M comme Monstres Lovecraftiens


MONSTRES LOVECRAFTIENS
: " Ce sont des êtres qui semblent issus de l'imagerie du Moyen Age tout en étant imprégnés de ces particularités fascinantes autant que morbides auxquelles nous a habitué la science-fiction ". Et qui mieux que Lovecraft lui-même peut nous donner une idée de SES monstres ? " Il avait des mains et un visage d'homme, mais son torse et les parties inférieures de son corps présentaient de fantastiques monstruosités [...] L'épiderme était couvert d'une fourrure noire, et de l'abdomen pendaient vingt long tentacules munis de bouches rouges et flasques ; ils étaient bizarrement disposés selon les règles d'une géométrie cosmique inconnue à la Terre ou au système solaire. Sur chacun d'eux, profondément enfoncé dans une orbite rose pourvue de cils, s'ouvrait un œil rudimentaire. En guise de queue, le monstre portait une espèce de trompe marquée d'anneaux violets qui devait être une bouche rudimentaire. " " Mais il existait une race de créatures infiniment plus vieilles encore : les sauriens quadrupèdes des cavernes de Yoth ... " (JF)

Patrice Allart, auteur d'un mémorable " Guide du Mythe de Cthulhu " chez Encrage, paraissait tout indiqué pour nous présenter cette galerie de portraits particulièrement gluante ! Vous le retrouverez également du côté des Editions de l'Œil du Sphinx, avec d'Arkham à Malpertuis, une étude très érudite sur la présence de Cthulhu dans la Mer du Nord !

Patrice Allart (c)

Lorsqu'il y a des millions d'années vinrent du fin fond de l'espace les premiers dieux que la Bibliothèque Interdite nomme Grands Anciens, de monstrueuses créatures, faites de chair et de sang ou de quelque chose d'approchant, les suivirent. Ils étaient leurs serviles serviteurs souvent dénués de conscience ou d'une quelconque intelligence, et avaient vraisemblablement été amenés par leurs puissants maîtres lors de leurs haltes précédentes dans d'autres univers. Sur notre jeune planète, les Grand Anciens trouvèrent également facilement des laquais parmi les éléments les plus faibles d'une récente espèce animale ayant acquis un début d'intelligence, l'Homo Sapiens. Mais nous laisserons de côté cette dernière créature pour nous intéresser à ceux auxquels une apparence hors-normes selon les concepts humains a valu l'appellation de Monstres.
Partons à la découverte des Monstres Lovecratiens, " par ordre d'apparition " ... dans l'univers d'HPL.

Dès la parution du premier texte du Mythe, ils sont là. " Ils jouaient comme des poissons dans des grottes sous-marines, ou bien se trouvaient réunis dans un sanctuaire monolithique qui, lui aussi, reposait au fond des eaux. [...] Ils avaient une allure odieusement humaine, malgré leurs pieds palmés, leurs mains molles, leurs lèvres énormes, leurs yeux gonflés, et d'autres traits encore plus déplaisants. [...] La baleine qui [...] succombait, victime de l'une de ces créatures, était à peine plus grande que son agresseur ". Ainsi CEUX DES PROFONDEURS font-ils leur première apparition, et le premier d'entre eux donne son nom à la nouvelle : Dagon (1917). Ils auront un rôle plus ... vivant dans The Shadow of Innsmouth (1931), mais leur taille sera considérablement réduite - à peine celle d'un humain. C'est Brian Lumley qui fournira l'explication bien plus tard, dans son roman The Burrowers Beneath (traduit dans L'abominable Cthulhu, Fleuve Noir), qui tente d'apporter une cohérence à un Mythe aux multiples auteurs : Ceux des Profondeurs sont de toutes formes et de toutes tailles, de la Sirène au Serpent de Mer ; même l'aimable dauphin est l'un d'entre eux selon James Wade ! (The Deep Ones, 1920) - sans doute Lovecraft l'avait-il découvert (The Temple, 1920) : " [...] Nous n'apercevions jamais autre chose que les troupes de dauphins, qui nageaient parallèlement à notre dérive. [...] Tous les spécialistes savent que le Delphinus Delphis commun [...] ne peut subsister longtemps sans air. Or, en surveillant étroitement l'un de ces nageurs, [...] je pus constater qu'il ne refaisait jamais surface ". Mais la forme la plus courante de ces êtres est celle de l'" homme-crapaud ", dont l'on retrouve trace tant en Polynésie que sur la côte d'Innsmouth. Etant au service de Cthulhu, le plus connu des Grands Anciens, il apparaît souvent dans le Cycle, et notamment dans le roman à épisodes d'August Derleth, The Trail of Cthulhu (1953). Mais la présence de la progéniture de Dagon se manifeste même hors du Cycle : " [...] Le Crapaud Impérial [...] avait arraché son masque, découvrant une face plus horrible encore. Une face d'homme, certes, mais déformée, au front et au menton fuyants, à la bouche [...] fendue en tirelire, aux yeux globuleux, exorbités, sous des paupières épaisses et plissées. [...] La peau grise était couverte de pustules, comme celle d'un batracien. [...] Il clamait sur un ton de démence : - Les Ancêtres venus d'un autre monde, du vent ? Voyez donc si c'est du vent ! ". " Imagine-toi des nabots, [...] des sortes de pygmées, quoi, laids à faire frémir le diable, et qui ont les mains et les pieds palmés [...] L'un d'eux [...] possédait des perles grosses comme des billes [...]. Il les réservait, disait-il, pour des offrandes à je ne sais quels chenapans de dieux marins. "

The Namelesse City (1921) nous amène dans le désert d'Arabie, soit, a priori, très loin de la zone d'influence de Ceux des Profondeurs, à la découverte d'une cité disparue. Le narrateur en découvre les ruines, et, comme dans Dagon, des sculptures indiquent l'existence d'une vie monstrueuse dans des temps reculés : " On eût dit des reptiles, dont le corps évoquait en partie le phoque, en partie le crocodile, mais le plus souvent rien de ce que connaissait le naturaliste ou le paléontologue. Leur taille était à peu près celle d'un homme pas très grand et leurs pattes de devant se terminaient par des pieds délicats semblables à des mains et à des doigts humains ". L'épilogue aussi évoque Dagon : le héros sombre dans la démence lorsqu'il voit les créatures en chair et en os. August Derleth révèle leur identité dans le roman The Trail of Cthulhu : " - Qui nous suit ? demandai-je. - Les habitants de la Cité [...]. [...] Une civilisation qui précéda l'humanité, une civilisation saurienne et reptile, composée d'adeptes de Cthulhu. [...] La Cité sans Nom fut autrefois une cité maritime, profondément ancrée au fond des océans, [...] longtemps avant le soulèvement qui amena cette partie de l'Arabie à la surface du globe et fit reculer les eaux, laissant les habitants aquatiques mourir [...] . [...] sauf Ceux des plus lointaines Profondeurs ".

The Dream Quest of Unknow Kadath (1927) est la Bible du Bestiaire Lovecraftien. Le texte fait la jonction entre le Cycle du Monde du Rêve (1918-1921, repris dans le tome 3 de l'intégrale) et le Cycle de Cthulhu (1926-1935, repris dans le tome 1), et a influencé, notamment, Jacques Sadoul (le Cycle de R.), Brian Lumley (le Cycle de la Terre des Rêves) et Graham Masterton (le Cycle des guerriers de la Nuit). La quête de Randolph Carter à la recherche de la mythique cité Kadath sera, comme bien des quêtes physiques, vaine, mais lui fera rencontrer d'étonnants êtres. Les ZOOGS, " furtifs et discrets ", " petits, noirs et invisibles ", sont des êtres des bois. Leurs incursions dans le Le Monde de l'Eveil sont à l'origine de bien des légendes (nains, trolls ...). Les CHATS d'Ulthar ne sont que des chats, mais dans le Monde du Rêve, ils sont plus intelligents et sages que bien des humains, et leur aide sera précieuse à Carter ; mais tous les chats ne sont pas amicaux : ceux de Saturne sont serviteurs des Grands Anciens. Le VOONITH, une " horrible chose amphibie ", ne fait qu'une apparition, hululant à la lune, sans oser s'approcher du mont Ngranek,
de crainte des MAIGRES BETES DE LA NUIT.


" De quelle crypte elles sortent en rampant je ne saurais le dire
Mais chaque nuit je vois ces créatures noires,
Cornues et décharnées, aux ailes membraneuses
Et aux queues portant la barbe bifide de l'Enfer.
Elles arrivent par légions, portées par la houle du vent du nord,
Avec d'obscènes griffes qui titillent et irritent,
Elles me saisissent et m'emportent vers de monstrueux voyages
En des mondes grisâtres au cœur du puits des cauchemars. "


Les Maigres Bêtes de la Nuit, au service de Nodens le Très Ancien que craignent les Grands Anciens, sont des créatures de cauchemar, et elles sont bel et bien nées au cours d'un cauchemar de l'écrivain. Loin du Ngranek, la vallée de Pnath est un sinistre endroit " où tous les VAMPIRES du Monde de l'Eveil jettent des restes de leurs festins ". Les Vampires lovecraftiens apparaissent pour la première fois dans Pickman's Model en 1926 (il y est fait allusion), et sont, " avec " leur visage de chien ", très différents de Dracula ; leurs habitudes alimentaires évoquent d'ailleurs plutôt les Goules et les hyènes. En outre, ils sont loin d'être les plus redoutables et les plus infâmes habitants de la vallée : " Il valait mieux rencontrer un Vampire bien visible qu'un BHOLE invisible ", une " chose longue et visqueuse [...] dont jamais aucun homme n'a pu voir la forme ". Le royaume souterrain des Vampires débouche sur un bois dont l'orée n'est guère mieux fréquentée, par les gigantesques GUGS et par les nocturnes PALES, " êtres répugnants qui [...] sautent sur leurs longues pattes de derrière ". Vampires, Gugs et Pâles se dévorent entre eux ; en fait, ils dévorent tout ce qui leur tombe sous la dent. Carter assiste à la lutte entre un Gug et plusieurs Pâles, évoquant celle des Lycaons mettant en fuite le lion, ou des orques déchiquetant une baleine.
Randolph Carter traverse ensuite de nombreuses terres où il ne fait plus guère de mauvaises rencontres, puis un océan. La route a été longue qui l'a mené à la cité de Céléphaïs, et les terres désertiques qui l'accueillent ensuite laissent apercevoir à l'horizon une gigantesque chaîne de montagnes, survolée par les SHANTAKS, d'énormes et écailleuses choses ailées à la tête de cheval ; et l'explorateur fait, une nouvelle fois à son corps défendant, son deuxième voyage dans les airs (après avoir été agrippé par une Maigre Bête de la Nuit). Au delà des montagnes se trouve Leng, dont l'affreuse réputation fait murmurer les occultistes du Monde de l'Eveil. Ses repoussants habitants s'y livrent à d'ignobles bacchanales, et qui sait si les rêveurs de l'antiquité ne virent pas en ces créatures pourvues de cornes et de sabots les satyres de la légende (qui inspirèrent eux-mêmes le diable chrétien ) ? Mais cela n'est encore rien. Car Leng est " le lieu le plus affreux et le plus mal famé, [...] où se trouve le monastère préhistorique où vit en solitaire l'indescriptible Grand Prêtre qui porte sur son visage un masque de soie jaune ". Le Roi en Jaune est un des ETRES DE LA LUNE dont ceux de Leng sont les esclaves, " de grandes choses glissantes, blanches et grises qui pouvaient à volonté s'étirer ou se contracter et dont la forme principale [...] était celle d'une sorte de crapaud sans yeux, dotés d'une curieuse masse vibratile faite de courts tentacules roses bougeant au bout d'un groin aplati ". Randolph Carter échappe à tous ces périls, mais le séjour de Kadath, au delà de l'immensité située après le plateau de Leng, lui est interdit.

The Whisperer in Darkness (1930) est un classique du cycle de Cthulhu. L'action se situe dans les collines du Vermont, hantées par - légende ou réalité ? - des créatures dotées d'un " corps de crustacé portant une énorme paire de nageoires dorsales ou d'ailes membraneuses et plusieurs groupes de membres articulés ". Ces rapports concernant les créatures sont liés à de nombreuses disparitions humaines, et les responsables, identifiés au légendaire MI-GO (l'Abominable Homme des Neiges !), sont ceux du Dehors, entités intelligentes venues de la planète Yuggoth (Pluton), un " monde ténébreux de jardins fongoïdes et de villes sans fenêtres ", et pour lesquelles nous ne sommes que des cobayes.

Du Vermont, rendons-nous dans les immensités glacées de l'Antarctique, où une expédition scientifique découvre une impressionnante cité oubliée au delà d'une tout aussi immense chaîne de montagnes (At the Mountains of Madness, 1931). Dans ses ruines, des sculptures dévoilent un aspect secret des origines de la vie sur notre planète. Des formes de vie très différentes ont foulé la Terre à des époques incommensurablement lointaines. Les GRANDS ANCIENS étaient là " avant que la vie véritable ait seulement existé sur Terre. Ils furent les créateurs et les tyrans de cette vie ".
Une parenthèse avant d'aller plus loin : ces Grands Anciens ne sont pas ceux du cycle de Cthulhu, des dieux venus d'autres dimensions. En fait, ces êtres " en forme de tonneau, de nature totalement inconnue, probablement végétale, [...] (avec des) ailes membraneuses, tendues sur une carcasse de tuyaux glandulaires ", sont une race de créatures de nature matérielle, et Cthulhu et sa progéniture en sont une autre ; At the Mountains of Madness, par sa conception différente de Grands Anciens, se situe en marge du Cycle ; la raison en est simple : le texte relève plus franchement de la science-fiction que la production habituelle de l'écrivain. Second point : j'ai quelque scrupule à faire figurer ces extra-terrestres plus intelligents que nous dans le Bestiaire ; néanmoins, ils y ont leur place selon la conception humaine de la monstruosité.
La première vie créée sur notre planète, des " masses protoplasmiques multicellulaires susceptibles de façonner leurs tissus ", avait pour nom : les SHOGGOTHS. Ces créatures sans pensée consciente étaient employées comme bêtes de somme. Ce n'est que bien plus tard que vint du fond des étoiles une " race terrestre d'êtres en forme de pieuvres, probablement la fabuleuse progéniture préhumaine de Cthulhu ", qui affronta les grands Anciens ; une guerre qui s'acheva par une nouvelle répartition des territoires. Pendant le Jurassique, les grands Anciens eurent à faire face à une seconde invasion (après celle des PIEUVRES COSMIQUES) : des " créatures mi-champignons, mi-crustacés ", les Mi-Go - d'où une nouvelle perte de territoires. " Les Anciens [...] restaient strictement matériels et devaient avoir pris naissance à l'intérieur du continuum connu de l'espace-temps, tandis qu'on ne pouvait risquer que les suppositions les plus hasardeuses sur les sources premières " des Mi-Gos et des rejetons de Cthulhu.
Winged Death (1933), signé Hazel Heald, est un texte mineur qui introduit deux nouvelles créatures, hantant l'Ouganda, de manière plutôt allusive : " C'étaient des repaires ou des avant-postes des PECHEURS D'AILLEURS - quel que soit le sens de ces mots - et des dieux malfaisants Tsathoggua et Cthulhu. On dit qu'ils ont encore aujourd'hui une influence maléfique et un certain rapport avec les MOUCHES-DEMONS ". Les mouches voleuses d'âmes ont le rôle central chez Heald / Lovecraft, mais il faudra attendre Lin Carter (The Fishers from the Outside, traduit dans Les Légendes Xothiques, Oriflam) pour voir réapparaître Les pêcheurs d'Ailleurs, identifiés au dieu Groth Golka (R.E. Howard, The Gods of Bal Sagoth), inspirateur de la légende de l'Oiseau-Roc (et en réalité une survivance de la préhistoire, cf. Howard).

The Shadow out of Time (1935) renoue avec l'esprit SF de At the Mountains of Madness, et évoque " une race relativement récente, d'apparence bizarre et compliquée, [...] et qui s'était éteinte cinquante millions d'années à peine avant la venue de l'homme. Ce fut [...] la race la plus importante de toutes, car elle seule avait conquis le secret du temps ". " Ceux de la GRAND-RACE étaient d'immenses cônes striés de dix pieds de haut, avec une tête et d'autres organes fixés à des membres extensibles d'un pied d'épaisseur partant du sommet. Ils s'exprimaient en faisant claquer ou frotter d'énormes pattes ou pinces [...] ". La survie de la Grand-Race à travers le Temps se fit en transférant leurs esprits dans des corps d'autres espèces et d'autres époques. Les esprits originaux chassés étaient maintenus prisonniers en attendant de récupérer le corps " emprunté ". " Parmi les esprits terrestres, il y en avait de la race semi-végétale, ailée, à la tête en étoile, de l'Antarctique paléogène ; un du peuple reptilien de la Valusie des légendes ; trois sectateurs hyperboréens de Tsathoggua, des préhumains couverts de fourrure ; un des très abominables Tcho-Tchos ; deux des arachnides acclimatés du dernier âge de la Terre ; cinq des robustes espèces de coléoptères, successeurs immédiats de l'humanité [...]. Une seule race, une " horrible race ancienne d'entités tout à fait extra-terrestres, à demi polypes ", se montra foncièrement hostile : les Pieuvres Cosmiques. " Leurs esprits étaient d'une telle nature que ceux de la Grand-Race n'avaient pu faire aucun échange avec eux ". Aucunement belliqueuse, uniquement préoccupée de sa survie, la Grand-Race venue de la lointaine Yith réapparut chez August Derleth (The Shadow of the Space, traduit dans l'intégrale Lovecraft) et Brian Lumley (The Transition of Titus Crow, traduit dans L'abominable Cthulhu).

Le Bestiaire du Cycle de Cthulhu ne serait pas complet sans la mention de tous les apports extérieurs. 1929 voit la première apparition de deux créatures, imaginées respectivement par Frank Belknap Long et Robert E. Howard, dont l'importance dans le Cycle est telle qu'HPL lui-même les a régulièrement mentionnées.


Les CHIENS DE TINDALOS demeurent dans les Espaces Extérieurs, et Long donne d'eux une vision peu claire dans la nouvelle qui porte leur nom (" Il n'y a pas de mots dans notre langue pour les décrire ! "). Malgré - ou à cause de - ce mystère, les chiens de Tindalos ont été réutilisés par Henry Kuttner, Brian Lumley, Lin Carter, Thomas F. Monteleone, entre autres ; Lumley, surtout : " [...] Ils sont difficiles à décrire. [...] Une souillure saus forme vivante, et pourtant incarnée dans une enveloppe évoquant vaguement une chauve-souris, des guenilles de Mal à l'état pur, des buveurs vampiriques se repaissant de la vie même ".
Le PEUPLE-SERPENT vivait quant à lui sur Terre, avant l'apparition de l'Homme. Ensuite, les deux races se sont continuellement fait la guerre, et les humains ont massacré les hommes-serpents ; mais ceux-ci n'ont pas entièrement disparu. Après que le roi Kull de Valusie ait cru les avoir exterminé il y a maintenant 20000 ans (R.E. Howard, The Shadow Kingdom, 1929, traduit dans Kull le roi barbare, NéO), ils ont survécu dans l'ombre jusqu'à une période récente (The Children of the Night, 1931 ; People of the Dark, 1932 ; The Temple of Abomination) ; au fil des siècles et des millénaires, ils ont dégénéré jusqu'à prendre une forme plus proche de leur abominable nature : celle du VER. Brian Lumley, encore lui, a révélé cette atroce vérité : le Ver est le véritable inspirateur du Serpent de la Bible. Matthew J. Costello reprend cette théorie dans Wurm. C'est également le Ver qui est à l'origine des légendes des dragons (lire à ce propos : R.E. Howard, The Valley of the Worm, traduit dans Le pacte noir, NéO ; Stephen Laws, Wyrm, traduit chez J'ai Lu Epouvante sous le titre Le Veur). Outre ceux déjà cités, le Ver a été utilisé dans un grand nmbre de textes du Cycle : chez Howard (Worms of the Earth, traduit dans Bran Mak morn, NéO), Robert Bloch, Clark Ashton Smith (The Coming of the White Worm, traduit dans l'Empire des nécromants, NéO), Lumley (Cement surroundings et The Burrowers Beneath, traduits dans L'abominable Cthulhu), Gary Myers (The House of the Worm), Stephen King (Jerusalem's Lot, traduit dans Danse macabre, J'ai Lu), Graham Masterton (The Wells of Hell, traduit chez Pocket Terreur sous le titre Les puits de l'enfer). La présence du Ver s'est manifestée hors du Cycle - et antérieurement au Cycle. Ainsi, c'est le cas d'un classique méconnu paru en 1919 dont Patrice Duvic écrit : " Enfin, avec [...] son dernier roman, c'est au plus profond de la campagne anglaise qu'il vient traquer l'horreur, c'est dans les vieilles légendes celtiques qu'il trouve son inspiration. [...] Ouvrant ainsi dans ses dernières œuvres [...] la voie [...] à Lovecraft avec ses Grands Anciens [...], il est l'un des grands précurseurs de terreur moderne. " (préface aux Récits gothiques, Fleuve noir). Le roman s'intitule The Lair of the White Worm (Le repaire du Ver blanc), et son auteur est Bram Stoker : " Dans le passé, aux premiers jours du monde, il y eut des monstres qui étaient tellement énormes qu'ils ont pu exister durant des milliers d'années. Quelques-uns d'entre eux ont pu survivre jusqu'à l'ère chrétienne et évoluer intellectuellement au cours du temps. [...] La tradition dit que l'un d'entre eux, qui vivait dans le Marais de l'Est, se réfugia dans une caverne à Diana's Grove, appelée depuis lors le Repaire du Ver blanc. De telles créatures ont pu grandir secrètement [...]. Elles ont pu se développer à l'intérieur, par exemple, d'êtres humains. " (B. Stoker, Le repaire du Ver blanc, dans Récits gothiques).

C'est bien entendu dans l'ouvrage maudit Necronomicon que le Bestiaire lovecraftien a été le plus détaillé. Hélas, seuls des extraits ont été révélés à la connaissance du monde. L'un d'eux, le plus connu sans doute, a été repris dans le roman d'August Derleth The Trail of Cthulhu (1953) : " C'est avec l'étoile à cinq branches, sculptée dans la pierre grise de l'antique Mnar, qu'est forgée l'armure que l'on oppose aux sorcières et aux démons, à Ceux des Profondeurs, Dhols, Voormis, au peuple Tcho-Tcho, à l'abominable Mi-Go, aux Shoggoths, aux Valusiens, à tous ces peuples et à tous ces êtres qui servent les Grands Anciens et leur descendance, mais elle est moins puissante contre les Grands Anciens eux-mêmes ". Les créatures citées dans cet extrait, auxquelles s'ajoutent les BYAKHEES, horreurs ailées des Espaces Extérieurs au service d'Hastur, qui apparaissent dans le même roman, sont autant d'apports au Mythe par différents auteurs, et parfois des emprunts à des écrivains antérieurs au Cycle ; apports de Howard Phillips Lovecraft (Ceux des Profondeurs, les TCHO-TCHOS semi-humains réutilisés par Derleth qui en a fait les serviteurs de Lloigor, les Mi-Gos, les Shoggoths), Arthur Machen (les Dhols, des Vers gigantesques inspirés des légendes celtiques, comme ceux de Stoker, Howard et Laws), Clark Ashton Smith (les VOORMIS d'Hyperborée au service de Tsathoggua), Robert Erwin Howard (le Peuple-Serpent de Valusie).
Et ceci n'est qu'un bref aperçu d'un Bestiaire qui n'a cessé de se développer au fil des ans, de plus en plus de romanciers y ayant apporté leur contribution, un aperçu qui s'est surtout limité à la première génération de Monstres Lovecraftiens.



Zoom maintenant, sur la créature des créatures, Cthulhu bien sûr..... Le Monstre favori de Jacky Ferjault....


Jacky Ferjault (c)


" Tous mes contes [...] se basent sur une croyance légendaire fondamentale qui est que notre monde fut à un moment habité par d'autres races qui, parce qu'elles pratiquaient la magie noire, furent déchues de leurs pouvoirs et expulsées, mais vivent toujours à l'extérieur, toujours prêtes à reprendre possession de cette Terre [1] ". Il y a cent cinquante millions d'années, deux races venues des étoiles se sont donc disputées la possession de notre Terre : les " Anciens " (ou " Grands Anciens ") et la " Grande Race ". " Ce fut la race la plus importante de toutes, car elle seule avait conquis le secret du temps. [...] Les réalisations de cette race avaient donné naissance à toutes les légendes des prophètes, y compris celle de la mythologie humaine. [2] "
Dans une lettre à Harold S Farnese, Lovecraft, bien que ne traitant pas spécialement de L'Appel, s'est ultérieurement expliqué quant au fond : " Pour moi, le sens de l'inconnu est une partie authentique et pratiquement permanente - rarement dominante - de la personnalité humaine ; un élément trop basique pour être détruit par l'idée contemporaine, dans le monde, que le surnaturel n'existe pas. Il est vrai que nous ne croyons plus depuis longtemps à l'existence d'une intelligence désincarnée et aux forces superphysiques censées nous entourer. [...] Mais en dépit de cette désillusion, il reste deux facteurs - l'un d'eux a pour l'instant pris de l'importance - qui n'ont pas été touchés par le changement : d'abord, le sens de la rébellion impatiente contre la tyrannie rigide et inéluctable du temps, de l'espace et des lois naturelles - un sens qui nous conduit à imaginer toutes sortes d'échecs hypothètiques et plausibles de cette tyrannie - ensuite, une curiosité brûlante concernant les vastes recherches des espaces cosmiques insondables et insondés qui oppriment cruellement toutes les facettes de notre sphère minuscule et pitoyable de la connaissance. Je crois qu'entre ces deux éléments survivants, le champ de l'étrange doit nécessairement continuer à avoir sa raison d'être, et que la nature de l'homme doit nécessairement encore trouver une expression occasionnelle (même de façon limitée) par la symbolique et le fantastique en incluant la frustration hypothétique de la loi physique, et l'extrusion originale de la connaissance et de l'aventure au-delà des limites imposées par la réalité.
[3] "
Toute l'œuvre de Lovecraft est placée sous la menace permanente du retour des Grands Anciens, d'autant plus pernicieuse qu'elle est méconnue, sauf des sournois du genre humain. Lovecraft nous le dit sans ambages : " Quand je songe à l'étendue de tout ce qui s'embusque au fond de l'océan, il me prend des envies de me donner la mort sans plus attendre.
[4] "
C'est précisément au fond de l'océan que le plus célèbre des grands Anciens, Cthulhu, attend son heure. " Ph'nglui mgln'nafh Cthulhu / R'lyeh Wgah'nagl fhtagn. ", c'est-à-dire 'Dans sa demeure de R'lyeh, la ville morte, Cthulhu attend et rêve. " R'lyeh - comment ne pas penser à l'Atlantide ? - est " la cité aux corps morts, la cité de cauchemar, bâtie depuis des éons infinis. [...] C'est là que reposent le grand Cthulhu et ses hordes, cachés dans des tombes vertes et gluantes. "

CT lui-même

 

Bien entendu, dans L'Appel de Cthulhu, les lecteurs-explorateurs impénitents que nous sommes, vont, par Johansen, Hawkins et Wilcox interposés - les héros du récit - appréhender, aux deux sens du mot, la découverte de Cthulhu : " L'ouverture était noire, d'une obscurité presque tangible. Ces ténèbres avaient, en vérité, une qualité positive. Elles conservaient, en effet, dans l'ombre les parties des murs intérieurs qui auraient dû être révélées et elles commençaient même à cracher une sorte de fumée, née d'un emprisonnement vieux de tant d'éons, qui assombrissait visiblement le soleil au moment où celui-ci s'éloignait, furtif, dans le ciel rétréci et gibbeux, en battant ses ailes membraneuses. L'odeur qui s'élevait de ces profondeurs nouvellement découvertes était intolérable et Hawkins, enfin, qui avait l'oreille sensible, dit qu'il croyait percevoir tout en bas le son désagréable qu'auraient produit des pas sur le sol détrempé. Tous écoutèrent, et ils écoutaient tous encore lorsqu'Elle s'avança, pesante, et leur apparut au moment où Elle faisait glisser en tâtonnant Son immensité verte, gélatineuse, par l'ouverture noire, afin de gagner l'air pollué, sorti de cette cité de poison et de folie. [...] La Chose ne peut être décrite. [...] Au bout de vingt millions d'années, le grand Cthulhu était à nouveau libre et ivre de joie. [...] Le grand Cthulhu se laissa glisser , tout graisseux, dans la mer et se lança à leur poursuite. ". Mais Johansen aura raison - qui l'eut crû ? - du monstre et " Cthulhu vit toujours, [...] enfermé à nouveau dans le gouffre de pierre qui l'a protégé depuis que le soleil est jeune. Sa cité maudite s'est enfoncée une fois de plus "
Ainsi naquit le monstrueux et fascinant personnage.


Le texte fut refusé une première fois (" Le Petit Farnie
[5] a refusé l'histoire de Grand-papa intitulée Cthulhu sous prétexte qu'elle était trop lente et trop obscure pour ses joyeux minus de lecteurs [6] ", puis accepté en 1927 (et payé 165 dollars). A propos des Montagnes Hallucinées, Lovecraft reviendra sur ce refus en l'éclairant : " Oui - Wright a expliqué son refus des Montagnes Hallucinées dans presque les mêmes termes avec lesquels il avait expliqué les refus récents à Long et à Derleth [7] . C'est 'trop long, pas facilement divisible en parties, pas convaincant' - etc. Tout comme ce qu'il avait dit de mes textes (sauf pour la durée) - il en a juste accepté certains après de nombreuses hésitations. Ces textes d'abord refusés puis acceptés comprennent Cthulhu, La Tombe et d'autres . [8] "
L'Appel de Cthulhu fut donc publié avec succès en février 1928. " Une part du succès venait sans doute du fait que " The Call " était construit comme un excellent roman policier. D'abord une succession de faits, apparemment sans lien entre eux : des images vues en rêve, des cas de folie, les tentatives de peinture et de sculptures devant suggérer l'indicible, les activités de sectes étranges, les invocations qui montent aussi bien des bayous de Louisiane que des igloos esquimaux. Et peu à peu les éléments du puzzle s'ordonnent, s'assemblent, s'éclairent, dessinent les contours de l'effrayante réalité dissimulée derrière tous ces événements : le réveil du grand Cthulhu. Le tout avec un ton de froide enquête, de simple constat.
[9] "


Mais ce succès engendra une anecdote piquante racontée par l'auteur lui-même : " L'éditeur littéraire du Journal - Bertrand H. Hart - tomba par hasard sur mon Cthulhu dans l'anthologie de Harré (encore que je n'aie pas mentionné que j'écrivais moi-même de la fiction lorsque j'ai récemment pris part à une discussion sur la fiction fantastique dans les colonnes de son Sideshow quotidien) et fut assez troublé car il demeure au 7 Thomas Street - la maison du Providence ancien, sur le chemin de la colline, où j'ai installé le jeune sculpteur Wilcox ! La coïncidence lui était on ne peut plus étonnante - ou l'aurait été, si la maison en question n'était pas le centre particulier pour toutes sortes et situations d'esthètes. Il encensa Cthulhu assez généreusement dans le Journal mais jura que, pour venger l'horreur de son vieux quartier, il en référerait aux apparitions, et aux goules locales et m'enverrait un monstrueux visiteur chez moi, à trois heures du matin ! Cette menace - faite dans le Journal du dernier vendredi - m'a contraint à lui envoyer le récit qui suit sur la façon dont le messager sans nom fut reçu :

LE MESSAGER

- A B.K. Hart, Esq. -

La Chose, avait-il dit, viendra cette nuit à trois heures
Depuis l'ancien cimetière* au bas de la colline ;
Mais, blotti près de la lueur salutaire d'un feu de chêne,
J'essayais de me convaincre que c'était impossible.
Assurément, méditais-je, c'était une plaisanterie
Imaginée par quelqu'un ne connaissant pas
Le signe des Anciens, légué depuis bien longtemps,
Qui libère les formes maladroites des ténèbres.
Il n'avait pas voulu dire cela ... non ... pourtant j'allumai
Une autre lampe comme le Lion gemmé d'étoiles surgissait
Au-dessus de Seekonk **, un clocher sonna
Trois heures ... et la lueur du feu diminua peu à peu.
Alors on frappa prudemment à la porte ...
Et la vérité démentielle me dévora comme une flamme !

* L'ancien cimetière de St-John, où les racines des vieux arbres s'entrelacent parmi les tombes et les autels de pierre datent de 1723, s'étend sur la colline escarpée à cinq pâtés de maisons du 10, Barnes Street. Il est totalement caché depuis la rue par le quadrangle de l'ancienne église et des maisons diocésaines. Aucune nécropole plus pittoresque et sinistre n'existe aux USA - c'est réellement l'exemple du lieu cher à Randolph Carter !
** La rivière forme la limite est de Providence - avec ses rives boisées et ses falaises intactes sur lesquelles j'avais l'habitude de me balader durant mon enfance
[10] .

 

Durant les années qui suivent la publication du texte, l'auteur explique. " Aucune prose narrative ne pourra être écrite qui violerait certaines lois d'harmonie et de bienséance, encore que d'un autre côté, la meilleure prose n'attire jamais par des artifices de structure. La conversation, lorsqu'elle est utilisée, doit absolument être réaliste - en violant toutes les autres considérations au profit d'une totale vraisemblance. La même chose vaut pour les lettres et les autres extraits cités. Ce doit être en harmonie avec les auteurs supposés, et non avec la ligne globale du texte. Je pense que je possède deux sortes d'atmosphères dans mes écrits fantastiques - l'un lorsque je sens la nécessité du réalisme scientifique, et que j'essaie de réussir un air convaincant de sobriété objective où le merveilleux ressort par contraste (La Couleur tombée du Ciel, Cthulhu, Celui qui chuchotait, etc.) et l'autre lorsque je me sens moi-même à moitié impliqué dans l'incertitude nébuleuse du rêve dépeint, et que j'essaie de transmettre l'allusion du doute fébrile et de l'appréhension inhérente à une vision imparfaitement entrevue (Randoplh Carter, Erich Zann, etc.). Actuellement, je pense que l'une est aussi valable que l'autre - le choix étant dicté par le thème. [11]  "
Il précise même : " Au fil du temps, j'essaie d'oublier la littérature formelle, et d'imaginer simplement un mensonge aussi minutieusement qu'un témoin douteux prépare son témoignage en ayant présent à l'esprit les avocats d'un contre-interrogatoire. Je prends de temps à autre la place des avocats - en trouvant des fausses pistes dans le témoignage originel, après quoi j'arrange à nouveau les détails et les motivations en prenant grand soin de leur probabilité. Non que j'y réussisse particulièrement, mais parce que je pense que je possède la méthode de base élaborée pour donner un maximum de résultats si je l'utilise de façon experte. Cet idéal m'apparut lors de ma période " Cthulhu ".
[12]  "

Le succès du conte a bien évidemment généré, de la part de ses correspondants amis, des questions auxquelles l'auteur a répondu ultérieurement.
C'est ainsi qu'on peut lire dans le récit " Le professeur Angell [...] s'était interrogé au sujet des hiéroglyphes inconnus et [...] avait entendu les syllabes menaçantes qu'on ne peut rendre que par 'Cthulhu' ". Dernier mot sybillin qui interpella certainement Duane Rimel. Lovecraft explique : " Cette anecdote sur l'entretien de Wandrei
[13] au sujet de Cthulhu est tout à fait fictionnelle. Je ne me souviens de rien à ce sujet, bien que j'ai probablement expliqué à Wandrei que j'avais dit aux autres que le mot était supposé représenter une tentative humaine tâtonnante de saisir les phonétiques d'un mot complètement non humain. Le nom de l'entité diabolique fut inventé par des êtres dont les organes vocaux n'étaient pas comme ceux des hommes, d'où la nécessité de ne pas avoir recours à un discours humain. Les syllabes étaient déterminées par un outil physiologique totalement différent du nôtre, d'où le fait qu'elles ne pouvaient jamais émaner d'une gorge humaine. Dans le récit, nous avons des êtres humains qui utilisent habituellement le mot du mieux qu'ils peuvent ; mais tous ne peuvent le faire qu'approximativement. Ils le font en utilisant leur gorge d'étrange façon pour imiter le son original de leurs ancêtres entendu de gorges non humaines.

Inédit :  Cthlhu sur son balaiCette étrange utilisation de la gorge humaine fait un son comme le son original non humain, mais ce n'est en aucune façon un discours humain ou des sons que nous entendons communément. C'est un son étranger, non familier, que les êtres humains ne peuvent seulement faire qu'avec effort, et qu'ils ne penseraient jamais à faire s'ils n'imitaient pas quelque chose de non humain. La sorte d'effort ou de bruit faite dans cette voie n'est pas vraiment comme le parler, mais c'est plus que le son que fait un homme lorsqu'il essaie d'imiter avec sa bouche un sifflement vaporeux ou le chant du coq ou le vent hurlant ou le cheval hennissant. Au début de ce récit, lorsque le professeur Angell s'intéresse au problème, il n'y a jamais eu de tentative de rendre le nom diabolique du monstre R'lyeh dans notre alphabet [...]. Le traducteur latin a simplement copié le grec. Les lettres CTHULHU furent simplement ce que le professeur Angell imagina à la hâte de représenter (certes de façon rude et imparfaite), le nom rêvé que le jeune artiste Wilcox lui avait oralement prononcé. Le son actuel - aussi près que des organes humains l'imiterait ou que des lettres humaines le montrerait - pourrait être quelque chose comme Khlûl'-hloo, avec la première syllabe prononcée gutturalement et très bêtement. Le u est à peu près identique à celui de full ; et la première syllabe n'a rien du son klul puisque le h représente la densité gutturale. La seconde syllabe n'est pas très bien rendue - le son l n'étant pas représenté. Ma conception minutieuse de ce nom est une sorte de protestation contre la folle et puérile habitude de la plupart des écrivains de fantastique et de science-fiction d'utiliser des entités tout à fait non humaines comme un catalogue de caractères tout à fait humains, comme si des êtres aux organes étrangers pouvaient posséder un langage basé sur des organes vocaux humains. Actuellement, chaque nom supposé avoir été créé par des non humains devrait être soigneusement composé de telle sorte qu'il ne soit pas conforme aux principes du vocalisme et du langage humains.
[14] "

Cthulhu donna naissance à une galerie d'entités - elles forment le mythe de Cthulhu - nées bien évidemment de l'imagination enfiévrée de Lovecraft. Et il est curieux de constater que l'idée que se font aujourd'hui de l'existence réelle de ces dieux-démons les lecteurs d'HPL date en fait de la publication du texte, puisque l'auteur dut préciser à l'un de ses correspondants, pourtant versé dans le fantastique : " En ce qui concerne le cycle mythique, cité avec solennité, Cthulhu, [...] laissez-moi vous confesser que le tout n'est qu'une concoction synthétique de mon crû. [15] "
Cthulhu est donc inséparable d'Howard Phillips Lovecraft, éternel grand enfant, pour notre plus grande joie - qui confiait en 1931 : " J'aurais beaucoup aimé vivre dans un cosmos empli de mes préférés Cthulhu, Yog-Sothoth et autres Tsathogguas
[16] "



[1] . Cité par F. Lacassin, préface à aux Mythes de Cthulhu, Ed. R. Laffont, collection Bouquins, 1991

[2] . HP Lovecraft, Dans l’abîme du temps.
[3] . Lettre à HS Farnese du 22.09.1932.
[4] . Les textres en italique sont extraits de L’Appel de Cthulhu, d’HP Lovecraft..
[5] . Farnsworth Wright, le rédacteur en chef de Weird Tales.
[6] . Lettre à FB Long du 26.10.1926.
[7] . Frank Belknap Long et August Derleth, amis et correspondants d’HPL (NdlR)
[8] . Lettre à V Shea du 7.08.1931
[9] . Jacques Van Herp, La mythologie de Cthulhu, in Dossier HP Lovecraft, Ed. Phénix n° 35
[10] . Lettre à CA Smith du 3.12.1929
[11] . Lettre à CA Smith du 7.11.1930
[12] . Lettre à CA Smith du 17.10.1930
[13] . Autre ami et correspondant d’HPL (NdlR)
[14] . Lettre à D Rimel du 23.07.1934.
[15] . Lettre à Robert Howard du 14.08.1930.
[16] . Lettre à A Derleth du 10.12.1931