Un pèlerinage en Terres Lovecraftiennes

Octobre 1994

L’été indien est resplendissant et l’humeur excellente...... Le conseil d’administration de l’Oeil du Sphinx nous envoie en reportage aux Etats-Unis, Boston, Providence, Salem...... Avec pour mission de rapporter des films, photos et notes pour doper des publications qui souffrent de torpeur fandomatique......
Nicolas est excité comme une puce et moi, je ne sais plus ou donner de la tête dans ma bibliothèque pour rassembler la documentation nécessaire pour préparer ce voyage que je mijote depuis longtemps. Après moultes hésitations, je sélectionne :

I am Providence, de Jean-Christophe Requette aux Editions Phénix. Disons le tout de suite, cet ouvrage sera notre référence permanente dans la ville mythique.

Off the Ancient Track, a Lovecraftien guide to New-England and Adjacent New-York par Jason C. Eckhardt chez Necronomicon Press.

L’Univers de Lovecraft (Cahier d’Etudes Lovecraftiennes, tome IV) par Philipp A. Shreffer aux Editions Encrage.

Et bien sûr un bon guide de base sur la région, Boston, ApaGuide de poche.
Et puis le grand jour arrive. Embarquement à Roissy sur Northwestern Airlines, voyage sans histoire (en classe économique, finances obligent....) et arrivée à Boston un dimanche après-midi, assommés par le jet-lag, mais heureux.

Le Hors-D’oeuvre Bostonien

Boston n’est que la base de notre voyage. Mais cette ville vaut assurément le détour pour tout lovecraftien inconditionnel .
« Au cours du mois d’octobre, Ward reprit ses recherches dans les bibliothèques, non plus sur les sujets antiques qui lui étaient si chers auparavant, mais dans les domaines de la sorcellerie, de la magie, de la démonologie et de l’occultisme ; et lorsque les ouvrages de Providence ne suffisaient plus à ses recherches, il prenait alors le train pour Boston et pillait la grande bibliothèque de Coppley Square, La Widener Library de Harward ou encore la Zion Research Library de Brookline, où étaient disponibles des travaux très rares sur des sujets bibliques. (L’Affaire Charles Dexter Ward.)

66 - College Street

Deux ‘monuments’ lovecraftiens sont assurément à visiter.
Cette fameuse bibliothèque Widener, située sur le campus de l’université de Cambridge, et où notamment Watheley dans L’Horreur de Dunwich était allé pour essayer de subtiliser un exemplaire du Necronomicon. « Avec ses trois millions de volumes et ses 240 kilomètres de rayons, La Widener Library est la troisième bibliothèque en importance des Etats-Unis. A l’intérieur, la Memorial Room renferme la bibliothèque de Harry Widener, jeune bibliophile de Harward disparu dans le naufrage du Titanic. A travers ses superbes boiseries et ses fenêtres à vitraux, cette salle exhale un parfum d’érudition que renforcent encore les trésors accumulés par Wiedener -parmi lesquels une Bible de Gutemberg et une édition originale in-folio de Shakespeare. » -ApaGuide-
L’autre ‘monument’ incontournable est sans conteste la maison de Randolph Carter sise sur Beacon Hill. « Les accords vocaux des myriades de sifflements du matin, les grands rayons éblouissants de l’aube reflétés sur les vitres pourpres par le grand dôme doré de State House réveillèrent brusquement Randolph Carter qui, dans sa chambre de Boston, sauta en criant à bas de son lit. » in Démons et Merveilles. Beacon Hill est un endroit merveilleux ; adossé sur le jardin public, la colline est ornée d’un joyau étincelant, le palais du gouverneur de l’état de Nouvelle-Angleterre. Joyau au sens propre du terme, avec son dôme recouvert d’un or que l’on dirait sorti tout droit d’un atelier d’alchimiste. Gravissez la colline par Beacon Street, et vous ne pourrez pas rater la maison de Randolph le Rêveur, faite de briques rouges et ornée sur son côté droit d’une sorte de tour. Nous sommes ici au numéro 45. « Cet immeuble massif fut réalisé en 1806 par l’architecte Bulfinch pour le compte de Harrison Gray Otis, dans ce qu’on appelle depuis le Federal Style. Originaire de Boston, Bulfinch fut dans les années post-révolutionnaires l’architecte le plus éminent de toute l’Amérique du Nord. Quant à Harrison Gray Otis, il était l’aîné du clan familial le plus insensé de tout Boston et fit carrière comme troisième maire de la ville. La maison abrite aujourd’hui l’American Meteorological Society; l’une des clauses de leur bail stipule que les météorologues sont dans l’obligation de montrer l’intérieur à quiconque sonne à la porte... » ApaGuide.
Ne quittez pas Beacon Hill sans vous balader dans les petites rues ombragées - Chestnut Street, Acorn Street- qui fleurent bon la fin du XVIII ème siècle si cher à HPL. L’esprit du Maître flotte assurément dans ces lieux.
Boston, c’est aussi le Temple Maçonnique adossé aux Boston Commons et qui nous fait immédiatement penser au Siège de l’Ordre Esotèrique de Dagon ; le port, où les bateaux semblent partir pour Innsmouth chargés de cargaisons mystérieuses ; et le fantastique Quincy Market, avec ses petits restaurants et sa faune bigarrée. Il fait bon d’y faire étape et de déguster un hamburger ou un spare ribs en refaisant le monde.

Providence for Ever

Carnet de Voyage

Au soleil rougeoyant d’un bel été indien
Providence sommeille, sommeille et s’engloutit
Dans un rêve sans fin. College Hill est déserte,
Deux écureuils perdus, cachés sous un érable
Attendent une pitance ; attendent et se prélassent...
Les manuscrits précieux de la Brown Library
Appellent le lecteur et offrent des mystères
Que nul ne vient cueillir. Midi sur le campus,
Midi sous le soleil. Je gravis épuisé
College Street esseulée. N’est point mort
Qui peut éternellement gésir, L’ombre n’est que furtive,
Elle accompagnera mes pas et semble murmurer
Des secrets que jadis tu m’avais révélés.
C’était Au cours des Temps, la Mort même peut mourir.
.....Swam Point Cemetary.... Tu es là chez les tiens,
L’herbe est encore grasse, le parc étincelant,
Resplendissant de vie, d’espoirs et de passions.

Philippe Marlin

 

Le grand jour est arrivé. Rien de plus facile pour se rendre à Providence au départ de Boston. Il faut prendre le train à South Station. Il vous en coûtera 10,50 $ pour un aller-retour. Il faut environ 45 minutes pour rallier la capitale du Rhode-Island.
Débarquement dans une petite gare « de province », aux allures de blockhaus et au parfum de béton. Nous nous précipitons dans la book-shop pour acheter un plan de la ville (indispensable), quelques cartes postales pour les amis (tout aussi indispensable, n’est-ce pas Philippe Ward !) et rechercher un hypothétique guide. Hypothétique est bien le terme. Le « tourisme lovecraftien » n’est pas organisé à Providence, et qui d’ailleurs s’en plaindrait. Le Maître a résisté au culte commercial. Nous trouvons quand même une petite gazette pour touristes, distribuée gratuitement (The Newport Traveller) , avec un intéressant article sur les écrivains de la région. Lovecraft y est évidemment cité.
Sortie de la gare et vue magnifique sur la State House de l’état. Le dôme est moins rutilant que celui de Boston, mais l’endroit est superbe.......
Disons le tout de suite, nous avions programmé une journée pour Providence. ET C’EST LE MINIMUM. College Hill et les quartiers mythiques sont tout près de la gare mais le cimetière est à l’autre extrémité... Aussi, et si vous avez peu de temps, munissez vous de bonnes chaussures de marche.....
Première escale, à 10 minutes de la gare, et à l’ombre de College Hill, la First Baptist Church. C’est le point de départ incontournable de tout périple lovecraftien à Providence (75, North Main Street). Une petite église blanche, dans un paisible jardin. Nicolas ne quitte pas l’appareil photo et moi le camescope. Nous sommes devant la première église baptiste des USA. Celle qui était fréquentée par HPL dans son rôle (méconnu) de jeune homme plaisantin.... Je reprends la lettre à Samuel Loveman du 5 janvier 1924, Citée par J.C. Requette, Nous sommes montés au banc d’orgue, et je me suis efforcé de jouer ‘Yes, we have no bananas’, mais je suis resté en panne par manque de puissance, parce que la machine n’a pas de démarreur automatique. ». Etonnant, non ?
En sortant de l’église, vous tournez votre tête à droite, et vous ne pouvez manquer, sur cette merveilleuse petite place, la Maison Fleur de Lys, la demeure de Henry Anthony Wilcock dans l’Appel de Cthulhu. Une affreuse copie victorienne du style breton du XVIIIème siècle, d’après Shreffer. Un lieu pourtant magique pour moi qui ne suis pas un spécialiste des styles. Mon oncle avait reconnu en lui le fils cadet d’une très bonne famille, qui étudiait depuis quelque temps la sculpture à l’école des beaux-arts de Rhode-Island, et vivait seul à l’hôtel Fleur-de-Lys, tout près de cette institution. Wilcock, doué d’un génie précoce, mais fort excentrique, avait, dès son enfance, attiré l’attention sur lui en raison des histoires et des rêves étranges qu’il se plaisait à raconter. in l’Appel de Cthulhu.

Nous quittons cette charmante compagnie en nous orientant vers la droite en laissant la maison. nous tombons dans Benefit Street que nous remontons jusqu’au numéro 144. C’est ici que se trouve, sur la pente est de la rue, la maison de l’oncle du narrateur de la Maison Maudite, le Dr Elihu Wipple. Mais cette demeure n’est qu’un hors-d’oeuvre. La Maison Maudite proprement dite, la fameuse demeure de William Harris se trouve, ou plutôt se trouverait- à deux pas de la, au numéro 135. Je dis se trouverait, car il n’y a rien à ce numéro, rien qui corresponde aux photos trouvées dans nos bouquins. Déception...... Et merci au voyageur qui nous suivra dans ce périple de nous donner son sentiment sur ce mystère......

Maison Dexter Ward

Nous continuons à remonter Benefit Street vers le nord et nous allons tourner sur notre gauche pour encore gravir (décidément, tout monte......) cette fois la Barnes Street. Haut lieu du pèlerinage. Nous tombons d’abord, parallèlement à Barnes Street, sur Prospect Street (au numéro 140), sur la Maison de Charles Dexter Ward, une grande demeure de style géorgien, au sommet de la colline abrupte qui se dresse à l’est de la rivière....... Il s’agit en fait de la maison Hasley, une demeure imposante dans un quartier résidentiel et fort calme. « Cet immense édifice de brique de deux étages présente effectivement une avancée vitrée convexe de part et d’autre de la porte d’entrée, du sol jusqu’au toit. L’aspect imposant de la maison Halsey, dû en partie à ses vastes baies, se trouve encore renforcé du fait que les ailes, à l’arrière, accompagnent la pente descendante de College Hill qui domine Providence... » Shreffer.

Ferme Blanche


Sur le trottoir d’en face, à l’angle de Prospect Street et de Barnes Street, vous ne pouvez pas rater La Petite ferme Blanche, devant laquelle passait Charles Dexter Ward, accompagné de sa nourrice, lorsqu’il était enfant. Ce fut une des premières demeures bâties dans le quartier, avant 1775.
Et tout près de ces deux bâtiments, au 10 Barnes Street, se trouve la maison où résida HPL et sa tante Lilian Clarke de 1926 à 1933. Une maison « désirée », un véritable havre de paix après une période new-yorkaise éprouvante et un mariage raté. La demeure est de style victorien, en fait formée de deux maisons en bois accolées l’une à l’autre. Signalons que c’est ici que résidait également le Dr Willet, le médecin de la famille Ward dans l’affaire du même nom.

10 Barnes Sreet.

Ici, il faut souffler un peu et se préparer à une longue marche qui va nous mener au Swam Point Cemetery. Il faut remonter (encore) Barnes Street, prendre Hope Street sur la gauche et faire quelques joyeux kilomètres jusqu’au boulevard Rochambeau. Une petite halte à l’intersection, les estomacs sont creux. Nous nous restaurons dans un petit bistrot italien, servis par une charmante serveuse dont le parfum semble troubler Nicolas.....

Et puis nous prenons le boulevard sur la droite, et après quelques nouveaux coups de semelles, nous arrivons à la dernière demeure de Lovecraft. L’endroit est merveilleux, un grand parc aéré dont les arbres semblent exploser sous les mille couleurs de l’été indien. Nous nous dirigeons vers l’accueil du Swam Point Cemetery, afin de prendre le plan nécessaire pour repérer la tombe du poète. Accueil chaleureux par une volubile matrone américaine. « Ah, vous cherchez la tombe de HPL ! Vous devez être européens, car les européens sont nombreux à venir ici..... Tiens, il y a trois semaines, c’est un français qui est passé.... ». Renseignements pris, le français n’était autre que Marc Thomas, le cinéaste à qui l’on doit notamment La musique d’Ulrich Zann et qui lui aussi préparerait un reportage sur Providence.
La tombe est rapidement trouvée.... Lovecraft dort ici entouré des siens. La tombe est sobre. Elle a été financée par des fans, à l’occasion du centenaire de sa naissance. Sur son rebord ont été déposées par des admirateurs anonymes des petites statuettes style jeu de rôle, représentant des Grands Anciens. Emouvant.
Nous quittons à regret cet endroit magique, et encore plus à regret, faute de temps, décidons de faire l’impasse sur le North Burial Ground. Autre cimetière légendaire, datant de 1700, et où l’auteur situait les tombes de Joseph Curwen et d’Ezra Weeden.
Sur le chemin du retour, nous passons devant le Butler Hospital (Blackstone Boulevard) où sont décédés les parents de Lovecraft. Autre endroit dont le calme et la verdure assaillent le promeneur.

 

Le tombeau de H.P. Lovecraft



Il gît, enseveli dans la cité secrète,
Sous la mer, engendrée en son rêve aboli....
Que son secret hideux ne soit jamais sali,
Que nul n’ose troubler le repos du poète.

Car son puissant sommeil ininterrompu jette
A travers le tombeau fissuré de l’oubli
Vers ce temps trop humain, sans mémoire, affaibli,
Le songe et la leçon d’une haute tempête.

Le rêve ainsi surgi du poète mortel,
Par l’immortelle voix qui chez les ombres traîne
Puisse-t-il ne jamais montrer le monde tel !

Jusqu’à la fin des temps sa muse veillera
Car elle sait, du songe étant la souveraine,
Qu’en d’étranges éons même la mort mourra.

Michel Novy.

Retour donc sur l’arrière de College Street. J.C. Requette conseille de faire un saut dans la Slater Avenue (sur votre droite en descendant le Blackstone Boulevard), pour voir l’école que Lovecraft fréquenta, très peu il est vrai, de 1898 à 1903. L’école a été reconstruite depuis belle lurette et ne présente rigoureusement aucun intérêt.
En revanche, il ne faut pas rater Angell Street (qui croise également le Blackstone Boulevard), autre lieu clef du pèlerinage. C’est au numéro 598 que nous découvrons une des autres résidences de l’auteur, où il vécut de 1904 jusqu’à son départ pour New-York en 1924. La maison est vaste mais modeste. On comprend la douleur de l’adolescent qui, à la mort de son grand-père, dû quitter la confortable demeure du 454 et trouver une résidence mieux à la mesure des revenus de la petite famille.
Nous ne pourrons cependant nous rendre compte de ce qu’était la maison natale de l’auteur. Le 454 a été rasé et sur son emplacement se trouve aujourd’hui une maison bourgeoise (qui porte du reste le numéro 444). Lovecraft vouait une passion dévorante à cette demeure « De ce jour, la vie n’avait pour moi qu’un seul objectif - récupérer cette vieille demeure, restaurer sa gloire - ambition que je craignais de ne jamais pouvoir réaliser. Pendant douze ans, j’ai eu l’impression d’être un exilé » Lettre du 16-11-1916 à Reinhardt Kleiner.

Après une pause Coca-Cola, nous continuons Angell Street jusqu’au numéro 276, pour découvrir la maison de Archer Harris, citée dans la Maison Maudite.

Maison Archer Harris

« .... La famille y demeura jusqu’au moment où des nécessités professionnelles les ramenèrent de ce côté-ci du fleuve et de la colline, rue Angell, dans un nouveau quartier à l’est, où feu Archer Harris bâtit une somptueuse demeure, au toit malheureusement hideux, en 1876. ». Selon Requette, cette maison ne date pas de 1876, mais du début du XXème siècle. Elle abrite aujourd’hui manifestement une administration, si l’on en juge par la bannière étoilée qui flotte au dessus de la porte d’entrée. Et je ne lui ai rien trouvé d’hideux. Bien au contraire même....

Nous arrivons maintenant, en poursuivant Angell Street, au coeur de College Hill. Nous coupons Prospect Street où se trouve (au 65), en face de la Christian Science Church, la maison de l’ex 66 College Street . Cette maison a en effet été déplacée en 1959, afin de « dégager » la John Hay Library » à laquelle elle était accolée et pour y installer à la place le List Art Building. C’est la dernière demeure du poète, où il emménagea à la mort de sa tante Lillian (1933), jusqu’à son propre décès.(1937). La demeure est petite, au caractère colonial marqué. Une véritable demeure du XVIII ème siècle.
Lovecraft a utilisé cette maison dans « Celui qui hantait les ténèbres », en en faisant la résidence de Robert Blake (clin d’œil à son ami et correspondant Robert Bloch). « Le jeune écrivain revint à Providence pendant l’hiver 1934-1935. Il s’installa au dernier étage d’une vénérable demeure, sur le faîte de la haute colline proche de Brown University, derrière la Bibliothèque John Hay. C’était un logis confortable et pittoresque, de style géorgien, au milieu d’un petit jardin rustique où de gros chats se chauffaient au soleil. Le bureau de Blake, vaste pièce exposée au sud-ouest, dominait le jardin, tandis que les fenêtres du côté ouest (devant l’une desquelles se tenait sa table de travail) offraient une vue magnifique de la ville basse. A l’horizon s’étendaient les pentes violettes des collines lointaines servant de toile de fond à Federal Hill, à deux miles de distance, où s’entassaient toits et clochers dont les contours prenaient des formes fantastiques au milieu des fumées montant de la ville......
Au crépuscule, il restait souvent assis à sa table de travail pour contempler rêveusement le spectacle offert à sa vue ; les tours sombres de Memorial Hall, le beffroi du palais de justice, la hauteur spectrale de Federal Hill qui stimulait si fort son imagination..... »
Nous sommes maintenant sur le campus de la Brown University. Un saut obligatoire à la John Hay Library (College Street), au nom mythique. C’est le cœur de l’Université de Miskatonic et l’endroit sacro-saint où repose un exemplaire du Necronomicon. C’est aussi le temple des écrits lovecraftiens, là où sont entreposés les principaux originaux des textes du Maître. Point d’exposition lors de notre visite, mais un accueil sympathique par des employées efficaces qui ne cherchent qu’à vous faciliter la tâche. Mon Dieu, que tout est simple ici! Nous consultons le répertoire (ou plutôt l’un des tomes du répertoire) des écrits lovecraftiens. De quoi faire pâlir d’envie le Seigneur Ward de Pamiers qui maintient à jour une (excellente du reste) bibliographie lovecraftienne. Sont également répertoriés tous les articles, revues, ouvrages consacrés au Maître de Providence. Une mine de recherche fabuleuse pour S.T. Joshi et ses disciples des légendaires Neconomicon Press. A titre d’anecdote, savez-vous que cette maison de fanéditions lovecraftiennes se trouve à West Warwick, dans la banlieue de Providence ?.... Mais le temps nous est compté, et la visite à ces collègues entreprenants sera pour un autre voyage...
Restons dans les livres avec, non loin de là, la découverte d’un étrange petit temple « grec », une curieuse construction néoclassique. C’est le Providence Athaneum, autre bibliothèque réputée du campus. D’autres collections lovecraftiennes y sont entreposées. Il est 16 heures, et nous ne pouvons hélas pénétrer dans ce bâtiment qui vient juste de fermer pour préparer la fête de Hallowen.....

Nous redescendons College Hill pour passer devant (à l’intersection de Benefit Street et de Hopkins Street) une étonnante demeure coloniale de couleur rouge, la Stephen Hopkins House. Elle date de 1743. Elle abrita d’étranges réunions que nous décrit l’auteur dans L’Affaire Charles Dexter Ward. « ......tous estimèrent nécessaire d’agir en commun et en secret. Curwen constituait une menace à l’égard de la prospérité de la ville et de la colonie : il fallait à tout prix l’éliminer. A la fin de décembre 1770, il y eut une réunion générale chez Stephen Hopkins... ». Encore cette inimitable façon de mêler la fiction au réel et qui fait de notre périple quelque chose d’étonnamment vivant.

Maison de Charles Dexter Ward

Il est temps de boucler hélas, avec le sentiment de n’avoir fait que survoler de nombreux endroits et d’en avoir délaissé d’autres (l’église maudite de Federal Hill ou l’église romaine St-John)..... Ce sera pour la prochaine, du moins si notre conseil d’administration accepte de renouveler l’expérience !!.
Nous contemplons une dernière fois de la gare College Hill qui rougeoie sous le soleil couchant de cette fin octobre, en relisant « Au cours de ses promenades, il s’attachait toujours à faire surgir d’innombrables reliques de la vieille cité une image vivante et cohérente des siècles passés. Sa demeure, vaste bâtisse de l’époque des rois George, se dressait au sommet de la colline abrupte, à l’est de la rivière ; les fenêtres de derrière lui permettaient de voir la masse des clochers , des dômes et des toits de la ville basse, et les collines violettes de la campagne lointaine. C’est là qu’il était né. » in l’Affaire Charles Dexter Ward.

Un bilan ? Une impression de déjà vu..... Providence est exactement comme elle l’était dans mon imagination, plus belle peut-être en cette saison si particulière en Nouvelle-Angleterre, où les érables explosent d’une infinité de nuances rougeâtres. Si cela vous est possible, choisissez la période de l’été indien pour venir flâner ici. Vous ne le regretterez pas !!!!
Un petit saut à Salem
Nous remettons nos chaussures le lendemain pour partir à l’assaut de Salem, autre cité mythique des contrées lovecraftiennes. On prend le train à North Station cette fois, et en 20 minutes, on arrive au quartier général des sorcières.
Soyons clair dès le départ, cette visite nous a profondément déçu. Salem est l’antithèse de Providence. Au calme discret d’une cité provinciale ignorée des touristes succède le « big bazar » de l’ésotérisme de pacotille et du fantastique de carton-pâte. Salem est exploitée jusqu’à la moelle par les marchands du temple (noir, il s’entend), et il est bien difficile de repérer les sites historiques authentiques parmi toutes ces reconstitutions de goût douteux : la maison de la sorcière, la vraie maison de la sorcière, le château de Dracula (mais que vient faire le Saigneur des Carpates ici !!!), le manoir des horreurs. Et pour couronner le tout, des kilomètres de librairies new-âge qui empestent l’encens de mauvaise qualité et proposent des gadgets ineptes aux gogos de passage. Et des gogos, il y en a. Nous sommes le jour d’Hallowen et les rues sont bondées de familles du cru traînant des bambins excités sous des costumes ridicules de magiciens, sorcières et autres monstres suceurs de sang.
Nous renoncerons assez vite à poursuivre ce pèlerinage (il faut dire que nous reprenons l’avion pour Paris le soir), juste le temps de jeter un oeil à la (vraie) Maison de la Sorcière, où Walter Gilman, étudiant à l’université de Miskatonic, rencontra l’ombre de la sorcière Keziah Mason. Cette antique demeure était à l’origine celle du juge Nathan Corwin, assistant du juge Hawthorne lors du fameux procès. Elle se trouve à l’angle des rue Essex et North et constitue, bien évidemment une attraction touristique de taille. Nous n’avons pas cherché à y pénétrer, la queue ayant de quoi décourager tout visiteur pressé......


La Sorcière

Elle est encore jeune, la sorcière.
« A peine un battement de paupières »,
Disait la vieille Bishop à son visiteur qui s’appelait, je crois, Howard P. Lovecraft.
Bientôt en l’an 2000 : que le temps passe vite !
Elle languit seule, parfois, avec ses gros bouquins, ses plumes,
ses grimoires, ses toiles, ses guitares, ses tubes de rouge et ses crayons noirs.
Pas une ride sur son visage.
Les murs sont verts de salpêtre et de lèpre.
La lumière entre à peine au travers des fenêtres.
C’est peut-être un blasphème que de trop se connaître.
La nuit, on l’a peut-être déjà rencontrée, voletant au-dessus des toits,
Parlant aux clochards, aux enfants, aux vieillards et aux chats.
Parfois, elle papillonne entre les bras et les regards des hommes.
Elle ne fait que passer entre les grains de poussière.
Elle est encore jeune, la sorcière.
Juste un battement de paupières.

Particia Manignal


C
e reportage a été publié dans le numéro 3 du Bulletin de l'Université de Miskatonic
(une publication de l’ODS)