JOSÉ MOSELLI SA
VIE, SON ŒUVRE par
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DEUXIÈME
PARTIE JOSE
MOSELLI : SON ŒUVRE
(article
paru Le Chasseur d'Illustrés n° spécial Moselli, 1970 ) Les
écrivains qui se consacrent à la distraction des enfants connaissent un
étrange destin. Ayant infiniment plus de lecteurs que les plus favorisés de
leurs confrères "pour adultes", ils n'en comptent, par contre,
pratiquement pas qui aient lu la totalité de leurs œuvres. Un
père évoque avec ses frères et ses fils tel auteur dont la découverte fut,
pour les uns comme pour les autres, une prodigieuse source de joie, et à qui
ils doivent quelques-unes des heures les plus exaltantes de leur vie. Même
enthousiasme (un peu attendri, toutefois, chez les aînés), mêmes mots pour
l'exprimer. Il se trouve, simplement, qu'aucun d'eux ne parle des mêmes romans
que les autres. José
Moselli, c'est pour moi :" Marcel Dunot, Roi des Boxeurs", "John
Strobbins, détective-cambrioleur", c'est "Létio-Mousi",
"Le Baron Stromboli", c'est par-dessus tout "Les Requins du
Pacifique". Je
sortais des "Contes de Perrault" lorsque j'abordai "L'Epatant",
"L'Intrépide", "Le Petit Illustré". Avouerai-je que les héros
du cher José Moselli détrônèrent aussitôt le Petit Poucet, Chaperon Rouge
et Barbe-Bleue ? Ce
fut José Moselli qui m'initia aux jeux de l'Aventure, du Mystère, de la Peur,
l'étape suivante devant être Fantômas, Sherlock Holmes, Rouletabille et Arsène
Lupin. Mes
cadets ont dévoré : "Le Maître de la Foudre", "Les Mystères
de la Mer de Corail", "La Prison de Glace". Ils ont nourri pour
Iko Terouka le même culte que je vouais à Jean Flair. Leur enfance, comme la
mienne, reste indissolublement associée à quelques noms prestigieux, à
quelques phrases clefs, à quelques ineffables images. Je
revois Marcel Dunot, poings serrés, visage sanglant, devant un adversaire
effondré :"J'ai réglé le compte d'un lâche et d'une canaille ! ...
". Je revois la goélette "Ringarooma"... le vieil Horacio de
Zuniga dans ses bandelettes... un long index traçant un énigmatique W... Evoquer
ces souvenirs, sur lesquels le temps n'a pas de prise, représente à mes yeux
le plus bel hommage que je puisse rendre à José Moselli.
HOMMAGES A JOSE MOSELLI (article
paru Le Chasseur d'Illustré n° spécial Moselli , 1970) "José
Moselli"... Que de souvenirs évoque pour moi ce nom et sans doute,
également, pour tous ceux de ma génération qui, de 1910 et pendant les
années qui suivirent, firent leurs délices des œuvres de cet auteur. Les
gamins que nous étions alors attendaient chaque semaine avec une impatience
fébrile la mise en vente des "illustrés" publiés par la Maison
Offenstadt dans lesquels paraissaient tous ses romans. Nous
nous précipitions ce jour-là vers les kiosques à journaux (toujours le même
! et où nous étions connus) pour demander le numéro de "L'Epatant",
du "Cri-Cri", du "Petit Illustré" ou de "L'Intrépide"
dans lequel nous allions trouver la suite des palpitants exploits de "John
Strobbins, détective-cambrioleur" ou de "Marcel Dunot, Roi des
Boxeurs". Contre
les sommes de 0,05 fr. ou 0,10 fr. nous nous procurions alors notre ration de rêves
et d'aventures pour la semaine. En dépit de la modicité du prix de chaque numéro,
notre bourse d'écolier ne nous permettait pas toujours de faire l'acquisition,
la même semaine, de plusieurs des publications dans lesquelles figurait notre
auteur favori. C'est alors que s'organisait entre nous un petit marché de troc
que ne manque pas de rappeler - plus de cinquante ans après ! - la rubrique des
"Petites Annonces" du "Chasseur d'Illustrés". mais les
cours pratiqués n'y sont plus les mêmes, bien qu'à l'époque les cotes
fussent d'autant plus élevées qu'on savait trouver un "José Moselli"
dans l'objet des transactions. Si ma mémoire est bonne, les aventures du
"Bison Noir du Far-West" écrites par Jo Valle et illustrées par A.
Vallet, et paraissant dans "L'Intrépide", figuraient aussi, comme les
Moselli, parmi les valeurs sûres. Et
quel drame lorsque, le numéro à peine en main vous était confisqué par un
instituteur sans pitié qui vous surprenait à lire sous un pupitre, pendant la
leçon d'arithmétique, la suite de "W...Vert.." que vous n'aviez pas
eu la patience de ranger sagement entre deux cahiers pour n'en prendre
connaissance qu'à votre retour au bercail ! Je
ne voudrais pas cependant que ces souvenirs, s'ils tombaient par hasard sous les
yeux de lecteurs n'appartenant pas aux "Chasseurs d'Illustrés"
incitent ces non-initiés à penser dédaigneusement que José Moselli n'était
après coup qu'un auteur pour enfants. Nombre
de ses œuvres méritent mieux que ce jugement téméraire, et je me félicite
d'avoir eu l'occasion de republier en 1962, dans la revue "Fiction"
que je dirigeais alors, le remarquable roman de science-fiction que constitue
"La Fin d'Illa", et que la revue "Sciences et Voyages" avait
présenté originellement en 1925. C'est un véritable "classique" du
genre, et je suis heureux que mon ami Jacques Bergier, qui a pris la direction
littéraire d'une nouvelle collection de S.F. prochainement lancée par les
Editions Rencontre, ait choisi de nouveau "La Fin d'Illa", auquel il
ajoutera "Le Messager de la Planète" et "La Cité du
Gouffre" pour figurer parmi les titres de cette nouvelle collection. D'autres
romans de Moselli, à commencer par "Les Démons de la Mer", méritent
cette résurrection, et je souhaite qu'un éditeur s'en avise un jour pour
rendre à José Moselli un hommage qui lui est dû, et le fasse mieux connaître
des jeunes générations, tout en permettant à leurs aînés de le relire avec
joie.
2.2
- Caractère
des romans de José Moselli par
Jean Leclercq (article
paru dans "Désiré" 2° série, n° 31/32, 1981) Il
est très simple : ils sont très simples, linéaires, si j'ose dire. Partant
d'une idée nette : abattre un gang, ou venger un ami, ou trouver un trésor,
etc., ils sont des suites d'aventures, dans lesquelles le héros en voit de
toutes les couleurs et n'en sort que par son intelligence et sa force, toutefois
à l'échelle humaine. Une exception : John Strobbins, détective cambrioleur, où
des problèmes se posent dans nombre de petits récits. Les
romans de José Moselli sont donc essentiellement des récits picaresques, où
l'on va d'aventures en aventures, avec de multiples situations périlleuses
comme dans les fins des épisodes de films... à épisodes ! Quand la parution a
atteint son poids, alors il faut conclure et dans le fascicule terminal, le gang
est abattu, l'ami vengé ou le trésor trouvé, hélas ! souvent déjà vidé de
longue date. Alors,
quels intérêts dans ces romans assez simples ? Ils sont nombreux : les
personnages sont admirablement campés, typés même. Les lieux, les agencements
de trains et surtout de bateaux grands ou petits admirablement utilisés, tous
les lieux de la Terre parfaitement conformes à leurs spécificités - Moselli
n'a-t-il pas parcouru le monde ! Les avatars, les aventures se renouvellent
toujours avec nouveauté, comme dans les "Mille et Unes nuits", l'intérêt
toujours aiguisé et le suspens constant. On vit avec le héros, on croit en
lui, il est presque plausible, il est vrai ! Ses aventures, on aurait pu les
avoir si l'on était taillé comme lui. Bref, chaque roman est passionnant et le
tumulte de l'aventure emplit votre âme quand vous vous laissez aller à lire
Moselli.
2.3
- JOSE
MOSELLI OU L'AVENTURE SANS FARDS José
Moselli n'écrivait pas spécialement pour être publié "en images"
(c'est-à-dire, une suite de dessins accompagnant un texte non abrégé). De là
vient sans doute en partie l'oubli où il est tombé, avec nombre d'auteurs qui
nous offrirent de fameuses histoires avant la première guerre mondiale et
jusque vers 1940. Oubli immérité, car ses œuvres se prêtaient parfaitement
à l'adaptation en bandes dessinées - et l'on n'ignore pas que cette formule
est devenue pour tout illustré la condition "sine qua non" du succès
auprès des jeunes.
2.4
- NOTES
DIVERSES SUR MOSELLI Il
y a un Moselli que l'on oublie généralement : c'est l'auteur de romans
policiers. Pourtant il est le père de quatre personnages qui poursuivirent
leurs aventures, impavidement, durant des années. Il
y a d'abord IKO TEROUKA, le détective japonais qu'on trouvait dans "Le
Petit Illustré", ce n'est sans doute pas le premier, mais c'est le plus
attachant. Il
agissait seul, faisait correctement son travail de détective, usait parfois de
le réflexion et des procédés scientifiques. C'est ainsi qu'il avait recours
à un laboratoire pour retrouver, sur une page blanche, le texte disparu. Indécelable
au microscope, aucune rayure n'apparaissant, l'auteur ayant utilisé un pinceau
fort doux. Comme
tous les détectives de Moselli, il voyageait énormément, enquêtant au Chili,
au Libéria, en Ethiopie, au Brésil, etc. Mais c'était un détective qu'aurait
regretté S.S. Van Dine, porté plus par les événements que par la détection
pure. Sans
doute, dans une enquête au Brésil, il sait retrouver un ticket de funiculaire
qui le mène au sommet du pain de Sucre et là s'amorce une piste. Mais sinon,
il se laisse davantage porter par l'intuition, ou encore, il agite les eaux
jusqu'à ce que les coupables se manifestent. Ce
sont procédés de l'école américaine du temps, et que l'on allait découvrir
dans la Série Noire : le privé qui enquête au petit bonheur, avec le secours
du hasard et non des petites cellules grise de Poirot. Comme tel, il
m'accrochait alors que je le lisais - roman d'aventures, oui, plus que policier,
mais notre temps nous le rend plus proche. BROWNING
& Cie hantaient le "Cri-Cri" ; ils y avaient une équipe, Browning
étant flanqué d'un méridional, Baracasse (si ma mémoire est fidèle). Eux,
également, enquêtaient à travers le monde : au Spitzberg, aux Fidji, à
Londres, en Macédoine, en Egypte, etc. Leur
technique était celle de Térouka, la différence portant dans les crimes. Térouka
rencontrait des crimes classiques : vol de banque, détournement de fonds, héritage...
Parfois une ombre de crime passionnel : un soupirant cherchant à faire accuser
un candidat plus heureux que lui. Dans
Browning & Cie, les motifs sont plus sophistiqués : on vole une clochette
d'argent, non pour sa valeur, mais parce que l'une d'entre elles, renferme un
rubis dans son battant. Une autre fois, c'est un diadème de diamants bleus. Il
se révèle que ces diamants sont faux. Mais... mais... Leurs poids respectifs
indiquent les proportions de divers corps destinés à former un alliage imitant
l'or. Ailleurs,
il s'agit d'un richissime Canaque voulant venger sa race et tuant au hasard, par
le moyen d'une araignée de la famille des veuves noires. Alors
que chez Térouka, les motifs sont immédiatement apparents, ici, le plus
souvent, c'est le motif des crimes qui demeure masqué. JOHN
STROBBINS, le détective cambrioleur, était un habitué de "L'Epatant"
et de la "Collection d'Aventures". C'était une sorte d'Arsène Lupin,
cantonné davantage dans l'orbite des Etats-Unis, du moins dans les dernières
années de l'hebdomadaire. Que
dire de ces immenses sagas ? Que Moselli y est meilleur que dans ses
interminables romans ; chaque aventure a les dimensions d'une nouvelle ou d'une
"novelette", pour utiliser le terme américain. Et l'on n'y trouve pas
ces longueurs, ces rebondissements artificiels qui prolongent tant de romans. Ici,
une aventure rapidement contée, sans détours, sans digressions, dans un cadre
esquissé mais bien dessiné, avec des personnages typés. Je
ne crois pas que les lecteurs de 1980, qui n'ont pas la nostalgie au cœur,
feraient bon accueil à ces enquêtes. Mais je crois que pour les anciens, les
amateurs, les connaisseurs, il y a là de quoi alimenter leur intérêt. Y-a-t-il,
maintenant, des collectionneurs possédant des Offenstadt qui pourraient dresser
un catalogue des diverses aventures des divers détectives ? J'allais
oublier. Il y a un cinquième personnage, M. DUPONT, détective, qui apparut
dans "Cri-Cri", quand ce dernier fit peau neuve. Mais je ne crois pas
que sa vie fut bien longue. Si je me souviens bien du portrait qu'en fit Giffey,
il tenait à la fois du petit fonctionnaire barbichu et binoclard et d'Hercule
Poirot.
2.5
- JOSE
MOSELLI UN ROMANCIER QUE J'AIME article paru dans l'Annonce Bouquins n° 99, janvier 1994
C'est
par hasard que vers l' âge de douze ans j'ai lu quelques fascicules du
"Roi des Boxeurs" - des numéros épars et en petit nombre - mais ce
fut suffisant pour me marquer à
jamais, d'autant que les illustrations - de celui que j'appris plus tard
s'appelait PUYPLAT - "collaient"
bien au texte, un dessin puissamment évocateur, sans concessions. José
MOSELLI ne faisait apparemment pas dans la dentelle, à
la différence des romanciers que je connaissais : Jules Verne, Arnould
Galopin, Louis Boussenard, même si, pour certains d'entre eux, quelques scènes
étaient d'une certaine dureté. S'adressait-il à des enfants ? J'aurais juré
que non. A des adolescents, peut-être ! Et puis, non !
C'était de la lecture pour adultes. Pourtant ces fascicules de par leur
présentation (illustrations nombreuses) et
du fait qu'il s'agissait d'aventures laissaient supposer que l'auteur et l'éditeur
les destinaient à un public de jeunes garçons.
Pour tout dire, j'étais tracassé, d'autant que moi, jeune garçon
justement, je me plongeais avec un plaisir un peu trouble dans ces feuilles qui
sentaient le vieux papier. Je me faisais l'effet d'être immergé dans une autre
époque ou plutôt dans un univers très particulier et j'avais l'impression
d'ouvrir là un livre défendu, les illustrations puissamment évocatrices et
d'un réalisme assez outrancier ajoutant à mon désarroi. Car enfin, les
personnages qui gravitaient dans le sillage du héros, Marcel Dunot, étaient-ils
durs, rébarbatifs ! Vrai, un monde étranger à la jeunesse ! A l'époque où
le grand romancier entra dans ma vie, nous sortions de la guerre. Nous avions
connu l'exode de 1940, les bombardements, les lointains sanglants, les chevaux
blessés ou morts sur le bord des routes, les fossés, la paille des écuries.
Ensuite nous apprîmes avec épouvante les atrocités nazis. Alors MOSELLI
n'exagérait peut-être pas tant que cela. L'homme était-il donc un monstre ?
Certes, il y avait la noble figure de Marcel Dunot, et le savoir près du
lecteur me réconfortait. Mais il semblait bien être le seul ou du moins un des
rares personnages de l'univers mosellien à être humain, celui surtout qui
permettait au lecteur de ses aventures de ne pas désespérer de l'homme. Voyons
! Qui se trouvait dans son champ ? Des êtres méchants, fourbes, veules et
laids qui mentaient, trichaient, torturaient, tuaient. Un monde de péchés ! Et
PUYPLAT qui imageait avec force cette vaste fresque : figures bestiales,
attitudes équivoques, dos voûtés, gestes manquant de noblesse, mains
semblables à des battoirs, regards fuyants. Où évoluaient ces tristes
personnages ? Il y avait les océans surtout, mais hostiles, pleins de traîtrises.
Les bateaux, de vieux rafiots rafistolés et rouillés. Les marins : des brutes,
toujours en train de se bagarrer, à faire souffrir plus faibles qu'eux,
sournois, manquant de parole. Des auteurs parlaient des bateaux en les comparant
à des villes flottantes. Je tombais de haut avec MOSELLI car, en fait de
"ville flottante", j'avais sous les yeux un microcosme sordide où la
vie était rude, où le parler n'était que jurons, la nourriture infecte. Une
vie souterraine. Une atmosphère empuantie par la suie, l'huile brûlée, les
rogatons. Et là-dessus le ciel, tel un couvercle, filtrant un pauvre soleil. Les
villes portuaires, une invite à l'évasion, avais-je lu. Que non chez "le
Roi des Boxeurs" ! Les ports, c'était le plus souvent des ruelles
tortueuses encombrées d'ordures, des passages peu sûrs, des seuils peu
engageants et, frôlant murs décrépits et palissades vermoulues, des
personnages à l'allure inquiétante, courbant les épaules, marchant
à grands pas. Et
ces scènes de tortures, qu'elles soient le fait de sauvages ou de civilisés !
Un raffinement, une cruauté à soulever le cœur ! Sans parler des repas
cannibales où aussi bien vrais anthropophages qu'hommes blancs participaient.
Des Blancs mangeant de la chair humaine ! Mais après tout n'avais-je pas lu
qu'en des temps anciens, en France même, lors de grande famine, des mères
avaient dévoré leurs jeunes enfants ! La
mort donc, omniprésente, comme aboutissement de la vie. Oui ! La mort était le
lot de tous, bons ou mauvais, qui partageaient les aventures de Marcel Dunot.
Elle est inéluctable, me disais-je, mais dans la plupart des cas, elle
s'annonce (maladie, vieillesse). Chez MOSELLI au contraire, elle fauche sans
crier gare avec un désarmante opportunité. Et quelle mort ! Noyades, tortures,
enlisements, maladies sordides comme la lèpre. La planète MOSELLI
m'apparaissait un peu comme une déviance, comme une offense à la morale. Ce
qui me surprenait et m'inquiétait c'était la fascination que les aventures du
"Roi des Boxeurs" exerçaient sur moi. C'est que, je le compris plus
tard, je trouvais la pâture pour mon goût du fantastique. Je m'en étais
entretenu avec Jean Leclercq qui, comme moi, aimait beaucoup MOSELLI. Nous
expliquions notre engouement pour cet auteur par notre caractère inquiet, notre
propension à l'insécurité, notre goût du morbide. MOSELLI
ne trichait pas, un chat était un chat. Il était dur comme l'était bien
souvent la vie à cette époque. Il ne fardait pas la réalité. Je me souviens
qu'au temps de ma découverte du romancier, des récits d'un tout autre genre m'étaient
parvenus, en particulier ceux parus avant-guerre dans la revue "Guignol,
cinéma de la jeunesse", la "Collection Printemps". Ces textes étaient
loin d'être inintéressants mais qu'ils me semblaient bien souvent ancrés dans
un monde artificiel, frelaté. Rue Gazan on édulcorait. Les héros, de jeunes
gens et jeunes filles de la bonne bourgeoisie, avaient bien des aventures, mais
qu'elles ressemblaient à des jeux ! C'était trop beau pour être honnête. Une
fois leurs petites aventures de jeunesse terminées, ils entraient dans leur vie
d'adulte avec argent, solide métier, belle propriété. Leur vie, toute de
bonheur, se déroulait harmonieusement. Rien de tel chez MOSELLI, qui savait que
dans la vie rien n'est gagné d'avance, que rien n'est acquis définitivement,
JAMAIS. C'est une des leçons qu'il faut tirer de ses romans. Plus
tard, grâce à "Désiré", j'acquis par voie d'annonce "Le Roi
des Boxeurs" complet. Puis ce fut avec "Le Chasseur d'Illustrés"
la découverte de "L'Intrépide". Je pus enfin apporter un peu de
chair à ce romancier qu'avait été jusqu'à ce jour, pour moi, José MOSELLI.
J'ai été vraiment surpris d'apprendre qu'il avait œuvré de 1910 à 1940 pour
les seuls Offenstadt et ce, à une cadence incroyablement soutenue, sans que
pour autant la qualité de son travail en souffre. Et depuis, José MOSELLI est dans ma vie, tant et si bien qu'au cours de mes
voyages certaines scènes me ramenaient à lui, à ses romans et à ses héros. Le
héros Mosellien est un solitaire. C'est l'un des aspects de sa personnalité
qui me séduit le plus, et Marcel Dunot est pour moi la référence. Un autre
grand solitaire, bien plus connu, c'est Tarzan. Le solitaire est un asocial. Il
semble de granit mais son sens aigu de la justice en fait un être bon et
charitable. Cet "isolement" ne va pas sans un certain égoïsme. La
routine, l'aliénation, très peu pour lui. Il s'attache d'ailleurs le moins
possible à ses débiteurs. Dès qu'il les a sortis de l'ornière, il s'esquive.
Il fait fi des convenances, n'aimant pas les simagrées. L'argent ne l'intéresse
pas, étant le plus souvent le fruit de la malhonnêteté. La politique, il s'en
gausse. Ceux qu'il croise, il les considère souvent avec une certaine
condescendance (de sont de "braves" gens). Il y a lui et les autres.
Les titres, les honneurs, la reconnaissance même sont quantités négligeables,
même si Marcel Dunot est le plus grand des boxeurs, même si Tarzan est connu
dans toute l'Afrique. Son terrain d'élection, les espaces peu fréquentés. La
solitude du milieu répond à la sienne. Et pourtant, bien que fuyant le monde,
le monde vient à lui et ce n'est point là l'un des moindres paradoxes qui
s'attache à ses pas. Il suffit qu'il sorte, qu'une porte ou un pont soit
franchi et voici qu'affluent des mondes parallèles. Aussi ne nous étonnons pas
si Tarzan rencontre des Pithécanthropes, des Hommes-Fourmis, des Croisés, des
Romains ; si, telles des visions, viennent à lui des contrées inconnues, comme
préservées, où faune et flore ont depuis longtemps disparu du reste de la
terre ; si le "Monde intérieur" (le centre de la Terre) réclame son
concours. Cependant, à la différence de E.R. Burroughs, MOSELLI n'est pas un hétéroclite.
Ses personnages n'ont rien d'imaginaire et c'est
ce qui les rend encore plus inquiétants ! C'est par leur outrance, leur
caractère déviant qu'ils nous surprennent et nous font peur : bandits hors du
commun, l'abomination faite homme tel l'Empereur du Pacifique, femme-pirate,
peuple souterrain de l'Amérique du Sud. Qui
fûtes-vous José MOSELLI ? On sait peu de choses de vous. Vous naviguez d'abord
comme mousse, puis comme officier marin. Dans plusieurs de vos romans, vous
rendez justice à ce mousse qui, à l'époque, était souvent le souffre-douleur
de l'équipage, voire du capitaine. Vous en parlez avec une émotion contenue.
Il est ce qu'il y a de plus pur dans votre œuvre. Vers
l'âge de trente ans (en 1910) vous écrivez des romans d'aventures qui
paraissent dans des hebdomadaires pour jeunes garçons et adolescents. Je vous
vois à votre table de travail, attelé à votre machine à écrire plusieurs
heures par jour et ce, durant près de trente ans. Inlassablement, et avec quel
talent, vous donnez vie à des personnages d'une grande véracité et souffrez
leurs tourments. Vous avez de la peine à faire mourir dans d'atroces
souffrances les méchants mais vous n'y pouvez rien, car il fallait bien qu'ils
disparaissent un jour et d'une manière peu banale. Vous ne vous prenez pas
très au sérieux à l'instar de vos collègues qui œuvrent pour les Offenstadt.
ou d'autres éditeurs populaires. Ne racontez-vous pas des histoires pour jeunes
lecteurs ? Le support de vos récits, des hebdomadaires, au mauvais papier,
coûtant peu, destinés à être jetés le plus souvent ou à être utilisés à
des usages domestiques, prouve le peu d'importance de votre travail. Et faut-il
que vous en écriviez de ces romans pour gagner à peu près votre vie. Vous
n'êtes connu que de vos jeunes lecteurs qui sont, il est vrai, nombreux ; quant
aux adultes, ceux qui s'occupent particulièrement
de la jeunesse, le plus souvent, ils vous dénigrent, vous rejettent, vous
condamnent. Mais vous recueillez les suffrages de vos lecteurs, tant et si bien
que vous êtes le pilier des publications Offenstadt qui, sans vous, auraient
laissé moins de traces dans nos mémoires. Vous allez captiver des
générations de jeunes lecteurs : il y aura celle d'avant 1914, des années 20,
puis des années 30. Vous ne serez jamais édité en volume de votre vivant et
si peu, si peu, bien longtemps après votre disparition. Vous nous avez quittés
depuis cinquante ans et restez dans la mémoire d'une poignée d'admirateurs.
Ceux qui vous connaissaient bien pour vous avoir lu chaque semaine ont presque
tous disparu. Reste aujourd'hui un petit nombre de vos inconditionnels d'un
certain âge qui vous ont découvert -c'est mon cas- après que vous ayez cessé
de paraître. Vous restez bien vivant pour ceux-là, croyez-le. Je fais
peut-être montre d'un certain optimiste, mais je suis persuadé que l'on va
vous retrouver. Vous ne pouvez disparaître bien que vous soyez enfoui dans des
revues peu connues et difficilement accessibles. Votre talent si personnel,
votre prose qui n'a pas vieilli, la sûreté avec laquelle vous approchez
l'homme, l'action formidable dans laquelle vous savez entraîner vos
personnages, non ! l'un de nos meilleurs romanciers d'aventures ne peut pas, ne
doit pas disparaître. Je formule un vœu : votre résurrection, votre sortie du
purgatoire. C'est le souhait, des quelques-uns que nous sommes, à vous aimer,
à vivre avec vos personnages.
2.6
- REVERIE (article
paru dans Désiré 2° série, n° 31, 1er trimestre 1981, p. 761-763) Quand
j'étais jeune et que je trafiquais du côté de Singapour, j'ai souvent
rencontré Marcel Dunot, le Roi des Boxeurs. Aujourd'hui,
retiré momentanément sur mon domaine de Champcourt (Le Tampon, île de la Réunion),
il suffit que je pense à lui... et il est là ! Dès
que le soir descend sur l'Océan Indien, il pénètre furtivement dans mon
bungalow en bois de natte, noyé au milieu de mes plantations de canne à sucre
et de mes bananeraies. Mon
domaine le ravit car, sans être dépaysé, il peut s'y reposer. Il
retrouve là, une nature, des visages qui ne lui sont pas tout à fait étrangers,
mais qui, pour une fois, ne lui sont pas hostiles. Marcel
parle peu, mais il suffit que je sorte des rayons de ma bibliothèque le roman
de sa vie d'aventures ("Le Roi des Boxeurs" par José Moselli, série
de 516 fascicules, parus de 1925 à 1935 à la Société Parisienne d'Edition)
pour qu'il sorte de son mutisme. Moments
délicieux et exaltants qui se terminent sur la varangue (terrasse), alors que
la nuit est déjà avancée. Le
grondement lointain de l'océan semble alors lui faire signe. Sans bruit, alors
que je commence à somnoler, il me quitte, emporté par le vent venu des mornes
proches. Mes
regards se portent presque instinctivement vers le littoral du côté de
Saint-Pierre et de Saint- Louis, distants d'une dizaine de kilomètres du
Tampon. A-t-il atteint le lagon ? A-t-il franchi les récifs de coraux ? Certes,
il est déjà loin, au milieu des embruns ! ...
N'importe, il suffira qu'un jour prochain, je lui fasse signe à nouveau pour
qu'il soit au rendez-vous. J'aimerais néanmoins le retrouver sur le théâtre
de ses actions. J'y
pense souvent. Il me faudra, quelque jour, reprendre ma valise et retourner là-bas
dans le Sud-Est asiatique ; nul doute ! je le rencontrerai comme ce fut le cas
maintes fois, il y a une dizaine d'années. Marcel
Dunot a le don d'ubiquité, il sait entrer en relation, ou plutôt en communion,
avec ses amis... Oui ! J'ai rencontré le Roi des Boxeurs bien souvent... Dans
l'arrière boutique d'un commerçant à Chinatown de Singapour, dans la cité
lacustre dayake de Bornéo, sur un minable petit bateau qui, en janvier 68, me
ramenait de l'Etat de Sarawak à Singapour, au marché flottant de Bangkok,
rencontré aussi au retour d'une randonnée à l'intérieur d'Espirito-Santo, en
pleine mangrove, non loin de la Montagne des Dieux... *
* * Je
lis, j'ai lu maints romans d'aventures, d'aventures exotiques principalement.
Certains ont atteint depuis longtemps la notoriété, ont été et seront encore
étudiés ; d'autres, par contre, eurent un succès éphémère et ne sont plus
maintenant connus que d'une poignée d'amateurs, qui va d'ailleurs s'amenuisant,
ces romans-là n'ont pas été retenus par les spécialistes. De
la masse de ces écrits ignorés, axés sur l'aventure pure, ce sont ceux de José
Moselli que je préfère, et de loin ! Il ne s'agit pas de nostalgie, mes
lectures de jeunesse furent surtout les romans de la Bibliothèque Verte et les
illustrés de l'après deuxième-guerre. Oui,
José Moselli me captive, m'envoûte, comme il a envoûté les adolescents des
années 1910-1935. Aussi,
pour nous qui aimons ce romancier, quelle tristesse de constater l'oubli où il
est aujourd'hui. Car enfin, nous avons, nous Français, la chance d'avoir un
romancier hors pair et nous le délaissons ! C'est déplorable ! Voici pourtant
un auteur qui ne laisse jamais indifférent, qui le plus souvent empoigne, et il
n'est pas connu ! Ses
jeunes admirateurs - oh ! peu nombreux - ont bien de la chance car c'est souvent
le hasard qui le leur a fait connaître. Il
faut, en effet, être sensible aujourd'hui au phénomène que sont les littératures
d'évasion, il faut avoir le goût de la collection, il faut avoir comme amis
d'anciens lecteurs des illustrés d'Offenstadt un tant
soit peu au fait de ce que fût, pour plusieurs générations de jeunes
lecteurs, le romancier José Moselli. Ouvrez
"L'Intrépide", "L'Epatant", Moselli figure presque à
chaque numéro. A
ce propos, à propos de l'éditeur Offenstadt, il faut mettre les choses au
point. En
effet, depuis une dizaine d'années environ, pas mal d'amateurs et de
professionnels de la bande dessinée dénigrent cet éditeur. On lui reproche d'être
le responsable de la pénétration tardive, en France, des bandes dessinées américaines,
on parle avec dédain de sa production débordante, envahissante, de son goût
douteux, de son esprit vieux-jeu... et en particulier, de ses feuilletons écrits
par les "auteurs maisons" et le comble "mis en images" de façon
"hâtive" par des illustrateurs français sans talent... Halte-là
! Que ces personnes prennent la peine d'ouvrir les toutes premières années de
"L'Intrépide". Nous leur suggérons les numéros 57 du 18 juin 1911
et suivants, jusqu'au n° 93 du 25 février 1912. Qu'ils
regardent les dessins signés André Galland, illustrant "Le Sultanat de
Kazongo" de José Moselli, qu'ils lisent ce récit... S'ils
ne sont pas épris de ces belles compositions au trait précis et fin, aux
couleurs délicates, si le texte les laisse indifférents, alors certes qu'ils
ferment pour toujours ces pages. Mais
aussi et surtout que les noms de l'éditeur Offenstadt, du romancier José
Moselli, de l'artiste André Galland, ne soient, par eux, plus jamais prononcés. Car
nous qui aimons l'auteur-maison, l'auteur chéri des frères Offenstadt, nous
savourons des phrases du type : "Soudain,
un petit nègre, vêtu d'un pagne jaune à raies rouges et casqué d'un vieux
bidon à pétrole dans lequel il avait planté des plumes d'autruche, fendit la
foule et arriva près des Européens. Il
tenait à la main une auge de bois rempli d'une bouillie rouge, qu'il posa sur
le sol [...] Il trempa le doigt dans la peinture, et en dialecte congolais, s'écria
"Je commence par celui-ci, c'est le plus gras ! Moi je me réserve les
jambes [...] Le
nain saisit à sa ceinture une sorte de faucille et s'approcha du premier
Allemand et saisissant le bras du malheureux, il le trancha..." C'est
vrai qu'il m'a fallu une sacrée chance pour découvrir ce monde enfoui dans
d'aussi vieilles publications. Certains
diront - et c'est peut-être vrai - que mes goûts me préparaient à une telle
rencontre. N'empêche ! Enfin, avouons que, nous qui aimons Moselli, nous sommes
des gens heureux. Je
me plais d'ailleurs à penser que, s'il eût été Anglais, notre auteur aurait
eu un franc succès durable, car ses récits d'aventures sont des romans de
l'action où l'artificiel est banni. Ils s'éloignent ainsi assez considérablement
du roman à la française beaucoup plus "romanesque" ; une
preuve entre autres, l'absence d'héroïnes. On
apprécie pleinement Moselli à l'âge adulte. L'enfant, l'adolescent ne
retiennent que l'outrance des situations, que la démesure des héros et de
leurs actes. Or,
le héros mosellien, de par ses actions liées à de situations hors du commun,
n'a rien que d'humain, et son humanité est vraie, sans artifices ; c'est ce
caractère véridique qui nous touche et décuple notre intérêt. Il
nous paraît curieux, encore une fois, que certains collectionneurs regrettent
l'influence des Offenstadt sur la presse enfantine pendant un quart de siècle. Car
le feuilleton sous images, c'est une chose et la BD, une autre. Que
donnerait Moselli en BD ? Frémissons
à l'idée que, sans ses géniaux éditeurs, Moselli, Jo Valle et tant d'autres,
n'auraient probablement pas pu s'exprimer, du moins de la même façon et de
toutes manières avec moins d'ampleur. D'ailleurs,
le succès de "L'Intrépide", de "L'Epatant", etc., suffit
à toute démonstration.
2.7
- JOSE
MOSELLI, EL GRANDE (article
paru dans "Désiré" 2° série, n° 31/32, p. 765-772) CESAR
= KAISER (en Allemand) = TSAR (en Russe) A
la réception de "Mon Dimanche- Guillaume Bec Ouvert", du 18 septembre
1910, envoyé par Vital Broutot, fin 1979, je restai perplexe. Le
document était intéressant mais laissait prise aux critiques des pupilles des
"intellectuels de gauche", c'est-à-dire d'être traité de
nationalard, patriotard, revanchard, belliciste, boutefeu, va-t-en guerre, et
j'en passe... et même les admirateurs de Moselli pouvaient me blâmer d'avoir
ressorti un article antédiluvien, si différent de ses grands romans
d'aventures. Voire
! A son numéro spécial sur José Moselli, "Le Chasseur d'Illustrés"
n'a-t-il pas joint la reproduction du titre, d'une illustration
d'André Galland et le début de "Noël Sanglant", nouvelle inédite
de J.M., parue dans "Le Conteur Populaire", n° 325, du 27 décembre
1910. "Guillaume
bec ouvert", "Noël sanglant", Moselli a cherché sa voie comme
bien d'autres : Maurice Leblanc avec ses romans à la Maupassant, "Un
vilain couple", "La faute de Julie", etc., avant de trouver son
immortel Arsène Lupin - Gaston Leroux, avec ses pièces de théâtre sérieuses,
ses reportages, avant d'écrire ses prestigieux romans d'action et de mystère,...
Moselli a donc aussi erré avant d'arriver à produire ses captivants romans
d'aventures, dont toute ligne a son poids de description d'un lieu ou d'une
action. Au
sujet de Guillaume II, l'on chablait avant 14 et pendant la grande guerre sur le
Kaiser, tout autant que l'on a ironisé sur Khrouchtchev et maintenant sur
Carter et Reagan. Le
personnage y convenait particulièrement, car il prenait volontiers des
attitudes théâtrales, il aimait les uniformes fastueux, le panache et la
parade. Il prêtait admirablement à la satire... sans compter que l'Histoire a
démontré sa nullité en tant que dirigeant d'Etat. Mais
il y a plus et nous plaiderons coupable. "Guillaume bec ouvert" est un
article nationaliste et, plus tard, Moselli écrira de grands romans d'aventures
patriotiques : les aventures de Marcel Dunot pendant la Grande Guerre, les
aventures de Jean Flair de même, "Les Cœurs de Tigres", "Les
Naufrageurs de l'Air", etc., sans compter que dans nombre de romans
d'aventures "les vilains sont toujours allemands" comme dit Vital
Broutout. Moselli,
un patriotard ? Mais Marcel Allain l'a été aussi (Naz en l'air), (L'Homme aux
cent masques), etc. Maurice Landay idem, Maurice Leblanc de même (La
Frontière, L'Eclat d'Obus, Le Triangle d'Or) ; Gaston Leroux idem (Le Capitaine
Hyx, Confitou, Rouletabille chez Krupp, La Colonne infernale, etc.) et mille
autres romanciers populaires également. Alors
les romanciers populaires de 1910 à 1925, tous des va-t-en guerre, des exaltés,
des Déroulède au petit pied, des aveuglés ? La
vérité est que nous subissons encore une influence née des tueries de 1914/18
et de l'espoir que fit naître la Révolution Russe de 1917, qui - mélange de
pacifisme et de socialisme de l'espérance - est celle des "intellectuels
de gauche". Les
démocraties n'ont que trop tendance à se terrer devant les dictateurs (1938),
les racketteurs (au pétrole, actuellement) et, malgré ses bons motifs, la
domination des intellectuels de gauche est pernicieuse ; c'est une des causes de
la défaite de 1940, c'est la cause de la défaite des U.S.A. (une puissance
formidable) au Viêt-Nam. Revenons
à la vérité historique : par trois fois, l'Allemagne a agressé la France :
en 1870, en 1914, en 1940. Et la force allemande n'était pas vaine : les
soldats les plus disciplinés, les plus combatifs, les généraux les plus
talentueux, les armements les plus modernes, les tactiques les plus audacieuses.
Lutter
à mourir ou vivre à genoux
En
1870, pour apporter la victoire aux Allemands, il n'a fallu qu'un mois de guerre
: le mois d'août. Après, ce ne fut que des résistances sans espoir. En
1940, la victoire de la Wehrmacht en France a été foudroyante et, si elle n'a
pas réussi à vaincre la Russie, c'est à cause d'une trahison grandiose,
encore pratiquement ignorée et dont il faudra bien parler un jour. Pour
1914, le début de la guerre a été une catastrophe pour la France. Les armées
allemandes ont avancé jusqu'aux portes de Paris. Si elles n'ont pas réussi,
s'il y a eu la Marne, c'est à cause d'erreurs allemandes (allégement de la
droite prévue par le plan Schlieffen, tergiversations de Von Moltke - le neveu
de Moltke de 1870 - et erreurs de Von Kluck), dont Galliéni et Joffre ont saisi
les possibilités de contre-attaque. (Voir mon étude "La Bataille de la
Marne" dans le n° 2 de "L'Ile"). Le
journal "Le Monde" a publié, sous la signature du journaliste Eric
Roussel, une grande étude, le 16 janvier de la présente année :"
Pourquoi la France a-t-elle tenue en 1914 ?". Oui,
pourquoi ? La réponse de Roussel est claire, nette : par patriotisme ; "Le
Patriotisme, condition d'une victoire". Les
romanciers populaires n'ont donc été qu'à l'unisson de la Nation et ont fait
leur devoir, en 1914, en publiant des romans d'esprit patriotique. Le
contraire a eu un nom : le défaitisme - et les défaitistes ont été jugés et
condamnés tant à l'époque que par l'histoire. J'espère
que cela, étant bien éclairci, fermera la bouche aux propos que l'on voit
tenir dans la grande presse et même insidieusement dans notre petite presse
paralittéraire par tel ou tel romancier patriotard soi-disant. Il
faut choisir : le patriotisme ou la débâcle de 1940.
Un
romancier aux mille qualité
Mais
revenons à José Moselli. Sa voie trouvée - peut-être grâce aux frères
Offenstadt - ses dons se manifestent avec éclat. Il
peut romancer impeccablement tous azimuts et se meut aussi bien dans le passé :
"Le Chevalier de Marana", "Les Démons de la Mer", "Le
Sire de Kergorec", "La Mission du Cardinal", "Le Roi des
Tavernes", "Le Cadet de Crévecœur", etc.,... que dans les
aventures autour du monde : Les Exploits de Marcel Dunot, de Jean Flair, d'Iko Térouka,
etc., les combats de boxe... émérites de Marcel Dunot,... que dans les récits
policiers : John Strobbins, le détective-cambrioleur de San-Francisco, Le baron
Stromboli, gentilhomme international, Jean Flair, aventures d'un jeune policier,
etc. Tous
les coins de la planète sont par lui explorés et exploités : -
Le Grand Nord américain : "Le Claim n° 29", "Scalp Rouge",
"Tavar la Hache", "Le Totem de l'Homme Mort", etc. -
Le canal de Panama : aventures de Marcel Dunot. -
Le Pacifique et l' Océanie : "Les Requins du Pacifique", "Le Récif
des Cannibales", "L'Homme à la Carabine", "Les Mystères de
la Mer de Corail", etc. -
La Chine et ses mystérieuses associations : "W...Vert..", "Les
Suppliciés de Hoang-Ho", etc. -
L'Indochine : "Le Dragon d'Emeraude". -
Le Japon : M. Dunot, N.S. 159 à 182, fin. -
L'Afrique Noire : "Le Sultanat de Kazongo", Marcel Dunot pendant la
Grande Guerre, etc. -
Les Antilles : "Les Champs d'Or de l'Urubu", Marcel Dunot, n° 118 à
138 de la N.S., etc. -
L'Amérique latine : "Zaraza el Grande", "Le Téléluz" (Brésil),
M. Dunot, "Le Trésor des Yapurés". Et
n'oublions pas les aventures maritimes où il excelle, servi par sa grande
connaissance de la mer par tous temps et des bateaux, à voile comme à vapeur
et ici de leurs locaux et de leurs machineries : "Les Requins du
Pacifique", "Les Démons de la Mer", "Le Maître de la
Banquise", "Les Naufrageurs de l'Air", etc.
La
Fin d'Illa J'allais
oublier ses talentueux romans publiés dans "Sciences & Voyages",
dont on trouvera la liste en page 3/743 du présent fascicule, où il aborde
avec maîtrise la science-fiction, notamment avec "La Fin d'Illa",
que... Comme
les moutons de Panurge, les éditions Rencontre, en 1970, dans leur série de
douze livres de SF, et les éditions Marabout, en 1972, sous la direction de J.
B. Baronian, dans leur collection fantastique, ont repris, après les n°s 98
& 99 (janvier et février 1962) de la revue Fiction. Fiction
ajoutait des notes et une bibliographie succincte de J. Moselli (probablement de
J. Van Herp) dans ses numéros. Rencontre publiait en fin de son volume "Le
Messager de la Planète" et "La Cité du Gouffre". Une riche
postface de J. Van Herp clôturait le volume n° 421 de Marabout, qui publiait
encore "La Guerre des Océans", n° 533 de la collection. Que
Marabout n'a-t-il continué à republier du Moselli, pour le bonheur de beaucoup
? André
GALLAND Mais,
au nom de José Moselli, doit être associé son AMI, le dessinateur - l'artiste
- André Galland, qui illustra avec quel bonheur la plupart de ses romans - et
d'autres aussi comme "Les Aventures de Coucou" de Gaston Choquet, avec
ses superbes planches de couverture des "Romans de la Jeunesse". Quelle
sûreté de trait, quel talent ! J'ai dans la tête depuis cinquante ans l'image
d'une pirogue pagayée par des noirs maigres et musclés dans "Les Négriers
des Rivières du Sud" de Moselli/Galland ! Et les dessins pour "La Fin
d'Illa", quelle étonnante série ! André
Galland suivait toutes les séances des tribunaux de Paris, notamment celles des
Cours d'Assises, et on lui doit des dessins magistraux de leurs tristes
vedettes. Ne
pourrait-on pas souhaiter une exposition des œuvres de José Moselli et des
dessins d'André Galland, qui unirait et fêterait judicieusement les deux
grands amis, morts et injustement oubliés ? Et
il butinait et semait à tous vents... Mais,
à sa table de travail, lisant de multiples revues françaises et étrangères,
prenant des notes, y réfléchissant, José Moselli n'était pas seulement
l'auteur des prodigieux romans d'aventures justement célèbres dans la
jeunesse, mais aussi celui de nombreuses notes qui parurent dans diverses
rubriques des illustrés Offenstadt ; rubriques titrées : Les
Explorations Françaises et Etrangères - Aux Prises avec les Bêtes Féroces -
Les Grandes Aventures - Echos du Monde Entier - et dans "Sciences et
Voyages" et d'autres magazines scientifiques. Il
écrivit même des historiettes qui parurent dans les "Histoires en
Images", une des plus longues et à bon marché séries des Offenstadt. Mme
Charles-Marcelin en a relevé plus de quarante. La
qualité aussi Mais,
après la démonstration faite plus haut, de l'aspect quantitatif de la
production de José Moselli, aisée à faire, il faut se pencher sur les aspects
qualitatifs de son œuvre. Il
paraît qu'aux Galeries Lafayette, à chaque instant il se passe quelque chose !
Il en est de même pour les lignes publiées de José Moselli dont chacune
compte : en une ou deux lignes, le paysage est cliché, puis viennent les mots
consacrés à des actions. Celles-ci se suivent, se poursuivent, fulgurantes,
précipitées ; une action chasse l'autre. Le
sommeil vous arrive à trois heures du matin, quand, ayant absorbé moult
prouesses du héros, épuisé, vous tombez de fatigue, éteignez la chandelle,
obligé de remettre à demain la suite du roman d'aventures palpitantes. J'en
ai eu la preuve de nouveau : avant d'écrire sur Moselli, j'ai tenu à relire un
de ses romans - je ne pouvais les relire tous ! - j'en ai choisi un que j'avais
lu à dix-sept ans, l'un des derniers car, à la même époque, je quittai ma mère,
veuve de guerre remariée à un homme brutal, et il m'a fallu gagner seul ma vie
et donc penser à bien d'autres choses. J'ai
donc relu "Les Démons de la Mer", superbe "feuilleton sous
images", pour reprendre l'heureuse expression de Claude Hermier, qui parut
dans "L'Intrépide" du n° 652 du 18/02/1923 au n° 730 du 17/08/1924.
L'illustrateur Janko (?) m'a fait promener de l'Atlantique à l'Océan Indien,
bien avant Cl. Hermier, mais en images et imagination, il faut l'avouer. "Les
Démons de la Mer" n'ont pas pu reparaître dans la "Collection
d'Aventures" ; c'est dommage car c'était une belle série. De
ce roman, comme tant d'autres de José Moselli, si l'on truffait ses phrases
nettes, précises, incisives de descriptions allongées et de rêveries sur les
états d'âmes, on aurait obtenu d'aussi gros romans que ceux de Robert
Gaillard, mais bien plus intéressants. Il
est vrai qu'il aurait fallu ajouter des personnes
du sexe que la majorité des lecteurs de "Désiré" n'a pas,
car les femmes sont rares dans les tumultueuses aventures inventées par José
Moselli. Tout au plus quelques jeunes filles, des plus jolies et vertueuses, y
apparaissent telle que Mabel de Zuniga, qui se mariera avec le médecin richard
Daguerre, à la fin de la lutte contre "Les Requins du Pacifique". José
le cruel ? "Les
Démons de la Mer" ont leur dose de cruautés et d'implacabilité inhérentes
à tous les grands romans de Moselli. Par
trois fois, à Londres et dans un comptoir de l'Afrique Occidentale, on voit une
et deux alignées d' "évêques des champs" : des pendus à leurs
gibets. Les
évêques des champs "bénissent la terre avec leurs pieds". Et
à Cadix, le grand port d'Espagne, les flibustiers pris sont, encadrés de
moines cierges allumés et d'alzaguils, conduits au bûcher, car l'Espagnol sait
être cruel ; parce que c'est un
blanc arabisé, pense M.P.
"Démons
de la Mer" : ce ne sont que combats sur mers, pour prise de proies :
Le
canon tonne,
L'écho
résonne,
La
mort les environne...
Der
Dreigroschenoper The Threepenny Oper
De
trois passe à quatre sous ! en France, dans "L'Opéra de 4'sous"
Et
ce sont les abordages :
Les
pistolets trouent les têtes
Les
épées traversent les ventres
Les
haches des flibustiers fendent les corps en deux
Les
sabres, les cimeterres de même
Pas
de quartier !
Und
die versunken sind, sieht nur des Hai in See
Nothing
but sharks down there to show a drawned man the way
Ceux
qui tomberont à l'eau sont l'affaire des requins
Happy
End
Chanson
du feu infernal et du repentir
Berthold
Brecht Kurt
Weil
Cet
aspect de Moselli n'avait, bien sûr,
pas échappé à Marcel Lagneau, qui en publia un article d'une page et demie :
"José Moselli et les morts lentes" (à ne pas lire la nuit), dans
"Le Chasseur d'Illustrés", n° 12, de septembre 1969. Citation
: "... José Moselli avait surtout une prédilection pour pimenter
ses récits avec la description de scènes de tortures raffinées, que sa
fertile imagination variait sans cesse". L'article
nomme huit des romans moselliens et résume les tourments décrits. Le
huitième roman étant "Le maître de la banquise", où trois détectives,
enterrés jusqu'au cou dans une cave, les figures enduites de miel, sont livrés
à des rats monstrueux, pendant que jubilent de leurs râles (admirable !
sublime !) trois monstres blancs, dont l'un jouait sur son violon la marche funèbre
de Chopin. Conclusion
:"Voilà une scène qui aurait délecté les amateurs de sensations fortes,
clients habituels du Grand Guignol - Marcel Lagneau". J'ai
devant moi trois photographies de José Moselli, qui me furent offertes par Mme
Charles-Marcelin (Georgette Marcelin était la nièce de Fernande Marcelin qui
fut la compagne de vie de l'écrivain). Deux
Moselli, assez jeune, le visage un peu poupin. Il se durcit dans la deuxième
photographie pour devenir très ferme dans la troisième. - Se reporter au
dessin - juste de Lagneau , qui orne la couverture du "Chasseur d'Illustrés",
n° spécial consacré à Moselli. Son
visage devint plus dur encore quand approcha l'heure de sa mort, par cancer en
1941. On
sait ce que c'est : un être étranger se crée dans l'une des parties du corps,
dont il vit et qu'il ronge ; c'est deux ans d'agonie assurée, que Moselli
cacha, autant qu'il le pût à sa compagne, Fernande. Je
ne puis donc m'en tenir au point de vue purement descriptif de Marcel Lagneau,
ni à sa conclusion simpliste. Il faut fouiller plus profond. De
la connaissance de son œuvre, de discussions avec ses proches, je tiens José
Moselli pour un homme foncièrement droit, honnête et qui ne décrivait pas des
scènes de torture par sadisme. - D'ailleurs, tous ses héros - du comte Louis
de la Fère dans "Les démons de la mer" à Marcel Dunot, etc.
sont des êtres droits, justes, portant secours à leur prochain dès
qu'ils le peuvent (comme la plupart des héros du R.P. d'ailleurs). Mais
Moselli avait reconnu, plus qu'un autre, la nature perverse de l'être humain. L'homme,
venant de l'animal, en est un qui a eu la chance d'adopter la station verticale
et la marche plantigrade, ce qui l'a libéré d'une queue, lui a développé les
mains et les doigts et surtout le cerveau qui s'est mis à grossir, passant de
cinq cent grammes à bientôt deux kilos et qui est une merveilleuse boîte électronique
permettant des investigations encore jamais atteintes et l'élaboration de
conceptions schématiques et abstraites tenant à rendre compte de la matière
et de l'Univers. (voir mon article dans un "Désiré" : "Du
Suranimal au Surhomme"). Mais
le fond reste là : c'est une bête méchante, qu'à grand peine ont pu dompter
la marche à la civilisation et la promulgation de lois toujours plus élaborées. Personne
de nous n'est bon. Près de mon assiette, si passe une fourmi, je l'écrase d'un
coup de pouce, brisant ainsi une petite vie et tout un système ingénieux de
vie. A
la campagne, celui qui fait une maladresse, un tort envers son voisin, devient
son ennemi pour toujours. Rien ne se pardonne. - A la ville, dans les
"affaires", on ne cherche qu'à tenir le bon bout, à empiler. Nombre
de personnes exultent de mettre des affaires entre les mains de juges et
d'avocats. - dans les grandes villes, l'irrespect, le chapardage, le racket
augmentent de jour en jour : j'en ai la preuve chaque fois que je vais à Paris,
de voir des Noirs, même cossus, sauter les barrières du métro pour ne pas
payer. Les
jeunes, ivres d'envie des possibilités de la société de consommation veulent
prendre, et pour rien. Sur
le plan des nations, la guerre a été un phénomène constant. D'ailleurs, elle
fut probablement nécessaire au moyen âge, par exemple : au stade artisanal, la
paysannerie et les artisans ne pouvaient produire pour tous : les filles de trop
devenaient servantes, nonnes ou putains, les mâles, valets, moines, bandits,
soldats, galériens. Les guerres écrémaient le trop-plein de population. Actuellement,
avec la folie génésique des Arabes et des Noirs, et le triplement de leur
population en trente ans, peut-on douter d'explosions d'envie qui mèneront ces
masses à l'assaut des nations développées, sans compter celui des un milliard
et demi de Chinois, qui sera gigantesque. Les
hommes étant méchants, parmi eux, il y a des hommes très méchants, vicieux -
des bêtes à l'état pur - qui torturent : depuis les "Chauffeurs"
qui rôtissaient les pieds des paysans pour trouver leur magot, jusqu'aux
membres des polices pour obtenir des renseignements, ou d'organisations
(sacrifices rituels, Inquisition, Gestapo,
G.P.U., C.I.A.) au service de leurs concepts religieux ou d'Etats. En
couronnement il existe de ces bêtes humaines, qui torturent pour voir souffrir,
par jouissance, et le développement du cinéma et de la littérature
sadomasochiste est l'indice du développement de cette sinistre tendance de
l'homme. Par
ses voyages, par ses lectures, par ses réflexions, José Moselli avait reconnu
tout cela, avait perçu que L'HOMME EST MECHANT. - Il le dévoile, le répète
à chaque roman. C'est un MORALISTE. - Il est clair que, si la trame même des
aventures de chacun de ses romans ne concerna que les adolescents, les aspects
de cruauté des hommes, dévoilés par José Moselli concernent les adultes.
Nous verrons encore ceci plus loin. Un
connaisseur de la gent humaine Dans
les "Démons de la Mer", par ruse et à l'aide de Noirs libérés d'un
entrepôt d'esclaves, de La Fère s'empare d'un trois-ponts, navire de guerre
anglais, le Sea-Queen. Les
officiers anglais, rescapés de la bataille et du massacre, sont obligés de se
rendre au "pirate" et ils le font sans morgue ni bassesse et avec
dignité et une tenue exemplaires. Quels
gentlemen ces Anglais ! Au fond, tout Anglais est un gentleman et l'Anglais qui
n'est pas un gentleman, n'est pas un Anglais ! - Moselli me semble avoir eu,
dans l'ensemble, de la considération pour les Anglais et j'entrevois, chaque
fois qu'il en dépeint, les visages du colonel Bramble, du docteur O'Grady et
les hommes du pont de la rivière Kwaï. Leurs
cousins allemands sont moins bien lotis. Les Allemands, qui nous ont dotés de
deux guerres, désastreuses pour la primauté européenne, méritée, sont-ils
intelligents ? Oui,
sans contexte, mais leur intelligence est lente, comme si elle devait s'extraire
des brumes nordiques. Dans
Moselli, il y a deux sortes d'Allemands : le grand et mince du type junker et le
gros trapu, buveur de bière bavarois (Max Blozer et Karl Bomarsund des
"Requins du Pacifique"). Quoi qu'il en soit de leur intelligence, de
leurs qualités de volonté, d'activités et d'accomplissements des taches, ils
n'arrivent jamais à rien dans les histoires de Moselli, conformément à
l'Histoire - Au fond, un malheureux peuple que celui de ces Allemands,
maintenant coupées en deux parties de sens contraires ! Les
neveux des Anglo-Allemands sont les Américains, le conglomérat qui monte et
qui a pris l'argent comme mètre et maître, car l'Argent représente du travail
accumulé, et ses marques, les mesures de ce travail. Deux
sortes d'Américains apparaissent dans Moselli. D'abord les travailleurs, les
tramps du type de Jack London. On les trouve surtout dans les aventures de John
Strobbins. Ni bons, ni méchants, ils vivent leurs vies et leurs morts. Mais
le businessman américain, voilà ce qui est typique et apparaît souvent chez
Moselli. Quelques bons, tel que Walter Dobson dans "Les Gangsters de
l'Air", mais surtout des exécrables dépourvus de toute sensibilité et ne
pensant qu'au profit ; ainsi Mister Sording dans "La Cinderella" et
les hommes d'affaires des romans de "Sciences & Voyages". Or
là, Moselli a mis le point sur l'i. - Après 1945, les USA n'ont eu de cesse
que les Européens abandonnent leurs colonies et que soient élus (pseudo-démocratiquement)
des dirigeants autochtones. Aussitôt
mis en place, ces gouvernements - soit-disant représentatifs - les businessmen
apparaissent - aidés des diplomates et couverts par les pasteurs - qui placent
la production USA en même temps qu'ils raflent les matières premières du pays
ex-colonial. Pas
de préjugés, des pots de vin, des commissions, de la concussion en masse à
des gens que trop enclins à ne s'enrichir que par passe-droits. Les
conclusions étaient inévitables : des pourrissements favorables aux
adversaires. Après
les USA cherchent à s'en tirer en remplaçant leurs marionnettes (les Diem,
Thieu, le Shah). Trop tard ! Le pourrissement par le businessman américain
avait tout perdu. J'ai
déjà parlé des Espagnols, peuple anarchique, désordonné, cruel. Je n'ai pas
sous la main d'exemples d'Espagnols de Moselli, si ce n'est des exceptions : des
Hidalgos (fils de Goths), de nobles caractères tel que Zuniga, encore dans les
"Requins du Pacifique". Mais
pour le malheur de deux continents, l'Amérique Centrale et l'Amérique du Sud,
les Espagnols ont conquis ces immensités et y ont introduit leur caractère
principal : la férocité. Naturellement, des rebellions, des révoltes et révolutions
se sont produites et là, entrent en scène, les généraux révolutionnaires,
nouveaux "présidente", ministres chamarrés, colonels couverts de
titres et de décorations, que Moselli a si bien et si plaisamment décrits dans
plusieurs aventures de Marcel Dunot, entre autres. Mais
cette ère de pronunciamentos, de généraux d'opérette, conquérants de
places, a eu une fin qui est arrivée dans les dernières années de la vie de
Moselli et qu'il n'a que peu connu et donc peu exploité. C'est l'arrivée du
"stalinisme", système qui consiste à rendre inamovible le dictateur,
grâce à une police politique partout présente et répressive et à ses camps
de concentration. - A l'instar des républiques Sud-Américaines, une nuit, en
Algérie, un colonel, Boumédienne, s'introduit dans la chambre de son président,
Ben Bella et, lui mettant le revolver sur la tempe, lui dit :" Ôte-toi de
l'Etat, que je m'y mette". Mais
par la suite, personne n'a pu faire le coup, ni à Boumédienne, ni à Castro,
ni à Sékou Touré, car ils avaient créé la police politique efficace
susdite. Cela, Moselli n'a pas eu le temps de le bien connaître, et c'est
dommage. De
l'autre côté du Pacifique, dans "W...Vert..", etc., Moselli a
surtout décrit la Chine de la dernière Impératrice, des Boxers et
partiellement du Kuo-Ming-Tang. La Chine communiste (stalinienne) est venue après
lui. Mais
l'un des succès des descriptions moselliennes, c'est l'Afrique. L'on
sait que la décolonisation de l'Afrique - à laquelle on ne pouvait échapper -
a été un fiasco, un four... noir, un désastre ! - A quelques personnalités
et à deux ou trois états viables près (La Côte d'Ivoire, le Sénégal, le
Kenya), la libération de l'Afrique a été un avortement, un malheur pour les
paysans noirs eux-mêmes. Des
Noirs palabreurs incompétents ont pris le pouvoir ici ou là, puis quelques
cinquante révolutions de palais ont éclaté pour que d'autres prennent les
assiettes au beurre à leur tour. La nullité des Noirs est absolue, allant
parfois jusqu'à la férocité ou au grotesque. Or,
cela a été décrit de nombreuses fois par Moselli, à commencer dans "Le
Sultanat de Kazongo" (comprendre Katanga ou Ouganda), publié du 18 juin
1911 au 25 février 1912 ! "Le
Sultanat..." reparaît dans la "Collection d'Aventures" et l'on
voit sur la couverture du n° 81 de cette collection, assis dans le désert, près
des Pyramides, un Noir en JAQUETTE, souliers vernis, haut de forme, favoris
blancs, collier de prix, gros cigare, mais... c'est Tschombé, Amin Dada ou
Bokassa ! Réunis, ils sont là, dans Moselli, en 1911. Il
n'y a aucune différence entre les phrases ronflantes que Moselli met dans la
bouche des Noirs (dans "Marcel Dunot en Afrique, en 14/18", par
exemple et les propos que Jean Lartéguy leur fait tenir dans les "Chimères
Noires" (ou les Centurions au Katanga), en 1970. Comme
disait René Dumont en 1962, "L'Afrique noire est mal partie". Elle
l'est même de plus en plus, mais cela Moselli l'a visionné dès 1911 ! Arabes,
Turcs, Kurdes, ont été croqués dans les aventures de Marcel Dunot pendant la
guerre. Hommes durs, aptes à souffrir, à torturer. Qu'est-ce qu'Arthur Rimbaud
est allé faire par-là à la fin du XIX° siècle ? On
le voit, toutes les races du genre humain ont été peintes par José Moselli,
dans leurs brutalités, dans leurs comportements primitifs. Ces peintures
implacables corroborent ce qui a été annoncé dans les pages précédentes : L'homme
est un animal méchant, dans la plupart des races. Les
meilleurs des hommes des histoires de Moselli sont naturellement les Français :
ils en sont les héros. Mais ne triomphons pas en le taxant de chauvinisme ! Il
me souvient avoir vu jadis un beau film de L. O'Flaherty "Ombres
Blanches". Dès les premières images, on y montre des forbans écumant le
Pacifique. Dans la version originale américaine, ce sont des Français. Dans la
version française ultérieure, ce sont des Anglo-Saxons. On
n'est maître qu'en son pays ! et Moselli doit être pardonné que ses beaux héros
soient Français, comme ceux de Jack London, Américains. Un
philosophe Moselli,
par la bouche de ses protagonistes, truffe ses romans de réflexions.
J'en
prendrai quelques-unes unes dans les "Démons de la Mer", que j'ai
sous la main :
L'Intrépide
n° 655 : - Mes jours sont comptés et, une fois dans le cercueil, il n'y a plus
ni beaux, ni laids.
655
: - Dans cette prison, ils sont tous malades de la potencite, une maladie qui ne
pardonne pas.
657
: - Maudit ivrogne, tu boirais la mer si elle était de la bière.
657
: - Un soldat n'est bon qu'à ça (être pendu) ou à être fusillé.
661
: - A un amputé qui demande s'il s'en tirerait, le chirurgien répondit : Non,
mon homme, tu peux faire tes paquets pour aller
rejoindre tes jambes.
693
: -... le lapin à qui l'on vantait l'avantage d'être égorgé, plutôt que d'être
bouilli, eût préféré autre chose. 697 : - Ce sont les lâches qui réussissent dans la vie ! Les courageux oublient de calculer et se brisent la tête comme des bœufs,
cependant que la peur donne de
l'intelligence aux lâches... - pas de philosophies, nous ne sommes pas à la
Sorbonne ! Ces
réflexions amères, d'adultes deviennent ironiques quand Moselli les met dans
la bouche d'un personnage crapuleux, mais cocasse, bien connu des Moselliens :
Boris Foff.
Le
Roi des Boxeurs, n° 323 - L'homme le plus riche du monde ne peut que coucher
dans un lit à la fois.
326
: - Le chameau est un animal agile, mais il ne sait pas danser sur une corde.
" : - C'est seulement quand l'œuf
est cassé, qu'on peut faire une omelette.
"
: - Même quand on n'est pas sourd, on ne peut pas tout entendre !
"
: - Je suis prêt à payer, mais pas avec ma peau car je n'en ai qu'une.
"
: - Le plus beau bateau du monde est encore plus beau lorsqu'on en est le maître... Conclusions Un
tableau est composé d'une toile, de peintures étalées, d'un cadre. Et
aussi de ce qu'il signifie. Comme
les tableaux, les romans de José Moselli sont composés d'éléments concrets,
c'est à dire des récits d'aventures. Et
cela, c'est ce qui intéressait les adolescents en leur temps. Mais
ils exprimaient des pensées vraies, sagaces, viriles et cela c'était l'esprit
même de José Moselli. C'était
l'esprit d'un adulte, d'un observateur sans ambages, d'un moraliste, d'un
philosophe de l'homme. Et
cela c'est ce qui intéresse maintenant les adultes qui s'y reconnaissent. Au
départ les chevaux de course étaient sur la même ligne : Buffalo Bill, Nick
Carter, Pierre Briscard, Sitting Bull, l'Aigle des Andes, les Trois Boy Scouts,
le Petit Mousse... Les
jeunes lecteurs les prisaient tous et toutes. Quelles belles histoires, chacune
dans son genre. Mais
le temps marche implacablement. Arrive celui où les adolescents sont devenus
adultes et même, gens d'âge mûr. Alors un nouveau choix se fait... Ce
qu'ils veulent c'est du José Moselli, parce que c'est du dur, du solide, des réflexions
d'adultes, des pensées, des conceptions d'homme. C'est
pour cela que José Moselli est une valeur sûre.
une valeur de lecture pour hommes. Jean
Leclercq, 12 mars 1981.
2.8
- JOSE
MOSELLI ET LES MORTS LENTES (article
paru dans Le Chasseur d'Illustrés n°12, septembre 1969) José
Moselli aimait placer dans ses romans d'aventures des épisodes se passant dans
des bagnes, où les héros sont condamnés, par suite des machinations de leurs
implacables ennemis, à des séjours dont ils abrègent la durée par une évasion
spectaculaire. "Le
Pari du Milliardaire", "Les Requins du Pacifique", "Les
Champs d'Or de l'Urubu", "Les Mystères de la Mer de Corail",
"Jean Flair", "La Prison de Glace", "Le Téléluz",
par exemple, nous conduisent dans des bagnes situés sous différentes
latitudes. Mais
José Moselli avait surtout une prédilection pour pimenter ses récits avec la
description de scènes de tortures raffinées que sa fertile imagination variait
sans cesse. L'acide
sulfurique répandue sur le patient, la corde serrée autour du front à l'aide
d'un bâtonnet, les victimes livrées aux fourmis rouges, aux cobras, aux
scorpions, les supplices des bourreaux Chinois ou des féroces canaques, ne sont
que des divertissements sans grande nouveauté auxquels l'auteur nous convie
sans y attacher grande importance. Mais
il y a mieux, et il nous relate souvent des scènes d'horreur avec une abondance
de détails frisant le sadisme : dans les "Champs d'Or de l'Urubu"
nous assistons à la "Torture de l'Or", c'est-à-dire l'or en fusion déversé
sur les crânes et les épaules des patients, puis nous voyons des condamnés
jetés dans un puits pour y être dévorés par des crabes-araignées,
"gros comme des moutons, aux pinces larges comme des faux", et aussi
à l'interrogatoire d'un "colonel" haïtien à qui on entaille les
extrémités des doigts pour y déposer de la poudre à laquelle on met le
feu... "les doigts ouverts, les os mis à nu" le supplicié hurle :
"Ooh ! je meurs !" - "On ne meurt pas lorsqu'on a une si belle
voix ! répond Loustalot". Les
victimes des Pirates Chinois des "Extraordinaires Aventures de Frédéric
Kermit Bloomfield" ont la peau tailladée par bandes de dix centimètres,
les plaies étant cautérisées à mesure à l'aide d'un feu rougi au feu, et ce
pendant trois heures ! Dans
"Les Négriers des Rivières du Sud" nous est présenté le
"Supplice des Mouches" : les patients, d'abord enduits de miel, sont
livrés à une nuée d'abeilles. Le
stoïque Capitaine Mortimer, des "Mystères de la Mer de Corail" a les
dents limées lentement jusqu'aux gencives par le féroce Krapfl. Un
des "Compagnons de la Mort" subit le supplice du feu, les pieds et les
jambes brûlés "ne laissant plus que deux moignons noirs calcinés
jusqu'aux genoux". Et
ce journaliste jeté dans une profonde cuve à saindoux par un manufacturier de
conserves, qui met en marche la malaxeuse... "Ah ! tu as dit du mal de mon
saindoux... tu vas m'en fournir deux cents livres !" ("John
Strobbins"). "La
Prison de Glace" nous fait assister au martyr du chimiste Elwell, lié sur
une chaise sur le pont d'un navire, par une température de -20°, les jambes
trempant dans un bac d'eau qui gèle autour de ses pieds, en "broyant ses
muscles et ses rotules", ce qui le fait devenir fou sous la souffrance. L'infortuné
Gauras, du "Dragon d'Emeraude", est ligoté en dessous d'une énorme
cloche de bronze, dont les vibrations régulières, pendant des heures, le font
tellement souffrir qu'il se fracasse le crâne sur les dalles du sol. Enfin,
pour en terminer avec ces quelques exemples de tourments variés, citons
"Le Maître de la Banquise", qui nous décrit la mort affreuse de
trois malheureux détectives, enterrés jusqu'au cou, la figure préalablement
enduite de miel, dans le sol d'une cave fréquentée par des rats monstrueux. Lorsque
les rongeurs commencent à s'attaquer aux victimes, leurs bourreaux,
confortablement assis, un cigare en bouche, contemplent le spectacle, tout en
buvant du champagne. ... "Un cri aigu - un râle qui n'avait plus rien d'humain, retentit : c'était Bair... un rat agrippé à sa face lui rongeait l'œil... les hurlements n'effrayaient plus les rats, ils rendaient furieux les immondes carnassiers... qui fouillaient avec ardeur les chairs des suppliciés. Maintenant les râles d'agonie et les supplications des misérables emplissaient la cave. Un son suave les domina, Sam Camden, debout, son violon au menton, les traits extasiés, jouait lentement la marche funèbre de Chopin, qu'il recommença trois fois. Les yeux brillants, Hogeman en oublia de fumer son cigare et murmura :
"
- Admirable ! Oh ! Admirable.
"
- C'est sublime, affirma Murchison, sincère ! ..."
Voilà
une scène qui aurait délecté les amateurs de sensations fortes, clients
habituels du "Grand Guignol" !
2.9
- MOURIR CHEZ MOSELLI
Non
! Chez lui la vie vous rejette violemment de façon impromptue et abominable.
La mort est presque toujours le fait de l'homme : la conséquence de son
égoïsme, de sa lâcheté, de sa méchanceté. Par
la noyade (beaucoup de romans de Moselli sont maritimes), par le feu. Par
les armes a feu ou blanches ( flèche, sagaie, machette,... ). Par
les maladies microbiennes, et pas n'importe lesquelles. Une prédilection pour
la lèpre inoculée sciemment, et avec quel sadisme ! Au cours de ses voyages,
l'auteur avait vu des lépreux et connaissait les effets avilissants et
repoussants de cette terrible maladie. Je
côtoie moi-même journellement de ces malheureux dans les rues et au marché de
Tamatave où ils mendient. J'en
sais quelque chose, donc. Pas
souvent sous la dent des animaux en liberté qu'on dit sauvages. Je
ne sais si le romancier aimait les animaux. Je serais tenté de répondre par
l'affirmative car dans l'univers mosellien on ne chasse jamais pour le plaisir,
et seulement en cas d'extrême nécessité : pour manger. Le goût qu'ont
certains humains de tuer un animal gratuitement lui est étranger. Pas de
safaris comme chez Boussenard, Galopin, de La Hire. Et
nos amies les bêtes s'en prennent rarement à leur ennemi, l'homme. Pire
encore, on est mangé par l'homme! Qu'il soit cannibale (le cannibalisme est une
institution sociale chez certains peuples) ou anthropophage (l'anthropophagie
doit être perçue comme un acte). A noter que la dévoration est souvent précédée
de tortures. Moselli
avait lu, sans doute, la célèbre revue "Le Journal des Voyages".
Y paraissaient des romans d'aventures exotiques et des récits
d'explorations et anecdotiques - à l'authenticité douteuse - sur les peuples
lointains. C'était
magistralement illustré par une pléiade d'artistes, dont Castelli au talent
assez sulfureux, mais ainsi le voulait l'esprit de la revue ( voir à ce sujet
l'article sur "le Journal des Voyages" signé Pierre Versins paru dans
sa revue "Ailleurs" il y a plus de vingt cinq ans) Le "J. des
V." magnifiait, si je puis dire, la sauvagerie des gens de couleur et de
certains blancs. L'illustré
pour garçons "L'Intrépide" créé par les Offenstadt pour, a-t-on
dit, concurrencer la célèbre revue, œuvre lui aussi dans le domaine de
l'aventure d'au-delà les mers en privilégiant cependant le roman. Dans
"Le Journal des Voyages" les actes de barbarie étaient le fait de
sauvages et illustraient surtout les récits des grands voyageurs, c'était
du "vécu". Dans "L'intrépide" ils sont surtout du
domaine du roman - de Moselli principalement - Mais, qui est important, la
cruauté est imputable aussi bien aux sauvages qu'aux civilisés. "Le J.
des V." n'a-t-il pas été un catalyseur pour l'auteur du "Roi des
Boxeurs" dans le tout début de sa carrière chez les Offenstadt ? Moselli
devait jubiler en écrivant les scènes atroces qui sont tout au long de ses
récits. J'y vois des clins d'œil à son jeune lecteur : ce qu'on "
s'amuse" ! D'ailleurs sa compagne a rapporté que le romancier était
souvent "peiné" de faire disparaître 1'un de ses personnages, mais
il lui promettait une belle mort, c'est tout dire. Une
lecture plus attentive ouvre des perspectives intéressantes. Moselli ne
profitait-il pas de l'opportunité qui lui était offerte pour évacuer
certaines boues de son inconscient ? La psychanalyse explique ces choses-là.
2.10
- ECHOS
SUR JOSE MOSELLI (article
paru dans le Chasseur d'Illustrés, n°12, septembre 1969 article
non signé, attribué à G. Fronval) Faire
des recherches à propos des romans de José Moselli dans les si nombreuses
publications de la S.P.E. n'est pas toujours chose facile. Ce fécond écrivain,
en effet, a utilisé de nombreux pseudonymes, et certains de ses textes n'ont même
pas porté de signature, quelques-uns y ont eu droit seulement à la fin du
premier chapitre. Un
jour, à une de nos réunions, Michel Guillaumin signalait que dans les tous
premiers numéros du "Cri-Cri" - celui à bordure rouge - avait paru
un roman de José Moselli qui avait été seulement signé après la dernière
ligne : Pierre Agay. En
comparant les textes du "Cri-Cri" et de "La Collection
d'Aventures", c'étaient les mêmes, ils contaient les exploits de Frederic
Kermit Bloomfield et de son fidèle Cadouille. Un
mystère était éclairci. Il n'y avait décidément pas d'inédit dans "La
Collection d'Aventures". Une
œuvre peu connue de José Moselli, que nous avons découvert tout à fait par
hasard, en feuilletant la collection du "Régiment", un hebdomadaire
égrillard paru vers 1913 chez Offenstadt, est une série d'articles historiques
paraissant dans une rubrique intitulée "Nos Héros". José
Moselli, qui ici signait Pierre Agay, donnait des biographies de marins
illustres, tels que Flibustiers et Corsaires. Ainsi celle du Baron de Bucaille,
parue dans le n° 19 du "Régiment". Les autres auteurs de cette
chronique étaient Pierre Gallien, Erk-Bouiller, Patrice Roselay et Régine
Véran. Ils
s'imaginent, en effet, que ce roman a commencé dans le n° 417, du 18 août
1918, pour finir dans le n° 441, du 2 février 1919. Si cette dernière date
est exacte, il n'en est pas de même de la première. "Le
Téléluz" a très exactement commencé le 19 mai 1918, dans une
publication patriotique des frères Offenstadt, "La Jeune France". Le
roman de José Moselli parut tout d'abord en première page, avec des
illustrations de R. Le Riverend, dans un montage tarabiscoté, à la manière
des couvertures de "Fillette". Quelques
années plus tard, ce même roman présentait de la même façon qu' "Iko
Terouka", dans "Le Petit Illustré", en couleurs page 1, et en
noir page 16. Puis
il y eut un autre changement. Le
18 août 1918, dans le n° 417 de "L'Intrépide", commençait la
publication de "Téléluz", présenté comme un véritable roman.
Chaque numéro, au début relatait la valeur de trois semaines de "La Jeune
France". Le 23 septembre, les deux publications étaient à égalité. La
semaine suivante, "La Jeune France" ne paraissait plus. Seul
"L'Intrépide" offrait à ses lecteurs la suite du texte du "Téléluz". A
propos des fascicules du "Roi des Boxeurs", il est intéressant de
faire remarquer que la série des soixante dix neuf livraisons parues encartées
dans "L'As", en 1938, n'était pas constituée par des textes inédits.
Ainsi le n° 1 de la série de "L'As" est le numéro 1 de la première
série éditée en octobre 1925. Les
numéros sont exactement les mêmes, même texte, mêmes titres, mais
illustrations nouvelles, jusqu'au n° 28. Le suivant, le n° 29, est la reprise
du premier fascicule de la seconde série, de janvier 1928, "Monsieur Eugène
Lochon 1013". Les
brochures qui suivent respectent le texte jusqu'au n° 57, là où un autre
roman, "Le Philtre d'Or", est sans signature d'auteur. Les textes sont
alors modifiés, raccourcis, si bien qu'une livraison relate parfois la valeur
de 2 ou 3 fascicules de 1928. L'histoire
finit brutalement au n° 79, qui est fait
en partie du texte du fascicule 190, "La Catastrophe du
Pensacola". Le récit est hachuré, fragmenté, et cesse brusquement d'une
façon nouvelle : sous une ligne de pointillé trois lignes brèves annoncent : "Quelques
heures plus tard, un navire anglais recueillait notre héros et l'emportait vers
Shangaï, vers de nouvelles aventures que nous comptons raconter
prochainement". Mais,
depuis, "Le Roi des Boxeurs" n'eut aucune autre aventure, soit en
reproduction, soit en inédit.
2.11
- JOSE
MOSELLI ET LA SCIENCE-FICTION (article
paru dans le n° spécial José Moselli du Chasseur d'Illustrés, 1970) La
science-fiction au sens le plus large ne représente qu'une partie de l'œuvre
de José Moselli. Il ne faut pas oublier en effet que notre auteur écrivait
surtout des romans d'aventures où les héros luttent tenacement contre des
ennemis dont ils n'avaient nulle pitié à espérer, et l'ancien mousse de
trois-mâts aurait bien pu paraphraser le célèbre Roughing It de Mark Twain. Une
seule partie, oui, mais dont l'étude demanderait plus que notre modeste apport. "L'intérêt
de ces romans est souvent faible", a-t-on pu lire, voici quelques années,
dans le "chapeau" présentant "La Fin d'Illa", quand la
revue "Fiction" a publié le texte offert en 1925 par "Sciences
et Voyages". Jugement discutable ! José Moselli a fréquemment jeu égal
avec Rider Haggard (un de ses pères spirituels), Jack London et Jean Ray. Les
"Drames et Mystères de la Mer", pour ne citer qu'eux, ne seraient pas
indignes d'empoigner les jeunes lecteurs d'aujourd'hui. Mais
la controverse nous entraînerait trop loin. José
Moselli a débuté très tôt dans la science-fiction. Ouvrez le recueil de
"La Croix d'Honneur" de l'année 1916 : vous y trouverez "Le Maître
de la Banquise", dont le manuscrit date, probablement, d'avant 1909, car le
contexte indique que le Pôle Nord n'était pas encore atteint par l'Américain
Peary. Robert
Anderson, jeune inventeur méconnu - et roulé par le Germano-Yankee Hogemann -
décide de se venger. Vengeance grandiose puisqu'il a retrouvé la formule des
miroirs solaires d'Archimède. En pleine banquise surgit Suntown, la ville du
Soleil, véritable oasis ultramoderne. Et c'est de là que le sous-marin
"Mercure" ira piller navires et factoreries. Science-fiction,
mais aussi anticipation. Anderson a été obligé de livrer, en plein port de
New-York, la première bataille sous-marine de l'histoire. Le voici maintenant
attaqué par une armada anglo-américaine que commande l'Amiral Pancook.
Infortuné amiral : il a sous-estimé la puissance d'Anderson qui coule ses
navires et repousse toute attaque par terre grâce à ses miroirs. Du reste, le
hors-la-loi ne fait que se défendre. Il n'est pas un bandit. Il gagnera
finalement l'amour de la charmante Maisie Barnett et bénéficiera de l'amnistie
totale lorsqu'on apprendra sa magnifique découverte du Pôle Nord. Cette
anticipation navale, Moselli en reprendra le thème plus tard, après 1914-1918,
dans "La Guerre des Océans". Ici, le partage est nettement fait.
L'homme de science aigri, Fédor Ivanovitch Sarraskine, ne nous est pas
sympathique, malgré sa rancœur justifiée à l'égard des Anglais et des
Américains, et le héros, Jacques d'Harvaux, n'aura de cesse que le pirate soit
vaincu. Mais
quel savant, ce Sarraskine ! Il a mis au point la greffe des tissus animaux,
modifiant l'organisme humain et permettant à des hommes de vivre dans l'élément
liquide où ils se propulsent à des vitesses incroyables. Toutefois, ces
amphibies doivent subir à intervalles réguliers des piqûres d'entretien, sans
quoi ils meurent dans de terribles souffrances. Malheur à qui veut trahir
Sarraskine! Clou
du roman : l'attaque du repaire n° 1 de Sarraskine, situé au Cap Horn (dans
l'îlot Diago Ramirez) par une escadre britannique. "Ce que veulent les
Anglais, ils le veulent bien. Ils savent y mettre le prix, ce qui est une
qualité moins commune qu'on ne croit". Moselli a publié ces lignes en
1929. Il est mort trop tôt, hélas ! pour voir cette ténacité à l'œuvre
sous les V-2 et en Normandie. Donc,
le monitor "Styx", les destroyers "Pygmalion",
"Nestor" et "Pollux" et le croiseur rapide "Crécy"
- ce dernier transportant trois avions de chasse ! - attaquent Diago Ramirez. La
bataille du Cap Horn coûte cher : deux avions sur trois descendus, trois
vaisseaux coulés. Mais Sarraskine est obligé de faire sauter son repaire
ébranlé par les grosses pièces du "Styx". Ces
deux chapitres (XXXV et XXXVI) comptent à notre avis parmi les meilleures pages
de José Moselli qui, resté sur le souvenir de la bataille des Iles Falkland
(cf. "Les Cœurs du Tigre"), imaginait déjà l'enfer de Midway et de
la Mer de Corail, et le formidable pilonnement effectué pour réduire chaque
atoll, chaque blockhaus japonais. Mais
si "La Guerre des Océans" est un excellent roman, "L'Empereur du
Pacifique", qui nous tint en haleine de 1932 à 1935, nous montre mieux
encore le pouvoir d'anticipation de José Moselli. L'Empereur
? Nous ne saurons rien de lui jusqu'au bout, sinon qu'il est de race jaune et
qu'il veut asservir les Blancs. Ses repaires, il en a plusieurs, sont disséminés
dans l'Océan Pacifique, et plus spécialement entre l'Australie et l'Equateur.
Un savant de génie, l'Allemand Ambrose Vollmer, s'y livre à diverses expériences
de vivisection. Les sous-ordres, des Blancs et des Canaques, doivent obéir sans
chercher à comprendre. Ils sont partagés entre l'appât du gain et la peur
d'aller rejoindre les "sujets" du sinistre Vollmer - ou celle de
s'asseoir sur la chaise électrique, devant un appareil de télévision qui
permet à l'Empereur de voir si la sentence est exécutée. Depuis
des mois, depuis qu'Ambrose Vollmer a mis au point le "gaz bleu", des
navires disparaissent. Les lecteurs de "L'Intrépide" n'auront sans
doute pas oublié la lente agonie du paquebot américain "California",
ni la façon dont les pirates de l'Empereur se jouent du croiseur
"Pensacola" dans les parages du Détroit de Torrès. Equipages,
passagers, ont d'abord l'impression d'un brouillard épais. Puis ils se rendent
compte qu'ils sont devenus aveugles, et ils meurent. Pas tous, à vrai dire.
Mais les rares rescapés seront "traités" par Vollmer. Et
c'est là le leitmotiv du roman : la vivisection. C'est elle qui revient hanter
les deux héros, le placide M. Bour-Lollay et le rude matelot Scournec. C'est
elle qui conduit Wilfrid Hornby, vieux marin alcoolique, à préférer se briser
le crâne contre une cloison. Dès les premiers chapitres, nous voyons M.
Bour-Lollay, son ami Christian Nordard et Scournec subir un mystérieux
traitement. Mystérieux, mais bien anodin en comparaison de ce que médite
Vollmer. Ecoutons plutôt Alfred Tomkins qui a pu fuir avec M. Bour-Lollay et
Scournec, révéler le peu qu'il sait... ...
"Ambrose Vollmer se livre à des expériences de vivisection. Il veut
fabriquer, transformer, enfin créer un homme qui soit un vivant récepteur de
TSF... Mais les sujets de ses expériences endurent des tortures sans nom...
Parce qu'on m'a dit que, pour que les sujets du docteur résistent, il ne faut
pas leur donner trop de soporifiques, ou très peu..." Et
lorsque M. Bour-Lollay parvient enfin à trouver Nordard, ses derniers espoirs
s'évanouissent... ...
"Plus loin, la troisième niche contenait quelqu'un dont on ne voyait rien,
sinon un énorme casque de cuivre cylindrique auquel étaient fixés des petits
cadrans et des minuscules ampoules électriques... Scournec était sans doute
parmi les occupants des niches. Et Christian Nordard aussi. Mais où ? Dans
lesquelles ? Qu'importait, d'ailleurs ?... Où qu'ils fussent personne en ce
monde ne pouvait rien pour eux..." Du
grand Moselli ! Pour atteindre le même degré d'horreur, un Lovecraft ne savait
qu'imaginer des "entités blasphématoires" venues d'outre-ciel, qui
gardaient le cerveau de leurs victimes dans des cylindres de métal. Moselli,
lui, ne sort pas des limites terrestres. Le Docteur Vollmer, nous le savons
maintenant, aurait fort bien pu se retrouver quelques années plus tard au
nombre des médecins nazis condamnés pour crime contre l'humanité. Nous
disions plus haut que Moselli fait jeu égal avec Jean Ray. Est-ce parce que
tous deux furent marins ? Leurs héros tiennent bon. Voyez M. Bour-Lollay foncer
sur Vollmer, le désarmer, le ligoter, l'exécuter. Imaginez à présent le héros
lovecraftien fourvoyé dans un atoll de l'Empereur : à peine certaine porte
franchie, il aurait pris la fuite en poussant des cris d'épouvante.
"L'Avion
Fantôme", qui disparut en même temps que "L'Intrépide", ne
vaut que par l'extraordinaire vitesse de l'aéronef du rajah fou Akbar Firoz, démoniaque
réincarnation de Sarraskine. Le sinistre savant Stefan Melnik lui-même, malgré
son goût pour la vivisection, ne surpasse pas Vollmer. Quant
au "Rendez-vous de Benguella", il y est bien question d'une formule
permettant de détruire l'atmosphère terrestre, mais sans plus. C'est du reste
un bon roman d'action. Mais
nous nous en voudrions de ne pas citer "L'Ile des Hommes Bleus".
"L'Intrépide" ayant naufragé, ce fut "L'Epatant" qui,
avant de sombrer lui-même, présenta le dernier roman d'anticipation signé
Moselli. Notre auteur y a réalisé le tour de force d'abandonner plus ou moins
ses chers navires, de faire du neuf avec du vieux, et de se tenir à l'extrême
limite du canular. Jugez plutôt. L'aviateur
Pierre Morestier décolle à bord de son "stratosphérique" pour
tenter de battre le record d'altitude. A seize mille mètres, la liaison radio
avec le sol est interrompue. Qu'est-il advenu de l'avion ? Mystère. Eh bien,
contrairement à ce que le profane pourrait croire en lisant le titre, Morestier
n'est pas tombé à la mer, pas plus qu'il ne s'est réfugié sur une île
inconnue. Son
avion a été pris comme au filet par les occupants d'un gigantesque engin aérien,
d'une sorte de palet colossal qui glisse dans les hautes couches de l'atmosphère.
Une "île" si l'on veut, qui peut se rapprocher ou s'éloigner de
notre planète à volonté, car elle possède un point d'attache en cas
d'avaries, situé (naturellement) dans le Pacifique. Une
île volante... cela ne vous rappelle rien ? "A floating island...",
si, bien sûr : Laputa ! L'île des savants hurluberlus, conçue dans les années
1725 par un certain Jonathan Swift ! Mais si le terrible ricaneur qui se cachait
derrière le bon capitaine Gulliver cultivait délibérément le canular,
Moselli réussit à l'éviter. L'Ile Ostrow, dirigée par le Géorgien (!)
Wassili Tchorok, est faite d'un métal obtenu par décomposition de l'eau de
mer, et qui offre la particularité d'être anti-gravide. A la longue, néanmoins,
le métal se désagrège suivant un phénomène de démoléculisation. L'île ne
peut donc s'élever que de moins en moins haut et risque même de s'engloutir
d'un coup dans la mer. Quant
aux amateurs d'anticipation, ils conviendront que les spécialistes des fameuses
soucoupes volantes n'ont vraiment rien inventé. Après
quoi il y eut la deuxième guerre mondiale avec ses batailles dans l'Océan
Pacifique, ses V-2, ses savants maudits, Hiroshima, et des militaires
auxquels... eh oui ! ... auxquels Moselli pensait déjà lorsqu'il écrivait
"La Fin d'Illa".
Œuvre
hors-classe, ce splendide roman d'aventures aux derniers chapitres bâclés a
trouvé la place qu'il méritait dans la revue "Fiction" en 1962. Depuis
1925, nous avons connu le genre de guerre totale à l'issue de laquelle Illa
quoique victorieuse, fut anéantie. Nous avons connu nous aussi une race de
seigneurs prétendant asservir ses voisins - dont l'un d'eux, du reste, "égal
en traîtrise et en astuce" à l'agresseur. Nous avons connu un dictateur
fou, des savants passant d'un camp à l'autre, et certains ont vu le nuage en
forme de champignon qu'André Galland sentit naître sous son crayon. "La
Fin d'Illa" est le seul roman de Moselli écrit à la première personne,
avec "Le Dernier Pirate". De même que ce journal de bord d'un
commandant de sous-marin allemand, c'est une œuvre noire, désespérée, où
l'on ne nous offre pas de "happy ending". Les quelques héros
sympathiques y sont broyés. Xié, le narrateur, verra périr Fangar son seul
ami, Toupahou le fiancé de sa fille, et celle-ci qui ne pourra survivre.
Général en chef des armées d'Illa, Xié n'est cependant pas un monstre. Il
aime sa patrie, il est prêt à se faire tuer pour elle, mais s'il a droit à
notre admiration, c'est parce qu'il agit sans haine vis-à-vis de Nour.
Révolté par le tribut de vies humaines que l'on exige des vaincus pour
augmenter le pouvoir des "courants osmotiques", il ne trouve d'issue
que dans un holocauste final. Cet homme de guerre s'est cabré le jour où Rair,
maître d'Illa, lui a lancé une riposte méprisante : "Les
Militaires sont faits pour se battre et non pour raisonner, Xié ! Et au
surplus, nul ne vous demande votre avis !" Point
de vue qui a donné bien des drames, il n'y a pas si longtemps...
Les
non-humains, l'un des principaux thèmes de la science-fiction, ne tiennent
qu'une place réduite dans l'œuvre de Moselli : deux nouvelles. Mais il n'est
pas exagéré de dire qu'elles constituent des morceaux de choix. "La
Cité du Gouffre" est l'aventure d'un dévoyé qui pense dérober des
pierres précieuses à bord d'un paquebot. Dans les parages du Cap Gardafui, au
moment où le voleur s'est introduit dans la chambre forte, le navire sombre. La
porte étanche fermée, l'homme se sait condamné à une affreuse mort lente au
milieu de caissettes d'opales et de rubis. Et
voici qu'à travers le hublot, il distingue des édifices bizarres entre
lesquels passent d'incroyables engins munis de roues dentées. Et autour de ces
machines grouillent des êtres... ...
"Ces êtres se composaient d'un bulbe blanchâtre strié verticalement de
vert sombre, et autour duquel trois rangées d'yeux ronds, couleur rouge cerise,
étaient disposés. Sous ce bulbe qui pouvait être haut de cinquante centimètres
et mesurer quarante centimètres de diamètre, se mouvaient des tentacules au
nombre de sept, assez semblables à ceux des poulpes, mais de longueur inégale". Ces
êtres, ces habitants de la Cité du Gouffre, sont-ils responsables de tous les
naufrages survenant au large du cap Gardafui ? On peut le supposer, car l'homme
les voit bientôt s'attaquer à l'épave, la dépecer. Mieux encore : quand il
sera recueilli par un navire français, alors qu'il gît, inconscient, dans une
sorte de bouée creuse de couleur blanche, il aura le temps, avant de mourir, de
penser que les monstres l'y ont eux-mêmes installés pour le renvoyer à la
surface. Une
nouvelle fois, Moselli rejoint Lovecraft. Ces êtres qui hantent les abîmes, ne
les imagine-t-on pas adorant le Grand Cthulu ? Et ils n'ont pas besoin, eux, de
venir semer l'épouvante dans une quelconque Innsmouth des Terriens. Ils coulent
les navires à distance, sans se soucier de savoir si on incriminera ou non la
tempête et les vents contraires. Ils se montrent même humains à leur manière,
puisqu'ils épargnent ce Philippe Raquier, triste survivant de l'hécatombe.
Pourquoi pas ? Ils sont bien certainement invulnérables. Au surplus, nous
pouvons admettre qu'ils agissent par plaisanterie, "by jest", tels les
entités du cycle lovecraftien. Très
différent, cependant, est l'esprit du "Messager de la Planète", le
plus humain probablement de tous les "bug-eyed monsters" imaginés
depuis H. G. Wells. José Moselli y a frôlé le chef-d'œuvre, car son moindre
mérite n'est certes pas d'opposer l'égoïsme de deux savants terriens, au
drame poignant d'un être venu d'outre-ciel. Ottar
Wallens et Olaf Densmold, partis du trois-mâts "Sirius" en direction
du Pôle Sud, périssent lamentablement sur le chemin du retour. Certes, ils ont
souffert. Mais l'amour forcené de la science excuse-t-il Dansmold quand il décide
d'abandonner Wallens pour aller plus vite et garder pour lui seul les dernières
bribes de pemmican ? Et Wallens, en l'abattant d'une balle de revolver, se
montre-t-il meilleur ? Le
véritable héros de l'histoire, le seul que Moselli nous rend sympathique en
deux ou trois pages, est bien cet extraterrestre dont l'engin est tombé non
loin du campement des savants. Tombé,
non pas posé. Tout le drame est là. Ce
que Densmold et Wallens découvrent une fois à l'intérieur de l'astronef
naufragé ; cette télévision qui
leur montre une cité sur une planète inconnue
; ce liquide philosophal qui permet à l'acier de devenir successivement
argent, plomb, or, platine ; ces
vibrations plus ou moins aiguës qui correspondent peut-être aux différents états
de la matière ; ces rayons de
force invisibles qui vous élèvent jusqu'à l'orifice de l'engin... sont désormais
inutiles devant le fait que les deux "sauvages" se bornent à ouvrir
de grands yeux et que le moteur (?) conçu par les techniciens d'un autre monde
est ipso facto irréparable. Suprême
ironie du sort : le "messager" de cette race merveilleusement avancée
par rapport à la nôtre est finalement victime des chiens du traîneau. A peine
est-il sorti de l'astronef que deux huskies foncent sur lui et l'abattent.
Aussitôt, le corps se met à brûler par un mystérieux phénomène d'incinération
spontanée. Densmold
et Wallens ne songent plus qu'à regagner le "Sirius". Ils le
pourraient, si Densmold ne s'avisait d'arriver plus vite, pour être sûr de
faire connaître au monde l'existence de l'épave merveilleuse - de l'astronef
qui restera désormais ignoré dans l'Antarctique. "Le
Messager de la Planète", disons-le, n'est pas sans défauts. On se demande
par exemple pourquoi Densmold et Wallens peuvent toujours utiliser leurs torches
électriques, alors que la présence de l'astronef a complètement vidé les
accumulateurs du poste de TSF, et pourquoi les chiens meurtriers ne tombent
foudroyés qu'APRES avoir tué l'extraterrestre. Mais ces faiblesses
n'apparaissent qu'à la seconde lecture et, au total, ne diminuent en rien le mérite
qu'a eu Moselli de nous donner, dès 1925, un inoubliable morceau de
science-fiction.
Que
dire de plus ? La
mystérieuse matière qui catalysait l'eau après être tombée sous forme d'aérolithe
dans le cratère de la "Montagne des Dieux" provenait sans doute de la
même région de l'espace que l'astronef. "Le
Maître de la Foudre", digne émule de "L'Empereur du Pacifique",
faisait exploser des bombes par télécommande. Mais il était certes moins
redoutable que le sombre Pietro Marini dont le terrible "Rayon Phi" ne
laissait pas pierre sur pierre de l'objectif condamné. Aux
derniers beaux jours du Tsar Nicolas II, l'odieux Karl Kresler avait déjà
recours à l'hibernation pour garder ses victimes dans une véritable
"Prison de Glace" - alors que Richard Eberhardt et Cyril Ferguson,
"Les Conquérants de l'Abîme", essayaient un peu plus tard de faire
fondre cette même glace (au Labrador, il est vrai! ) en obligeant le Gulf
Stream à changer de direction. Précisons que ce dernier roman tournait court
au seizième chapitre, Moselli ayant peut-être reculé devant l'imminence d'une
guerre entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis ! Les deux rois de la mer, on
l'a vu, finirent par se réconcilier plus ou moins sur le dos de Sarraskine. Il
faut dire que Richard Eberhardt et Ferguson n'avaient pas eu comme Conrad Zerbst
la chance de découvrir des diamants à foison dans certaines îles de la mer de
Behring réchauffées par des geysers sous-marins - dans cet "Archipel de
l'Epouvante" où... Mais
là, je n'anticiperai pas.
Un
excellent morceau - et pourtant, jamais roman de José Moselli ne fut plus mal
présenté que celui-là ! Divisé en trente six doubles pages centrales de
"L'Intrépide" dont les couleurs se réduisaient à un rouge pisseux
avant de disparaître fort heureusement, le texte compact, pénible à lire, n'était
même pas accompagné d'images valables. Alors qu'il eût fallu le coup de patte
d'un René Giffey, d'un André Galland ou d'un Vallet, on avait, par une étrange
aberration, songé à... Jobé-Duval. Or, autant le cher oncle Félix était inégalable
pour traduire les "Tribulations Fantastiques de Pico" dans le
"Petit Illustré" ou pour nous enchanter dans "Fillette",
autant il se montra parfait gabier de poulaine chez le Grand Serpent de Mer. Car
c'était bien lui, magistralement décrit par José Moselli, lui, le Mégophias,
le Mosasaure, le formidable Rescapé de la Préhistoire, auquel Jobé-Duval
donnait l'aspect d'une ahurissante tarasque tout juste bonne à effrayer notre
petite sœur ! C'était lui cependant qui hantait les eaux chaudes baignant
"L'Archipel de l'Epouvante". C'était son congénère, prisonnier dans
un marécage, qu'adoraient les farouches Hommes-Poilus, lui auquel les shamans
offraient des sacrifices humains. C'était lui que Jacques Ferbeaux et le
naturaliste Bancroft, fuyant Conrad Zerbst à bord d'un canot automobile,
avaient vu en pleine mer... ...
"Un bruit épouvantable retentit, un rugissement, un barrissement, un
hurlement, un grondement, un de ces bruits uniques pour lesquels il n'existe de
mot en aucune langue... les deux hommes, saisis, pétrifiés, oubliant tout, se
retournèrent, hagards, frissonnants, et virent : à moins de mille mètres du
canot, un animal grand comme cent baleines, une sorte de serpent dont
les écailles couleur vert-bronze luisaient comme de la porcelaine,
glissait lentement sur l'eau grise. Sa nageoire dorsale triangulaire, longue
d'une douzaine de mètres et haute de moitié, ressemblait à une colossale aile
de chauve-souris. Une rangée de griffes noires la bordait. La tête du monstre
effleurait la surface de la mer : une tête triangulaire, couverte d'écailles
noirâtres, où deux yeux ronds et rouges, de la dimension d'une tête d'homme,
luisaient comme d'énormes rubis". "Et
c'était son frère de race qui, justicier invulnérable sous sa cuirasse d'écailles,
anéantissait le navire où Conrad Zerbst et le féroce Khrap venaient de
transporter leur moisson de diamants, Jacques Farbeaux ayant eu l'idée de démolir
la barricade fermant le marécage en faisant dégringoler un énorme
rocher..." ...
"Khrap avait vu le péril. Le canon et les mitrailleuses tonnèrent. Obus
et balles vinrent s'écraser sur les écailles du monstre dont la nageoire
dorsale, déchiquetée par les projectiles, frémit. Dans un nuage d'écume
rouge, il jaillit pour ainsi dire de l'eau bouillante et retomba sur le
"Corysandre". Les détonations cessèrent. Ce fut le silence...". Le
Mégophias... Peut-être
existe-t-il d'autres Mystères de la Mer, dont José Moselli nous eût
certainement parlé, vieux skipper plus qu'octogénaire, quelque part entre Agay
et le Cap Lisburn. Mais après tout, n'est-ce pas plutôt sur celui-là qu'il
aurait préféré finir ?
2.12
- JOSÉ MOSELLI ET LES ROMANS POLICIERS par
Michel Guillaumin (article
paru dans le n° spécial José Moselli du Chasseur d'Illustrés, 1970) Dans
le cadre du roman d'aventures, José Moselli s'est essayé aux genres les plus
divers : anticipation, espionnage, romans de cape et d'épée, romans policiers. Il
aborda d'ailleurs très tôt le roman policier, puisque la première histoire
publiée sous son nom, intitulée " W...Vert..", débuta dans
"L'Intrépide" du 6 novembre 1910 par une série d'énigmes : six
personnes disparaissent mystérieusement en gare du Nord et la sixième réapparaît
au moment où on l'attendait le moins, alors qu'on la croyait à Buenos Aires. Mais
c'est dans "L'Epatant" du 22 juin 1911 que débuta vraiment la première
des grandes séries policières de Moselli, avec les aventures de "John
Strobbins, détective cambrioleur". Plus
de 70 épisodes, formant chacun une histoire complète, parurent sous ce titre,
presque sans interruption de 1911 à 1930, une ultime aventure, sans doute oubliée,
"La Malle de Laque", étant encore publiée isolément en 1933. Ces
récits occupent d'abord trois ou quatre numéros, devinrent vite plus étoffés
et s'étendirent sur dix-quinze livraisons et plus, chaque chapitre comportant
dans l'en-tête une illustration signée au début par divers dessinateurs pour
chaque épisode, Janko, Roig, Galland... se succédèrent ainsi, mais finalement
ce fut Jacques Abeillé qui devint l'illustrateur attitré de John Strobbins. Pour
composer son personnage, José Moselli s'est sans nul doute inspiré d'Arsène
Lupin dont les aventures avaient été publiées pour la première fois en 1905.
Jeune, élégant, sympathique, John Strobbins n'est plus un débutant lorsqu'il
apparaît : il a déjà eu maille à partir avec la police de San-Franciso, des
mains de laquelle il s'est déjà glissé plus d'une fois. Le tout premier épisode
nous narre précisément une de ces évasions, d'ailleurs, concédons-le,
passablement rocambolesque et peu vraisemblable. John
Strobbins est un virtuose du cambriolage. Bien entendu il excelle à emprunter
n'importe quelle personnalité, et il utilisera fréquemment ce don, notamment
dans les débuts, pour mystifier ses bêtes noires, James Molescott, le chef de
la police et son adjoint Peter Crainsby. Cependant,
nous l'avons dit, John Strobbins est un voleur, peut-être adroit et
sympathique, mais un voleur tout de même, ce qui n'est pas joli. Mais il va
s'améliorer et n'hésitera pas, par la suite, à affronter fréquemment les
plus grands dangers par pur esprit chevaleresque, afin de sauver des innocents
de la potence, et démasquer les véritables coupables. Si l'occasion de
quelques menus profits se présente en marge de cette bonne action, il va de soi
que John Strobbins s'arrangera pour en bénéficier, à titre de légitime
compensation. Aidé
de son fidèle Reno, John Strobbins pense à tout, organise tout. S'il est
parfois contraint d'employer la violence, à l'instar d'Arsène Lupin il ne tue
jamais. C'est durant la guerre, lors de ses démêlés avec les espions, qu'il
se montre le plus sévère. Ainsi, un jour, il fit inoculer la lèpre à ses
ennemis avant de les abandonner sur une île déserte. Il est vrai que c'était
lui qui était primitivement destiné à ce sort. Le
plus souvent, l'enjeu de la lutte, le mobile du mystérieux assassinat par
lequel débute l'épisode comme il se doit dans le genre policier, c'est un trésor
qui peut aller de la banale mais considérable liasse de bank-notes, à la
cargaison de fourrures, en passant par une concession de riches terrains pétrolifères
ou le "Grand Zodiac d'Or des Mayas"... tout cela est disputé à de féroces
gangsters, qui seront finalement coffrés à la suite d'un discret coup de téléphone
donné à la police. Quelquefois
c'est l'échec. Ainsi, dans "La Momie d'Aménokrit", l'énigmatique
docteur Syam s'échappe après avoir fait sauter le yacht de John Strobbins,
porteur de fabuleuses richesses. Quoi
qu'il en soit, John Strobbins reste l'un des personnages les plus attachants de
Moselli et fût, avec les "Pieds Nickelés", l'un des attraits de
"L'Epatant" entre 1910 et 1930. La
"Collection d'Aventures" reprit certaines de ses aventures, surtout
celles du début, choisies d'ailleurs, semble-t-il, d'une façon plus ou moins
empirique. Il s'agit des fascicules 23 à 26, 500 et 518 de la "C.A". L'éditeur
lança ensuite en 1930-1931 une revue à couverture en couleurs, intitulée
"Les Grandes Aventures Policières", où furent réédités un certain
nombre d'épisodes avec de nouvelles illustrations. Enfin,
en 1937, dans les 22 numéros de l'éphémère "Boum", qui succéda à
"Cri-Cri", parurent des planches dessinées par Maurice Toussaint, où
l'on retrouve une nouvelle fois les premiers épisodes racontés de façon très
succincte. Ces bandes sont, à mon avis, médiocres. José
Moselli ne peut être traduit en B.D. sans perdre tout caractère (inversement
les aventures de Tintin, transformées en romans d'aventures, feraient
certainement des récits bien quelconques...). José
Moselli imagina un autre personnage, moins pittoresque que John Strobbins mais
qui retient cependant l'attention. Il s'agit d'Iko Terouka, "le célèbre détective
Japonais". Pourquoi un Japonais, après un Américain ? Toujours est-il que
Iko Terouka débuta dans le n° 795 du "Petit Illustré" en 1920 et
que ses exploits se poursuivirent de façon ininterrompue jusqu'au numéro 1592
(1936) du même hebdomadaire, soit pendant plus de seize années. Policier
amateur classique, Iko Térouka œuvre toujours pour la bonne cause, ses enquêtes
le conduiront dans toutes les parties du Monde et dans les milieux les plus
divers, passant indifféremment des milliardaires américains aux sectes
secrètes d'Afrique Noire, en passant par les ranches australiens ou les
bas-fonds de Chicago. Dans
le n° 1593 du "Petit Illustré", Iko Terouka est remplacé par le
"Club des Trois" : Charles Montfort, son chauffeur nègre et son valet
de chambre chinois s'emploient à rechercher une cargaison d'or mystérieusement
disparue. Après leur succès, les trois hommes décident de fonder une société
de détectives privés et leurs nouvelles aventures
se dérouleront à partir du n° 1631 du "Petit Illustré" jusqu'au n°
50 de la nouvelle série. On compte quatre épisodes, la fin du dernier nous
annonçant "une des plus étranges affaires de leur carrière",
laquelle ne fut jamais publiée. "Le
Cri-Cri", de son côté, publie du n° 212 (1922) au 854 (1935) une longue
série, présentée comme celle d'Iko Terouka avec texte sous images mais sur
double page, "Browning et Cie" : deux associés, Rabascasse et
Browning courent le monde pour élucider les affaires criminelles. Avantage de
cette association : lorsqu'il arrive à l'un de tomber entre les mains des
gangsters, l'autre réussit à le délivrer. En revanche, le narrateur est obligé
de nous raconter alternativement les pérégrinations de l'un puis de l'autre,
ce qui embrouille un peu l'action. "Browning
et Cie" fut remplacé dans le n° 855 du "Cri-Cri" par une autre
série policière qui cessera avec le journal lui-même au n° 976 : il s'agit
de "M. Dupont, détective" au nom bien français. Cette histoire fut
agréablement illustrée par René Giffey et eut même un moment les honneurs de
la couleur. Il
faut encore mentionner, parmi les romans policiers de Moselli, le nom du
"Baron Stromboli", autre émule d'Arsène Lupin et de John Strobbins,
dont les aventures parurent dans "L'Inédit" en 1912 et 1913. Ces
aventures constituent les n°s 33 et 34 de la "Collection
d'Aventures". Le
Baron Stromboli, comme l'auteur nous le présente, "excelle à berner
toutes les polices du monde. Il affirme qu'il a trente deux manières et
quelques autres de se procurer de l'argent, mais toujours avec élégance". Moselli
a aussi publié dans "Système D" deux romans de caractère policier
"La Momie Rouge" (n°s 58 à 91) et "Triplix
l'Insaisissable" (n°s 1 à 34). On
trouve d'autre part nombre d'histoires d'aventures de Moselli qui possèdent un
certain caractère de mystère. Ainsi, le début des "Tueurs de
Chinatown" ("L'Epatant" n°s 1217 à 1303) est digne d'un roman
de Fantômas : un train a disparu corps et biens entre deux gares sans laisser
la moindre trace ! Dans
"L'Héritier du Grand Lama" ("Junior" n°s 1 à 35) deux
employés des docks découvrent un tonneau renfermant une mystérieuse créature
humaine, sans bras ni jambes. Dans
"La Guerre des Océans" des navires disparaissent les uns après les
autres de façon inexplicable dans le Pacifique. Dans
d'autres romans règne en permanence comme une odeur de mystère, du fait que
tout semble dominé par une puissance occulte qui ne se découvre, mais qui sait
tout et organise tout. Ainsi dans "L'Empereur du Pacifique"
("L'Intrépide" n°s 1150 à 1278) le nom du chef suprême de la
bande, entrevu une seule fois au long des 150 chapitres du roman, ne nous sera
pas dévoilé. Dans "Radassar" ("L'Epatant" n°s 1020 à
1119) jamais le grand meneur de jeu n'entrera en scène et quand l'histoire se
termine nous ignorons tout de son sort. Mystères
et aventures s'interpénètrent souvent chez Moselli : mystère dans ses romans
d'aventures, aventures dans ses romans policiers. En
ce qui concerne ces derniers, si l'auteur ne reste pas toujours centré sur l'énigme
posée au départ et son explication, il réside dans le suspense, l'inattendu,
le pittoresque, sortis de l'imagination fertile de l'auteur.
2.13
- JOSÉ
MOSELLI ET LES TERRES POLAIRES par
Jacques Van Herp (Article
paru dans Les Carnets de l'Exotisme, 1996, n° 17-18)* José
Moselli (1882-1941), officier de marine marchande, commandant durant la Guerre
de 14-18 un transport faisant la navette entre Marseille et le front de
Salonique, après avoir connu le Pacifique, les Mers de Chine et du Japon, les
Nouvelles-Hébrides, la côte du Chili, les ports anglais et américains,
familier de Londres, de Marseille, et de San Francisco, grand romancier
d'aventures, n'a rien d'un romancier exotique. Dans son œuvre il est familier
de la frange côtière des pays, mais à peine de l'hinterland ; il connaît le
Brésil de Rio, l'Egypte d'Alexandrie, du Caire, de Khartoum, car il y travailla
dans les banques locales, mais l'intérieur de l'Afrique n'est abordé qu'à
travers le prisme des récits, des rapports, des articles de journaux. Sa
vision est une vision de caméra ou de camescope, il évoque le cadre à travers
l'action. Il saisit des silhouettes, les propos, les attitudes, aussitôt cadre
et personnages se dessinent, à peine croqués, mais reconnaissables et
s'imposant au lecteur. Il ne va pas chercher un décor pittoresque, ou exotique,
mais un cadre de comportement. Il en va des solitudes arctiques, comme des bas
quartiers de Londres ou de Frisco, ou du Pacifique des îles, ou encore de la
forêt vierge. Ce sont des univers où la loi s'arrête, où les protagonistes
n'ont de limites que celles qu'ils
acceptent, et non celles de l'autorité. Le cadre lui est indifférent. Il ne
vibre pas devant la nature vierge et sauvage. Ce n'est pas réaction de citadin,
ennemi de la campagne, et se refusant à quitter un cocon bien douillet, mais
d'aventurier. Les personnages de Moselli ne se heurtent à la nature que pour
essayer d'en triompher. Les étendues polaires, les neiges étalées jusqu'à
l'horizon, sont toutes pareilles aux flots du Pacifique immense, où, pour peu
que les calmes immobilisent le voilier, on peut succomber également à la soif,
à la faim, où les atolls et les îles sont synonymes de danger. Ainsi,
dans une des nombreuses nouvelles dont il jalonna les illustrés Offenstadt, il
rapporte l'aventure d'un baleinier pris dans les glaces du pôle dans les années
1880. Aucune description du paysage, des conditions de vie, sinon qu'il y a de
la neige et qu'il fait froid. Ce dont il se soucie, ce qui l'intéresse, ce sont
les hommes, leur lutte pour survivre : le voyage en chaloupe parmi les glaces dérivantes,
puis, terre venue, le traîneau improvisé avec les débris de la barque, la
chasse difficile, l'ours tué qui se révèle aussi maigre que les naufragés,
la faim qui grandit, l'espoir qu'il faut sans cesse relever. Et finalement
l'abandon de tout espoir, la conscience qu'ils sont perdus à jamais dans le
froid et la neige. Mais les matelots n'abandonnent pas, avancent encore,
machinalement, ils ne se couchent pas. Peut-être parce que les hommes doivent
se comporter ainsi. Il n'est permis qu'aux animaux de renoncer, de s'allonger
pour mourir. L'homme, aux yeux de Moselli, doit aller jusqu'au bout du combat.
Cette lutte n'a pas de sens, pas d'issue, mais il faut livrer le combat jusqu'au
bout. La
détresse, le danger agissent comme des révélateurs : les caractères se dévoilent,
les manques, les lâchetés, mais aussi le courage. Le fond de l'homme apparaît
alors. Et, souvent, ce n'est pas très beau. Moselli ne croit pas à la bonté
de l'homme, celui-ci, naturellement cruel, se plaît à tourmenter et torturer
son semblable. Cela quelle que soit sa couleur ou sa race : civilisé ou
primitif, Blanc, Chinois, Papou, Dayak, Indien, Maori ou cannibale de Mélanésie,
gens du passé ou gens du futur, comme les citoyens d'Illa ("La fin
d'Illa", 1924. Voir bibliographie), tous sont également cruels. Les conquêtes
scientifiques ne corrigent pas cette tendance, elles se bornent à les masquer. Moselli
a beaucoup écrit, romans, nouvelles, contes, sur les terres du froid. Ne
relevons que quelques œuvres, assez significatives. "Le Maître de la
Banquise" (Collection d'Aventures Offenstadt, 1916) est un récit de S.F.
se passant au Pôle et dans les mers polaires. Schéma classique de ce type de
roman : un ingénieur aigri, ennemi des baleiniers, auteur d'une invention
intéressante, se voit manipulé par un financier désireux de s'enrichir
malhonnêtement. Le cadre n'a aucune importance, sinon en ceci : des capteurs
solaires ont permis la construction d'une ville sur la banquise de l'océan
Arctique. Et quand les prisonniers, des pirates s'évadent et fuient sur
l'inlandsis, ils édifient des igloos afin de trouver refuge et repos. Moselli
n'insiste pas plus. Ce qui l'intéresse, c'est l'action, la lutte de la
société et des individus contre le sous-marin pirate ; les terres polaires ne
sont qu'un cadre propice au développement de son roman. L'environnement
polaire joue en revanche un rôle capital dans "Le Messager de la Planète",
paru dans l'Almanach Scientifique de 1925, avec une fort belle couverture. Nous
sommes en Antarctique. Deux savants, un astronome, Densmold, un géologue,
Wallens, sont partis en exploration, accompagné d'un Indien d'Alaska menant
leur traîneau. Le paysage est brossé en une ligne : "c'était le néant,
neige gelée, blocs de glace, ciel gris, sans reflets". Il ne sera plus décrit,
mais il restera toujours présent. La tempête de neige, le blizzard balayant la
plaine, la tourmente magnétique, la neige et le froid isolent les savants,
musellent la radio, affolent les chiens, les amènent à tuer et dévorer en
partie le chef de traîneau, et emprisonnent les explorateurs avec leur découverte
: un étrange être vivant, polyèdre enfoui dans les glaces, dans la clarté
duquel des formes géométriques sont projetées sur un écran, afin d'attirer
l'attention d'autres intelligences. Ce Mercurien qui leur tend les mains est
isolé sur la terre, sans espoir de retourner chez lui. Ils
vont partager ses connaissances, permettre à la science humaine de progresser
de mille siècles. A cet instant, trois esprits fraternels se rencontrent. Mais
l'environnement, le pôle, la glace, la faim, vont tout bouleverser, déterminer
l'action et les comportements. Le Mercurien est mis en pièce par les chiens de
traîneau à demi fous de faim. Les explorateurs, dépourvus de radio, détruite
par la tempête magnétique, ayant perdu la plupart de leurs chiens, doivent
retourner à la côte pour porter la nouvelle et le fruit de leurs observations.
La progression n'est pas trop pénible, mais les provisions s'épuisent. Wallens
voit son compagnon voler les derniers vivres, les glisser dans son sac à dos.
Wallens le tue. L'expédition de secours retrouve son corps, mais pas celui de
son compagnon. Et le secret des Mercuriens dort toujours sous la glace. Cette
fois le décor polaire joue le rôle d'acteur, justifiant la protection et
l'isolement du messager Mercurien, expliquant le comportement des chiens et des
savants... et révélant que, même chez un scientifique, le primitif est
toujours présent. Cet
égoïsme scientifique est à l'opposé de ce qu'on lit chez Jules Verne, dans
"Le Capitaine Hatteras", dans les récits des explorateurs, comme
Scott, où la règle est de ne pas abandonner ses blessés, quel que soit le
prix à payer. Mais Moselli est fidèle à sa vision pessimiste : le danger a
libéré l'esprit de ses tabous, et la gloire scientifique l'emporte. Dans
les romans du Grand Nord de Louis-Frédéric Rouquette, les terres polaires sont
le sujet du livre ; chez Moselli
elles ne sont que le cadre. Le roman de Moselli se rapproche du roman élisabéthain
: pas de décor, des panneaux ; le
texte est primordial. Le cadre polaire est parfait à cet usage, travaillant à
éroder ou briser les contraintes morales. Les vices d'Europe, que la contrainte
sociale, la crainte du gendarme, répriment en partie, explosent dès que
l'autorité est absente ou défaillante. Les seules limites existantes sont,
pratiquement, celles que l'homme s'impose. Les personnages d'un roman
d'aventures se partagent : les "bons" et les "mauvais". Il
en va ainsi chez Moselli, mais les "bons" également, se laissent
aller, et la cruauté se réveille chez eux comme chez leurs adversaires. Le
froid polaire donne leur prix à des vertus comme le respect de la parole donnée,
la fidélité en amitié, et le courage. Là est la vraie pierre de touche des
individus. Moselli les sépare non point tant selon la ligne de partage courant
entre les défenseurs de l'ordre et les malfaiteurs, mais selon l'attitude
devant la mort. D'un côté les peureux, les trembleurs, de l'autre ceux, qui le
moment venu, regardent la mort et la souffrance en face. A ceux-là l'auteur ne
marchande ni le respect, ni la sympathie, fussent-ils de simples meurtriers. Que
ses personnages arpentent les solitudes glacées du Grand Nord canadien ("Tavar
la Hache", 1929), du Klondyke ("Le Claim", 1920), de l'Alaska
("Le Totem de l'Homme Mort", 1933) le décor physique n'est quasi pas
esquissé. Nous sommes dans un lieu où les héros souffrent de la faim, du
froid, de la solitude et des hommes. Chez les uns le courage, l'endurance, la
ténacité montent à la surface. Chez d'autre c'est la bassesse, la
poltronnerie, la cruauté. Surtout Moselli aime camper des personnages
pittoresques, avec plus d'énergie que ne le fit Rouquette dans son œuvre. Que
ce soit un ex-général haïtien perdu dans le Grand Nord, ou, dans "Le
Totem de l'Homme Mort", le shaman des indiens Tarviaks, près du 70°
parallèle, dont la mère était jongleuse au cirque Barnum & Bailey, et
dont Moselli se complaît davantage à conter par le détail comment il se
retrouvera shaman au cercle polaire qu'à décrire son accoutrement ou son
village. Dans
"Le Messager de la Planète" l'extraterrestre est pitoyable,
sympathique, réconfortant par son contact les hommes qui le rencontrent. C'est
qu'il n'est pas humain. Voici le fond de la pensée de Moselli, dont la
philosophie ne doit rien à l'école. Il ignore le mystère, l'angoisse métaphysique,
le malaise existentiel. La mort existe, elle est inévitable et certaine, c'est
la seule réalité. Et tout est dit. Il
s'en est ouvert un peu dans une note griffonnée sur une feuille de papier, et
attendant visiblement des développements : "Le néant c'est l'impossible
et le certain : cela ne se conçoit pas, mais cela est. Le vice est la seule
originalité, la seule puissance créatrice de l'homme. Il est l'essai d'une
organisation de la nature contre la nature, de l'intronisation de l'être humain
au-dessus du règne animal, d'une création humaine contre la création anonyme
d'un monde inscrit dans l'inconscience universelle. Vice : disposition
habituelle à ce que le nombre considère comme anormal et mauvais : Morale,
force, vertus individuelles". Encore
que ce "vice" n'ait pas son ordinaire consonance sexuelle, et désigne
tout autant l'avidité de l'or, de la puissance, le jeu, la cruauté, voici la
clé livrant le secret de bien des personnages, ne rendant compte qu'à eux-mêmes,
et de l'attitude de l'auteur à leur égard. *
: Les Carnets de l'Exotisme - Le TORII Editions : B.P. 93, 86003 Poitiers cedex.
2.14
- LES DIFFÉRENTS TEXTES DE JOSÉ MOSELLI ET
LEUR DUREE DE LECTURE par
J. L. Touchant La
bibliographie de José Moselli, dit "l'Ecrivain sans livre", telle
qu'elle figure dans le n° 23, d'avril 1980, de la revue 813, ne s'est pas
enrichie depuis cette date. Pour avoir une juste idée de cet écrivain il faut
être patient, dénicher auprès des libraires spécialisés, voire des
brocanteurs, des reliures de l'Intrépide, de l'Epatant, de Cri-Cri, du Petit
Illustré, du Pêle-Mêle, et des fascicules de la Collection d'Aventures. Il
convient de donner aujourd'hui une idée de ces textes, de leurs formes différentes
et donc de leurs différentes lectures. Ce que nous avons découvert, en lisant,
paraîtra peut-être naïf à certains, mais reste, en tout cas à nos yeux, très
curieux. José
Moselli a écrit dans presque toutes les publications pour la jeunesse de la
maison Offenstadt (qui, par précaution, ajouta à sa raison sociale, entre
parenthèses, "maison française", pendant la guerre de 1914-1918). Cela
dura trente ans, de 1910 à 1940 environ. De
tous les écrivains qui gravitèrent autour de lui : Guy d'Armen, Jo Valle, Alin
Monjardin, Pierre Adam, etc., il fut le plus important. Il écrivit sous différents
pseudonymes des contes, des récits de voyages, des notes sur les curiosités du
monde entier. Nous ne parlerons dans cet article que de ses feuilletons plus ou
moins longs qui prirent très vite trois formes :
1
- Les feuilletons proprement dits.
2
- Les feuilletons sous images.
3
- Les feuilletons recueillis en fascicules.
LES
FEUILLETONS PROPREMENT DITS
Ils
se présentent sous une double page avec parfois un petit complément sur une
troisième page. Le texte est réparti sur deux, trois ou quatre colonnes, selon
les périodiques ou les années. La première page comporte une image qui
contient le titre. Sauf exception cette image restera identique pendant toute la
durée du récit. Résumé des chapitres précédents sous l'encadré. En général
une illustration sur deux colonnes au milieu de la page. Il y en aura souvent
une autre sur la deuxième page. Enfin, en bas de celle-ci, les mots magiques :
à suivre... Souvent,
à chaque numéro de l'hebdomadaire correspond un chapitre de l'histoire, mais
parfois aussi le découpage est moins net, notamment pour "Les Champs d'Or
de l'Urubu" (Le Cri-Cri, 1919-1931). Deux
feuilletons se présentent différemment. Il s'agit de deux séries sur
lesquelles nous ne reviendrons pas ici :
-
"John Strobbins, détective cambrioleur", qui paraîtra, de façon
intermittente dans L'Epatant entre 1911 et 1933. - Le célèbre "Roi des Boxeurs" sous-titré "Les aventures autour du monde de Marcel Dunot".
Il fera les beaux jours de L'Epatant entre 1912
et 1919, avec une petite interruption en 1914 pour cause de guerre.
LES
FEUILLETONS OU TEXTES
SOUS IMAGES Il
ne s'agit pas d'une bande dessinée comme se présente "Les Pieds-Nickelés"
de l'époque (avec de timides essais de bulles) car on concevait mal de lire le
texte de Louis Forton sans l'apport de l'image (texte en outre souvent
fastidieux), mais d'un véritable récit surmonté d'images que l'on regarde
parfois à peine sauf exception, notamment lorsqu'elles sont en couleurs (Les
Requins du Pacifique, l'Intrépide 1914-1915). Ces
histoires se présentent le plus fréquemment sur une double page centrale, mais
il arrive qu'elles ne tiennent que sur une seule page intérieure. Deux
textes sous images sont à écarter de notre propos puisqu'il s'agit encore de séries
: -
"Browning et Cie, détectives", grand récit d'aventures policières
(Le Cri-Cri, 192-1935). -
"Iko Térouka, détective japonais" (Le Petit Illustré, 1919-1935).
LES
FEUILLETONS DES DEUX SORTES RECUEILLIS EN FASCICULES Des
feuilletons de la première sorte vont paraître sous images et inversement,
mais plusieurs d'entre-eux vont paraître aussi en fascicules entre 1916 et
1927, sans leurs illustrations pour les uns, ni leurs images pour les autres.
C'est "La Collection d'Aventures" qui, elle aussi, sera dominée par
Moselli. C'est une collection petit-format, 64 pages environ, sur deux colonnes.
Une illustration sur la couverture, souvent médiocre. Dans
l'état actuel de nos connaissances un seul récit sera traité en feuilleton
puis repris en fascicules et enfin publié sous images (Le Maître de la
Banquise). Pour le reste (136 fascicules) : 23 récits paraîtront issus de
textes sous images et une dizaine tirée de feuilletons. Chaque histoire sera
contenue dans au moins deux fascicules, mais plusieurs en comporteront trois ou
plus, jusqu'à neuf ("Les Mystères de la Mer de Corail") et même
treize (Le Claim n° 29"). LE
LECTEUR A L'ÉPOQUE DES PARUTIONS Essayons
de l'imaginer. En 1911 il découvre "W...Vert.." dans L'Intrépide
(feuilleton) et "Le Pari du Milliardaire" dans L'Epatant (texte sous
images). En 1916 il pourra lire en fascicule le n°7 de la Collection
d'Aventures "Le Chevalier de Marana", signé Pierre Agay, et qui
parut, sous images, dans Le Cri-Cri en 1911. Il sait maintenant que Pierre Agay
est un pseudonyme de José Moselli dont c'est la première contribution à la
collection. Il n'a pas acheté Le Cri-Cri à l'époque et il va lire ce n° 7,
et plus de trois mois plus tard, le n° 20, "L'Anneau de Fer" qui en
est la suite. Ce
lecteur idéal, puisqu'il va lire les feuilletons de Moselli semaine après
semaine, tel qu'il est conçu pour la bonne lecture, chaque chapitre va le
laisser sur sa faim, mais il n'est pas encore inquiet puisqu'il voit les mots
"à suivre" et qu'aucun conflit guerrier n'est encore envisagé (on ne
dira jamais assez le mal causé par les conflits aux périodiques pour la
jeunesse). La
semaine suivante il va se précipiter chez son marchand de journaux pour acheter
ses hebdomadaires préférés. Bien installé il va feuilleter les 16 pages de
L'Intrépide, jettera un coup d'œil sur l'histoire en images ("Le Bison du
Far-West" de Jo Valle), s'attardera sur l'autre feuilleton, pour enfin, en
garçon qui sait distiller son plaisir, aborder son auteur préféré. Il
retrouvera avec joie l'image, le titre et lira, bien qu'il n'ait rien oublié,
le résumé des chapitres précédents. Regarde-t-il les deux illustrations ? Ce
n'est pas certain car elles anticipent sur le déroulement du récit et souvent
de façon dramatique, et, comme il sait quelles tragiques menaces pèsent
constamment sur les héros de ces récits, il choisira le suspense en abordant
d'abord le texte. Nous
voyons que le temps de lecture peut prendre toute la matinée du jeudi. Ce
lecteur que nous fûmes au début des années trente, passionné par les
feuilletons (notamment le splendide "Capataz de l'île perdue",
L'Epatant 1936-1937), laissa, au début, de côté les textes sous images,
surtout quand celles-ci étaient en noir et blanc. Curieusement
le texte ne lui apparaît pas comme un vrai récit qu'on pourrait lire
comme un vrai feuilleton, mais seulement un complément à l'image, comme dans
les Pieds-Nickelés déjà cités. Un jour pourtant, en manque de feuilletons,
il va se décider à "lire" (et non plus à regarder) l'histoire, et
finira par comprendre qu'il s'agit bien d'un véritable feuilleton et que l'on
pourrait se passer, dans certains cas, des images. Nous nous trouvons donc
devant un temps de lecture à la fois différé et plus long, car cette dernière
étant moins facile, nous ne lirons pas en continu comme la même histoire
rencontrée dans les fascicules de la Collection d'Aventures.
Le
lecteur contemporain aux parutions devait attendre lui aussi sept ou quinze
jours pour lire la suite du récit en fascicules, mais il avait chaque fois plus
de matière (La périodicité des fascicules fut de sept jours au tout début
puis varia par la suite pour atteindre parfois quinze jours). Pour prendre un
exemple qui ne cesse de nous étonner et revenir à "W...Vert..",
texte fondateur s'il en fut, le feuilleton va couvrir 21 numéros de L'Intrépide,
commençant le 6/11/1910 pour se terminer le 2/4/1911. En revanche, celui qui va
acheter en 1917 le même texte dans la
Collection d'Aventures, n° 53, pourra lire la fin du feuilleton quinze jours
plus tard. Quelle
place occupe ce feuilleton dans la Collection ? : -
64 pages dans le n° 53. -
34 dans le n° 54, intitulé "Le Bras qui frappe dans l'ombre" (le
titre s'applique à la deuxième partie du roman, plus longue, qui débute à la
suite).
Donc
98 petites pages qui remettent en question notre appréciation de la longueur
des feuilletons de Moselli, et nous laissent même incrédule relativement au
temps qu'il nous a fallu pour sa lecture. Donc
en ce qui concerne ce lecteur d'autrefois, nous pouvons concevoir qu'en temps réel,
les durées de lecture d'un texte de même longueur étaient courtes (Collection
d'Aventures), moyennes (Histoires sous images) et plus longues (Feuilletons).
LE
LECTEUR D'AUJOURD'HUI Ce
lecteur qui est obligatoirement un collectionneur puisqu'il lui faudra des
années pour acquérir quelques volumes, réputés introuvables, de L'Intrépide
et autres publications Offenstadt, va lire une partie de l'œuvre de son cher
écrivain de façon assez bizarre car, par perversité permanente, les avisés
frères Offenstadt faisaient débuter les feuilletons dans les derniers mois
d'une année et les laissaient se terminer au début d'une autre (parfois un 15
janvier), si bien que souvent il faut dénicher 3 années d'une publication
(puisqu'on ne trouve ces journaux qu'en reliure annuelle) pour lire un
feuilleton complet. Pour lire en entier "L'Empereur du Pacifique"
c'est même quatre ans de L'Intrépide qu'il faut se procurer. De
la même façon il est rare de trouver une histoire complète dans La Collection
d'Aventures ou dans la revue Sciences et Voyages. Nos lectures vont donc être
très morcelées. Néanmoins
faisons abstraction de ces contraintes et essayons d'analyser le plaisir que
nous trouvons à la lecture de ces récits et du temps que nous prenons à les
lire. Revoyons
d'abord leur place dans les trois supports :
"Le
lagon aux requins" par exemple va se poursuivre dans L'Intrépide sur
trente numéros. Le même récit sous images intitulé "Le mystère des
eaux mortes", va, lui, durer 42 numéros. S'il
avait été publié dans La Collection d'Aventures il aurait, d'après nos
calculs, environ 110 pages. Pour
nous, lecteur a posteriori, le plaisir de lecture, le temps que nous passons, le
temps réel et le temps virtuel modifient l'idée que nous avons de la longueur
du texte. Evidemment le texte d'un fascicule va nous paraître très court,
celui du feuilleton proprement dit, beaucoup
plus long, mais c'est le texte sous images, eu égard à sa difficulté de
lecture et son espace dans les publications, qui va nous sembler le plus long. Et
le plaisir ? Sans
aucun doute rien ne vaut la lecture du simple feuilleton. Un livre, même bien
édité, comme l'a été "La guerre des océans" chez Marabout, en
1975, ne procure pas le même plaisir que lire par exemple "Le Totem de
l'homme mort" ou "Tavar la hache" dans les reliures Offenstadt.
Nous le lisons certainement plus rapidement mais avec un moindre plaisir. Et
le lecteur de demain ? Des
feuilletons vont-ils refaire les beaux jours de certains journaux, des
écrivains de vraie littérature populaire, imaginatifs (il n'y en a plus qui le
soient) vont-ils apparaître ? En attendant ce miracle il faudrait rééditer
Moselli en livres, certes, mais pourquoi pas sous forme de feuilletons, puisque
nous avons vu que c'est ainsi qu'il convient de les lire ? |
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