d'or sont remontés et arrimés à bord de la Margaret.

 

Pour qui connaît bien Moselli l'épilogue ne surprendra pas.

Une forte tempête. La Margaret sombre. Dunot et Cordier s'en sortiront.

Cordier :"... Je pense... Si la Margaret est au fond... les lingots du galion... ils y sont aussi ! S'être donné tant de mal ! Pour rien ! ..."

Dunot :" Vous êtes vivant ! ... C'est l'essentiel ! Le reste ça ne compte pas ! Vous êtes jeune ! Vous avez le temps d'en gagner de l'argent et de l'or !

Moi, tout ce que je demande c'est que nous retrouvions nos amis !"

 

La recherche du trésor, vanité ! Vivre, être en vie, voilà bien le vrai, l'unique trésor.

Chez Moselli rechercher un trésor, c'est surmonter les difficultés inhérentes à la condition humaine et en sortir vivant, c'est-à-dire mériter d'avoir vu le jour.

A un degré différent, ce trésor qui toujours nous échappe, c'est peut-être l'absurdité non pas de la vie, mais de beaucoup d'entreprises non indispensables nées de l'orgueil. Seules comptent les valeurs essentielles.

 

 

Claude Hermier m'a photocopié cet épisode et j'ai pris grand plaisir à le lire. Je voudrais revenir sur le capitaine Watson, qui boit sans arrêt et qui jure comme un charretier. Il s'en prend sans cesse à Clover et le couvre de tous les noms : Clover ! Fumier de cheval enragé... chien galeux confit dans du vinaigre... marchand de têtes de mort moisies... débris de jambon rempli de vers... champignon vénéneux mouvant... rascal... gueux... voyou... rascal boiteux... limace vaseuse... gueux hirsute... chimpanzé manchot ranci dans le vinaigre... face de jambon moisi... tête d'âne malade... mangeur de sardines empoisonnées, etc. J'arrête. Je lisais et puis d'un coup ce fut l'illumination,... mais le capitaine Watson, c'est... le capitaine Haddock ! Dans un article de ce recueil, J. Van Herp pense que Hergé s'est inspiré de l'Empereur du Pacifique. Alors pourquoi ne pas imaginer que ce capitaine Watson soit à l'origine du fameux Haddock ? Ils se ressemblent comme deux gouttes de whisky !

 

R.B.

 


 

 

3.21 - UNE AVENTURE DU ROI DES BOXEURS

LE TRESOR DES YAPURES

Nouvelles Aventures Inédites

n° 1, février 1932 - n° 74, août 1933

par Claude Hermier

Survol de cet épisode

Chez José Moselli reviennent inlassablement naufrages, empoisonnements, tortures, scènes de cannibalisme, inoculation du bacille de Hansen... Curieusement, ces thèmes sans cesse répétés, n'ont rien de redondants car ils sont toujours renouvelés. D'autre part, les séquences bien que très circonstanciées ne sont jamais ennuyeuses ; c'est que le romancier a l'art de solliciter notre attention sur des détails, des impressions, des notations d'un intérêt tel que nous participons aux pérégrinations des protagonistes. Ainsi des scènes de naufrage. Au vrai, partageons-nous l'épuisement de Marcel Dunot contre l'océan déchaîné et espérons-nous que chaque effort nous conduira au bout de nos malheurs. Les gestes rageurs, et que nous imaginons salvateurs, sont pourtant réduits à néant par une nouvelle vague. Combat dérisoire, absurde. Néanmoins nous continuons à nous défendre, à nous mesurer avec l'océan hargneux en souhaitant voir poindre la fumée d'un bateau ou le rivage d'une terre. Le tragique de la situation est intensément ressenti. L'océan s'amuse du naufragé : jeu cruel. L'imagination stimulée par tant de violence nous fait éprouver un sentiment proche de l'exaltation. Certes, nous savons bien que la performance de Marcel Dunot est au-delà des forces humaines mais, grâce à lui, nous assistons à un beau spectacle. Nous sommes plus que spectateurs. L'émotion qui nous gagne fait de nous des acteurs. Nous aurons vécu un beau drame.

José Moselli, c'est l'outrance, l'action intense. Quand Dunot affronte plusieurs adversaires à l'aide d'une barre de cabestan, que les balles lui sifflent aux oreilles jusqu'à lui enlever un peu de cuir chevelu sans qu'aucune ne l'atteigne, nous ne sommes pas dupes, et pourtant nous l'acceptons, car nous formulons le vœu de le voir sortir indemne de ce guêpier. Nous faisons là acte de foi. Moselli sait nous faire accepter l'invraisemblable. Il faut qu'il en soit ainsi, si à l'instar du héros nous voulons, nous aussi, en découdre avec nos ennemis. Aussi quel contentement de voir, finalement, tous ces malfrats baigner dans leur sang.

Ceux que le roi des Boxeurs rencontre au cours de ses pérégrinations sont le fait du hasard, un hasard fâcheux. Cette fatalité est, pour lui, l'opportunité de défier le destin en même temps que d'échapper à la médiocrité ambiante, de se vaincre lui-même, de se gouverner selon sa raison, de s'évader de l'emprise du quotidien, enfin de s'élever spirituellement.

Aucun des hommes qu'il rencontre n'est à sa mesure, cela va sans dire. Quelques rares spécimens sont certes gens de confiance, bons, honnêtes, intelligents, mais, par ailleurs, peu entreprenants, peu courageux ; peu combatifs ; ce sont de "braves garçons". La grande majorité, par contre, ne vaut pas grand chose. C'est que ceux-là sont dangereux de par leur soif d'argent, leur mégalomanie, leur insensibilité, leur cruauté. A l'aube du XXème siècle, ce sont des hommes nouveaux : richissimes hommes d'affaires, capitalistes conséquents. Ils usent de tous les moyens pour arriver à leur fin. Il y a, également, ceux qui gravitent dans leur sillage. Bien qu'ayant moins de pouvoirs, ils n'en sont pas moins dangereux ; ce sont des êtres frustes, inélégants, vulgaires, mais ne le cédant en rien aux premiers quant à la malhonnêteté. L'homme de bonne volonté est dérouté devant tant de différence, tant d'hostilité. Nous, lecteurs, sommes fascinés.

 

Le présent épisode ne commence, en fait, qu'au n° 12 de juin 1932 - "Le cercueil flottant". Les nos 1 à 11 assurent la liaison avec la précédente aventure.

Marcel Dunot s'est échappé - avec deux autres condamnés et un gardien - du bagne argentin de l'Ile des Etats, située à environ cinquante kilomètres du Cap Horn, sur un esquif qu'il a lui-même fabriqué. Après bien des épreuves - restent en vie Dunot et le Bulgaro-Américain Jarwak, un ingénieur chimiste déporté bien qu'innocent selon ses dires - surgit un navire.

"Et quel navire ! Deux de ses mâts, le mât de misaine et le grand mât, étaient brisés au ras des hunes. La grand' vergue, dont une des extrémités reposait sur le pont, était appuyée obliquement au tronçon du grand mât. Des lambeaux de voile noirâtre y adhéraient encore ; la brise les faisait claquer, [...] Oui. Un navire. Mais un navire abandonné de son équipage."

Un bateau déglingué, un de plus ! Oui, mais celui-ci est sans vie, vide de ses matelots, vide de son sang. Et l'on pense à un grand animal blessé et moribond.

La mer et les bateaux jouent, on le sait, un rôle essentiel dans l'œuvre de Moselli. La mer est promesse, mais quand elle se fait complice du vent, elle peut être funeste jusqu'à devenir dévoreuse d'hommes. Notre seul soutien, en même temps que protection, est le bateau. Nous faisons corps avec lui. Aussi Moselli l'identifie-t-il à un être vivant. Le grand trois-mâts de fer - le TOURNY EL CALLAO - qui fend la mer devant notre petit bateau de fortune est bien le mastodonte près de sa fin.

 

Ainsi... Sa coque (sa peau) est "tachée de larges plaques de rouille brunes" (taches de vieillesse).

"Le mât de misaine et le grand-mât étaient brisés" (ses membres sont rompus).

"Des lambeaux de voile noirâtre" adhèrent encore à la grand' vergue (comment ne pas y voir des morceaux de chair encore attachés à la carcasse de la bête ?)

 

Dunot parvient à rejoindre l'épave à la nage, laissant Jarwak, inconscient, dans le canot.

Nous retrouvons dans la description du trois-mâts le romancier naturaliste qu'est Moselli. Nous voici dans le ventre du bateau. Les cabines sont saccagées : matelas dégorgeant leur laine et gisant sur le plancher "avec des habits, des verres, des débris de toutes sortes." Une grande salle - table et fauteuils - avec nappe et serviettes déchiquetés, verres, carafes, bouteilles, plats, brisés... Moisissure et pourriture. Divans éventrés et pourris laissant échapper leur crin. Un piano dont les touches d'ivoire sont recouvertes de moisissure. Sous le piano un agenda sur la dernière page duquel sont écrites à l'encre violette "devenue presque grise" les indications suivantes : 

 

"Bahia-Blanca - 28 août 1882 - Acheté chez Villa Hermanos :

2 sacs de haricots rouges.

1 baril de morue sèche

.............................................

 

Le tout pour 17 pesos et 70 centavos. Payé"

"Ainsi le carnet datait de près d'un demi-siècle ! Ce qui semblait signifier que le TOURNY errait sur les eaux depuis 1882." Parfaitement invraisemblable !

 

La reconnaissance continue. Voici l'office : un buffet où grouillent d'énormes rats se dévorant, un divan à l'intérieur duquel sont des boîtes de conserves "un peu rouillées" (ananas, confitures de cerise, corned beef à la gelée, soupe à la queue de bœuf, marmelade d'oranges). Dunot peut apaiser sa faim, mais rien à boire !

Le poste d'équipage - Ah ! Cette illustration du fascicule n° 12 ! M'avait-elle frappé quand, vers l'âge de dix ans, je découvris "Le Roi des Boxeurs" par quelques numéros dépareillés ! Je l'avais gardée en mémoire, cette fascinante planche, ainsi que le numéro du fascicule, le numéro 12. Aussi quand, quelque vingt ans plus tard, j'acquis la collection du "Roi des Boxeurs", je me mis à chercher immédiatement ce numéro 12. Deux déceptions coup sur coup, car j'avais feuilleté la première partie "Le Roi des Boxeurs" , puis la seconde "Aventures Inédites". C'est que c'était dans la troisième partie "Nouvelles Aventures Inédites" que nichait ce mystérieux numéro.

"Marcel Dunot entendit une sorte de grincement derrière lui. Il se retourna et aperçut plusieurs rats rouges groupés entre deux des coffres qui, immobiles, le fixaient de leurs petits yeux brillants. Malgré lui il frissonna.

S'étant redressé, il demeura immobile pendant deux ou trois secondes, n'osant croire à la réalité de ce qu'il avait vu.

Mais il avait bien vu ! [...]

Sous la couchette, un squelette humain était étendu sur le dos. Quelques cheveux adhéraient encore au crâne, et les tibias disparaissaient dans les tiges de la toile peinte d'une paire de bottes à semelles de bois. Autour du torse, ou plutôt de ce qui avait été le torse, des lambeaux de vêtements adhéraient encore.

[...] Rapidement, il regarda dans les autres couchettes, et compta une demi-douzaine de squelettes, dont certains s'étaient déjà désagrégés et n'étaient plus entiers."...

 

... Il est temps d'aller récupérer Jarwak. Ce sera fait tant bien que mal, des albatros ayant attaqué le chimiste !

 

"Que s'était-il passé sur le mystérieux trois-mâts ?"

... Découverte d'enveloppes adressées au

"Senõr Beltramo Ramirez

1er officier du navire TOURNY

Montevideo (Uruguay)"

Le cachet de la poste porte la date du 27 avril 1929 !

" - Mais... alors, il n'y a que quelques mois que ce bateau a relâché à Montevideo ! L'agenda que j'ai trouvé dans le salon, et qui datait de près d'un demi-siècle, est un ancien livre de comptes qui a été conservé par hasard ! Il n'y a pas un an que le TOURNY a été abandonné ! Mais pourquoi ?"

Les autres enveloppes adressées au capitaine sont antérieures à la précédente et ont été reçues à Hambourg, Port-Talbot, Saint-Jean-de-Terre-Neuve et proviennent de différentes villes du Pérou.

Jarwak : " - Dans la cabine... à côté ! Il y a un homme assassiné ! Les rats l'ont à moitié dévoré ! ...

 

- Il n'est pas le seul ! Il y a plusieurs morts à bord !"

 

La cabine du capitaine - "... étendu à plat ventre sous le lit, le corps d'un homme de haute stature [...] entre les deux omoplates, s'apercevait le manche d'ébène d'un couteau de matelot."

Sous la main du mort une boîte à cigarettes et sur la planche formant le fond de la boîte sont écrits, en Espagnol, les mots "Charlie Cagan m'a assassiné pour le routier. Voir Mariano Gaspo, à Montevid..."

Il en est ainsi avec José Moselli et, en particulier, dans "Le Roi des Boxeurs" : très souvent nous allons partir à la recherche d'un trésor. Les difficultés rencontrées seront grandes, et le trésor nous échappera. Nous être donné tant de mal pour revenir à la case départ ! Qu'importe, c'est la quête que nous allons mener qui compte ! C'est l'attente d'événements auxquels nous ne sommes pas accoutumés qui nous pousse à partir. Nous allons vivre dans la crainte, l'angoisse, la peur. Nous allons devoir affronter la nature et les hommes, une fois de plus. Mais combien exaltantes seront les heures que nous allons vivre !

 

Les deux naufragés sont recueillis par un paquebot anglais.

Mais voici Dunot découvrant que Jarwak cachait une lettre trouvée à bord du Tourny ! Lettre que le capitaine adressait à son oncle et dans laquelle il déclarait avoir acheté un routier à un barman de Montevideo, du nom de Gaspo. Et il y a, à la clé, plus de cent millions de pesos. Rendez-vous était donné, au Callao, à l'oncle. La lettre n'est pas terminée...

 

Dans le fascicule n° 16, "L'or des Yapurés", nous apprenons que le routier appartenait à Pancho Carranza. Gaspo le lui a volé, et le croyant faux, l'a vendu au capitaine du TOURNY.

Pancho Carranza, un gaucho, bon et honnête garçon à la "physionomie sympathique."

Un vieil Indien Yapuré, appelé El Tio, lui fait don d'un routier.

... C'était il y a des "centaines de lunes". Un Blanc, don José de Alcantara, possesseur d'un parchemin "établi en l'an de grâce 1582" par lui-même. Ayant osé pénétrer "dans les cavernes du dieu des Yapurés, où d'énormes quantités d'or étaient cachées", il a été pris et torturé par les Indiens. Le parchemin est trouvé par les hommes rouges qui voient là une "précieuse amulette magique" du fait des "signes bizarres" qui y sont tracés. Depuis, le parchemin est transmis de chef en chef. El Tio en est le dernier dépositaire. Ce routier indique comment se rendre au trésor.

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Dunot : " Tout démontre que le capitaine Sanchez a été assassiné par certains membres de son équipage, qui voulaient s'emparer du routier ! ... Ils ont tué leurs camarades qui n'étaient pas du complot et ont fui ! ... D'autre part, il semble qu'il existait une copie du routier, que le capitaine Sanchez avait dû exécuter par prudence et que Jarwak l'a trouvé sans me le dire ! [...] Résumons : pour moi, il existe deux routiers, le premier, le vrai, est entre les mains des assassins du capitaine du TOURNY - s'ils ne se sont pas noyés ! Et le second, qui est la copie du premier, est détenu par Iston Jarwak ou Mariano Gaspo !"

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Arrive Lewis Montgomery. C'est le correspondant à Montevideo de "L'Universal and Mundial Press", de Chicago. Il est toujours en quête d'un reportage. Les circonstances aidant, il a eu vent de l'existence du routier.

Dunot et Carranza sont les hôtes de Montgomery à bord de son cotre L'ÉLÉPHANT, ancré pas loin de la plage de Ramirez proche de Montevideo. Le "Chicagoan" nous en apprend beaucoup. C'est qu'il a surpris Jarwak et Gaspo en train de discuter de quelle manière arriver au trésor ! "Il se trouve dans des cavernes à cent lieues au nord-ouest du rio Pilcomayo... non loin d'une colline voisine des sources du fleuve Parapiti... il y a à côté la "Torre negra"... la tour noire, et, à trois cent vingt toises, "la flèche du soleil darde sa pointe le 22 mars !"

Montgomery : "Eh bien, je ne me suis pas reconnu le droit de participer au vol de Jarwak et de l'autre, puisque je savais que le routier vous avait été volé ! ... J'ai donc décidé de vous faire connaître ce que je savais et de vous demander si vous ne verriez pas d'inconvénient à ce que je vous accompagne au Chaco ! ... Cent millions de pesos, cela peut, sans inconvénient, se partager en trois ! ..."

Offre acceptée. Montgomery fera les frais de l'expédition qui lui seront remboursés une fois le magot en leur possession.

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Nous voici sur le rio Pilcomayo à bord du JACUHYPE, un bateau acheté au senõr Farfanto. Le JACUHYPE était en piteux état, et, le comble, c'est qu'il était échoué sur le sable de la berge du rio. Son renflouement nous est décrit avec une minutie qui laisse pantois. L'achat, la remise à flot, les réparations de ce bateau à aubes nous sont contés de façon inimitable dans les numéros 22, "L'idée de Marcel Dunot", 23, "Sur le rio Pilcomayo", et 24, "Sur la piste du VICTORIA", d'août 1932.

... Il a fallu discuter ferme pour acheter le bateau. C'est que Farfanto en demandait cinq mille piastres !

Dunot : "- Cinq mille piastres ? Accepté, mais à une condition : vous me remettez, avant paiement, le bateau à flot !

- Mais c'est impossible ! s'exclama naïvement le géant. [...]

- Dans ce cas, j'achète le JACUHYPE pour cinq cents piastres. [...]

- C'est peu, c'est bien peu ! Le bateau est encore en bon état !

- Oui ! Assez ! Mais l'on ne peut plus rien en faire ! Il est impossible de le remettre à flot ! [...] Donc, le JACUHYPE n'est plus bon qu'à fournir du bois à brûler."

L'Américain suggère de ne pas donner suite, puisque le bateau, comme l'a "clairement démontré [Dunot] ne peut être renfloué."

"- J'ai, malheureusement, fait une offre ferme !

- Sûrement, que vous avez fait une offre ferme ! (C'est Farfanto qui parle)"

... La femme de Farfanto : "- Vous avez vu le beau bateau ? Il n'est pas cher !

- Oui ! Ce bateau pour cinq mille piastres, est pour rien ! Mais ce n'est plus un bateau ! C'est un tas de bois et de ferraille, pour lequel j'offre cinq cents pesos !

- Hein ? comment ? Cinq cents... Alfredo ! ... Brute ! Idiot ! Bon à rien ! Imbécile ! ...

- Cinq cents et pas un de plus !"

La grosse mulâtresse discute :

- Dans ce cas, nos pourparlers sont rompus ! Car, moi, je ne peux donner plus que je n'ai offert, soit cinq cents pesos ! Du moment que vous refusez, je suis...

- Non ! Je ne les refuse pas ! Je les accepte. Prenez le bateau ! Et que tous les diables de l'enfer vous brûlent ! Donnez-moi les billets ! Et toi, Alfredo, tu es le dernier des hommes ! ..."

Hilarant, ce marché ! Tout en finesse, en sous-entendus, en quiproquos.

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Nous remontons le rio et filons une dizaine de kilomètres à l'heure au maximum. Belle description de notre navigation.

" De gigantesques arbres, reliés ensemble par de véritables filets de lianes, bordaient le Pilcomayo. Leurs troncs plongeaient dans une vase verdâtre. Dans leurs branches, d'où partait une cacophonie ininterrompue, des singes à pelage jaune ou grisâtre, de gigantesques aras au plumage jaune et bleu... Çà et là, d'immenses fourrés de bambous, dont certains étaient gros comme la cuisse et haut de près de quinze mètres, formaient de véritables haies, sur des longueurs de plusieurs centaines de mètres. Et, par endroits, dans les creux du rio, là où le courant était amorti, d'énormes souches noires, des arbres entiers, gisaient, plus ou moins pourris, leurs branches et leurs racines engluées dans la vase.

Toutes sortes d'oiseaux : ibis, grues, toucans, y étaient perchés, caquetant, lissant leurs plumes, s'épouillant ou bien cherchant du bec des vers cachés dans l'écorce de leur perchoir.

Ailleurs, de longs bancs de sable rouge ou jaune, à peine recouverts de quelques centimètres d'eau, formaient des taches claires sur la nappe clapoteuse du Pilcomayo. De petits dômes aux contours indécis s'y distinguaient. Ces dômes, c'étaient les carapaces des crocodiles qui se reposaient. Les sauriens, en attendant le moment de la chasse, se chauffaient dans l'eau tiède, aussi immobiles que des pierres."

Nous n'irons pas plus loin, le feu ayant pris sous les caisses d'huile de graissage, près du condenseur ! Le JACUHYPE n'est bientôt plus qu'un brasier qui finira par s'échouer sur la berge pour finalement couler. C'est un acte criminel, il n'y a aucun doute. Car nos ennemis sont, eux aussi, à naviguer sur le Pilcomayo, et ce pour les mêmes raisons que nous : le trésor des Yapurés.

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Suivons le roi des Boxeurs et Montgomery sur la trace de leurs concurrents... Difficile progression, se déployant sur plusieurs pages. On ne se lasse pas des embûches dont elle est truffée. Rien n'est omis, qui ajoute à la fatigue, au danger. Tout est noté ; perception visuelle, auditive, olfactive.

 

N° 32, d'octobre 1932 - "Le salon du Victoria".

"Les deux amis se mirent en marche à travers les bambous. Sous leurs pieds, le terrain suintait l'eau. Ils durent franchir environ trois cents mètres en s'enfonçant dans la vase jusqu'aux chevilles et, parfois jusqu'aux genoux. Enfin ils furent sur la terre ferme.

La chaleur avait encore augmenté. C'était une chaleur moite, d'étuve, qui collait les vêtements à la peau, qui alourdissait l'air. De grosses mouches rouges ou bleues assaillaient sans cesse les deux amis, qui ne parvenaient pas à les chasser. [...]

Çà et là, des touffes d'herbes jaunes et dures, des fourrés d'arbustes épineux aux feuilles desséchées et racornies, recouvraient le sol. Aucun arbre. Pas d'ombre.

Accablés par la température, Marcel Dunot et Montgomery cheminaient à pas lents et réguliers, têtes basses, sans parler [...]

Au fur et à mesure qu'ils avançaient, leur marche devenait de plus en plus pénible. Cactus rabougris aux épines acérées comme des aiguilles, éboulis de rocs, racines aériennes, dures comme des fils d'acier, obstruaient le sol."

Attention où poser le pied. Sans compter les frôlements et sifflements qui donnent le frisson. Une exclamation rauque de l'Américain à la vue d'un mille-pattes "gros comme le poignet et long de quarante centimètres, l'échine hérissée de poils rouges" ; l'horrible bête n'était-elle pas prête à s'élancer ? Et quand on sait que sa morsure est mortelle !

Les moustiques, encore et toujours.

La forêt s'annonce par "d'énormes souches noircies par un incendie récent." Herbes, lianes, arbustes rabougris, cactus aux formes étranges : une impénétrable barrière. Trois cents mètres seront franchis en... une heure !

Nous voici sous les arbres. Feuillage si épais que nous cheminons dans une demi-obscurité. Herbes et arbustes pourrissent entre les "géants de la forêt" ; nous enfonçons jusqu'aux chevilles dans "un terreau tiède et humide." Du sol s'élève "une buée chaude, une senteur âcre."

Et d'énormes lianes s'entrelaçant, s'accrochant "formant un véritable réseau où de magnifiques orchidées de toutes couleurs, aux corolles luisantes, semblaient piquées."

Caquetage des perroquets et des aras, glapissement des singes, crissements, grincements...

Nous trébuchons souvent car jonchent le sol : lianes, racines,..., et la lumière est si ténue !

 

N° 33 d'octobre 1932 - "Pile ou face"

Dunot et Montgomery ont récupéré leurs mules. La poursuite continue.

Et, à nouveau, la chaleur épuisante, les insectes. L'obscurité de la forêt avec un "mugissement semblable à celui de l'océan" dû aux cris, piaillements, crissements,... "Les malheureuses bêtes, à demi asphyxiées par l'effrayante chaleur." La vie intense de la forêt vierge : singes, aras, perroquets, rongeurs, insectes, "fourmis rouges qui formaient par endroits de véritables fleuves."

Après quatre à cinq heures de cheminement, halte dans une clairière.

Et l'on repart. Et, à nouveau, des vapeurs épaisses qui montent du sol et suintent du feuillage, des lianes, des racines aériennes. Une senteur âcre. Une sorte de torpeur nous envahit. C'est l'accablement.

... La piste enfin s'élargit. La végétation devient moins dense. La chaleur s'affaiblit. Mais le sol devient de plus en plus spongieux. Les moustiques sont maintenant beaucoup plus gros.

La forêt que nous dépeint Moselli est d'une belle densité. Elle nous est décrite par ce qu'en ressentent Dunot et Moselli. C'est d'ailleurs toujours de cette façon que procède l'auteur ; ici la forêt, ailleurs la mer ou le désert. Une synthèse entre formes, couleurs et sons. Mais nous ne sommes pas simples spectateurs : ce n'est pas simple lecture, simple film. C'est que nous sommes constamment harcelés, tarabustés, malmenés, toujours en éveil et sur la défensive. Gare aux faux pas, à la moindre inattention ! Les sens perpétuellement en alerte. Tenter autant que faire se peut d'oublier la chaleur humide, les démangeaisons causées par les moustiques, la fatigue...

 

N° 34 de novembre 1932 - "Le marais des vampires"

Au sortir de "l'océan végétal" Montgomery a l'intuition qu'un affluent du Pilcamayo est proche, car les mules se mettent à trotter. "Elles ont senti l'eau ! ..."

Curieusement une odeur fade, une senteur sulfureuse nous importune. L'eau du sol est croupie. Des crapauds en quantité.

Une clairière immense occupée presque entièrement par un marécage avec nénuphars, Victoria Regia, végétaux divers, souches pourries, détritus végétaux en décomposition.

Il émane de ce marécage une atmosphère malsaine et pesante.

"Un rideau de vapeurs grises flottait à quelques mètres au-dessus du sinistre marécage.

Des bulles d'air venaient crever à sa surface, en produisant de sourdes détonations.

Au-dessus d'eux, autour d'eux, des moustiques énormes, par myriades, voletaient en bourdonnant.

La senteur nauséabonde qui régnait, le concert sauvage des crapauds et des bestioles de toutes sortes qui vivaient dans le marécage et surtout, ses propres préoccupations, le tinrent longuement éveillé. "

Les pressentiments des deux hommes n'étaient que trop fondés.

... Dunot est réveillé brusquement par une sensation de brûlure, au cou : du sang en coule !

Quant à l'Américain "Montgomery était étendu sur le sol, à moins de deux mètres de lui. Et, posés de chaque côté de sa tête, deux énormes oiseaux au pelage fauve, leurs petits yeux rouges luisant comme des braises, étaient penchés sur son cou. Des vampires ! ..."

Quant aux mules, elles sont exsangues. Mortes !

... Montgomery est quelque temps après sous l'empire d'une crise de folie... Il mourra un peu plus tard, attaqué par un anaconda !

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"Le désert de cactus" n° 37 de novembre 1932.

Encore un bel exemple illustrant l'agressivité du milieu à l'encontre de l'homme. La flore - des cactus - est identifiée à une faune redoutable.

L'humus a fait place à une terre sablonneuse.

Les arbres sont plus rares, malingres ; certains desséchés ; d'autres étouffés par les cactus.

Variété des cactus tant par la forme que par la couleur. Couleurs intenses : jaune safran, vert émeraude, vert bronze, vert bleu. Formes inquiétantes : droits "comme des poteaux hérissés d'aiguilles" ; globuleux ou cylindriques, semblables à des "amas de serpents enlacés."

Leur agressivité se caractérise par "leurs dards, garnis d'épines, de crochets, de pointes aiguës" qui "s'entrelaçaient, se pressaient, se déchiraient les uns les autres." Des plantes "rébarbatives".

Se frayer un chemin à travers une telle végétation relève de l'exploit, d'autant que s'y ajoute la chaleur.

Les énormes épines jonchant le sol transpercent les bottes de Dunot. " Tous les dix pas, il devait s'arrêter pour arracher les plus grosses, celles dont les pointes avaient pénétré jusqu'à la plante de ses pieds."

Les cactus deviennent de plus en plus épais et sont de plus en plus rapprochés. "Ils formaient de véritables haies, hautes de deux à trois mètres, des fourrés impénétrables , hérissés de lances, d'épines, de crochets, de hameçons, de hallebardes, d'aiguilles, dont il ne fallait pas s'approcher."

Le long d'un cactus-cierge, "des fruits d'un vert livide, gros comme des oranges et hérissés de petites touffes de poils argentés, la chair en est jaune pâle. Marcel porte à sa bouche l'un de ses fruits, mais il "le cracha instantanément, la langue et les lèvres brûlées comme par un liquide corrosif."

Marcel Dunot souffre. Ses pieds et ses chevilles ne sont plus qu'une plaie. "Les semelles de ses bottes, leurs tiges sont fendues, transpercées, accrochées." : des lambeaux. Son corps n'est que piqûres, écorchures, éraflures. Une hallucination : " Il croyait voir les cactus tourner autour de lui, ou bien foncer à sa rencontre, comme des lances brandies par des ennemis."

Les cactus dictent leur loi. "Autour de lui, le silence était absolu. Ni oiseaux, ni insectes. Les cactus. Et c'était tout ! Leurs tiges gonflées de sucs vénéneux, grasses, hérissées de piquants, d'épines, avaient accaparé toute vie."

 

Nos pérégrinations nous ont fait traverser trois paysages : une forêt, un marécage, un désert de cactus.

Quand Dunot se fraye un passage parmi les cactus, la difficulté qu'il éprouve à cheminer lui fait leur prêter des intentions méchantes, voire maléfiques. Les cactus étouffent les arbres. Ils sont hérissés d'aiguilles, de dards, de crochets. Ils déchirent, transpercent,... Ils sont insidieux : certains ne sont-ils pas "hérissés d'aiguilles imperceptibles" ?

Leurs pointes menaçantes ne se cachent-elles pas dans quelque fourré qu'il faut prendre soin d'éviter ?

La forêt, elle aussi, est perçue comme malfaisante, complice qu'elle est de la chaleur et des moustiques. Lianes, racines,... jonchent le sol et font trébucher. Arbres énormes, fourrés impénétrables, marécages qu'il faut contourner. Racines aériennes, basses branches, lianes lancées d'un arbre à l'autre nous heurtent, nous cognent, nous accrochent.

Le marécage est peut-être encore plus redoutable. Les moustiques y sont légion et très gros. Le sol spongieux devient impraticable. Les vapeurs qui se dégagent du marais, l'odeur de moisi sont désagréables et probablement nocives. Le concert des crapauds invisibles agace. Puis ce seront les vampires, enfin les caïmans que Dunot et Montgomery éviteront de justesse.

Ces milieux naturels inconnus de l'Européen rayonnent leur étrangeté sur celui qui s'y déplace. Peu à peu, le caractère angoissant du paysage va envahir le champ de perception du pérégrin. Si Marcel Dunot s'adapte tant bien que mal à ce monde inhumain, ce ne sera pas le cas de l'Américain qui perd la raison. Il divague, soupçonne Dunot de vouloir l'empoisonner, d'avoir mis sur lui une drogue de façon à attirer les anacondas.

" - Comme ça, c'est complet, songea Marcel. Il est complètement fou ! ..."

 

"L'ossuaire des Tarios", n° 38 de décembre 1932.

Les Indiens Tarios ont capturé Dunot. Il se retrouve au fond d'un puits... en attendant la mort.

"Il se retourna, afin de se ménager une couche plus confortable, car les branches brisées par lui dans sa chute lui entraient dans la chair. Ce fut tout juste si ses cheveux ne se hérissèrent pas sur sa tête: il n'était pas tombé sur des branches sèches, ni sur du bois mort. Il s'était abattu sur une épaisse couche d'ossements humains desséchés.

Autour de lui, sous lui, c'étaient des tibias, des fémurs, des côtes, des épines dorsales, tous les os du squelette... [... ]

Mais pas un seul crâne. [...] Les Indiens avaient gardé leurs têtes."

Le jour vient. Apparaissent "trois faces d'Indiens" contre le bord de l'ouverture du silo. Les Indiens Tarios ne sont pas mieux "favorisés" que les Africains et les Asiatiques.

L'un a une face bestiale, stupide et cruelle. "... Le troisième montrait un visage qui était un véritable cauchemar. Une blessure avait dû lui fendre la bouche. Cette bouche allait d'une oreille à l'autre et la lèvre supérieure, qui manquait, laissait à découvert les dents et les gencives du monstre. Ses yeux chassieux distillaient un regard d'assassin, leurs prunelles étaient striées de rouge. De grossiers tatouages d'un bleu vert ajoutaient à l'horreur dégagée par cette face qui n'avait plus rien d'humain.

Une casquette de drap beige, plate, ornée d'un aigle en cuivre doré, qui avait dû appartenir à quelque officier américain ou chilien, le coiffait. Comment était-elle venue sur sa tête ? Il eût été curieux de le savoir !" C'est Drinass, le sorcier des Tarios.

Marcel Dunot est retiré du puits et conduit dans une hutte qui mérite quelque attention. Ses parois sont recouvertes de crânes de caïmans. Sur des tablettes, des têtes humaines avec leur chevelure. (Dunot avait cru à des noix de coco). Il en compte vingt-sept : des têtes d'Indiens et deux ayant appartenu à des Blancs. "Des têtes humaines réduites à la simple dimension d'une orange, lèvres rétractées sur les dents qui paraissaient énormes, paupières abaissées..."

Trois marmites de cuivre suspendues au-dessus de braises. Des têtes humaines y cuisent dans un mélange aromatique. Dunot sera surpris dans son inspection par Drinass : "- Ça bon ! Têtes d'ennemis des Tarios ! ... Eux, bien bouillir ! ... Longtemps bouillir ! ..."

Notons que Drinass est "l'homme à la bouche sabrée" ; il est également qualifié "d'horrible être". Il "baragouine un mauvais espagnol". Il se dit "très savant... beaucoup savant .. très puissant...". Un hypocrite : "Il lança un coup d'œil oblique à Marcel Dunot [...] Drinass eut un ricanement diabolique, ses mâchoires s'ouvrirent complètement comme une malle dont on soulève le couvercle..."

C'est durant le sommeil de Marcel que le "sinistre personnage" lui inocule un venin mortel qui doit être "neutralisé chaque jour par un contrepoison." Dans quel but ?

De la préparation du poison Tario par le sorcier Drinass.

Prenez "deux crapauds noirs, au dos recouvert de pustules rouges, d'où suinte un pus gluant", les "hideuses bêtes" étant paralysées à l'aide de minces branchettes les transperçant. Les déposer dans un mortier de pierre. Ajouter "une araignée-crabe, grosse comme le poing, engluée dans un liquide jaunâtre" l'empêchant de se mouvoir, "ainsi que deux têtes de serpents et une petite boulette rouge". Piler à l'aide d'une grosse pierre les crapauds, l'araignée et les têtes de serpents. Malaxer pendant plus d'une heure jusqu'à ce que le tout ne forme plus qu'une pâte grisâtre".

De son efficacité. Un petit chat-tigre piqué légèrement avec une fléchette dont la pointe d'os a été trempée dans la pâte meurt au bout de quatre secondes !

 

Dunot est maintenant prisonnier dans un appentis - jouxtant la hutte - de trois mètres de côté. Un débarras contenant "des boîtes de conserves vides, des sarbacanes brisées, des calebasses, un casque de pompier en cuivre vert-de-grisé dont le cimier avait été arraché, un énorme pavillon de phonographe en forme de liseron, peint en vert, des crânes de caïman, des haches rouillées, des masques de bois grossièrement coloriés..." De la jubilation de José Moselli, et de la nôtre, devant l'inventaire des objets encombrant le "garde-meubles" du sauvage. Nous ne sommes pas surpris d'y trouver le pavillon d'un phonographe ; n'est-ce pas la coiffure préférée du chef de tribu ou du sorcier ? Drinass s'en coiffera lors de l'attaque des Tupacs, ennemis des Tarios.

Le sauvage de Moselli aime les colifichets, c'est un coquet. Ainsi Toumis, un guerrier Tario "l'ami" de Carranza "... était de petite taille, presque aussi large que haut [...] Une large ceinture de cuir ornée de toutes sortes d'objets : pipes, roues dentées en cuivre provenant de quelque réveille-matin, rondelle de verre rouge ayant appartenu à une lanterne d'auto, le vêtait, avec une veste de toile kaki, à laquelle manquaient les boutons et une des manches.

Dans la cloison médiane de son nez, un anneau de rideau en cuivre, du diamètre d'une petite soucoupe, était passé. Il pendait jusqu'à son menton, sans toutefois l'empêcher de parler."

Moselli exagère ! Pas tant que cela ! J'ai vécu un an au Niger en 1986-1987. Les Touareg et Bororos portaient autour du cou des espèces de portefeuilles de cuir qu'ils ornaient de clés, de cadenas, capuchons de crayons à bille, pièces de monnaie, anneaux de rideaux, miroirs, clous, trombones,...

 

"L'arbre cannibale" n° 54 d'avril 1933.

Dunot et Carranza s'engagent "dans une immense vallée au sol marécageux" où poussent "de grands cactus aux tiges rougeâtres."

... Des fourrés parsemés de fleurs gigantesques mesurant près de trente centimètres de diamètre qui répandent "une odeur douceâtre, presque écœurante."

Carranza : " - Ce sont des espèces d'orchidées géantes,... elles répandent des émanations dangereuses."

Surprenants, ces végétaux. Qu'on en juge ! "... vues de près, les extraordinaires fleurs semblaient beaucoup moins belles. Leurs pétales étaient épais et parsemés de veinules rouges qui leur donnaient un aspect hideux. Elles luisaient comme si elles avaient été huilées."

Des fleurs inquiétantes, menaçantes, génératrices d'angoisse. Des fleurs qui contaminent le sol et l'air. "L'air imprégné par les senteurs des énormes fleurs, donnait la nausée. Et pas un oiseau. Sur le sol, pas un insecte. Entre les étranges plantes, pas d'herbes. Rien ! Les moustiques eux-mêmes avaient disparu [...] Sur les tiges et à l'extérieur des corolles de certaines, des traces grisâtres et brillantes, comme nacrées, semblables à celles que laissent derrière eux les limaces et les escargot, se distinguaient.

Les deux hommes n'avaient pas envie de parler. Sans savoir pourquoi, ils ressentaient une gêne, une inquiétude qui, peu à peu, se transformaient en angoisse. Car la sinistre végétation, autour d'eux, et aussi loin, dans toutes les directions que pouvait porter la vue, ne changeait pas."

Nous avons le pressentiment que ces fleurs sont annonciatrices du pire et sont le prélude à une scène dramatique.

Car les fleurs sont synonymes de beauté. Celles-ci sont laides, fausses. On ne parle plus ici de parfum mais "d'odeur écœurante", de "nauséabondes exhalaisons". Dunot et Carranza sont désemparés devant une telle déviance. A croire que la nature s'est laissée berner par cette flore qu'elle ne peut pas contenir et qui ne se plie pas à ses lois. Le règne végétal engendrerait-il des monstres, des hybrides, des êtres de nature composite ?

Il y a pire !

"Marcel Dunot aperçut sur la droite, dans un renfoncement du terrain, de grands arbres qu'il prit tout d'abord pour des cyprès.

Tous droits, renflés au milieu, hauts d'environ une dizaine de mètres, ils étaient de couleur sombre. A leurs sommets, d'étranges banderoles brunes étaient fixées et retombaient mollement jusqu'au sol.

- Et ça ? Ces arbres ? Vous connaissez ça, Carranza ? demanda Marcel, en désignant les extraordinaires végétaux.

- Non! ... On dirait qu'on y a mis des peaux à sécher... [...] Marcel, d'instinct, arma sa carabine. [...] En quelques minutes, ils eurent atteint "l'arbre" le plus proche. Ce n'était pas un arbre. C'était une sorte de cierge-cactus, une énorme colonne verte, renflée à la base et hérissée d'épines longues de vingt à trente centimètres, aiguës comme des dards de porc-épic.

Cette "colonne" était haute d'environ huit mètres. De son sommet pendait, le long de son tronc, presque jusqu'au sol, quatre larges lanières plates, que Marcel Dunot et Carranza avaient prises pour des peaux de bêtes. C'étaient de véritables tentacules bruns, larges de près d'un mètre et se terminant en pointe. Disposés en croix, ils étaient armés de plusieurs rangées de grosses épines en forme de crochets, entre lesquelles se voyaient de longs poils rouges d'où suintaient des gouttes d'un liquide gluant et visqueux.

Marcel Dunot s'étant approché d'un des répugnants tentacules, celui-ci, lentement, se recroquevilla, se gonfla, cependant que son extrémité garnie d'énormes épines s'avançait dans la direction du roi des Boxeurs.

- En arrière, Dunot ! Ce sont des plantes cannibales ! Si vous vous laissez accrocher par leurs lanières, vous êtes perdu ! ...

- Des plantes cannibales ?

- Oui ! Il n'y en a que dans certaines parties inexplorées du Chaco ! L'on prétend que les Indiens les adorent et les nourrissent de chair humaine ! ... En tout cas, ils y accrochent leurs ennemis ! [...] On raconte que, quand on se couche à leur portée, elles lancent leurs lanières vers vous et vous accrochent. On est agrippé et englué comme des mouches ! ..."

Dunot frappe de sa hache l'une des lanières. Par la blessure suinte un liquide gluant... Exclamation de stupeur de Dunot. Sur leur gauche, une monstrueuse plante, plus grosse que les autres et "à la naissance des horribles tentacules, pris entre deux rangées d'épines qui s'enfonçaient dans sa chair, un bras d'homme, rouge et tuméfié, pendait. L'on voyait aussi l'épaule et la tête du malheureux. Une tête pâle, exsangue, yeux fermés, bouche entrouverte, qui laissait voir les dents."

Carranza le connaît ; c'est Renato Garcia, un ami de Gaspo. L'homme râle : Tuez-moi ! ... Achevez-moi ! ... Je brûle ! ... Pitié ! ...

Dunot entaille le tronc de la plante une vingtaine de fois : la sève gluante s'écoule. Il pense, ainsi, qu'elle perdra sa vigueur. Renato Garcia pousse de véritables rugissements. "... les quatre grandes lanières brunes qui enserraient, recouvraient et maintenaient le malheureux, se soulevaient avec lenteur ; leurs épines, en se retirant, arrachaient la chair de l'agonisant où elles étaient plantées [...] Et des gouttes rouges tombaient des lambeaux de chair accrochés aux épines qui les bordaient.

Le torse entier de Renato Garcia apparut, jusqu'à la ceinture. Un torse d'écorché, où les côtes étaient à nu, où la chair tuméfiée, corrodée, rongée, arrachée, saignait de toutes parts...Le second bras était presque entièrement séparé de l'épaule."

Dunot et Carranza "durent s'écarter car les quatre lanières, gluantes de sève et de sang, ondulaient maladroitement dans leur direction, comme si la plante les eût "sentis".

Et Renato Garcia de continuer à "mugir", à "aboyer"... Il réussit à leur apprendre que ce sont Racanti et Storzzo qui l'ont accroché à la plante. Ces deux-là sont de l'équipe adverse qui se rend au trésor des Yapurés.

... Carranza s'étant approché de la plante, une de ses larges lanières s'étale sur lui. Il est aussitôt englué par l'épais liquide qui suinte du tentacule et accroché par les épines qui en garnissent les bords. Carranza cesse de se débattre, probablement asphyxié par les émanations distillées par la plante, pense Dunot. Quant à Garcia il s'est tu et ne bouge plus : mort !

Dunot réussit, après bien des efforts, à arracher le tentacule du tronc. Il lui faudra couper au couteau les épines incrustées dans le corps du gaucho, puis décoller littéralement Carranza du tentacule. Sauvé !

Nous quitterons ce lieu maudit à l'approche de la nuit. Puis ce sont les ténèbres.

"Marcel Dunot et Carranza, frémissants, virent que les petites fleurs qui couronnaient le sommet des étranges végétaux, au-dessus du point de fixation des "lanières" gluantes et crochues, devenaient phosphorescentes. Elles brillaient d'un éclat blafard, verdâtre, qui leur donnait une apparence fantomatique."

 

Plus que la forêt, le désert de cactus et même le marais aux vampires, la vallée des plantes cannibales est un espace fantastique, un fantastique vécu. L'arbre-cannibale n'est pas seulement l'être inquiétant à la puissance anonyme et indéterminée. Sa monstruosité est d'autant plus révoltante qu'elle participe du végétal et de l'animal. La sève visqueuse qu'il sécrète corrode et finit par dissoudre sa proie. Cette mort ne ressemble à aucune autre. Il ne reste même pas de cendres du corps martyrisé. La chair déchoit de façon scandaleuse et devient à son tour sève visqueuse.

 

... Le CHACO - désert de cactus, marais des vampires, vallée des arbres cannibales - c'est déjà loin. Maintes aventures attendent Dunot et Carranza en Bolivie. Comment en douter, l'Amérique du Sud n'est-elle pas connue pour ses coups d'Etat à répétition ?

... Nos deux amis continuent leur progression en direction des sources du Parapiti, là où se trouve le trésor. L'équipe adverse les précède au vu des traces qu'ils laissent de leur passage.

... Enfin, dans le lointain, les Andes... Nous empruntons un sentier... vallées au sol humide et marécageux, escalades d'interminables lacets, cols à demi-obstrués... quelques rares haciendas,... un torrent dont les pentes sont gravies.

"Dans l'ouest, au sommet d'une crête surplombant le plateau de plusieurs centaines de mètres, de gigantesques et étranges monuments se dessinaient sur le fond sombre des montagnes voisines, une formidable tour, de forme pyramidale, dont le sommet paraissait avoir été déchiqueté, dressait sa masse imposante à l'extrémité d'une sorte de terrasse où des pans de murailles subsistaient. Un peu plus loin, d'autres monuments, aussi massifs, aussi inattendus, s'estompaient, se confondaient presque avec la pente d'une montagne voisine."

C'est la "torre negra", la tour noire !

Et, à gauche, un pont à toutes petites arches. "C'est sûrement un temple inca" dira Carranza.

Dunot part en éclaireur... Un chemin où se succèdent fondrières boueuses et pierres énormes... Une muraille pyramidale épaisse de plus de deux mètres, faite "de gigantesques blocs de granit, posés simplement, sans aucun ciment, les uns au-dessus des autres." Des débris de statues grossières jonchent le sol. "Sur la muraille elle-même, des bas-reliefs" à peine visibles. Une large ouverture "qui avait dû être une porte", "une pierre formant linteau au-dessus de la porte" qui "devait peser plusieurs tonnes."

 

Jarwak, "l'ignoble traître", réapparaît. Il veut se venger de ses complices qui ont voulu l'assassiner. Il sait où se trouvent les trésors. Suivons-le avec Dunot et Carranza. L'aqueduc a été construit "dans les temps anciens, par les Incas... ou les Espagnols... et il est recouvert en grande partie par des éboulis de rochers" dira Jarwak.

L'entrée de l'aqueduc... une galerie de trois à quatre cents mètres... une salle... un puits... une autre galerie et enfin des cryptes.

Une fente dans le roc : engageons-nous-y. Une faille dont les parois sont très rapprochées. Une galerie... nous y trouvons "un énorme anneau d'or massif bizarrement ciselé" qui doit "bien peser quatre-vingts à cent grammes.". "Nous sommes sur le bon chemin !" souffle Marcel.

"La galerie, cependant, se rétrécissait. Elle décrivait un coude et, celui-ci passé, Marcel Dunot s'arrêta net, pétrifié.

Devant lui, c'était une grotte cylindro-ogivale, la forme de l'intérieur d'un obus. Une grotte dont la voûte pouvait bien être à une vingtaine de mètres du sol et dont le diamètre n'excédait pas douze mètres.

Etait-elle creusée dans un invraisemblable filon d'or pur ; un filon, une veine, comme il n'en a jamais existé ? On eût pu le croire ! Car ses parois étaient entièrement recouvertes du précieux métal ! Elles étaient profondément sculptées. Marcel Dunot distinguait des êtres étranges, des animaux à tête d'hommes, des hommes à têtes d'animaux...Des poissons à gueules de tigres, des crocodiles à museaux de pumas. Les monstres taillés dans de l'or pur, montraient tous des dents d'ivoire et des yeux d'émeraudes, qui brillaient étrangement sous le jet lumineux de la torche du roi des Boxeurs.

Et suspendu au centre de la haute voûte, un squelette humain s'apercevait, ses membres littéralement chargés d'anneaux d'or, de barres d'or et de toutes sortes d'objets, tous en or.

Le sol lui-même était recouvert de petites dalles d'or rondes, entre lesquelles une matière noire, translucide, avait été coulée."

Il semble à Carranza que l'un des bas-reliefs a bougé ou plutôt s'est légèrement détaché de la paroi. Carranza empoigne le bord supérieur et l'attire à lui. Elle s'abat sur le sol !

Dans une sorte de niche, des crânes humains "admirablement polis et entassés régulièrement." Carranza saisit l'un des crânes, qui glissant de sa main, s'abat sur le sol et éclate en laissant s'éparpiller autour de lui la poudre d'or dont il était plein."

... Mais nos adversaires arrivent par l'autre souterrain !

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Le roi des Boxeurs et Carranza sauveront leurs peaux, mais quelle bagarre ! Leurs ennemis périront...

Une fois sortis du souterrain, un tremblement de terre anéantira l'aqueduc. "L'aqueduc se tordait, ondulait, comme s'il eût été en pâte de guimauve ! Pendant une longue seconde, ses minces piliers, ses arches étroites, parurent s'étirer, se gondoler et, soudain, sa masse entière se lézarda, éclata, et s'écroula comme un château de cartes. Avec un épouvantable fracas, les énormes blocs de pierre, disjoints par la secousse sismique, furent projetés de tous côtés...

Et ce fut le silence ! de l'aqueduc, il ne restait plus rien, sinon des tas de pierres brisées qui jonchaient le fond de la vallée."

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Plus tard... Dunot à Carranza :

- Nous allons essayer de gagner La Paz d'où nous descendrons vers le Chili ! Et là, je prends le train pour Buenos-Aires ! Quant au trésor des Yapurés, si toutefois il existe encore des possibilités d'y arriver, je vous l'abandonne, mon vieux !

- Moi ? Je m'en moque, maintenant. Parlez-moi de retourner dans la Pampa, de vivre tranquille au milieu de mes troupeaux..."

Un rebondissement de dernière minute dans ce long épisode où Carranza laisse la vie !

"Marcel Dunot éclata en sanglots. Encore un de ses amis, un de ses meilleurs parmi ses compagnons d'aventures qui s'en allait...

Le trésor des Yapurés ! Quelle dérision ! ... Combien étaient morts pour sa possession !

[...] Machinalement Marcel Dunot regarda l'énorme et grossier anneau d'or, qu'il avait trouvé dans la galerie aboutissant à la crypte des idoles d'or, et qu'il avait passé à son doigt. C'était le seul souvenir qui lui restait de son entreprise.

D'un geste rageur, il l'arracha de son doigt et le jeta."

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Une nouvelle aventure attendait le roi des Boxeurs avec LE SECRET DE L'ESTANCIA.

 


 

 

3.22 - LE ROI DES BOXEURS ou

L'AVENTURE CHEZ JOSE MOSELLI.

Par Claude Hermier

 

Suivre Marcel Dunot dans ses aventures, c'est vivre aux antipodes du quotidien. Un monde où la médiocrité est exclue.

Le dessein de Moselli n'est rien moins que romantique. De lyrisme point. Les sentiments que sont la tendresse, la compassion sont, peu ou prou, étrangers à l'univers mosellien.

L'aspiration, le désir ne sont jamais satisfaits. Quand la chance pointe et vous fait engager au maximum de vos possibilités, quand la fortune est enfin à votre portée... un grain de sable, et c'en est fait, vous vous retrouvez à la case départ !

José Moselli ou l'absurde dans ses multiples variations.

A qui s'accrocher puisque tout est fuite ? Qu'y a-t-il de manifeste, de tangible sur cette Terre ? Mais, le mal, sous ses diverses manifestations : la convoitise, la méchanceté, la souffrance. A croire que ce sont les forces de régression qui régentent la vie. Confirmation nous en est donnée par la plupart des personnages qui gravitent dans le sillage de Marcel Dunot. Le mal semble, en effet, être une disposition innée chez eux. Le mal et son corollaire la lâcheté. Et leurs émanations : bassesse, cruauté.

Dunot constate. Homme de passion, non ! Ou si peu ! Il aide à se sortir d'un mauvais pas ceux que le hasard a placés sur sa route sans leur rien demander. L'intérêt lui est étranger. Sitôt sa mission terminée il s'éclipse. Il a fait ce qu'il pouvait. Inutile d'en faire une histoire. Sa force : le détachement. L'émotion, très peu pour lui, elle n'est souvent que faiblesse. L'action n'est, avec lui, jamais sublimée. Il est au-delà des passions. Ses atouts : fermeté, combativité, bon sens, générosité, pugnacité.

Si Moselli le fait pérégriner en terres lointaines, c'est que l'éloignement permet le déploiement d'aventures déroutantes liées au dépaysement. Aventures induites par les hommes et par le milieu. Il y a imbrication de l'espace géographique, du milieu humain et de l'action. Et non-juxtaposition, comme c'est assez courant dans le roman d'aventures.

Partir avec Dunot n'est pas une invitation au voyage, loin s'en faut. J'irais jusqu'à dire que c'est presque malgré nous que nous nous laissons entraîner vers d'insoupçonnables ailleurs. A la différence de bon nombre de ses contemporains, il ne nous fait pas miroiter des lointains dont nous reviendrons éblouis. Il ne fait pas non plus œuvre de pédagogue en ponctuant son récit de notes géographiques ou scientifiques, notes qui, sous certaines plumes, deviennent digressions.

Partir, c'est découvrir le monde. C'est aussi et surtout vivre des aventures séduisantes dont nous serons émerveillés, non ? Eh bien, présentement pas !

Ce qui intéresse Moselli, c'est l'aventure humaine. C'est la confrontation de l'homme avec un monde hostile.

L'océan, le désert, la forêt se définissent par l'action et sont autant de paysages emblématiques. Le Roi des Boxeurs lance défi sur défi à l'espace géographique qui n'est en fait que son émanation. Sa résistance physique autant que morale, sa détermination, sa volonté finiront par avoir raison des éléments.

Nous voguerons sur une mer traîtresse, à bord de bateaux déglingués, une mer furieuse qui se jouera de nous. Il y aura naufrage. Dunot restera des heures agrippé à une planche avant d'être recueilli... Aux escales nous ne descendrons pas dans des palaces, mais devrons nous contenter de peu reluisants et peu sûrs bouges, flanqués de gargotes malodorantes.

Nous ne traverserons pas le désert en caravanes bien approvisionnées en vivres et en eau, et à l'abri du soleil. Au vrai, le sable surgira de façon inopportune sans que nous y soyons préparés. Nous aurons alors à subir la chaleur bien au-delà du supportable, sans eau et sans points de repère.

Pas de sentiers à travers les forêts vierges et les jungles, ou si peu. Les sentes, de toutes façons, les éviter, car le primitif, toujours à l'affût, pourrait bien nous décocher ses flèches empoisonnées. C'est à la machette, le plus souvent, que nous nous ouvrirons un passage. Marche agrémentée par les piqûres de moustiques, vecteurs du paludisme, le mécontentement du serpent que nous aurons dérangé, les fondrières vaseuses.

La forêt, monde souterrain et ténébreux. Les arbres vivent ; les branches, les lianes vibrent mystérieusement. Domaine du glauque, du clair-obscur, où les fûts s'élèvent à de telles hauteurs que nous n'en distinguons plus le ciel. Nous nous y égarerons, et certains y perdront la raison, et même la vie.

Le roman d'aventures est action, c'est un truisme. Et le fait qu'il se déroule dans des régions souvent difficiles d'accès, dans un milieu différent, va engendrer immanquablement des événements violents. La nature y sera sans concession pour l'homme, et celui-ci dur pour son semblable.

Mais la fatalité n'a pas de sens pour Dunot. C'est que le milieu n'existe que dans la mesure où il l'affronte.

Les océans sont des tremplins qui permettent de parvenir à ces lointains inconnus. Pas seulement des tremplins, car ils sont partie intégrante de l'aventure. La mer est omniprésente dans "Le Roi des Boxeurs" comme d'ailleurs dans bon nombre de romans de Moselli. Il y a étroite liaison entre l'eau et les terres. Et les îles, nombreuses dans son œuvre, ne sont-elles pas sorties de l'océan, qu'elles soient hautes (volcaniques) ou basses (coralliennes) ? Cette égale tonalité entre les différents terrains de l'action est une des caractéristiques du roman Mosellien.

Un exemple de la pugnacité de Marcel Dunot : "La Prison de Charbon", fascicule 139 de juin 1928 (Aventures Inédites).

Marcel s'est laissé enfermer dans la soute à charbon de "l'Aloha", le yacht de Franck Flint, le "grand fabricant d'autos" de New-York. Il espère ainsi rejoindre plus facilement Pascal Senozan retenu prisonnier à bord du yacht et le délivrer. L'équivalent d'au moins cinq pages d'un livre de poche pour décrire le combat que Marcel doit livrer pour sortir de son enfermement.

"Etendu sur le charbon, il attendait patiemment. Il voulait agir vers le milieu de la nuit,... [...]

Lorsqu'il crut enfin le moment venu, il chercha à tâtons la plaque de fonte de forme circulaire qui fermait le "trou d'homme".

Il dut ramper sur la couche de charbon en frôlant le plafond de tôle.

Il trouva enfin la plaque.

Etendu sur le dos, il appuya contre elle ses deux paumes et poussa...

La plaque ne bougea pas,... [...]

Le Roi des Boxeurs, un peu étonné, renouvela sa tentative en redoublant de vigueur.

Il n'obtint aucun résultat.

L'inquiétude le prit. [...]

Il la tâta longuement et reconnut la vérité : la plaque était maintenue, à l'extérieur, par des écrous. Impossible de l'ouvrir à l'intérieur.

Marcel Dunot sentit un filet de sueur couler le long de son échine. Il était prisonnier dans la soute ! [...]

Il restait une seule issue : la porte qui faisait communiquer la soute avec la chaufferie. Mais Marcel Dunot était séparé de cette porte par une épaisseur de plus de quatre mètres de charbon ! [...]

Il se mit au travail. Dans les ténèbres, car il avait, par prudence et par économie, éteint son rat de cave, il fouilla le charbon de ses mains. Il n'avait pas d'outils... il rejeta autour de lui, à mesure, la poussière de houille. [...]

A de fréquents intervalles, des éboulements se produisaient, malgré tout le soin apporté par Marcel Dunot à construire sa muraille de blocs de charbon. Il devait aussitôt boucher les brèches, au risque d'être lui-même pris et écrasé sous l'avalanche de charbon [...]

Il avait foré dans la houille un puits profond de près de deux mètres.

La moitié de sa tâche était accomplie, mais c'était la moitié la plus facile, et de loin ! Car il lui fallait non seulement creuser dans l'épaisseur du charbon, mais aussi se débarrasser des déblais. Ces déblais, il devait les monter jusqu'à l'orifice du puits et les éparpiller ensuite le plus possible. Car il n'existait qu'un vide d'un mètre à peine entre la partie supérieure de la couche de charbon et le plafond de la soute.

Marcel Dunot devait remplir sa chemise, qu'il avait retirée, avec les déblais et remonter ces déblais à la surface, sans faire ébouler les fragiles parois du puits... [...]

Lui-même se sentait affamé, assoiffé, affaibli. Sa langue était dure comme un morceau de bois [...]

Pendant des heures et des heures, il s'acharna, creusant le charbon de ses mains dont les ongles arrachés saignaient... [...]

Soudain il sentit la houille s'enfoncer sous lui [...] Il culbuta et fut entraîné pêle-mêle avec une avalanche de charbon en poudre et en morceaux.

Aveuglé, étourdi, assommé, il se débattit au hasard, sans savoir ce qu'il faisait.

Sa tête heurta une surface dure, avec une telle violence qu'il lâcha un cri de douleur.

Il sentit qu'il étouffait. Il essaya de se dégager, mais le charbon l'enserrait, l'écrasait de toutes parts. Il pensa que le puits qu'il avait creusé s'était éboulé sur lui, qu'il était perdu.

Avec sa belle vaillance, il se secoua, se démena, rua, se contorsionna. La gangue de charbon qui l'enserrait ne céda pas. Il voulut respirer ; une poignée de poussière de charbon lui emplit la bouche.

D'un effort désespéré, il essaya encore de lutter. Il sentit qu'une de ses jambes s'agitait dans le vide. Il secoua, d'un formidable sursaut des reins, la gangue terreuse qui le broyait...

De nouveau, il glissa en avant, parmi la poussière et les blocs de houille et, d'un coup, roula brusquement dans le vide. [...]

Il essaya de comprendre où il était, et, finalement, constata qu'il se trouvait dans une soute située sous celle où il s'était malencontreusement caché.

Cette soute, qui devait communiquer avec la chaufferie, était seulement à demi-pleine. La lampe qu'apercevait le roi des Boxeurs appartenait évidemment un soutier, lequel devait être dans la chaufferie."

 

Naufragé, Dunot le sera maintes fois. Seul au milieu de la fureur océane ou avec un ou plusieurs camarades qui, faut-il le dire, sans lui, seraient noyés depuis longtemps.

C'est pour Moselli l'opportunité de malmener ses personnages comme jamais.

Et il s'en donne à cœur joie, façon de parler, comme en témoigne la richesse de son vocabulaire : tourbillons furieux, lames monstrueuses, gouffre béant, montagnes d'eau mugissantes, véritables précipices, pesantes masses d'eau, abîmes liquides, formidables lames casquées d'écume bouillonnante.

Le naufragé Dunot est haletant, assourdi, aveuglé ; son corps est durci par le froid, ses membres sont tordus par le froid, figés, rigides.

Ainsi le schooner "Margaret" sombre au cours d'une tempête non loin de l'île d'Espirito Santo. Une vague emporte Dunot ainsi que Pierre Cordier, son compagnon du moment.

"Les Trésors du galion" n° 230 (Aventures Inédites).

Dunot vient de saisir Cordier devenu fou. "Sans lâcher son fardeau humain, il se débattit. Il se sentit rouler, culbuter, enfoncer. [...] Il était pris parmi de violents tourbillons et le poids inerte de Pierre Cordier le privait de la liberté de ses mouvements.

A bout de souffle, il avala involontairement une forte quantité d'eau salée. Il cracha, s'ébroua. Devant ses yeux passèrent des nuages rouges, cependant qu'un bourdonnement violent faisait résonner ses tympans. C'était la fin.

Mais il lutta encore !

Dents serrées, tous ses membres raidis, il s'efforça de remonter vers la surface, vers la vie. Il se sentit soudain soulever : d'une ruade où il mit tout ce qui lui restait d'énergie, il accéléra sa montée, et, brusquement, il eut la sensation que sa tête émergeait. [...] Un paquet d'eau le gifla furieusement [...]

Pendant des heures et des heures, il lutta sauvagement [... ]

 

Malgré sa prodigieuse vigueur, il se sentait faiblir. Par instants, de légères crampes raidissaient ses muscles, l'avertissant qu'il ne pourrait plus lutter longtemps avec l'ankylose. Il le comprenait. Mais il voulait tenir jusqu'au bout.

Bientôt la mer ne fut plus qu'une cuve bouillonnante... [...]

Sa fatigue croissait. Tout son corps lui faisait mal... [...]

Et enfin, ce fut le jour... [...]

Mais Marcel Dunot reconnut qu'il était à moins de cinq cents mètres de terre ! ... Il lui sembla que toutes ses forces revenaient. Rageusement il fonça vers la côte. Crachant, bavant, toussant, les yeux brûlés par le sel, les membres glacés par la fatigue, il avança.

Ces cinq cents mètres, il les franchit en une heure d'effroyables efforts. "

 

Dunot ! Un homme qui est revenu de tout.

Ainsi, la justice n'est-elle le plus souvent qu'un mot vide de sens, bafouée même. Avocats, juges,... sont la plupart du temps des malandrins ne cherchant qu'à tirer profit de leur sinécure.

"La Chaise électrique" n° 148 des "Aventures Inédites".

Marcel est accusé de crimes tels, qu'il est passible de mort par électrisation. L'administration lui désigne un avocat, Maître Borcy, "l'un des meilleurs avocats de Charleston" selon le juge.

"Il était grand et maigre comme un échalas. Son visage anguleux au nez énorme, à la bouche fendue jusqu'aux oreilles, aux petits yeux chassieux bordés de rouge, avait une expression de ruse et de cynisme intense."

A Marcel : " - Vous avez de l'argent ? [...] Des dollars, des francs, des sterling ! Je ne pense pas que vous ayez commis tous ces crimes sans rien y gagner [...]

Je sais ! ... Je sais ! ... Tous mes clients sont innocents ! ... On dit ça au jury ! Ça fait bien ! Il faut toujours nier ! C'est ma devise ! [...] Je pense vous défendre, moi ! ... Mais il faut de l'argent ! ... [...] Les habits des morts n'ont pas de poches !

Dites-moi où vous avez mis l'argent ! Discrétion d'honneur !

- Je suis innocent. C'est tout ! [...] Faites-vous ouvrir la porte et déguerpissez ! Ce n'est pas un mercanti que j'ai demandé, c'est un avocat ! ..."

 

Borcy plaide : " - Mon client est certainement coupable ! Mais pas responsable ! C'est un malheureux dégénéré comme il y en a tant en France.

- Assez ! Fermez ça ! Vous êtes un escroc qui m'avez demandé, pour me défendre, de vous dire où j'avais caché l'argent de mes crimes ! ... Franck Flint est un bandit ! Il est riche, je ne le suis pas ; Il voulait me perdre. Il a réussi..."

Dans la salle on murmure : " Il a une bonne tête. Il a l'air franc. Après tout Franck Flint n'est pas un ange... Il n'a pas tant de scrupules ! ...

Le Français dit peut-être la vérité ! ...

Et maître Borcy ! ... Une belle canaille ! ... On dit qu'il a touché dix mille dollars de Franck Flint..."

... Dunot est condamné à mort.

Borcy revient à la charge. Son "client" le fait marcher en lui parlant d'une très importante somme d'argent qu'il désire laisser à l'un de ses oncles, quelques milliers de dollars.

"- Où sont-ils ces dollars ?

- Je vous le dirai avant de monter sur la chaise électrique !"

Arrive le moment de l'expiation : " - Je suis prêt à entendre vos dernières volontés ! Où sont ces dollars ? [...]

- Eh bien, j'ai confié cinq mille dollars à... Attendez !

Un cri s'éleva : Marcel Dunot d'une détente de ses formidables muscles, venait de faire éclater les chaînettes d'acier qui enserraient ses poignets. Son poing, pareil à un marteau qui frappe une enclume, s'abattit sur les mâchoires de l'avocat qui tomba en hurlant."

 

Les scènes horrifiques sont nombreuses dans l'univers mosellien. Elles sous-tendent l'action et répondent aux impitoyables caprices naturels. Mais, qui est à noter, elles ne participent pas toujours de l'émotion, l'observation est, en quelque sorte, objective.

Pour estimer ces séquences souvent hallucinantes, mettre sur la touche toute compassion. C'est alors un sentiment d'étrangeté qui nous gagne. Il n'est d'ailleurs pas certain que Moselli voulut choquer ses jeunes lecteurs, mais bien plutôt les impressionner.

L'horreur, débarrassée de toute dépendance, devient plaisir esthétique.

Si le romancier exploite ce qu'il y a de plus ténébreux chez l'homme, c'est qu'il y trouve matière à stimuler l'action.

Ce déchaînement est l'œuvre d'un conteur.

Une esthétique de l'horreur qui participe de la tragédie.

Nous sommes dans le sud de la Chine.

 

Dunot, son compagnon Senozan et Mrs Blair-Storck, la femme d'un richissime américain, viennent de s'échapper des griffes de Madame Eventail, "femme-pirate". Harassés, ils désespèrent de trouver un village où manger et se reposer, quand ils distinguent enfin, dans le lointain, quelques lumières, des lumières qui bougent.

 

"La Cité maudite", fascicule n° 193, de juillet 1929 (Aventures Inédites).

Les lumières, cependant, continuaient à se rapprocher des deux hommes, sans qu'ils pussent comprendre ce qui se passait.

Ils finirent par distinguer des silhouettes humaines, qui portaient des lanternes de papier...

Ces silhouettes furent bientôt assez proches pour que Marcel Dunot et son ami pussent en apercevoir les détails : des êtres rabougris, recroquevillés, dont certains s'appuyaient sur des bâtons de bambou, dont d'autres avaient la tête enveloppée de loques noirâtres... La plupart étaient pieds nus... Mais plusieurs n'avaient qu'une jambe et s'appuyaient sur d'informes béquilles... D'autres, qui avaient les jambes en cerceau, sautelaient comme des crapauds...

Et pas un bruit. Les bizarres individus avançaient comme des ombres sans heurter le moindre caillou, sans produire un simple crissement...

Marcel Dunot et Senozan étaient braves. Ils l'avaient prouvé. Pourtant, ils échangèrent un regard de véritable angoisse.

Et, soudain, les inconnus furent sur eux, formant un cercle horrible...

Plusieurs, toujours sans bruit, brandirent leurs misérables lanternes, les élevèrent à la hauteur de leurs visages, de ce qui leur servait de visage...

Mrs. Blair-Storck poussa un cri strident.

Dans le lointain, le gong résonna lugubrement.

Marcel Dunot et Senozan, immobiles, regardaient les êtres qu'ils avaient devant eux ! ... Les uns n'avaient plus de visage : à la place des yeux, des cavités noires et sanguinolentes ; deux trous remplaçaient le nez. La bouche, sans lèvres, laissait voir les dents et les gencives...

D'autres, à la place d'un bras ou des deux, n'avaient plus que des moignons entourés de bandelettes...

Certains, qui n'avaient plus de jambes, étaient juchés sur de grossières échasses de bambou...

Il y en avait qui possédaient encore deux yeux, deux yeux au-dessus desquels le front s'était boursouflé, couvert de croûtes ; et, de chaque côté de leur visage hideux, les joues, le cou s'étaient gonflés et formaient deux renflements pareils à ceux qu'ont les félins...

Et venaient d'autres misérables, dont les pieds s'étaient enflés, noircis, recouverts de croûtes et d'ulcères, dont les ongles avaient poussé monstrueusement...

- A moi ! A moi ! Help ! Help ! hurla Mrs. Blair-Storck, folle de terreur et d'épouvante.

Elle s'était dressée de la civière et haletait.

- Des lépreux ! murmura Marcel Dunot, reprenant son sang-froid.

Un ricanement lui répondit. Un des monstres, dont les pieds étaient devenus d'énormes moignons noirs, dont les mains desséchées laissaient voir leur squelette, s'approcha des deux amis. Il tenait d'une main une lanterne de bois, faite d'un nœud de bambou dans lequel brûlait une mèche de coton trempant dans une vieille boîte de conserve pleine de graisse, et de l'autre un tibia humain...

Ses petits yeux, du fond de leurs orbites, dardaient deux lueurs rouges, pareilles à des charbons ardents...

- Money, articula-t-il. Plenty money ! (De l'argent ! Beaucoup d'argent !)

- Money ! répéta un autre lépreux, qui n'avait qu'une jambe, celui-là, et qui s'appuyait sur une béquille.

Il tendit vers les deux amis un plat de porcelaine sans prix, mais qui était fêlée.

- Money ! Money ! Plenty money ! glapirent, meuglèrent, bavèrent, sifflèrent, éructèrent, crachèrent, aboyèrent les autres lépreux.

- Money ! Money ! Plenty money ! répéta le monstre qui tenait le plat de porcelaine.

Quatre lépreux, d'une taille plus haute que leurs congénères, s'approchèrent.

Leurs crânes, recouverts d'ulcères, étaient horribles à voir et défiaient toute description.

Deux tenaient en main un poignard ; les deux autres brandissaient chacun un coupe-coupe. Un ricanement affreux entrouvrait leurs bouches édentées :

- Money ! glapirent-ils ensemble. Money ! ... Ou bien nous, faire prisonniers vous... nous donner lèpre ! Lèpre, pas guérir ! ... Donner money !

Le cercle des lépreux, entre-temps, s'était encore épaissi. Ils étaient bien cent cinquante maintenant, cent cinquante monstres, sautelant et gesticulant, se pressant les uns contre les autres : les aveugles interpellant ceux qui voyaient, les boiteux, les culs-de-jatte s'appuyant sur ceux qui pouvaient se tenir debout...

Et tous étaient armés, soit d'un couteau ébréché, d'un poignard, d'un soc de charrue rouillé, d'une faucille, d'une scie édentée, d'une baïonnette...

Ils grouillaient comme des crabes dans un panier... Certains poussaient de petits gémissements ou faisaient entendre des croassements, des grognements qui n'ont de nom dans aucune langue. Leurs lanternes tremblotantes les éclairaient fantastiquement, ajoutant encore à l'horreur de cette scène.

- Nous n'avons pas d'argent. Faut leur rentrer dedans ou nous sommes finis ! articula Marcel Dunot. Je vais en assommer trois ou quatre ! ...

"Vous, attendez ! Quand ils seront par terre, prenez la faux du gros qui est là, vous le voyez ?

- Oui... Mais...

- Bon. Une fois que vous aurez sa faux, servez-vous-en ! Et du cran, hein ?

Le sinistre gong, de nouveau, retentit.

- Money ! Plenty money ! bavèrent les lépreux.

- Attention ! gronda Marcel qui, se retournant, bondit vers la lourde civière de bambou, l'empoigna par une de ses extrémités et, la soulevant, l'abattit sur les lépreux les plus proches de lui.

Deux furent assommés du même coup...

Une tempête de glapissements, de hurlements, retentit... Marcel Dunot, maniant la lourde civière comme un fléau gigantesque, écrasa coup sur coup une demi-douzaine de monstres, dont celui qui tenait la faux.

Cris et aboiements redoublèrent, cependant que les lépreux, pris de panique, se dispersaient en sautelant...

Avant que Senozan ait pu se servir de la faux qu'il avait aussitôt saisie, il n'y eut plus devant lui que des misérables abattus par le roi des Boxeurs, qui s'agitaient sur le sol comme des reptiles écrasés...

- Les dégoûtants ! murmura Marcel Dunot. Ne les touchez pas, Senozan : ça s'attrape, la lèpre ! ... Pas toujours, mais trop de précautions ne nuisent pas ! ... Et l'Américaine ?

Il se retourna et aperçut, à une trentaine de mètres du "champ de bataille", le corps inanimé de Mrs Blair-Storck. La grosse femme, incapable de supporter l'affreux spectacle des lépreux déchaînés, s'était évanouie.

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Les deux amis entreprirent de ranimer la malheureuse femme. Ce ne fut qu'après l'avoir fortement secouée, qu'ils réussirent à lui faire reprendre ses sens.

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Les deux amis la prirent chacun par un bras et l'entraînèrent dans la direction des bizarres petits monuments qu'ils avaient aperçus au-dessus de la muraille en ruines.

Pour ménager sa sensibilité, ils décrivirent un grand crochet, afin de ne pas passer près des lépreux abattus par Marcel Dunot.

Les autres - ceux qui avaient fui - n'étaient plus visibles. Ils semblaient être rentrés sous terre. Quelques-unes des lanternes échappées aux mains des monstres continuaient à brûler, renversées sur le sol.

En quelques instants, les deux amis atteignirent la mystérieuse muraille, sans que Mrs Blair-Storck, qui se laissait porter plutôt qu'elle ne marchait, eût prononcé un seul mot.

Marcel Dunot, laissant la grosse femme à la garde de Senozan, escalada un pan de muraille et vit devant lui les petites pagodes, dont certaines étaient presque neuves et dont d'autres tombaient en ruines.

Elles étaient de toutes grandeurs et affectaient toutes les formes : il y en avait en marbre, en stuc, en briques de porcelaine. Mais tout semblait indiquer qu'elles étaient inhabitées. Aucune lumière à travers leurs ouvertures, portes ou fenêtres. Et, entre elles, personne...

- Ça m'a l'air d'un village abandonné ! fit Marcel Dunot, après avoir rejoint Senozan.

De l'autre côté du mur, entre les bizarres pagodes, d'anciennes allées se voyaient encore, bordées, de loin en loin, par des monstres de pierre ou de faïence en formes de chiens ou de lions grimaçants, de chimères ou de dragons, qui, dans l'ombre, à la clarté des étoiles, prenaient des proportions fantastiques.

Mrs Blair-Storck poussa un petit cri de frayeur :

- Un tigre ! s'exclama-t-elle.

- Oui, fit Marcel Dunot, mais il est en porcelaine : ne vous en faites pas, mistress !

Vexée, la grosse femme ne répondit pas.

Marcel et Senozan, avançant sans bruit, purent constater que les portes des pagodes, lorsqu'elles n'avaient pas été enlevées ou arrachées, étaient fendues ou effondrées ; leurs ornements de métal n'existaient plus...

- Mais... c'est un cimetière ! murmura soudain le roi des Boxeurs.

Dans le ciel nuageux, la lune venait d'apparaître et lui permettait de voir l'intérieur d'un des étranges monuments : les dalles soulevées par les racines, laissaient à découvert un crâne et des ossements enveloppés de bandelettes d'une étoffe lamée d'argent, dont seuls les fils métalliques subsistaient.

Au-dessus de ces restes macabres, sur une sorte d'autel en laque rouge rongée par les acides de l'air, une statue en bois dédoré, dont la tête manquait, luisait dans l'ombre.

Devant elle, auprès des ossements, des tablettes de bois laqué, gisaient les tablettes des Ancêtres, où sont mentionnés leurs noms, leurs titres, leurs vertus : car tous les Ancêtres chinois sont vertueux ! ...

- Un cimetière ! s'exclamait Mrs. Blair-Storck, retrouvant soudain la parole. Oh ! C'est affreux ! ... Emmenez-moi tout de suite ! ... Je suis si sensible ! ... Je vais être malade, gentlemen ! Partons vite ! ... Je vous...

Une détonation sourde la fit s'interrompre. Une balle, sifflant au-dessus des têtes des fugitifs, alla s'écraser contre la paroi de la pagode devant laquelle ils se trouvaient.

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A travers la porte béante, le roi des Boxeurs put distinguer des ombres qui rampaient entre les pagodes voisines. Il comprit : c'étaient les lépreux qui revenaient à la charge ! Ils avaient apporté des armes à feu, cette fois, pour pouvoir attaquer de loin ! ...

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Les lépreux demeuraient toujours invisibles, mais ils n'étaient pas loin et devaient entourer de toutes parts la pagode en ruines car, soudain, une volée de balles jaillit de plusieurs points différents. Les projectiles, passant au-dessus de la tête des deux amis, ricochèrent contre les murailles...

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Les lépreux durent bientôt se convaincre de l'inutilité de leur mitraillade, car, insensiblement, leur tir se fit moins nourri et finit par cesser tout à fait.

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- Mais qu'est-ce qu'ils font ? gronda soudain Marcel Dunot qui, au risque d'être fusillé à bout portant, avança sa tête au dehors.

Tout près de la petite pagode, à moins de trois mètres de la porte, il distinguait une masse noire, une sorte de buisson qu'il n'avait pas encore vu ! ... Etait-ce quelque abri mouvant derrière lequel les lépreux espéraient s'approcher sans être aperçus ?

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Senozan, soudain, comprit : une formidable lueur rouge venait de jaillir du mystérieux buisson. En un clin d'œil, les flammes entourèrent la petite pagode. De toutes parts, des amas d'herbes sèches, de branches mortes avaient été apportés par les lépreux, sans que les fugitifs s'en aperçussent et ils flambaient...

Les bouffées de brise qui soufflaient par moments, activaient les flammes et faisaient voler de tous côtés des brindilles en feu...

La pagode qui servait de refuge à Marcel Dunot, à Senozan et à l'Américaine allait flamber d'un moment à l'autre.

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Ils réussirent à sortir de la pagode en flammes... Pour se réfugier dans une autre pagode. Mais comment s'échapper de cet enfer ?

"Les Jarres de la mort" qui fait suite à "La Cité maudite".

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Les Chinois sont patients. Et ceux-là savaient que les assiégés ne pouvaient rien contre eux, n'ayant pas d'armes. Ils étaient donc certains d'en venir à bout, tôt ou tard...

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Autour de lui, les ténèbres. Il avança au hasard, les mains en avant, ne posant son pied qu'après s'être assuré que le sol était solide.

Il franchit quelques mètres et, brusquement, se heurta à un objet rond, renflé, qu'il tâta. Il reconnut que c'était une jarre de terre, haute d'environ soixante-dix centimètres et d'un diamètre un peu moindre. Elle était bouchée, cachetée avec une sorte de laque vernissée. Que contenait-elle ? Pas des trésors, certainement ! Les lépreux devaient venir dans cette pagode et ils connaissaient sûrement l'existence de cette jarre...

Marcel Dunot continuant ses investigations, constata que la jarre n'était pas seule...Il y en avait des dizaines et des dizaines, alignées sur plusieurs rangs, les unes contre les autres. Elles paraissaient toutes semblables, au toucher.

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Arrivé sur la terrasse, Marcel Dunot, sans trop de douceur - car le temps était précieux ! - déposa Mrs. Blair-Storck sur les dalles de briques, puis, saisissant une jarre, il l'éleva à bout de bras au-dessus de sa tête et s'élança vers la balustrade...

Les lépreux le virent. Un concert de hurlements ignobles salua son apparition...

Marcel, de toutes ses forces, précipita la jarre dans les rangs serrés des monstres...

Il y eut des cris, des râles, un choc sourd suivi du fracas de la poterie se brisant en éclats.

Senozan, qui avait suivi Marcel Dunot, poussa un cri d'horreur : de la jarre brisée s'éparpillaient des crânes humains, des ossements, qui se répandaient en pluie sur les misérables lépreux...

Marcel, déjà, avait saisi une autre jarre.

Senozan l'imita.

Les deux lourds vaisseaux de terre allèrent s'écraser sur le sol avec un double claquement, cependant que leur contenu jaillissait de toutes parts...

Les lépreux n'étaient plus là... Ils fuyaient, en proie à une épouvante indescriptible... Marcel Dunot et Senozan, cependant, eurent encore le temps de lancer une cinquième et une sixième jarres qui écrasèrent deux des retardataires, des unijambistes, lesquels furent littéralement aspergés de débris humains...

En quelques secondes, les alentours de la sinistre pagode furent déserts.

 

Dans "La Tour de la faim" et "Les Cannibales Blancs" n° 244 de juin 1930 et n° 245 de juillet 1930 (AVENTURES INEDITES), Moselli pose le problème de la faim - en termes d'anthropophagie et non de cannibalisme - avec une acuité peut-être jamais atteinte, car c'est le fait de Blancs.

L'homme qui a faim est l'égal de la bête. Jugera-t-on un carnassier tel que le lion dévorant l'antilope ? Y a-t-il mal à cela ?

Moselli est un romancier naturaliste. Ce qui explique sa démesure, la longueur de ses descriptions, la durée de l'événement. Ce qui explique son apparent manque de pudeur : un chat est un chat. Proche du lecteur, proche de ses personnages, il use d'un vocabulaire familier. Son style est voisin de celui du langage parlé, aussi ne soyons pas surpris de la crudité des propos de certains individus qui gravitent dans le sillage de Marcel Dunot.

Romancier naturaliste... Le Bien, le Mal ! Quelle signification ? La nature n'est pas manichéenne. Indifférente, elle est. Rien de conceptuel, de conventionnel dans la nature. Elle engendre la vie pour la détruire impunément. L'idée de justice, c'est l'affaire de l'homme. Et pas de n'importe lequel car encore faut-il qu'il soit sage, noble, généreux.

Marcel Dunot est celui-là.

 

Le Roi des Boxeurs retrouve dans une tour de pierre d'anciennes connaissances - des matelots - peu reluisants. L'édifice est assiégé par des Chinois.

Les matelots ont faim, très faim, et soif, très soif.

Un pressentiment fait que Dunot demande à visiter les lieux.

"- Il faut que je voie comment on est installé.

[...] Marcel Dunot renifla. Une odeur fétide, mais caractéristique, arrivait à ses narines. Il la reconnaissait, cette sinistre odeur. Une horrible pensée traversa son cerveau....

[...] La puanteur devenait épouvantable.

[...] A trois pas de lui, éclairés par les rais de lumière passant à travers la meurtrière, des débris humains étaient étalés - étalés était le mot - sur des lambeaux d'étoffe. Un thorax, avec des côtes, un bras, deux jambes dont les pieds avaient été sectionnés au ras des chevilles. Et, plus loin, d'autres débris, des viscères, une tête, étaient à demi enterrés sous les pierrailles.

Non loin de cette boucherie, des vêtements ensanglantés gisaient sur un tas de décombres. Marcel, domptant sa répulsion, s'en approcha ; Il écarta les gravats et vit une casquette de toile kaki à passepoil rouge, une casquette remarquable... Cette casquette, Marcel Dunot l'avait vue,... , sur la tête de Bert Fudge,...C'était donc les restes du petit Irlandais qui étaient là.

[...] - C'est Fudge, hein ?

- Oui, je crois !

- Non. Tu ne le crois pas. Tu le sais ! ...

- Oh ! On ne l'a pas assassiné ! ... Il a été blessé par les Chinois... et il est mort... alors... comme on avait faim... on a été obligé... de... de...

Quand on a vu que Fudge était mort, on a d'abord voulu se débarrasser du corps... parce que... avec la chaleur... oui. Mais... après, on a pensé... enfin on avait tellement faim... alors... on a... on en a mangé !

- Qui l'a dépecé ?

- C'est Iskander !

- Et qui l'a achevé ?

- Oh ! ... On ne l'a pas achevé ! ... Il était mort !

- Non. Il n'était pas mort ! ... On l'a achevé ! ... Qui ?...

- Mais on ne l'a pas achevé ! ... il ne bougeait plus ! ... Alors Iskander... qui sait découper les viandes... il l'a ouvert... La preuve qu'il était mort, c'est qu'il n'a pas crié ! On l'a descendu ici... au frais... Quoi ! Il fallait bien vivre... et puis, qu'est-ce que ça peut lui faire à Fudge, puisqu'il est mort ? [...]

 

- Prends-moi des pierres ! Et couvre-moi ces débris ! [...]

- Mais qu'est-ce qu'on va manger, alors ?"

 

Dialogue entre Bostiff et Harsh Bamley.

" - Et alors ? glapit enfin Bostiff... N'y a rien à boire ici non plus ! ... Rien ! ... On va tous crever ! ... [...]

- Oh ! Assez ! ... Je sais ce que je dis, peut-être ? Tu devrais avoir honte, failli chien galeux que tu es !

- Moins galeux que toi, porc, vagabond, laveur de vaisselle, dégoûtant, balayeur de poulains, évadé de pénitencier, sa...

- Oh ! ... Je vais le tuer ! ... hoqueta Harsh Bamley, hors de lui."

Ces termes argotiques, ce langage vulgaire, sont celui de la brute et ne font que souligner l'état de tension du moment.

Dunot renonce à faire comprendre à Bostiff et à ses semblables l'ignominie de leur conduite, c'est qu'il a sur eux la supériorité de l'aristocrate, la noblesse du chevalier. Il sait ne pas être l'égal de ces rustres. Il sait leur être supérieur. Et tous se plient à sa volonté, car il jouit d'une autocratie qu'ils se gardent bien de discuter. Ainsi quand Dunot demande à Bostiff de recouvrir de pierres les restes de Fudge.

" - Mais... je... les autres... [...] Mais qu'est-ce qu'on va manger alors ? [...] Et qu'est-ce qu'on mangera en attendant ?

- On ne mangera rien, puisqu'il n'y a rien à manger ! Mais cette nuit plusieurs d'entre nous exécuteront une sortie et tenteront de trouver des vivres.

- Ils auront de la veine, alors ! ricana le borgne gallois, Michaël Horseman.

- Silence ! Je sais ce que je dis ! [...] A l'ouvrage ! ...

Des grognements sourds accueillirent ces paroles. Les hommes se regardèrent, mais sans oser protester. Ils avaient appris à connaître le prétendu Gilpong (c'est le nom sous lequel est connu Dunot)"

 

Au départ de chaque aventure du "Roi des Boxeurs", un, ou des affairistes, sans scrupules qui tenteront d'arriver à leurs fins par tous les moyens : séquestrations, tortures, assassinats.

 

Un exemple. Du n° 136bis "Monsieur Eusèbe Lochon 1013" au n° 200 "Le Rendez-vous de Trincomalec" (Aventures Inédites) nous sont contés les démêlés, si l'on peut dire, du chimiste Pascal Senozan avec le magnat du caoutchouc Matias Landers et le grand constructeur d'automobiles Franck Flint.

Senozan a mis au point un caoutchouc synthétique dont Landers désire obtenir la formule car l'invention du caoutchouc artificiel le ruinerait. Une fois en sa possession il peut, soit la détruire, soit empêcher ses concurrents de l'utiliser. Quant à Franck Flint, en plus des voitures, il fabrique des pneumatiques, aussi l'affaire du caoutchouc de synthèse l'intéresse-t-elle au plus haut point.

... Senozan est enlevé et enfermé à bord du yacht, "L'ALOHA", de F. Flint. Ce dernier et son homme à tout faire, le boxeur Smashing-Smith, une brute, le torturent afin de lui extorquer la formule, la première formule précisons, qui est entre les mains de Landers. La deuxième formule c'est Flint qui l'a enlevée au chimiste.

... On torture Senozan... Dunot entend "un hurlement horrible, de ces hurlements qui ne s'entendent que sur les champs de bataille ou dans une salle de torture. Mais un nouvel hurlement, plus épouvantable si possible que le premier, frappa ses oreilles. Et les hurlements reprirent...

- Je... je vous jure que c'est Matias Landers qui a la première formule ! ... Desserrez...

- Nous avons le temps ! ... Donnez-moi cette formule, d'abord ! ...ordonna une voix âpre et coupante.

- Mais vous savez bien... que je ne le peux pas ! ... Grâce ! Assez ! ... [...] une nouvelle clameur d'épouvantable souffrance s'entendit. Puis plus rien, le silence.

- Le rascal est dans les pommes ! Faut-il le ranimer, boss ?

- Non. Pas pour le moment. Laissez-le souffler, Smith ! ...Il faut lui laisser cuver sa douleur... Pas trop à la fois ! ... Il s'y habituerait ! ..."

 

La fin des deux magnats.

Matias Landers, le sternum enfoncé par le poing gauche de Dunot, sent la mort approcher. Son secrétaire Eusèbe Lochon, lui aussi, a été bien amoché... Nous sommes quelque part en Birmanie dans la salle de bains du labyrinthe secret proche de la factorerie de Landers.

Dans la salle de bains, un coffre-fort contenant près de deux cent mille livres sterling.

Lochon : "- J'ai besoin d'argent ! Sinon... [...]

- Sinon, cela me prouverait que vous me voulez du mal et je vous empêcherais de m'en faire ! "

 

Le chiffre du coffre lui est donné... " Il attira la porte du coffre à lui. Un jet de flammes violettes jaillit,...Le coffre-fort était garni de deux combinaisons. La bonne devait permettre de l'ouvrir. La mauvaise, celle que le mourant avait indiquée à Eusèbe Lochon, devait provoquer la déflagration d'un puissant explosif destiné à anéantir la factorerie avec tous ceux qu'elle contenait !"

 

C'est dans "Le châtiment des mercantis" n° 188 de juin 1929 (Aventures Inédites) que Franck Flint terminera ses jours.

Le cargo "Pensacola". A son bord Flint et son comparse Spring. Les matelots - "un équipage de forbans" - ont à se venger.

" Des hurlements joyeux, venant de l'arrière du navire, retentirent soudain.

- Ah ! Les v'là ! On va rire ! ...

- Hein ! S'il les larde ! ...

- Les porcs, qui voulaient nous faire couper la tête par les Chinois ! ...

- Yep ! ... On dirait qu'il va éclater ! ... (il s'agit de Spring). Ils lui ont attaché un fanal autour du cou ! Ça doit le brûler ! ... [...]

Marcel put voir Franck Flint et Spring, qui, les mains liées derrière leurs dos, avançaient en titubant, suivis, entourés d'une meute en délire.

Les hommes les lardaient avec la pointe de leurs couteaux, les giflaient, leur crachaient au visage,...

Spring portait, sur sa poitrine, un gros fanal de cuivre dont la chaleur lui brûlait le menton...

Franck Flint avait été coiffé d'une marmite en aluminium dont le fond était recouvert d'une épaisse couche de suie. A chaque pas qu'il faisait, les bandits frappaient du poing sur la marmite qui s'enfonçait à mesure, coupant et arrachant les oreilles du constructeur d'automobiles dont le cou était rouge de sang. [...]

Les hommes d'équipage se vengeaient."

Scène où la sauvagerie et la dérision se mêlent avec une belle intensité. Qui, tout en ne nous laissant aucune échappatoire, nous jette néanmoins hors de nous-mêmes. Tyrans et redresseurs de torts, ces bandits s'apparentent aux anges exterminateurs. Ils n'auront de cesse d'avoir fait disparaître l'objet de leur haine.

La souffrance des deux suppliciés les mène vers la voie de la purification par le feu.

" Hemmer ! ... Amène ici la chaîne du mât de charge ! ... [...]

Cette chaîne fut déroulée jusqu'à ce que le crochet touchât le pont.

Deux hommes passèrent une élingue en fil d'acier autour de la taille de Franck Flint et de Spring.

Un autre vida le contenu d'une grosse touque de fer-blanc sur les vêtements des misérables."

Ils demandent grâce. Immense éclat de rire !

"Marcel entendit le cliquetis d'un moteur. Il vit la chaîne de fer se tendre, soulever Franck Flint et Spring qui furent bientôt suspendus au-dessus du pont comme deux moutons, bras, têtes et jambes pendantes..."

Les rires redoublent. Les suppliciés gigotent.

"Le chef des bandits, tirant un briquet de sa poche, en fit jaillir une flamme et le lança sur les suppliciés..."

Hurlements des infortunés. Et, à nouveau, rires des énergumènes.

"Franck Flint et Spring continuaient à se tordre dans les flammes."

 

La boxe fut, sans doute, l'un des sports préférés de José Moselli. Marcel Dunot, c'est un peu Georges Carpentier, me disait dans les années '70 un Chasseur d'Illustrés. A l'égal de pas mal de Français, la défaite du célèbre boxeur français au cours d'un combat avec le Noir américain Dempsey a dû être ressentie par Moselli comme une humiliation. Je me souviens que mon père la justifiait par le fait que Dempsey était d'un poids supérieur à Carpentier.

Quand Dunot combat, son adversaire est soit un Noir, soit un métis, d'un gabarit très supérieur. Adversaire qui nous est présenté comme une belle brute proche de l'animalité. Eu égard à sa taille, Dunot est toujours considéré comme perdant aussi bien par ceux qui l'ont engagé - les circonstances font que c'était la seule opportunité pour qu'il y ait match - que par les spectateurs... Est-il besoin de dire que Dunot sera toujours vainqueur ?

Dès lors, il n'est pas déraisonnable de penser que Moselli construit une fiction qui va compenser l'humiliation causée par la défaite de son sportif préféré.

 

"Le match de l'Athæneum", n° 258 des "Aventures Inédites".

Le Basuto Hammering Bast - "Fortement charpenté, les muscles saillants, les membres trapus, aux attaches massives, il donnait une impression de puissance formidable. Sa face bestiale faisait davantage penser au mufle d'un orang-outang ou d'un gorille qu'à une figure humaine : front bas et fuyant, petits yeux jaunes, nez large et aplati, lèvres lippues et violacées au-dessus d'un menton court et proéminent... Et un cou aussi large que la tête, où les muscles saillaient comme des câbles [...] Hammering Bast s'avança à la rencontre de Marcel, en se dandinant comme un grand singe."

Relevons... "Dans l'assistance, quelques bravos destinés à encourager le champion de la race blanche, retentirent, mais furent aussitôt couverts par des murmures de déception et de dépit.

Marcel Dunot, vraiment, ne paraissait pas de taille à résister au géant Basuto [...]

- Il n'est pas mal, le Blanc ! murmura un vieillard, assis au premier rang, contre le ring, mais il ne tiendra pas un round contre le Basuto ! ... Encore une sale combinaison ! ... La race blanche va être ridiculisée une fois de plus ! ... On devrait interrompre des exhibitions pareilles ! ... [...]

Le Basuto fit entendre un hurlement aigu, le cri de guerre de sa tribu, et, ses formidables poings en avant, se rua sur Marcel Dunot. [...]

Le Basuto, semblable à un gorille en fureur, fonça à la poursuite de son adversaire, mais l'arbitre l'arrêta" (c'est que Dunot est au tapis !).

L'arbitre compte.

"Malgré tout, les Blancs - la majorité de l'assistance !- se sentaient atteints dans leur orgueil de race par la chute du boxeur européen."

... Un direct au plexus solaire dont le noir ne se relèvera pas. "Hammering Bast fit entendre un mugissement de bœuf qu'on égorge et s'écroula aux pieds de son vainqueur."

 

Death Dayak, champion de boxe de l'Insulinde. Sa présentation dans "Une nuit mouvementée" n° 171 des "Aventures Inédites".

"L'homme était de sang mêlé. Cela se voyait à son teint brouillé. Son visage rasé, au nez épaté, aux pommettes saillantes, aux mâchoires en avant, faisait penser à la fois au mufle d'un singe et à la gueule d'un tigre.

Ses yeux profondément enfoncés au-dessous d'un front bas, n'avaient presque pas de sclérotique. Noirs comme du jais, ils dardaient une lueur bestiale et cruelle.

 

Le combat : "Blanc contre Jaune" n° 184 des "Aventures Inédites".

"La victoire - certaine - de Death Dayak allait encore augmenter l'insolence et la turbulence des Chinois, déjà difficile à contenir. Beaucoup blâmaient que le commandant d'armes eût autorisé pareil match."

... Le "sang mêlé" "cracha une longue bordée d'injures, en dialecte malais ; ses yeux bridés lancèrent une lueur de meurtre [...] Death Dayak fit entendre un rugissement de fauve."

Après la victoire de Dunot. "Au dessert, plusieurs orateurs se levèrent pour féliciter Marcel Dunot de sa foudroyante et décisive autant que scientifique victoire. Ils le remercièrent d'avoir rétabli le prestige de la race blanche."

 

Il y aurait bien encore à dire sur "Le roi des Boxeurs"... Ce sera, peut-être, pour une autre fois.

 

Terminons en formulant un souhait.

A ceux qui ne connaissent pas José Moselli et qui aiment les histoires au goût fort : recherchez les publications Offenstadt. C'est en effet dans "L'intrépide", "L'Epatant", "Le Petit Illustré", "Le Cri-Cri", etc..., que vous y trouverez la production du père du Roi des Boxeurs.

 

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