Howard Phillips Lovecraft est né en 1890 à Providence, Rhode Island, et semble avoir passé une grande partie de sa vie à regretter amèrement de n’être pas né plus tôt, à une époque plus classique. Sa famille fut, à un certain moment, éminente mais la fortune était déjà presqu’enfuie lorsque son père mourut, et les Lovecraft furent obligés à une existence plus spartiate. Enfant maladif, le jeune Howard manqua tellement l’école qu’il échoua au diplôme d’études secondaires par manque d’assiduité. Néanmoins, il parvint à s’éduquer seul à ce moment-là, et se découvra très tôt un talent pour l’écriture. Dans le reste de son existence relativement courte, il vécut chichement en éditant et en réécrivant des histoires pour les autres, et ce fut seulement après la trentaine qu’il essaya de vendre ses propres fictions. Même alors, sa production se limitait à des récits d’horreur qu’il vendait à bas prix à des pulps.
Enfant couvé et peut-être trop materné, Lovecraft n’a jamais semblé bien adapté à la vie d’adulte, bien que les biographes notent qu’il fit un vaillant essai. Lorsque sa mère mourut en 1920, Lovecraft s’en alla à New-York, et là-bas, il tomba amoureux et épousa une femme plus âgée (une boulangère et entrepreneuse juive), et il essaya de s’établir. Cependant, il fut incapable de trouver du travail, et finalement, après deux ans pendant lesquels il vécut aux frais de sa femme, désespéré, il revint à Providence où il fut accueilli dans la maison de deux tantes restées vieilles filles. Bien que sa femme souhaita le suivre, les tantes ne voulurent pas entendre parler de l’idée scandaleuse d’une femme entretenant son mari, et Lovecraft (pour sa part) insista pour rester où il était. Cela signifia la fin effective de son mariage et (d’après ce que l’on sait), par la même, la fin de l’amour de sa vie. Il résida soit avec l’une, soit avec les deux tantes, à son aise, avec ses étranges écrits et sa relative pauvreté, jusqu’à sa mort prématurée d’un cancer du colon associé à une maladie du rein en 1937.
Si les détails extérieurs de la vie de Lovecraft ne sont pas très intéressants, c’est éventuellement parce-que Lovecraft lui-même n’était pas vraiment intéressé par sa vie, certainement moins que par ses rêves et son imagination. Il semble avoir eu seulement deux centres d’intérêt: la fiction d’horreur et la correspondance. Pendant ses seize dernières années, il écrivit et publia presque toutes des cinquante et quelques histoires sur lesquelles se fit sa renommée, mais parallèlement, il était peu connu en dehors d’un petit cercle de lecteurs. A cette même période, il cultiva aussi plusieurs amitiés littéraires, écrivant peut-être dix millions de mots sous forme de courriers durant sa vie, et correspondant avec plus de cent personnes à un certain moment (comme Thomas Jefferson, Lovecraft semble avoir été le genre de personne qui deviendrait aujourd’hui un accro des tableaux d’annonces informatiques). Après la mort de Lovecraft, sa mémoire resta vivante grâce à un petit nombre de fans dévoués qui continuèrent à écrire des histoires en utilisant ses mondes imaginaires comme décor. Et deux de ses loyaux successeurs fondèrent finalement une maison d’édition (Arkham House, Sauk City, WI) dont la résolution formelle était de garder une trace écrite de son travail. En cela, ils réussirent (" Vraiment, c’est mieux d’avoir des amis plutôt que des critiques ", commente Brian Aldiss d’Arkham House). En fin de compte, et de façon posthume, Lovecraft gagna la réputation littéraire qui le boudait de son vivant.
Il y a, bien sûr, quelques raisons littéraires valables pour que Lovecraft en soit arrivé à être classé avec Poe comme un maître du récit d’horreur. Bien que ses histoires sondent le surnaturel, l’extraterrestre et le fantastique, dans la vie, l’auteur était résolument athée, matérialiste et rationnel; et ce manque de croyance semble l’avoir muni d’une objectivité et d’un détachement qui lui servirent bien en tant que narrateur.
Lovecraft fut aussi un maître du récit car il avait perfectionné un stratagème (que Poe laissait présager) dans lequel un narrateur extrêmement rationnel, intelligent, à la tête froide, rapporte ce qu’il voit et entend de telle façon que le lecteur, finalement, commence à sentir (avec un certain sens de l’ironie dramatique) que le personnage est en présence de choses surnaturelles que lui-même ne veut pas reconnaître. Ce genre de " contre-persuasion " chez Lovecraft devient une technique extrêmement efficace.
En fin de compte, bien que sa prose puisse avoir été quelque peu surchargée, Lovecraft savait néanmoins comment décrire ses scènes avec suffisamment d’imprécision pour suggérer et évoquer des images de cauchemar issues du propre esprit du lecteur. En cela, il rappelle les premiers jours de la radio et le " théâtre de l’esprit ". Dans la plupart des cas, le résultat est que ce qui reste non-dit ou allusif chez Lovecraft s’avère plus efficace et plus puissant que ce qui est décrit plus pleinement par des auteurs moins talentueux.
Comme Tolkien avec sa Terre du Milieu, Lovecraft, en fait, développa un monde imaginaire tout entier qui se superpose au nôtre. Dans son univers, les êtres horrifiques habitent l’espace lointain, les profondeurs de la mer et des dimensions que nous ne pouvons pas directement percevoir. La science, dans son mythe, est comme le couinement imprudent d’une souris dans une maison pleine de chats. Ses histoires sont très souvent de sombres constructions imaginaires portant sur la pénétration des minces barrières qui séparent le monde familier d’un univers inamical, apportant la ruine sur l’insignifiante race humaine.
Chez Lovecraft, d’horribles Anciens Dieux ou Anciennes Races tendent à ramener la Terre dans leurs dimensions ou sous leur domination, ou encore attendent patiemment le moment où les étoiles seront propices, pour pouvoir s’élever à nouveau de leurs tombes englouties dans des temples cyclopéens sous la mer. Pour lui, l’univers est un lieu beaucoup plus vaste que ce que la plupart des humains voient ou suspectent, et les nouvelles au sujet de la partie que nous n’appréhendons pas sont pratiquement toutes mauvaises.