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Octobre
1994
Lété indien est resplendissant
et lhumeur excellente...... Le conseil dadministration
de lOeil du Sphinx nous envoie en reportage aux Etats-Unis,
Boston, Providence, Salem...... Avec pour mission de rapporter
des films, photos et notes pour doper des publications qui souffrent
de torpeur fandomatique......
Nicolas
est excité comme une puce et moi, je ne sais plus ou donner
de la tête dans ma bibliothèque pour rassembler la
documentation nécessaire pour préparer ce voyage que
je mijote depuis longtemps. Après moultes hésitations,
je sélectionne :
I am Providence, de Jean-Christophe
Requette aux Editions Phénix. Disons le tout de suite,
cet ouvrage sera notre référence permanente dans
la ville mythique.
Off the Ancient Track, a Lovecraftien guide to New-England
and Adjacent New-York par Jason C. Eckhardt chez Necronomicon
Press.
LUnivers de Lovecraft (Cahier
dEtudes Lovecraftiennes, tome IV) par Philipp A. Shreffer
aux Editions Encrage.
Et
bien sûr un bon guide de base sur la région, Boston,
ApaGuide de poche.
Et
puis le grand jour arrive. Embarquement à Roissy sur Northwestern
Airlines, voyage sans histoire (en classe économique, finances
obligent....) et arrivée à Boston un dimanche après-midi,
assommés par le jet-lag, mais heureux.
Le Hors-Doeuvre Bostonien
Boston
nest que la base de notre voyage. Mais cette ville vaut
assurément le détour pour tout lovecraftien inconditionnel
.
« Au cours du mois doctobre, Ward reprit ses recherches
dans les bibliothèques, non plus sur les sujets antiques
qui lui étaient si chers auparavant, mais dans les domaines
de la sorcellerie, de la magie, de la démonologie et de
loccultisme ; et lorsque les ouvrages de Providence ne suffisaient
plus à ses recherches, il prenait alors le train pour Boston
et pillait la grande bibliothèque de Coppley Square, La
Widener Library de Harward ou encore la Zion Research Library
de Brookline, où étaient disponibles des travaux
très rares sur des sujets bibliques. (LAffaire Charles
Dexter Ward.)
Deux
monuments lovecraftiens sont assurément à
visiter.
Cette
fameuse bibliothèque Widener, située sur le campus
de luniversité de Cambridge, et où notamment
Watheley dans LHorreur de Dunwich était allé
pour essayer de subtiliser un exemplaire du Necronomicon. «
Avec ses trois millions de volumes et ses 240 kilomètres
de rayons, La Widener Library est la troisième bibliothèque
en importance des Etats-Unis. A lintérieur, la Memorial
Room renferme la bibliothèque de Harry Widener, jeune bibliophile
de Harward disparu dans le naufrage du Titanic. A travers ses superbes
boiseries et ses fenêtres à vitraux, cette salle exhale
un parfum dérudition que renforcent encore les trésors
accumulés par Wiedener -parmi lesquels une Bible de Gutemberg
et une édition originale in-folio de Shakespeare. »
-ApaGuide-
Lautre
monument incontournable est sans conteste la maison
de Randolph Carter sise sur Beacon Hill. « Les accords vocaux
des myriades de sifflements du matin, les grands rayons éblouissants
de laube reflétés sur les vitres pourpres par
le grand dôme doré de State House réveillèrent
brusquement Randolph Carter qui, dans sa chambre de Boston, sauta
en criant à bas de son lit. » in Démons et Merveilles.
Beacon Hill est un endroit merveilleux ; adossé sur le jardin
public, la colline est ornée dun joyau étincelant,
le palais du gouverneur de létat de Nouvelle-Angleterre.
Joyau au sens propre du terme, avec son dôme recouvert dun
or que lon dirait sorti tout droit dun atelier dalchimiste.
Gravissez la colline par Beacon Street, et vous ne pourrez pas rater
la maison de Randolph le Rêveur, faite de briques rouges et
ornée sur son côté droit dune sorte de
tour. Nous sommes ici au numéro 45. « Cet immeuble
massif fut réalisé en 1806 par larchitecte Bulfinch
pour le compte de Harrison Gray Otis, dans ce quon appelle
depuis le Federal Style. Originaire de Boston, Bulfinch fut dans
les années post-révolutionnaires larchitecte
le plus éminent de toute lAmérique du Nord.
Quant à Harrison Gray Otis, il était laîné
du clan familial le plus insensé de tout Boston et fit carrière
comme troisième maire de la ville. La maison abrite aujourdhui
lAmerican Meteorological Society; lune des clauses de
leur bail stipule que les météorologues sont dans
lobligation de montrer lintérieur à quiconque
sonne à la porte... » ApaGuide.
Ne quittez pas Beacon Hill sans vous balader dans les petites rues
ombragées - Chestnut Street, Acorn Street- qui fleurent bon
la fin du XVIII ème siècle si cher à HPL. Lesprit
du Maître flotte assurément dans ces lieux.
Boston,
cest aussi le Temple Maçonnique adossé aux Boston
Commons et qui nous fait immédiatement penser au Siège
de lOrdre Esotèrique de Dagon ; le port, où
les bateaux semblent partir pour Innsmouth chargés de cargaisons
mystérieuses ; et le fantastique Quincy Market, avec ses
petits restaurants et sa faune bigarrée. Il fait bon dy
faire étape et de déguster un hamburger ou un spare
ribs en refaisant le monde.
Providence
for Ever
Carnet
de Voyage
Au
soleil rougeoyant dun bel été indien
Providence sommeille, sommeille et sengloutit
Dans un rêve sans fin. College Hill est déserte,
Deux écureuils perdus, cachés sous un érable
Attendent une pitance ; attendent et se prélassent...
Les manuscrits précieux de la Brown Library
Appellent le lecteur et offrent des mystères
Que nul ne vient cueillir. Midi sur le campus,
Midi sous le soleil. Je gravis épuisé
College Street esseulée. Nest point mort
Qui peut éternellement gésir, Lombre nest
que furtive,
Elle accompagnera mes pas et semble murmurer
Des secrets que jadis tu mavais révélés.
Cétait Au cours des Temps, la Mort même peut
mourir.
.....Swam Point Cemetary.... Tu es là chez les tiens,
Lherbe est encore grasse, le parc étincelant,
Resplendissant de vie, despoirs et de passions.
Philippe
Marlin
Le
grand jour est arrivé. Rien de plus facile pour se rendre
à Providence au départ de Boston. Il faut prendre
le train à South Station. Il vous en coûtera 10,50
$ pour un aller-retour. Il faut environ 45 minutes pour rallier
la capitale du Rhode-Island.
Débarquement dans une petite gare « de province »,
aux allures de blockhaus et au parfum de béton. Nous nous
précipitons dans la book-shop pour acheter un plan de la
ville (indispensable), quelques cartes postales pour les amis
(tout aussi indispensable, nest-ce pas Philippe Ward !)
et rechercher un hypothétique guide. Hypothétique
est bien le terme. Le « tourisme lovecraftien » nest
pas organisé à Providence, et qui dailleurs
sen plaindrait. Le Maître a résisté
au culte commercial. Nous trouvons quand même une petite
gazette pour touristes, distribuée gratuitement (The Newport
Traveller) , avec un intéressant article sur les écrivains
de la région. Lovecraft y est évidemment cité.
Sortie
de la gare et vue magnifique sur la State House de létat.
Le dôme est moins rutilant que celui de Boston, mais lendroit
est superbe.......
Disons le tout de suite, nous avions programmé une journée
pour Providence. ET CEST LE MINIMUM. College Hill et les quartiers
mythiques sont tout près de la gare mais le cimetière
est à lautre extrémité... Aussi, et si
vous avez peu de temps, munissez vous de bonnes chaussures de marche.....
Première
escale, à 10 minutes de la gare, et à lombre
de College Hill, la First Baptist Church. Cest le point de
départ incontournable de tout périple lovecraftien
à Providence (75, North Main Street). Une petite église
blanche, dans un paisible jardin. Nicolas ne quitte pas lappareil
photo et moi le camescope. Nous sommes devant la première
église baptiste des USA. Celle qui était fréquentée
par HPL dans son rôle (méconnu) de jeune homme plaisantin....
Je reprends la lettre à Samuel Loveman du 5 janvier 1924,
Citée par J.C. Requette, Nous sommes montés au banc
dorgue, et je me suis efforcé de jouer Yes, we
have no bananas, mais je suis resté en panne par manque
de puissance, parce que la machine na pas de démarreur
automatique. ». Etonnant, non ?
En
sortant de léglise, vous tournez votre tête à
droite, et vous ne pouvez manquer, sur cette merveilleuse petite
place, la Maison Fleur de Lys, la demeure de Henry Anthony Wilcock
dans lAppel de Cthulhu. Une affreuse copie victorienne du
style breton du XVIIIème siècle, daprès
Shreffer. Un lieu pourtant magique pour moi qui ne suis pas un spécialiste
des styles. Mon oncle avait reconnu en lui le fils cadet dune
très bonne famille, qui étudiait depuis quelque temps
la sculpture à lécole des beaux-arts de Rhode-Island,
et vivait seul à lhôtel Fleur-de-Lys, tout près
de cette institution. Wilcock, doué dun génie
précoce, mais fort excentrique, avait, dès son enfance,
attiré lattention sur lui en raison des histoires et
des rêves étranges quil se plaisait à
raconter. in lAppel de Cthulhu.
Nous
quittons cette charmante compagnie en nous orientant vers la droite
en laissant la maison. nous tombons dans Benefit Street que nous
remontons jusquau numéro 144. Cest ici que
se trouve, sur la pente est de la rue, la maison de loncle
du narrateur de la Maison Maudite, le Dr Elihu Wipple. Mais cette
demeure nest quun hors-doeuvre. La Maison Maudite
proprement dite, la fameuse demeure de William Harris se trouve,
ou plutôt se trouverait- à deux pas de la, au numéro
135. Je dis se trouverait, car il ny a rien à ce
numéro, rien qui corresponde aux photos trouvées
dans nos bouquins. Déception...... Et merci au voyageur
qui nous suivra dans ce périple de nous donner son sentiment
sur ce mystère......
Nous
continuons à remonter Benefit Street vers le nord et nous
allons tourner sur notre gauche pour encore gravir (décidément,
tout monte......) cette fois la Barnes Street. Haut lieu du pèlerinage.
Nous tombons dabord, parallèlement à Barnes
Street, sur Prospect Street (au numéro 140), sur la Maison
de Charles Dexter Ward, une grande demeure de style géorgien,
au sommet de la colline abrupte qui se dresse à lest
de la rivière....... Il sagit en fait de la maison
Hasley, une demeure imposante dans un quartier résidentiel
et fort calme. « Cet immense édifice de brique de
deux étages présente effectivement une avancée
vitrée convexe de part et dautre de la porte dentrée,
du sol jusquau toit. Laspect imposant de la maison
Halsey, dû en partie à ses vastes baies, se trouve
encore renforcé du fait que les ailes, à larrière,
accompagnent la pente descendante de College Hill qui domine Providence...
» Shreffer.
Sur le trottoir den face, à langle de Prospect
Street et de Barnes Street, vous ne pouvez pas rater La Petite
ferme Blanche, devant laquelle passait Charles Dexter Ward, accompagné
de sa nourrice, lorsquil était enfant. Ce fut une
des premières demeures bâties dans le quartier, avant
1775.
Et
tout près de ces deux bâtiments, au 10 Barnes Street,
se trouve la maison où résida HPL et sa tante Lilian
Clarke de 1926 à 1933. Une maison « désirée
», un véritable havre de paix après une période
new-yorkaise éprouvante et un mariage raté. La demeure
est de style victorien, en fait formée de deux maisons
en bois accolées lune à lautre. Signalons
que cest ici que résidait également le Dr
Willet, le médecin de la famille Ward dans laffaire
du même nom.
Ici,
il faut souffler un peu et se préparer à une longue
marche qui va nous mener au Swam Point Cemetery. Il faut remonter
(encore) Barnes Street, prendre Hope Street sur la gauche et faire
quelques joyeux kilomètres jusquau boulevard Rochambeau.
Une petite halte à lintersection, les estomacs sont
creux. Nous nous restaurons dans un petit bistrot italien, servis
par une charmante serveuse dont le parfum semble troubler Nicolas.....
Et
puis nous prenons le boulevard sur la droite, et après
quelques nouveaux coups de semelles, nous arrivons à la
dernière demeure de Lovecraft. Lendroit est merveilleux,
un grand parc aéré dont les arbres semblent exploser
sous les mille couleurs de lété indien. Nous
nous dirigeons vers laccueil du Swam Point Cemetery, afin
de prendre le plan nécessaire pour repérer la tombe
du poète. Accueil chaleureux par une volubile matrone américaine.
« Ah, vous cherchez la tombe de HPL ! Vous devez être
européens, car les européens sont nombreux à
venir ici..... Tiens, il y a trois semaines, cest un français
qui est passé.... ». Renseignements pris, le français
nétait autre que Marc Thomas, le cinéaste
à qui lon doit notamment La musique dUlrich
Zann et qui lui aussi préparerait un reportage sur Providence.
La tombe est rapidement trouvée.... Lovecraft dort ici
entouré des siens. La tombe est sobre. Elle a été
financée par des fans, à loccasion du centenaire
de sa naissance. Sur son rebord ont été déposées
par des admirateurs anonymes des petites statuettes style jeu
de rôle, représentant des Grands Anciens. Emouvant.
Nous quittons à regret cet endroit magique, et encore plus
à regret, faute de temps, décidons de faire limpasse
sur le North Burial Ground. Autre cimetière légendaire,
datant de 1700, et où lauteur situait les tombes
de Joseph Curwen et dEzra Weeden.
Sur le chemin du retour, nous passons devant le Butler Hospital
(Blackstone Boulevard) où sont décédés
les parents de Lovecraft. Autre endroit dont le calme et la verdure
assaillent le promeneur.
Le
tombeau de H.P. Lovecraft
Il gît, enseveli dans la cité secrète,
Sous la mer, engendrée en son rêve aboli....
Que son secret hideux ne soit jamais sali,
Que nul nose troubler le repos du poète.
Car
son puissant sommeil ininterrompu jette
A travers le tombeau fissuré de loubli
Vers ce temps trop humain, sans mémoire, affaibli,
Le songe et la leçon dune haute tempête.
Le
rêve ainsi surgi du poète mortel,
Par limmortelle voix qui chez les ombres traîne
Puisse-t-il ne jamais montrer le monde tel !
Jusquà
la fin des temps sa muse veillera
Car elle sait, du songe étant la souveraine,
Quen détranges éons même la mort
mourra.
Michel Novy.
Retour
donc sur larrière de College Street. J.C. Requette
conseille de faire un saut dans la Slater Avenue (sur votre droite
en descendant le Blackstone Boulevard), pour voir lécole
que Lovecraft fréquenta, très peu il est vrai, de
1898 à 1903. Lécole a été reconstruite
depuis belle lurette et ne présente rigoureusement aucun
intérêt.
En
revanche, il ne faut pas rater Angell Street (qui croise également
le Blackstone Boulevard), autre lieu clef du pèlerinage.
Cest au numéro 598 que nous découvrons une des
autres résidences de lauteur, où il vécut
de 1904 jusquà son départ pour New-York en 1924.
La maison est vaste mais modeste. On comprend la douleur de ladolescent
qui, à la mort de son grand-père, dû quitter
la confortable demeure du 454 et trouver une résidence mieux
à la mesure des revenus de la petite famille.
Nous ne pourrons cependant nous rendre compte de ce quétait
la maison natale de lauteur. Le 454 a été rasé
et sur son emplacement se trouve aujourdhui une maison bourgeoise
(qui porte du reste le numéro 444). Lovecraft vouait une
passion dévorante à cette demeure « De ce jour,
la vie navait pour moi quun seul objectif - récupérer
cette vieille demeure, restaurer sa gloire - ambition que je craignais
de ne jamais pouvoir réaliser. Pendant douze ans, jai
eu limpression dêtre un exilé » Lettre
du 16-11-1916 à Reinhardt Kleiner.
Après
une pause Coca-Cola, nous continuons Angell Street jusquau
numéro 276, pour découvrir la maison de Archer Harris,
citée dans la Maison Maudite.
«
.... La famille y demeura jusquau moment où des nécessités
professionnelles les ramenèrent de ce côté-ci
du fleuve et de la colline, rue Angell, dans un nouveau quartier
à lest, où feu Archer Harris bâtit une
somptueuse demeure, au toit malheureusement hideux, en 1876. ».
Selon Requette, cette maison ne date pas de 1876, mais du début
du XXème siècle. Elle abrite aujourdhui manifestement
une administration, si lon en juge par la bannière
étoilée qui flotte au dessus de la porte dentrée.
Et je ne lui ai rien trouvé dhideux. Bien au contraire
même....
Nous
arrivons maintenant, en poursuivant Angell Street, au coeur de College
Hill. Nous coupons Prospect Street où se trouve (au 65),
en face de la Christian Science Church, la maison de lex 66
College Street . Cette maison a en effet été déplacée
en 1959, afin de « dégager » la John Hay Library
» à laquelle elle était accolée et pour
y installer à la place le List Art Building. Cest la
dernière demeure du poète, où il emménagea
à la mort de sa tante Lillian (1933), jusquà
son propre décès.(1937). La demeure est petite, au
caractère colonial marqué. Une véritable demeure
du XVIII ème siècle.
Lovecraft a utilisé cette maison dans « Celui qui hantait
les ténèbres », en en faisant la résidence
de Robert Blake (clin dil à son ami et correspondant
Robert Bloch). « Le jeune écrivain revint à
Providence pendant lhiver 1934-1935. Il sinstalla au
dernier étage dune vénérable demeure,
sur le faîte de la haute colline proche de Brown University,
derrière la Bibliothèque John Hay. Cétait
un logis confortable et pittoresque, de style géorgien, au
milieu dun petit jardin rustique où de gros chats se
chauffaient au soleil. Le bureau de Blake, vaste pièce exposée
au sud-ouest, dominait le jardin, tandis que les fenêtres
du côté ouest (devant lune desquelles se tenait
sa table de travail) offraient une vue magnifique de la ville basse.
A lhorizon sétendaient les pentes violettes des
collines lointaines servant de toile de fond à Federal Hill,
à deux miles de distance, où sentassaient toits
et clochers dont les contours prenaient des formes fantastiques
au milieu des fumées montant de la ville......
Au crépuscule, il restait souvent assis à sa table
de travail pour contempler rêveusement le spectacle offert
à sa vue ; les tours sombres de Memorial Hall, le beffroi
du palais de justice, la hauteur spectrale de Federal Hill qui stimulait
si fort son imagination..... »
Nous
sommes maintenant sur le campus de la Brown University. Un saut
obligatoire à la John Hay Library (College Street), au nom
mythique. Cest le cur de lUniversité de
Miskatonic et lendroit sacro-saint où repose un exemplaire
du Necronomicon. Cest aussi le temple des écrits lovecraftiens,
là où sont entreposés les principaux originaux
des textes du Maître. Point dexposition lors de notre
visite, mais un accueil sympathique par des employées efficaces
qui ne cherchent quà vous faciliter la tâche.
Mon Dieu, que tout est simple ici! Nous consultons le répertoire
(ou plutôt lun des tomes du répertoire) des écrits
lovecraftiens. De quoi faire pâlir denvie le Seigneur
Ward de Pamiers qui maintient à jour une (excellente du reste)
bibliographie lovecraftienne. Sont également répertoriés
tous les articles, revues, ouvrages consacrés au Maître
de Providence. Une mine de recherche fabuleuse pour S.T. Joshi et
ses disciples des légendaires Neconomicon Press. A titre
danecdote, savez-vous que cette maison de fanéditions
lovecraftiennes se trouve à West Warwick, dans la banlieue
de Providence ?.... Mais le temps nous est compté, et la
visite à ces collègues entreprenants sera pour un
autre voyage...
Restons
dans les livres avec, non loin de là, la découverte
dun étrange petit temple « grec », une
curieuse construction néoclassique. Cest le Providence
Athaneum, autre bibliothèque réputée du campus.
Dautres collections lovecraftiennes y sont entreposées.
Il est 16 heures, et nous ne pouvons hélas pénétrer
dans ce bâtiment qui vient juste de fermer pour préparer
la fête de Hallowen.....
Nous
redescendons College Hill pour passer devant (à lintersection
de Benefit Street et de Hopkins Street) une étonnante demeure
coloniale de couleur rouge, la Stephen Hopkins House. Elle date
de 1743. Elle abrita détranges réunions que
nous décrit lauteur dans LAffaire Charles Dexter
Ward. « ......tous estimèrent nécessaire dagir
en commun et en secret. Curwen constituait une menace à
légard de la prospérité de la ville
et de la colonie : il fallait à tout prix léliminer.
A la fin de décembre 1770, il y eut une réunion
générale chez Stephen Hopkins... ». Encore
cette inimitable façon de mêler la fiction au réel
et qui fait de notre périple quelque chose détonnamment
vivant.
Il
est temps de boucler hélas, avec le sentiment de navoir
fait que survoler de nombreux endroits et den avoir délaissé
dautres (léglise maudite de Federal Hill ou
léglise romaine St-John)..... Ce sera pour la prochaine,
du moins si notre conseil dadministration accepte de renouveler
lexpérience !!.
Nous contemplons une dernière fois de la gare College Hill
qui rougeoie sous le soleil couchant de cette fin octobre, en
relisant « Au cours de ses promenades, il sattachait
toujours à faire surgir dinnombrables reliques de
la vieille cité une image vivante et cohérente des
siècles passés. Sa demeure, vaste bâtisse
de lépoque des rois George, se dressait au sommet
de la colline abrupte, à lest de la rivière
; les fenêtres de derrière lui permettaient de voir
la masse des clochers , des dômes et des toits de la ville
basse, et les collines violettes de la campagne lointaine. Cest
là quil était né. » in lAffaire
Charles Dexter Ward.
Un
bilan ? Une impression de déjà vu..... Providence
est exactement comme elle létait dans mon imagination,
plus belle peut-être en cette saison si particulière
en Nouvelle-Angleterre, où les érables explosent dune
infinité de nuances rougeâtres. Si cela vous est possible,
choisissez la période de lété indien
pour venir flâner ici. Vous ne le regretterez pas !!!!
Un
petit saut à Salem
Nous
remettons nos chaussures le lendemain pour partir à lassaut
de Salem, autre cité mythique des contrées lovecraftiennes.
On prend le train à North Station cette fois, et en 20 minutes,
on arrive au quartier général des sorcières.
Soyons
clair dès le départ, cette visite nous a profondément
déçu. Salem est lantithèse de Providence.
Au calme discret dune cité provinciale ignorée
des touristes succède le « big bazar » de lésotérisme
de pacotille et du fantastique de carton-pâte. Salem est exploitée
jusquà la moelle par les marchands du temple (noir,
il sentend), et il est bien difficile de repérer les
sites historiques authentiques parmi toutes ces reconstitutions
de goût douteux : la maison de la sorcière, la vraie
maison de la sorcière, le château de Dracula (mais
que vient faire le Saigneur des Carpates ici !!!), le manoir des
horreurs. Et pour couronner le tout, des kilomètres de librairies
new-âge qui empestent lencens de mauvaise qualité
et proposent des gadgets ineptes aux gogos de passage. Et des gogos,
il y en a. Nous sommes le jour dHallowen et les rues sont
bondées de familles du cru traînant des bambins excités
sous des costumes ridicules de magiciens, sorcières et autres
monstres suceurs de sang.
Nous renoncerons assez vite à poursuivre ce pèlerinage
(il faut dire que nous reprenons lavion pour Paris le soir),
juste le temps de jeter un oeil à la (vraie) Maison de la
Sorcière, où Walter Gilman, étudiant à
luniversité de Miskatonic, rencontra lombre de
la sorcière Keziah Mason. Cette antique demeure était
à lorigine celle du juge Nathan Corwin, assistant du
juge Hawthorne lors du fameux procès. Elle se trouve à
langle des rue Essex et North et constitue, bien évidemment
une attraction touristique de taille. Nous navons pas cherché
à y pénétrer, la queue ayant de quoi décourager
tout visiteur pressé......
La Sorcière
Elle
est encore jeune, la sorcière.
« A peine un battement de paupières »,
Disait la vieille Bishop à son visiteur qui sappelait,
je crois, Howard P. Lovecraft.
Bientôt en lan 2000 : que le temps passe vite !
Elle languit seule, parfois, avec ses gros bouquins, ses plumes,
ses grimoires, ses toiles, ses guitares, ses tubes de rouge et ses
crayons noirs.
Pas une ride sur son visage.
Les murs sont verts de salpêtre et de lèpre.
La lumière entre à peine au travers des fenêtres.
Cest peut-être un blasphème que de trop se connaître.
La nuit, on la peut-être déjà rencontrée,
voletant au-dessus des toits,
Parlant aux clochards, aux enfants, aux vieillards et aux chats.
Parfois, elle papillonne entre les bras et les regards des hommes.
Elle ne fait que passer entre les grains de poussière.
Elle est encore jeune, la sorcière.
Juste un battement de paupières.
Particia
Manignal
Ce
reportage a été publié dans le numéro
3 du Bulletin de l'Université de Miskatonic
(une publication de lODS)
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