Je
considère mon amie Hildegarde comme ma grand mère,
certainement parce que je nai réellement connue
aucune de mes deux véritables grandmères.
Née à Berlin, elle émigra à Los
Angeles suite aux atrocités de la guerre. Mais cest
à Londres que je la rencontrai, alors quelle venait
rendre visite à sa fille. Et cest ainsi que commencèrent
nos expériences.
A
loccasion dun voyage professionnel à Los Angeles
avec Andy, mon ex-mari, Hildegarde nous invita à lui rendre
visite à son domicile. Andy était extrêmement
réservé à légard de certains de
mes amis, et notamment ceux avec lesquels je réalisais des
expériences. Aussi avait-il apporté un livre pour
tuer le temps dans le jardin ; Hildegarde, de son côté,
avait préparé un appétissant Apfelstrudel pour
tenter de lamadouer
.
La
visite devait être de courte durée, car nous devions
retourner à lhôtel pour un dîner daffaires.
Aussi, et dès quAndy se fut installé, nous nous
réfugiâmes dans la pièce où elle avait
coutume de méditer. Mais au lieu de prendre place sur le
sofa, je décidai de masseoir à un endroit bien
précis, directement sur le sol. Hildegarde sourit, car cétait
justement la place où Peggy, notre amie dotée de pouvoirs
psychiques, avait coutume de sinstaller lors de ses visites.
Une
fois confortablement assises, Hildegarde me tendit sa baguette magique,
formée de petites écailles de quartz rose liées
ensemble par un fil de bronze, et ornée à une de ses
extrémités par un grand cristal de quartz translucide.
Lengin ressemblait un peu à une torche lumineuse et
je devais avoir lair totalement stupide en le tenant dans
mes mains. Du reste, je me mis à brasser lespace avec,
fermant mes yeux pour prétendre que jétais perdue
dans lobscurité.
Sauf
que, lorsque mes yeux étaient fermés, jétais
en train de voler au dessus dune montagne. Et lorsque je les
réouvrais, jétais assise sur le plancher dHildegarde.
Ouaou
.
Jessayais
à nouveau, et le phénomène se répéta.
Je
demandais à Hildegarde sil y avait quelque chose détrange
à avoir des visions en manipulant son bâton
..
Elle répondit que non, et que du reste Peggy était
familière dun tel phénomène. Je lui expliquai
que lorsque je fermais les yeux, je me retrouvais planant au dessus
dune chaîne de montagnes
. Elle me suggéra
datterrir et daller jeter un coup dil aux
alentours. Cest fou ce que ces allemands on le sens pratique
!
Je
me relaxai, fermai les yeux et regardai le film
..
Jai
généralement horreur de voler, même en rêve.
Aussi me posais-je le plus rapidement possible. Je reconnus alors
que la chaîne de montagnes faisait partie du massif de lHimalaya.
Mais je navais pas didées plus précises
sur lendroit où jétais, si ce nest
que je me trouvais à mi-distance dune montagne, sur
un sentier étroit et boueux, bordé par des pins élancés.
Jexplorais
les environs, gravissant la sente en essayant de contourner les
rochers. Après une courte ascension, je vis un moine émerger
de la lisière des arbres, et qui, sans un mot, me fit signe
de le suivre. Après une courte marche, nous arrivâmes
dans une clairière où était dressée
une hutte, faite de morceaux de bois assez sommairement assemblés.
Je
pénétrai dans la cabane à la suite du moine
et nous nous assîmes sur le sol, sur des sortes de coussins,
séparés lun de lautre par une petite table
en bois sculpté. Sur le côté de la table, le
long du mur, se lovait un autel. Ce meuble bas était orné
dun coffre de bois joliment travaillé et manifestement
très ancien ; vraisemblablement un reliquaire. Le moine se
mit à préparer le thé, et jobservais
ses mouvements, de plus en plus persuadée quil était
en train de se livrer à un quelconque rituel.
Lorsque
le thé fut prêt, nous le dégustâmes à
petites gorgées, nous observant lun et lautre.
Il se mit alors à accomplir des gestes interrogatifs, comme
si je savais parfaitement ce quil me fallait faire. Alors
quil se déplaçait sans un mot en direction de
lautel, jessayais de le suivre respectueusement des
yeux, mais sans du tout comprendre ce quil voulait me communiquer.
Finalement, et après une attente insupportable, il se résigna
à ouvrir pour moi le petit coffre.
A
lintérieur, délicatement posé sur un
socle de bois sculpté, se trouvait un uf fait dune
sorte de pierre blanche et lumineuse que je ne pus identifier.
Le moine le prit délicatement et le posa avec dinfinies
précautions sur la table. Cet uf était sans
conteste lobjet le plus merveilleux que je navais
jamais eu loccasion de contempler. Je ladmirai pendant
un très long moment, au point de me fondre totalement dans
la transparence laiteuse de la pierre.
Je
ne me souviens pas comment je me retrouvai sur le plancher dHildegarde
.
Il me semblait être partie depuis plusieurs heures, alors
que mon absence navait duré quune dizaine de
minutes environ. Andy, de son côté, simpatientait
et était pressé de rentrer à lhôtel.
En traversant le jardin pour sortir, je racontai à Hildegarde
mon aventure avec le moine et luf, et, tout en parlant,
je pris conscience que je devais trouver cet objet. Nous cherchâmes
à percer sa signification, nous demandant sil sagissait
dun objet symbolique ou dun objet réel. En
raison de ma description, Hildegarde pensa que le moine devait
être tibétain. Dans ces conditions, elle décida
devoir me remettre un morceau détoffe blanche que
lui avait donné un ami, pièce bénie par le
Dalaï Lama lui-même. Plusieurs mois plus tard, jappris
que le Dalaï Lama remettait cette pièce détoffe
blanche à ceux quil recevait en audience, geste qui
selon la tradition bouddhique signifiait « nous nous reverrons
un jour ».
Je
devins complètement obsédée par cet uf
..
Je lus de nombreux ouvrages, plongeai dans la mythologie, bref je
devins experte en symbolique des ufs ! Mais quelle était
sa véritable signification : énergie vitale, renaissance
spirituelle, pierre philosophale ? Aucune de ces interprétations
ne semblait sonner juste.
Deux
mois plus tard, nous partîmes en Australie avec léquipe
de criquet dAndy. Comme lobjectif principal de cette
équipe est de jouer
.. au criquet le plus souvent
possible, je me retrouvai avec beaucoup de temps libre ! Afin
de moccuper, je me mis à chercher ce fameux uf,
visitant toutes les boutiques de cristallerie de Sydney. Pour
quelque raison obscure, je sentais que jétais proche
du but. Je menquis de cette pièce partout où
je passais, décrivant soigneusement la pierre pour voir
si elle évoquait quelque chose chez mes interlocuteurs.
Certains pensaient quil sagissait dune opale,
parfois taillée en forme duf, mais en insistant
sur le fait quun tel objet était extrêmement
coûteux, eu égard à limportance de la
pierre précieuse nécessaire à sa fabrication.
Je nétais pas certaine que la pièce que javais
vue était effectivement de lopale, mais je fis le
tour des joailleries, des musées, des galeries dart,
sans que personne ne puisse me renseigner.
Finalement
je renonçais, et lorsque nous quittâmes lAustralie,
je ressentis un étrange sentiment de vide, comme si javais
oublié quelque chose.
Nous
avions prévu de faire une escale de trois jours à
Hong Kong, sur le chemin du retour, afin de voir une dernière
fois le territoire avant quil ne soit cédé
à la Chine Populaire. Dès notre arrivée,
Andy déclara quil ne sentait pas bien cette région,
et quil ne désirait rien voir en particulier. Aussi
se reposerait-il sur mes choix en matière dexcursions.
Je nétais pas spécialement attirée
par le shopping et navais aucune envie darpenter les
sites touristiques. Mais je brûlais denvie dexplorer
le plus de temples bouddhistes possibles ! En temps normal, ce
genre de visite eût été une véritable
torture pour Andy. Mais il était plongé dans un
excellent livre, et il était tout à fait prêt
à maccompagner, se fiant sans réserve à
mon sens de lorientation. Il se réservait bien sûr
en contrepartie le droit de bouquiner paisiblement au soleil alors
que je méditerais dans ces lieux sacrés
..
Nous
décidèrent daller, pour la première
journée, visiter le monastère bouddhiste de lIle
de Lantau, une expédition qui prendrait toute la journée
en raison du trajet en ferry. Ce monastère est particulièrement
célèbre, dans la mesure où il abrite la plus
grande statue de Bouddha connue dans le monde. Une statue au discret
parfum de Disneyland, une version bouddhiste de la statue de la
Liberté ! Mais le monastère lui-même dégage
une atmosphère envoûtante, et je passai plusieurs
heures à marcher et à méditer dans les différents
temples. Nous déjeunâmes assis autour de gigantesques
tables rondes, en compagnie dautres pèlerins et de
quelques moines, dégustant de larges portions de mets végétariens.
Tout le monde nous souhaitait chaleureusement la bienvenue
A
contre cur, nous nous décidâmes de rentrer
à Hong Kong car le jour commençait à tomber,
sans réaliser que nous allions rater le dernier bus pour
le ferry. Juste comme nous sortions du temple, nous vîmes
lautocar passer et nous mîmes à courir derrière
lui, descendant un chemin bordé déchoppes
pour touristes. Les couleurs des objets proposés se mélangeaient
dans ma tête alors que je scrutais les étals à
la recherche de statuettes.
Puis, sans même que je ne le réalise, je marrêtai
et regardai fixement devant moi, complètement figée
. Andy était agacé, il criait « vite au bus
»
Mais je nen tins pas compte.
Javais
trouvé luf.
Cétait
une reproduction en verre bon marché, mais je le reconnus
immédiatement. Il était du reste posé sur un
petit piédestal en bois sculpté. Il ny avait
quun seul oeuf, disposé discrètement dans un
coin. Ce ne devait pas être un souvenir très populaire.
Mais je navais pas dargent. Aussi Andy dut-il faire
demi-tour pour me rejoindre, incapable de bouger tant que je navais
pas pris possession de cet objet.
Nous
ratâmes le bus, mais jétais euphorique. Luf
existait ! Bien sûr, jaurais pu réaliser plus
tôt quil sagissait dun symbole bouddhiste
; après tout, le moine rencontré lors de ma vision
était un moine bouddhiste. Je me rendais compte brutalement
de la futilité de mes recherches, allant voir aux mauvais
endroits
.
Cest
du moins ce que je pensais à ce moment.
Cette
nuit là, je lus les livres que javais achetés
au début de la journée, cherchant désespérément
une réponse. Je ne trouvai rien au sujet de luf,
mais découvris des informations sur un sujet qui, pour
être totalement différent, occasionnait chez moi
détranges résonances. Il sagissait décrits
sur une déesse appelée Tin Hau, divinité
de la mer. Celle-ci était décrite comme une des
manifestations mineures de Kuan Yin, une déesse bouddhiste
qui évoquait fortement un archétype que javais
étudié, archétype présent dans les
principaux systèmes religieux. Le symbolisme était
celui du troisième séphiroth de la Kabbale, Marah,
ou encore la Grande Mer, qui correspond à Stella Maris,
lEtoile de la Mer, autre version des déesses chrétiennes
comme la Vierge Marie ou Marie Madeleine
. Laquelle
porte également
. un uf
.
Lorsque
je lus que Tin Hau est également connue sous le diminutif
affectueux de Mazu, ou encore la grand-mère, je pensais
immédiatement à Hildegarde. Etait ce un signe ?
Je demandai à Tin Hau de me guider.
Il
y a plusieurs temples dédiés à Tin Hau à
Hong Kong, et je décidai de consacrer les jours suivant
à leur visite, en guise de pèlerinage. Cette excursion
allait nous entraîner dans les dédales les plus secrets
de lagglomération, dans une aventure fascinante bien
différente de celles proposées par les circuits
touristiques habituels. Et bien que personne ne parlasse langlais,
dans chaque temple il se trouva quelquun pour mapprendre
quelque chose de nouveau, comme brûler correctement lencens,
traverser respectueusement un sanctuaire ou
. plonger dans
les méandres de mon avenir
..
Nous
explorâmes ainsi chacun des temples Tin Hau de Hong Kong.
Le dernier était particulièrement difficile daccès
et nous eûmes tout juste le temps de rentrer à lhôtel
pour prendre nos valises au vol et nous précipiter à
laéroport pour ne pas rater notre vol de retour. Andy
se moqua de moi durant le trajet, me faisant remarquer que le parfum
dencens que je dégageais après trois jours de
vie monacale était légèrement saugrenu dans
une limousine avec chauffeur.
A
laéroport, juste avant le passage en douane, nous
nous enfonçâmes dans une masse grouillante
Il y avait des policiers armés jusquaux dents un
peu partout, et nous aperçûmes en un éclair
quelquun qui ressemblait à un moine, drapé
dans une robe rouge. Tout autour de nous, la foule criait, comme
en extase, essayant de le toucher alors que les flashes crépitaient
de toutes parts. Dans la confusion générale, Andy
me prit par le bras et me propulsa à lentrée
du point de contrôle afin déchapper au chaos
et de ne pas rater lembarquement.
Le guichet de la douane était fortement embouteillé,
au minimum une demi-heure dattente. Nous nous séparâmes
en empruntant chacun de notre côté une file différente,
au cas où lune avancerait plus rapidement que lautre.
Alors quAndy plaisantait avec un joyeux groupe de touristes
australiens, je me mis à doucement dériver dans
un délicat parfum de bois de santal
.
Quelques
instants plus tard, je sentis une présence à mes
côtés. Linconnu toucha mon bras. Je me retrouvai
en face du moine. Il était seul, sans escorte, et tout
le monde semblait lignorer. Il me montra son billet davion
pour lInde et une carte jaune ; je réalisai plus
tard quil sagissait dun permis international
de voyage. Jacquiesçai de la tête et lui fis
signe de me suivre. Javais décidé de le conduire
jusquà sa porte dembarquement.
Nous
attendîmes ensemble une trentaine de minutes au point de
contrôle en jouant comme des enfants ; je faisais semblant
de regarder droit devant moi alors quil me contemplait de
profil, et vice versa. Nous ne prononçâmes aucun
mot, mais notre silence était paisible. Je me sentais totalement
relaxée et commençais à sentir son énergie.
Elle était nimbée de paix.
Juste
pour voir ce qui pouvait se produire, jimaginai un rayon
de lumière jaillissant de mon « troisième
il » et visai son propre chakra. Immédiatement,
le moine se mit à tordre la tête et me fixa des yeux
.
Javais peut être fait une grosse bêtise
..
Mais il est vrai que je nétais pas très familière
avec « les bonnes manières » des moines !
Alors
que jétais fort occupée avec le moine, la
file dAndy franchit la première le poste de contrôle.
Je laissai le moine passer le premier. Il nous attendit patiemment
de lautre côté. Sous le portique de la sécurité,
je mapprêtai à essayer de regarder sur lécran
à quoi ressemblait un moine scruté par les rayons
X. Mais en riant, il se débrouilla pour passer devant moi.
Après
le contrôle, un officier de sécurité examina
nos cartes dembarquement pour nous diriger vers la bonne
porte. Lorsquil vit les documents du moine, il sembla pris
de panique et le poussa de côté, comme sil
allait lescorter personnellement à sa porte de départ.
Et lorsquils nous quittèrent, le moine prononça
le seul mot de toute notre rencontre : bien ! Cela me semblait
être plus un commentaire sur mes propres progrès
quune forme dau revoir
.
Alors
que nous étions dans le salon dattente de la Quantas,
je demandai au steward sil était possible de savoir
qui était ce moine, lui indiquant la porte et le numéro
de vol empruntés par ce dernier. Après quelques
instants, il revint mapporter une boisson et me dit : «
vous avez passé la dernière demi-heure avec le Dalaï
Lama ». Je restai sans voix.
Andy
lui-même était bouleversé par cette aventure.
Dans lavion, nous nous réfugiâmes dans un silence
contemplatif. « Nous venons tout juste de nous faire piéger
par le Dalai Lama » expliquâmes nous solennellement
à lhôtesse. Celle-ci, pour marquer lévénement,
nous offrit une bouteille de champagne français que nous
dégustâmes religieusement. Alors que je cherchais
un livre dans mon sac pour tuer le temps, je trouvai luf
et me rendit compte quil avait été avec moi
durant toute la rencontre.
Et
finalement, après deux mois de recherches, je compris quelle
était la signification exacte de cet oeuf.