JOSÉ MOSELLI SA
VIE, SON ŒUVRE par
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3.4 - LES REQUINS DU PACIFIQUE de José MOSELLI et la GUERRE de 1914 par Jean Leclercq (Article paru dans Désiré, 1ère série, n° 3, février 1966)
Cinquante deux ans déjà ! Le fameux "Aigle des Andes" de Jo Valle se termine et commence dans l'Intrépide n° 193 du dimanche 25 janvier 1914 une nouvelle grande histoire en images, en couleurs, toute différente de la première de José Moselli, publiée dans cet illustré, "le Sultanat de Kazongo". "Les Requins du Pacifique", histoire prenante dès sa première double page centrale, pleine de dures aventures variées et dont l'intérêt ne faiblit jamais. Du Moselli de premier cru! Elle conte les exploits surhumains et la lutte tenace du jeune médecin Français Richard Daguerre, protecteur de Mabel de Zuniga contre, d'un bout à l'autre du Pacifique, les chefs des "Requins", l'abominable Karl Bomarsund et l'infernal Max Bloser, pirates convoitant le trésor d'une île aux statues pascuanes, l'île Poé, ce nom en hommage certain à Edgar Allan Poe. Le trésor était connu seulement de Horatio de Zuniga qui mourut dans un bagne chilien après avoir confié à Richard, le secret et sa fille ! Le début du roman est illustré par Louis Maitrejean en 24 petits dessins très précis par double page, parfois un dessin de grandeur double. Jolies teintes, tirant sur l'aquarelle, d'une tonalité quelque peu glauque, mettant harmonieusement en valeur les étendues océaniques et les végétations polynésiennes. Mais la première guerre mondiale éclate. Le n° 221 de l'Intrépide paraît le 9 août 1914, mais le n° 222 seulement le 25 novembre. Entre-temps la censure a été établie, les illustrés y sont soumis. Au numéro 230 du 17 janvier 1915, la double page (58ème) cessera d'être en couleurs. Louis Maitrejean est mobilisé et l'illustration passe au n° 236 à René Gary qui la gardera jusqu'à la fin du roman d'aventures, le n° 253 du 27 juin 1915. Dans l'intervalle, au n° 242 du 11 avril 1915, "l'Intrépide" a diminué de largeur. Les restrictions et économies toucheront les illustrés toujours plus. La première grande guerre est donc intervenue par tous les avatars qu'elle fit subir à la publication.
Il y a lieu d'aller plus au fond de l'affaire et de remarquer : "Les Requins" ne sont pas un roman écrit pendant la guerre, comme par exemple, "Les Cœurs de Tigres", mais probablement quelques huit mois avant. Or, premièrement, la nationalité des bandits y est parfaitement indiquée et dessinée, ce sont deux Allemands, l'un étant épais et barbu du type paysan et l'autre sec et racé de type hobereau. Ils présentent les côtés négatifs de ce peuple, tels qu'ils se sont manifestés six mois, puis vingt cinq ans plus tard, l'orgueil, la recherche de la domination par les armes, toute surprise et agression admises, la fin justifiant les moyens. Secondement : les deux Allemands combattront avec acharnement jusqu'au bout. L'antagonisme Allemand-Français s'y trouve donc parfaitement relevé. Troisièmement : Ainsi dans un illustré très prisé et à sa meilleure place, les Allemands étaient nommément indiqués en janvier 1914 comme adversaires belliqueux et sans scrupules et cela ne surprit pas à l'époque ! C'est que les griefs entre les deux peuples et les oppositions entre Français et Allemands étaient ressassés et remâchés de longue date et que l'animosité, sinon la haine, était déjà dans les esprits ! Des souvenirs et notations d'Histoire pour en revenir à Moselli. Mon père était comptable, fils d'ancien ouvrier, et ma mère une couturière, fille d'ouvrier. Ils travaillèrent dur pour passer à la bourgeoisie. En 13, ils eurent le pied dans l'étrier et en 14, la famille put partir, le vendredi 31 juillet, pour Blankenbergue, où, pour la première fois, je vis la mer ! Affreuses vacances, d'heure en heure la situation s'aggrava et la préoccupation creusa le visage de mes parents et des amis. Mobilisation générale le 1er août au soir. Ultimatum allemand à la Belgique le dimanche 2. Déclaration de guerre le lundi 3. Il faut rentrer dare dare dans le Nord. J'abandonne pelle et seau qu'on me promet de retrouver dans quinze jours. J'ai une joie mauvaise que je me suis reprochée 50 ans. Vive la guerre ! Enfin des aventures ! C'est que la vie d'un enfant du Nord se passe entre les pavés luisants de pluie, des murs de briques noircies, des rues bouchées par d'autres rues de briques, un ciel gris, une nature parcimonieuse, l'envie d'illustrés ! Il n'y eut pas d'aventures, mais seulement l'univers de souffrances et de misères écrit par Maxence Van der Meersch dans "Invasion 14". Donc, ce lundi 5, tout le monde était consterné, angoissé, mais nullement surpris et tous résignés à la guerre et prêts à piler ceux d'en face. Les Cahiers de l'Histoire, l'excellente revue de Roger Dauphin qui ne traite que d'un sujet par fascicule, a consacré son n° 39 d'août 1964 à l'AN 1914 et il y est noté : "... les peuples d'eux-mêmes se ruèrent à l'abattoir comme un troupeau pris de panique... la frénésie collective s'empara de tous les peuples... la popularité de la guerre fit un bond. Lloyd George..." Et Poincaré, le président d'alors dont on a tant parlé jadis. Il semble qu'il fit tout ce qu'il était correct de faire pour éviter la guerre après le déclenchement du mécanisme fatal. Mais, précisément, il eut fallu faire bien plus que ce qu'il était normal de faire, pour éviter la catastrophe. Il y avait en cet homme d'état un défaut de cuirasse des plus subtils, il consistait en ce qu'il avait admis de faire la guerre s'il y était contraint ! Funeste acceptation ! Il me semble donc, à l'occasion et à la lumière des Requins du Pacifique, que : - la lutte était annoncée dans les illustrés, comme dans bien des livres, - la guerre était acceptée au fond des esprits et des cœurs, - l'affrontement était admis par les gouvernements. La guerre était acceptée. Une acceptation mène à un accomplissement. La guerre était fatale ! Or, "Les Requins du Pacifique" étaient un petit signe net et formel qu'il y avait acceptation. Dans son domaine, à sa manière et avec ses outils, José Moselli avait concrétisé l'antagonisme français-allemand et écrit en toutes lettres la violence du conflit qui les opposait. Un sourcier qui aurait son pendule au-dessus des "Requins" en janvier 1914 aurait pu conjecturer la guerre dans les six mois et mon père, s'il s'était occupé de mes lectures, aurait pu y lire sa fin dans la Somme en avril 1918 ! Mais quel miroir reflétant des visages haineux a-t-il jamais amené des individus à s'améliorer et quelle prophétie a-t-elle jamais empêché que le destin ne s'accomplisse ! "Les Requins" furent dans leur genre un petit signal d'alarme que personne ne vit ! Ce que j'ai tenté de faire remarquer.
"Les Requins du Pacifique" reparurent une première fois du 22 avril au 9 septembre 1917 en 20 petits fascicules 14 x 20, numéros 1 à 20 de "Unic-Bibliothèque", intéressante série qui n'eut que soixante neuf numéros. Dessins en couleurs de Raymond Tournon sur les couvertures. Ces fascicules étaient imprimés recto-verso sur une simple feuille de 0,56 x 0,40, pliée trois fois et à découper par les jeunes lecteurs. Ils reparurent encore dans la fameuse "Collection d'Aventures", en 4 fascicules, n° 319 à 322, du 22 octobre au 12 novembre 1922, couverture du dessinateur des 164 numéros de "Un Tour en Aéroplane". Il ne signait pas ses dessins. Qui peut dire son nom ? "Les Requins du Pacifique" ! Bien que couvée par une mauvaise fée, c'était une fameuse histoire, et de ceux qui sont encore vivants, plus d'un s'en souviennent.
3.5 - UNE ERREUR DE JOSE MOSELLI QUI AURAIT PU COUTER LA VIE D'UNE NOBLE FEMME (Facétie) par Jean Leclercq (Article paru Désire, 2° série, n°9, octobre 1975)
"L'Intrépide" n° 219, du dimanche 26 juillet 1914 - Page centrale : "Les Requins du Pacifique" XXVII - A Papeete, Richard Daguerre, deux matelots et Mlle de Zuniga fuient, poursuivis. Page de gauche, sous la 1ère image de la 3ème rangée : - Vous savez nager ? demande Messeroy . Oui, répondit Richard et, se tournant vers Mabel de Zuniga, il lui posa la même question. Mabel lui répondit affirmativement. Dix secondes plus tard, ils sautent à l'eau et rejoignent le "Gladstone". "L'Intrépide" n° 231, du dimanche 24 janvier 1915 - Page centrale : "Les Requins"... XXXIX. En Australie, poursuivis, Richard, Mabel et Messeroy arrivent à la rivière Lachlan. Page de gauche, sous l'image centrale du haut : A quelques mètres du rivage, Mabel parla : Monsieur Richard, dit-elle, je ne sais pas nager, laissez-moi. - Vous vous tiendrez à mon épaule, dit Richard, et il entra dans l'eau et nagea, elle accrochée, jusqu'à un tronc d'arbre, dérivant au fil de l'eau. Oui ou non, Mabel de Zuniga savait-elle nager à Papeete ? On voit le risque que prit Moselli en la faisant là se jeter à l'eau ! C'est un miracle qu'elle s'en soit tirée. L'histoire aurait pu en rester là pour elle, et Daguerre devenir un célibataire inconsolable. Il faudrait mettre cela au clair. Chacun sait que le Dr Daguerre, qui avait 28 ans en 1914 ("L'Intrépide" n° 139, du 25/1/14) mourut dans le Berry, à 85 ans en 1971, et que son épouse aimante et reconnaissante, le suivit peu après dans la tombe. Il faudrait retrouver leurs enfants ! Pour les garçons, c'est facile, ils portent le nom paternel : Daguerre, et leur demander si leur mère savait nager, oui ou non ? On voit la responsabilité que prit Moselli de l'entraîner dans des aventures pareilles si elle ne savait pas nager ! Les Daguerre pourraient demander des dommages et intérêts aux héritiers de Moselli !!!
3.6 - L'OR DES VAUDOUS par René Lathière (Article paru dans Désiré, 1ère série, n° 5, juin 1966) 1929 ! Dix ans... L'âge où, à l'école communale, mes récréations étaient une suite sensationnelle (et inédite) des exploits d'Iko Térouka, le célèbre détective japonais. L'âge où je n'écrivais pas encore, certes, mais où je réunissais déjà, probablement, les données du "grand roman d'aventures" de mes treize-quatorze ans, ce "Requin a trois queues" nec plus ultra du plagiat candide que commet toujours un enfant à l'égard de ses idoles littéraires. L'âge où, par ailleurs, j'avais déjà lu la fin de "La Piste de l'Or" dans l'Intrépide (vacances 1928, à Tours) et où m'étaient tombés entre les mains, occasionnellement, des fascicules du "Roi des Boxeurs". Comme bien on pense, "Le Cri-Cri" ne m'était pas inconnu, car Browning et Rabascasse, émules d'Iko Térouka, suffisaient à imposer ce journal aux nombreux Watsons en culottes courtes d'alors. Ce fut donc vers la fin d'un roman de Régine Véran, je crois, que je vis la formule sacramentelle insérée en bas de page : "Dans le prochain numéro paraîtra..." Le nom de l'auteur n'était pas précisé, mais n'aurais-je point dû le deviner ? Et que dire du premier feuilleton, la semaine suivante, sinon que le bon Iko Térouka lui-même perdit du jour au lendemain, 60 ou 70% de son intérêt ! Jugez plutôt : par José MOSELLI Chapitre I Il faut manger. Ils étaient quatre... Et nous qui, trop jeunes, n'avions pu connaître sa première parution dans "les Romans de la Jeunesse" en 1914, nous allions désormais suivre, illustrée par René Giffey, la lutte sans merci de Jean Lenoël contre Dulart et consort. Ils étaient quatre... Oh ! bien sûr, ces forçats évadés de Saint-Laurent-du-Maroni qui tuent un de leurs "aminches" pour le dévorer, le personnage sympathique de Loustalot qui veut s'y opposer, n'étaient pas nouveaux. Louis Boussenard avait déjà traité la chose dans "Les Mystères de la Guyane", le bon bagnard s'appelant alors Winekelman (un Alsacien). Mais il y a eu la suite. Il y a cette forêt inconnue, hostile, et la horde de nègres qui font prisonniers les trois hommes. Des nègres qui parlent français ! Il y a ensuite l'abominable journée dans la clairière, au cours de laquelle un négrillon, un coq et une chèvre sont égorgés et littéralement déchiquetés par les forcenés. "Orakia Musé Patifar Lakamou !" Et puis, il y a cet or en fusion, que deux nègres versent sur le prisonnier destiné au sacrifice... L'or ? Sache, jeune lecteur, que Moselli vous a entraîné jusqu'à Haïti, dans la Vallée de l'Urubu ; que cette vallée contient du sable aurifère d'une richesse inouïe, et que les noirs déchaînés sont des adorateurs du Vaudou. Voyez ces sorciers qui aspergent les fidèles de leur propre sang. Ecoutez les hurlements : "Savaré, Papaloi !" Sachez que les forçats assassins sont Arsène Dulard (ex-chef des "Ravageurs de la Popinc") et Jules Chafflert, dit le "Notaire". Mais sachez également que le bon Amable Loustalot (lutteur de foire condamné au bagne pour rixe mortelle en état d'ivresse) n'est plus seul dans l'adversité. Il y a maintenant Jean Lenoël. Le mousse.
Le mousse, Moselli l'a déjà fait apparaître sous le nom de Maurice Blay, dans "W...VERT". Mais il ne jouait alors qu'un rôle de second plan. Au contraire, voici Jean Lenoël, un des rescapés du trois-mâts "Tai-Wan" qui a fait naufrage en face du Cap Haïtien, et prisonnier des Vaudous comme les forçats. "Rien qu'à regarder cet enfant de quinze ans, on le sent capable de grandes choses". Nous savons tout de suite qu'il est brave. Il faut l'être, pour assister sans trembler au supplice de l'or... Et vous les attendez ces grandes choses, jeune lecteur. Eh bien ! voici Jean Lenoël, qui va continuer pour vous la lignée des Robert-Robert, Dick Sand, Friquet, Francinet. Le voici revenu au Havre, puis à Rouen, après une dramatique évasion de chez les Vaudous (Ah ! cette chaîne maniée par Loustalot...). Le voici dans le bureau de M. Charles Montalais, négociant, à qui il raconte toute la terrible aventure : le meurtre du capitaine Derriaz, assassiné par Dulard et Chafflert, la fuite inopinée des deux bandits (Dulard a horreur des serpents !) et leur mobile - l'or, dont ils veulent être seuls à connaître l'emplacement. Et comment M. Montalais ne le croirait-il pas ? Ne vient-on pas de "découvrir" de l'or à Haïti ? Le richissime Anglais Josuah May n'a-t-il pas financé une expédition conduite par l'énergique Ernest Moreau, explorateur, et son ami le Comte de Clarmont ? Et le chef des révolutionnaires haïtiens, Napoléon-Moule-à-Chique, ne profite-t-il pas de l'occasion pour vilipender le président Népomucène Hannibal, prêt à vendre une partie du territoire national ? Enfin, Josuah May ne refuse-t-il pas d'entendre raison quand Montalais lui affirme que l'explorateur Ernest Moreau et le Comte de Clarmont sont en réalité... Et revoici Jean Lenoël à Haïti, accompagné d'Alexandre Montalais (frère du négociant) et du bon Loustalot. Ils sont à Port-au-Prince, capitale de cette république fantoche où l'on méprise les blancs. Trois ans plus tôt, en 1911, Pierre Mac-Orlan y a situé de bien réjouissants chapitres de sa "Maison du Retour Ecœurant". Mais vous, jeune lecteur, ne lisez pas Moselli pour y trouver la grosse farce. Les héros que vous suivez de semaine en semaine ne sont pas, ne peuvent pas être des caricatures (Mac-Orlan l'a compris plus tard, lui qui a su écrire l'admirable "Ancre de Miséricorde"). Il vous faut une suite digne du début. Il vous faut la férocité intéressée de Népomucène Hannibal, politicien retors, prévenu de l'arrivée des Français par le Docteur August Schnockmann (Allemand comme il se doit, et âme damnée de Josuah May). Il vous faut le cachot de la sinistre prison de la Rue-du-Peuple, où l'affreux Pyrrhus-Hyacinthe Delgorie essaie de vous extorquer une lettre de crédit de 600 000 francs (1914). Il vous faut le "trou aux crabes géants", la lutte terrible de Loustalot contre les monstres, le schooner des partisans de Moule-à-Chique, la tempête qui vous drosse vers les côtes de Cuba... Il vous faut Urubuwald, ville maudite poussée sur les sables aurifères ; la tour rouge où Josuah May et Schnockmann entassent les lingots avant de les expédier en Europe (moins les "royalties" destinées à Népomucène Hannibal) ; les mitrailleuses et les mercenaires poméraniens qui tiennent les Vaudous à distance ; la haine qui croît entre Ernest Moreau et Henri-jacques de Clarmont, tous deux dupés par Josuah May. Urubuwald, où de pauvres diables déçus par le Klondike, peinent comme des esclaves. Lenoël, Montalais et Loustalot réussissent à y pénétrer. Mais les compagnons du mousse, reconnus, sont ignominieusement accusés de tentative de meurtre sur la personne de M. de Clermont - alors que le coupable, Ernest Moreau, a pris la fuite. Il vous faut continuer la lutte, sans jamais faiblir, rendre coup pour coup, avec deux amis qui ne sont plus que des forçats en rupture de ban. Il vous faut un allié qui, plus tard, aidera à votre réhabilitation. Mais un allié ne se contente pas toujours de belles paroles. Eh bien, n'y-a-t-il pas l'or ? N'étiez-vous pas sur le "Prinz-Mauritz", navire hollandais chargé de lingots dont Ernest Moreau, redevenu Arsène Dulard et abouché avec le contrebandier américain Strawberry, a vainement tenté de s'emparer ? Ne connaissez-vous pas l'endroit exact où gît l'épave ? La chance tournait déjà quand l'évasion de Montalais et de Loustalot du bagne fut facilitée par celle des "aminches" dans lesquels Dulard savait trouver une main-d'œuvre qualifiée. Oui, la chance est maintenant pour vous, Lenoël ! Et vous allez l'exploiter jusqu'au bout ! Cette fois, jeune lecteur, vous pouvez sourire, Moselli vous y convie, voici Moule-à-Chique ! Féroce, mais brave. Pour lui, Napoléon n'est pas un prénom. C'est un modèle '"Pas moinss!" dirait Loustalot). Voici ses ministres, ou futurs ministres, cela revient au même : tous généraux. Voici l'armée révolutionnaire qui marche sur Urubuwald pour en finir avec les "complices" du traître Népomucène Hannibal. Voici l'attaque, et la seule victime parmi les fidèles chamarrés de Moule-à-Chique : le général Trou-Salé, dont le pistolet a explosé. Voici l'Anglais et l'Allemand, et Arsène Dulard ("réconciliés" dans l'adversité) qui passent en cour martiale. Veulent-ils protester ? Un "Bouchu plein !" hurlé de gosier de maître leur coupe la parole. Ah, mais ! Tous des traîtres, saqué tonnerre ! Mais la parenthèse comique se ferme. Il faut s'agenouiller près de Loustalot, que Dulard a poignardé avant de s'échapper avec l'Anglais et Schnockmann, et recueillir ses derniers mots : "N'y a que toi que je regrette, petit...". Il faut retrouver la trace des fugitifs, rattraper leur navire au large de la Floride et assister à la vengeance de Jules Chafflert : la bombe cachée qui explose, anéantissant le yacht de Josuah May sans qu'il reste un survivant... A Port-au-Prince, où il fait figure de triomphateur, Napoléon Moule-à-Chique vous réserve un accueil chaleureux... Bien entendu, il n'est pas question de vous vendre les champs d'or. Mais, n'est-ce-pas ? rien de plus facile que de vous les louer. Incidemment, vous apprenez que Népomucène Hannibal a été jeté dans le Trou aux Crabes. Toutefois, vous ne verrez pas le séisme qui va bouleverser la Vallée de l'Urubu quelques jours plus tard. Vous saurez seulement que les sables aurifères de Vaudous sont enfouis à jamais et qu'ils ne risquent plus de provoquer d'autres crimes. Cependant, pour le mousse de Moselli, l'aventure se renouvelle sans cesse, sous d'autres cieux, en d'autres temps, sous d'autres noms. Vous-même, jeune lecteur du "Cri-Cri", vous êtes aujourd'hui plus qu'à mi-route de votre propre voyage. Depuis 1929, vous avez eu l'occasion de naviguer, de voir des proues de toutes sortes, rouillées ou magnifiques, des docks accablés sous le soleil tropical, des appontements aux planches disjointes ou manquantes, et d'observer des types qui eussent fait le bonheur de votre auteur favori... Fiction ou réalité, jadis ou naguère, qu'importe la limite exacte ? Vous aviez rencontré le mousse pour la première fois à Haïti. Un peu plus tard, vous l'avez reconnu sous le nom de Barnaby Cringle dans la "Mer de Corail", puis au Siam avec "Face-de-Fer", quand il s'appelait Jacques Minot. Interrogez bien vos souvenirs. N'espériez-vous pas, tout au fond de vous-même, le croiser dans Saigon quand vous parcouriez pour la première fois la Rue Catinat et les quais jusqu'à la Pointe des Flâneurs ? Et ce n'est que tout récemment (car il y a des escales longtemps ignorées) que vous avez pu assister à un cataclysme digne de la Vallée de l'Urubu. La lave rouge a envahi le cratère du Waré Atua, "La Montagne des Dieux". Vous avez vu, non pas l'or, mais la précieuse matière qui catalysait l'eau, disparaître avec les hommes occupés à l'extraire, et laisser l'Américain et l'Allemand face à leur destin. Auparavant, vous aviez une fois encore retrouvé le mousse - sous les traits de Robert Lanni, qui ne craignait pas de suivre seul les pistes frayées par les "bushmen" d'Espiritu-Santo la Maléfique.
3.7 - LES CHAMPS D'OR DE L'URUBU par Claude HERMIER
C'est dans le numéro 109 du 19 avril 1914 de l'illustré "Les Romans de la Jeunesse" que paraît "Les Champs d'Or de l'Urubu". Le commentaire du B.D.M. concernant ce "supplément du dimanche" des publications Offenstadt surprend. N'affirme-t-il pas qu'il était "chargé surtout de vider les fonds de tiroir des romans qui n'avaient pu trouver place dans "L'Epatant", "L'Intrépide",...". Son auteur n'a pas lu les feuilletons de cet hebdomadaire, c'est certain. Car, au contraire, les romans qui y sont parus sont tous d'un bon niveau. Certains ont d'ailleurs été repris dans "La Collection d'Aventures" et "Mignonne Bibliothèque" comme c'est le cas des "Champs d'Or de l'Urubu". En janvier 1915 paraît le dernier numéro des "Romans de la Jeunesse". Il est remplacé par "La Croix d'Honneur", actualité oblige. C'est dans ce nouvel hebdomadaire que se termine le roman de Moselli, au numéro 35 du 5 septembre 1915. Ils s'en rappelaient, bien des années plus tard, les collectionneurs déjà âgés - dont je m'étais fait des amis - des "Champs d'Or de l'Urubu" ! Au cours d'une réunion des "Chasseurs d'Illustrés" dans un café parisien, l'un d'eux avait apporté le premier fascicule du roman paru dans "Mignonne Bibliothèque" et il s'était mis à en lire le début avec dans la voix pas mal d'émotion. Et tous, et surtout ceux qui se souvenaient, l'écoutaient avec maints hochements de tête. La lecture terminée, chacun y alla de son mot, de son commentaire. Haïti et le Vaudou, le mousse Jean Lenoël, quel brave gosse ! La clairière du sacrifice, les chats tirant l'idole, enfin la torture de l'or. "L'un de ses meilleurs romans" selon l'un d'eux. C'est ainsi que, début des années 70, je découvris "Les Champs d'Or de l'Urubu". Moselli écrivait depuis quatre ans quand il nous apprit les formidables événements de la vallée de l'Urubu. Œuvre de début ou presque, la thématique mosellienne est déjà en place avec la quête d'un trésor, l'affairisme, les scènes de cannibalisme, de torture et d'empoisonnement. L'homme n'est souvent que vilenie et lâcheté dans l'univers de Moselli. Mais il y a, comme dans "La Montagne des Dieux", pour ne citer que ce roman, le Mousse, qui le rachète. Il a nom présentement Jean Lenoël. "Ils étaient quatre, quatre figures faméliques, barbes et cheveux longs et hirsutes, faces tannées, cuites, brûlées par le soleil, à se regarder en silence. Leurs yeux hagards parlaient pour eux, et ils se comprenaient parfaitement. La même pensée les hantait : manger ! Manger !" La faim ! Un leitmotiv chez Moselli ; elle justifie souvent l'innommable. Dès les premières lignes, les quatre forçats échappés du bagne de Cayenne la connaissent. Moselli voit juste. La faim ne conduit-elle pas aux pires extrémités ? Dulard "envoyé au bagne à perpétuité pour un quadruple assassinat" et Chaffert "ancien clerc de notaire, assassin d'une vieille femme dont il avait falsifié le testament à son profit" se concertent pour tuer Albertier, "un petit blond chafouin, travaux forcés à perpétuité pour cambriolage et assassinat". Quand on est de la trempe de Dulard et du "notaire", peut-on s'étonner outre mesure de leur intention ? Albertier dit Tier est assassiné, d'un coup de couteau dans le dos, par Dulard. "Accroupi sur le misérable Tier qui râlait, Arsène Dulard, un genou sur l'épaule du moribond, s'efforçait en vain d'arracher son couteau du corps de l'assassiné. La lame, entrée jusqu'à la garde dans les muscles dorsaux, s'obstinait à ne pas bouger. Le notaire joignait ses efforts à ceux de l'ancien chef des "Ravageurs de la popine". A eux deux, ils parvinrent enfin à libérer le couteau de sa gaine humaine". Albertier est traité comme l'animal que l'on tue pour le manger. Le ton est juste, même dans les moindres détails. Ainsi : "Arsène Dulard essuya son couteau verni de sang, contre la vareuse de l'assassiné" et il le fait "avec soin". "Il est bien maigre" dit-il en tâtant le torse d'Albertier. "On va commencer par y scier une quille". Trouve-t-on souvent l'équivalent d'une scène similaire chez les romanciers de l'époque ? Dulard est un digne représentant de la lie de la société. Aussi Moselli lui fait-il user abondamment de l'argot. Dulard "glapit" : "C'est pas tout ca ! S'agit d'pas moisir ici ! Sans ça on va tous "clamser" ! Autant valait rester au turbin ! [...] L'Alcide ? On s'en f..t ! D'abord j'ai mon lingue ! (couteau, est-il précisé). T'inquiète pas ! [...] Quand je serai tout près, ti "chopperas" le Tier par le cou, et je ferai le reste avec mon lingue ! [...] Tiens-le bien que je le crève ! [...] C'était bien la peine de faire tant de chichis l'Hercule ! Les moricauds ne sont pas si dégoûtés que toi ! ... Flaire-moi ça ! Ça sent le cochon rôti ! ... Ah ! l'Hercule, si nous nous en sortons, je ferai luire tes tripes au soleil !" Amable Loustalot dit l'Alcide, dit l'Hercule, le quatrième forçat de la bande est indigné à l'idée qu'Albertier soit dévoré par les deux misérables. Certes, c'est un bagnard, mais il nous est d'emblée sympathique. D'ailleurs nous sommes prévenus : "Bon garçon, jovial (il est Marseillais), pas méchant pour un liard, Amable Loustalot avait été condamné à quinze ans de travaux forcés pour avoir, un jour d'ivresse, tué à coups de poings dans une rixe deux acrobates de cirques. L'accusation avait prétendu que ce meurtre avait été prémédité, bien que rien ne fût moins vrai". Il y a bagarre entre les trois forçats. C'est à cet instant que l'aventure commence vraiment. "Cent démons noirs apparurent soudain dans la clairière". Ils sont armés de fusils ! Et de casse-têtes, et ils parlent français ! Ce qui ne les empêche pas de dépecer incontinent le cadavre d'Albertier, d'en embrocher les quartiers, puis de les faire cuire et de les manger". Cette scène et la suivante sont du grand Moselli. A l'époque, les bonnes âmes, dont l'abbé Béthléem, ne manquèrent pas de stigmatiser Moselli pour ses scènes d'horreur. C'est mal connaître l'homme. Car pour Moselli un chat est un chat. Pas de faux-semblants chez lui. Une intégrité peu courante. Spectacle grand-guignolesque, non ! Car c'est loin d'être gratuit. Arrive "un grand diable tout nu, auquel sa chevelure rougie à la chaux et sa maigreur exagérée donnaient un aspect effrayant, s'élança vers le bûcher. - Frères, la chair du blanc est bonne si son esprit est mauvais ! ... Le Grand Vaudou aime les blancs ! ... C'est lui qui nous a envoyé ces quatre hommes ! Que chacun le remercie ! Orakia Musé Patifar Lacamou !" Le repas cannibale est arrosé d'une liqueur enivrante. Effarement des prisonniers quand trois Noirs se mettent à jouer d'une sorte de flûte faite dans un tibia humain percé de trous. S'ensuit une danse frénétique. "Bientôt ils furent en proie à une ivresse démente : l'un d'eux se balafra avec son poignard et agitant la tête, répandit autour de lui une pluie de gouttelettes de sang". Les autres suivent. Le dégoût de l'auteur n'est pas feint : "... horrible rôti... horribles musiciens... sinistre mélopée... hurlements sinistres..." Mais pour le lecteur ces fleurs noires ne sont pas des images perçues en terme de répulsion. Il est convié à une fête, une fête de sang. Pour le cannibale, la chair du cadavre humain va devenir un nouvel état du corps. Le lecteur se fait complice d'autant que les forçats Dulard et Chafflert allaient bouffer Albertier. Les Noirs sont arrivés de façon opportune. Plus tard... Dans la grande bâtisse, où viennent d'être amenés les bagnards, sont deux hommes et un jeune garçon "couchés dans un coin, les chevilles prises dans une chaîne rivée au mur, vêtus de loques sordides". Ce sont des naufragés qui leur apprennent être à Haïti. Cinq des leurs sont morts de façon horrible (?). Le jeune garçon, c'est Jean Lenoël, le mousse. A manger leur est apporté, un ragoût à l'odeur nauséabonde. Seuls les bagnards mangent ! "Mais soudain, Amable Loustalot poussa un cri d'horreur. Il eut une nausée, et comme un fou, brandit une main de nègre qu'il venait de trouver dans le plat ! La cuisson l'avait recroquevillée". Le notaire et Dulard n'en interrompent pas pour autant leur repas, "primum vivere". Arrive le grand moment que les anciens lecteurs dont j'ai parlé plus haut commentaient avec une certaine excitation. Mettons notre conscience hors-jeu, une fois de plus, et nous serons entraînés dans des moments de cruauté insoutenables où la séduction a une bonne part. Oublions le temps présent, laissons-nous étourdir. Le supplice de l'or est complice du temps. Jamais la scène à laquelle nous allons être conviés ne sera oubliée. "Huit nègres, huit monstres, pénétrèrent dans la salle. Leur chevelure rouge, leurs vêtements de soie écarlate constellés de paillettes d'or et de signes cabalistiques, les balafres sanguinolentes zébrant la peau noire de leurs visages, leur donnaient un air épouvantable". Les prisonniers sont emmenés au "centre d'une vaste clairière dans laquelle plus de mille nègres se pressaient". Ils sont attachés "le long d'un bloc de pierre noire au-dessus duquel une grande marmite de fer était accrochée" ; sous la marmite, un "brasier ardent". A côté trois vieillards : "Une couronne sanglante avait été tracée à coups de rasoir autour de leurs chevelures". Ils se mettent à hocher la tête et aspergent ainsi la foule "avec cette pluie de sang !" Un enfant est attaché entre une chèvre et un coq à la crête coupée d'où jaillit du sang. La terreur du jeune garçon. Mais voici qui prélude au drame. "Elle s'ouvrit (l'assistance) pour donner passage à un chariot traîné par une cinquantaine de chats noirs, et qui supportait une statue de bois grossièrement sculptée, représentant un être à grosse tête, à la physionomie féroce..." L'attelage est conduit par deux jeunes nègres aux yeux crevés. Les chats vont s'immobiliser devant Paul Stoppeur, l'un des naufragés... On le lie à la statue. De l'or est versé dans la marmite. La chèvre, le coq et le jeune garçon sont égorgés à l'aide de couteaux d'or. "Leur sang, recueilli dans une rigole creusée dans la pierre, coula lentement et vint tomber sur le crâne de Paul Stoppeur". Frémissement du marin. Les corps des suppliciés sont lancés parmi la foule. Indescriptible scène de carnage. Le grand moment. Deux Noirs versent sur le marin l'or en fusion. "Le liquide fumant tombait par grosses gouttes sur le crâne, sur les épaules du martyr et sur la statue de bois collée le long de son corps... Hurlements !" Et les chats noirs "assis en rond autour du bloc de pierre vers lequel leurs prunelles convergeaient ". Alors les Noirs, au maximum de l'hystérie, se balafrent le visage. Danses, cris,... Les chats s'affolent et miaulent. La statue prend feu, le matelot, cela va sans dire, est déjà trépassé. Sous le poids de l'or le squelette de l'homme et la statue s'écroulent... "Et, sur le tas d'ossements noircis et de cendres incandescentes, les deux gigantesques noirs vidèrent d'un coup ce qui restait de la marmite. Le métal siffla. Puis, plus rien ! Rien qu'un bloc d'or solidifié aux reflets irisés d'où un mince filet de fumée âcre montait vers le ciel". Scène onirique qui, à elle seule, montre le talent de Moselli Au mythe solaire de l'or s'opposent les valeurs négatives de la mort. Mais tous deux finissent par ne faire qu'un dans une sorte de fusion. L'or est pour Moselli le métal maudit, car il mène aux pires excès. Il conduit inéluctablement à l'anéantissement. "Le sable de la clairière est mélangé d'or dans une énorme proportion. Un torrent y coulait sans doute il y a longtemps ! Il y a là des fortunes !" dira l'un des naufragés, le capitaine Derriaz. Les péripéties qui font maintenant la substance du récit graviteront autour de la possession de la vallée de l'or. Deux équipes vont s'affronter. D'une part celle du négociant Français Montalais désireux d'acheter et d'exploiter les champs d'or ; Jean Lenoël et Loustalot vont l'aider dans cette entreprise. D'autre part l'Anglais Josuah May, riche armateur de la Cité, qui mandate l'Allemand Schnockermann afin qu'il se fasse concéder, lui aussi, la vallée, Dulart et Chaffert sont des leurs. Moselli ne se prive pas, comme à l'accoutumée, de noircir l'Allemagne à travers Schnockermann . "Herr August Schnockermann , gros allemand rude et dur, montrait un visage rouge, orné d'un gros nez que chevauchait une paire de lunettes rondes. Sa barbe rousse, presque rouge, lui donnait un aspect sauvage. Malgré sa férocité, Arsène Dulard, lui-même, éprouvait quelque gêne devant ce colosse taciturne aux mains poilues". Lourd d'esprit il est. Une brute. L'alter ego de son compatriote Klagendorf de "La Montagne des Dieux". Des Allemands bon teint. Un bref intermède sur le Vaudou. Moselli nous apprend que "l'île d'Haïti est actuellement la seule contrée au monde - mis à part le Libéria - occupée par un Etat nègre indépendant". Je résume. Les Haïtiens se croient les premiers citoyens du monde. "Les blancs, en Haïti, sont tenus pour moins que rien". Ces Noirs ont conservé les superstitions de leurs ancêtres. Ils sont fétichistes, chrétiens, puérils et idolâtres. Le Vaudou, eh bien, "on n'est pas très bien fixé à ce sujet". C'est "un dieu cruel et mystérieux". Les sectateurs se cachent. "Ils se forment en sociétés secrètes". Se réunissent au sein des forêts ou dans des habitations isolées. Des animaux disparaissent ainsi que des... enfants ! Aucune plainte. Les "immondes adorateurs" du Vaudou sont craints, même des magistrats. Celui qui se plaint est d'ailleurs assassiné. "La justice du Vaudou a passé". En plein XXème siècle, "des villages entiers vivent sous la terreur du monstre". On pratique le culte du serpent. Les adeptes fanatisés par les papalois et mamalois adorent les reptiles. "Ils se prosternent devant leurs œufs", rangés en pyramides et autour desquels des boucs - et souvent des enfants volés, sont attachés. Ces derniers sont égorgés à la fin de la hideuse cérémonie...". Les cérémonies Vaudou comportent des sacrifices humains. "Le Vaudou est une divinité exigeante et cruelle...". José Moselli n'a, semble-t-il, que de très vagues idées sur la question. Mais nous sommes en terres d'aventures et une étude, même concise n'avait pas sa place ici. Néanmoins le jeune lecteur intrigué et curieux était incité à se documenter. Les suites des aventures de Jean Lenoël - c'est lui le héros des Champs d'Or - laisse le lecteur haletant. Une série d'épisodes menés tambour battant... C'est une des caractéristiques de l'œuvre de Moselli : pas de temps morts. Une action pure et dure autant qu'échevelée. Des moments très martelés allant jusqu'à la dissonance. Un flamboiement autant qu'un déchirement. Un exemple : le puits aux crabes-araignées. Un trou profond d'une douzaine de mètres en forme d'entonnoir renversé. Le fond inondé en est vaseux. C'est le repaire "d'énormes crabes, gros comme des moutons". Le mousse, Loustalot et le Haïtien Delgorie y sont jetés. Le Noir est dévoré. " Le nègre s'était tu. L'ancien lutteur entendit un claquement de mandibules et comprit : le crabe se repaissait." Delgorie : "- Aoooh ! Ils... ils... me fouillent... fouillent la poitrine... C'est trop souffrir [...] A moi ! Et ce fut son dernier cri. Les claquements des mandibules, le craquement des os de l'infortuné, les piétinements des crabes sur la vase s'entendirent seuls". Mémorable combat que celui de Loustalot avec les crabes-araignées. "Ils étendit ses bras musclés vers le crabe le plus proche, et, bravement, lui saisit une pince dans chaque main ! Le crabe, lentement, contracta ses mandibules, pour les fermer ! S'il y réussissait, Loustalot aurait les mains tranchées comme par un rasoir. Entre l'homme est la bête, une lutte effroyable s'engagea. Le crabe, arc-bouté sur ses huit pattes, rapprocha peu à peu les deux côtés de la pince. [...] Loustalot fit appel à tout ce qu'il possédait de forces, et au moment où les deux mandibules allaient se rejoindre, il leur imprima une terrible secousse en sens contraire... La pince entière lui resta dans les mains". D'autres crabes subirent le même sort. "L'ancien lutteur, à qui son exploit avait rendu des forces, se pencha vers un autre crabe à qui, brusquement, il fit subir une vigoureuse torsion : la pince lui resta dans les mains !" Le romancier explique : "Or, Loustalot ne se doutait pas que s'il avait eu si facilement raison des crabes, dont le plus petit l'eût coupé en deux sans peine, c'était en raison d'un phénomène que les savants ont appelé l'autonomie, autrement dit, la mutilation spontanée que pratiquent certains animaux pour échapper à un danger : ils préfèrent laisser à l'ennemi une partie d'eux-mêmes plutôt que de rester prisonniers." Le sympathique forçat et son ami Jean Lenoël échapperont de peu à une mort horrible. C'est en termes de dérision que nous sont présentés les hommes et régimes politiques de Haïti. L'homme politique Haïtien, un fantoche des plus dangereux. Il est affublé de doubles noms au rapprochement incongru. Ainsi défilent les présidents Napoléon Moule-à-Chique, Népomucène Annibal, Robespierre Pot-au-Noir ; les généraux Gymnaboffe, Brutus Badana Limonade, Carrascot de Montmorency, Alexandre Chalumot, Stanislas Scipion Macaya ; le chef de bataillon Pyrrhus-Hyacinthe Delgorie ; l'amiral Iston de la Camusardière ; les colonels Bayard Cocodur, Horace Alexandre Betterave ; le médecin Pluton-Clarinette. Beaucoup parlent petit nègre, mais après réflexion c'est du créole Haïtien. Serpent mort même !! Ça pitit blanc li qu'a tué ! Li blanc fait mouri boa ! Ça bon ! Moi y en a être colonel, préfet et sénateur, même ! Vous qu'à venir maison moi ! Ah oui! Grand bateau, blanc même ! C'est ça ! Li pati ci soir... li prendre trois blancs et puis pati ! Fini ! Le président Népomucène Annibal "pouvait se flatter, sans forfanterie, d'avoir fait prendre ou fusiller plus de trois mille ennemis. Grâce à quoi il était resté au pouvoir depuis plus de trois ans, chose rare à Haïti" Le général Stanislas Scipion Macaya : "C'était un gros nègre... [...] Il savait tout juste lire et écrire. Mais, par contre, nul n'excellait mieux que lui à assommer, pourfendre, tuer, occire les ennemis de la République" Le général Brutus Badana ne sait pas faire le point. Il s'en explique : "D'habitude je ne quitte jamais la terre de vue". Moselli jubilait à jeter sur le papier une telle prose. Il est vrai que la contrée où évoluent ses créatures lui en offre l'opportunité. Mais que ce soit l'île des Vaudous ou tout autre pays, a-t-on, à vrai dire, à se faire beaucoup d'illusions sur le sérieux et la probité de l'homme politique ? Affairisme, népotisme, mégalomanie sont indissociables de ce type d'individu. Affairisme - D'un article paru dans "Le Phare de Rouen" : "Des dépêches de Port-au-Prince arrivées hier à Londres annoncent que le gouvernement d'Haïti, que dirige le président Népomucène Annibal, est en proie aux plus grands embarras. Le président Népomucène a, en effet, concédé à M. Josuah May, le riche armateur de la cité, plus de dix mille hectares de terrain comprenant les collines et la vallée de l'Urubu, à l'est du Cap-Haïtien. Cette concession, tenue secrète jusqu'ici, a été connue seulement il y a trois jours par suite d'une indiscrétion du vice-président, M. Napoléon Moule-à-Chique, lequel a levé l'étendard de la révolte, afin de renverser Népomucène Annibal. Un grand nombre de mécontents se sont joints à lui ; mais jusqu'ici, Népomucène Annibal semble avoir l'avantage. Ses ennemis lui reprochent surtout d'avoir vendu des terrains à un blanc, ce qui est contraire à la loi, et est d'autant plus grave que la vallée de l'Urubu est, paraît-il, semée de riches gisements d'or inexplorés". Mégalomanie - Le général en chef des armées révolutionnaires Napoléon Moule-à-Chique, bientôt président : "Avez-vous vu ! La vaillance de mes héros est extraordinaire ! Ils sont dignes des soldats du grand empereur ! Ah ! J'aurais voulu être Français ! Haïti est un trop petit pays pour mon génie ! J'aurais conquis l'Europe, le monde ! Enfin j'aurais agi comme Napoléon, excepté Waterloo, où il n'a pas été fort ! Ah ! Si j'avais été là pour le conseiller ! ..." L'or de la vallée des Vaudous, une illusion ! D'une dépêche : "Une terrible catastrophe vient de dévaster le département du cap-Haïtien. Un des volcans entourant la vallée de l'Urubu vient de rentrer en activité : la vallée entière est ensevelie sous une couche de plusieurs mètres de lave en fusion. Dix-sept villages ont été détruits. L'éruption continue". Ces pays perdus dans l'immensité océanique étaient à l'époque où Moselli nous y emmena autant de terres préservées. Contrées fabuleuses telles les Nouvelles-Hébrides avec son catalyseur dans "La Montagne des Dieux" ou la vallée des Vaudous dans "Les Champs d'Or de l'Urubu". Contrées où le Blanc n'avait rien à faire. Son intrusion ne pouvant qu'être catastrophique. Territoires secrets, à la frontière du réel. Le volcan Waré-Atua, domaine des dieux. Ils se manifestent de façon tangible par les extraordinaires propriétés de la substance recouvrant le fond du cratère, le catalyseur de l'eau selon Honoré Sanard. Dans la vallée haïtienne, il est là le dieu Vaudou. Car comment concevoir une telle concentration d'or sur une aussi grande étendue ? Dans l'un et l'autre cas un culte ne pouvait qu'être rendu aux forces supérieures, culte voyant sa consommation dans des sacrifices humains. Le cratère Waré-Atua est profané ainsi que la vallée de l'Urubu. Les dieux se révoltent. Les puissances telluriques se réveillent. Dans l'un et l'autre roman un volcan endormi depuis longtemps se manifeste détruisant autochtones, Blancs, trésors. Ces territoires sont des lieux de mémoire, des lieux de vie. L'homme blanc en a fait des territoires de deuil. Le roman se termine par une note sur Jean Lenoël. Sans lui le déroulement de l'action aurait été tout autre. Si les forces du bien l'emportent autant que faire se peut sur celles du mal, c'est bien grâce à lui. Aussi l'auteur se devait-il de lui consacrer les dernières lignes du roman. Sachez donc que ce vaillant garçon prépare des examens de capitaine au long-cours. Et qu'ensuite il prendra le commandement de "l'Albatros" pour un certain projet qu'il médite. "Nous ne manquerons pas, s'il le met à exécution, d'en entretenir nos lecteurs". Qu'il ait nom Jean Lenoël ou Robert Lanni, son frère de "La Montagne des Dieux", c'est LE MOUSSE, l'enfant de Moselli, l'enfant qu'il n'a jamais eu. Robert Lanni, à la fin des aventures aux Nouvelles-Hébrides, a repris lui aussi la mer : "Il navigue en ce moment sur un grand quatre-mâts que commande Simon Ferragut". Assis à sa table de travail, José Moselli ne résistait pas à l'appel de la mer. A chaque nouveau feuilleton il s'embarquait. Il savait les difficultés qui l'attendaient car la mer est dangereuse. Elle traite l'homme en ennemi, pour la mériter il faut subir de dures épreuves. Aussi choisissait-il pour partir des bateaux peu sûrs. Mais les océans ne valent que par leurs îles. Iles du soleil surtout. Moselli y revient sans cesse par l'écriture. Elles ne l'ont jamais quitté. Ses îles, il les reconstruit à sa manière, à sa dimension. Pour nous !
3.8 - SUR QUELQUES ROMANS DE JOSE MOSELLI par Michel Guillaumin (article paru dans "Désiré" 2° série, n° 31/32, 1er trimestre 1981)
1 - LES MYSTERES DE LA MER DE CORAIL
"C'est un des romans les plus émouvants et des plus étranges qui aient jamais été publiés ; roman vécu aux péripéties palpitantes et cependant étudiées sur le vif par l'auteur, José Moselli, un des maîtres du roman d'aventures qui a vécu plusieurs années dans les mers du Sud. La vie tragique et tourmentée des colons campés sur les rivages des archipels Mélanésiens et sans cesse harcelés par les cannibales, les drames sanglants qui se jouent dans les atolls du grand Océan, l'existence précaire des pêcheurs de perles, sans cesse en lutte contre les cyclones et les requins, forment le fond de ce roman extraordinaire, un des plus beaux qui aient jamais paru". Cet encart publicitaire fut publié le 22 mars 1925 dans le "Petit Illustré", à l'occasion de la sortie des "Mystères de la Mer de Corail" dans la "Collection d'Aventures". De fait, cette histoire constitue par excellence un classique de Moselli. Elle a pour cadre les mers du Pacifique Sud, les Nouvelles Hébrides, les îles Salomon et le continent Austral. Quatre amis : l'ingénieur Mortimer, le jeune François Bontemps, le mousse Barnaby Tringle et le Tahitien Teao vont se trouver en lutte avec le Capitaine Krapfl, l'association secrète "Les Amis du Ciel et de la Terre" et les indigènes des Nouvelles Hébrides, ceci pour la conquête d'un fabuleux trésor. Mortimer détient une parcelle d'os sur lequel est gravé un message codé permettant de détecter la cachette, mais c'est Krapfl qui détient la clé du code. Le message a une origine que chaque groupe essaie de reconstituer et, surtout, d'en retrouver l'auteur... Une première partie du roman, et ce n'est pas la moins intéressante, est consacrée à la recherche du passé à travers les îles. Peu à peu, la vérité se fait jour, en dépit des réticences et des mensonges de certains témoins, mais ce ne sera qu'après de très nombreuses péripéties où alternent les succès et les défaites, que le groupe de Mortimer l'emportera, de justesse, sur la bande du Capitaine Krapfl. Et l'équipe de l'ingénieur, dont tous les membres ont réussi à sortir indemnes de l'aventure, se séparera finalement, après fortune faite... ! Publications successives : L'Intrépide du n° 458 (1/06/1919) au n° 519 (1/08/1920) 62 numéros avec illustrations de René Gary. Collection d'Aventures - 9 fascicules parus en 1925 - n° 446 à 454. Le Petit-Illustré n° 1321 (2/02/1930) au n° 1408 (4/10/1931) 88 numéros avec illustrations signés DEP.
Ici l'auteur donne dans le roman de cape et d'épée en contant les exploits de M. d'Espagnac, gentilhomme gascon, plein de suffisance, mais aussi d'énergie, d'adresse et d'astuce. Tout au début, on se demande, d'ailleurs, s'il s'agit d'un gentilhomme ou d'un forban ? Flanqué de son fidèle écuyer, Panciboulot, aussi gros que poltron, il commence par semer la panique et la désolation dans une maison de jeu vénitienne, parce que fort déçu de l'échec d'une combinaison pour reconstituer rapidement sa fortune et racheter le château de ses ancêtres. C'est alors que le hasard le met sur les traces d'un mystérieux complot. M. d'Espagnac se met en tête de délivrer un jeune Français, enlevé pour une raison inconnue et livré aux barbaresques (nous sommes en 1569 et Venise, au faîte de sa puissance, est en guerre avec les Osmanlis). Le Français est le fils d'un officier, M. de Fergan, qui combat pour le compte du Doge et commande la citadelle assiégée de Pradiki, dernier rempart de la Crète contre les Turcs. Tout au long du récit, véridique aux dires de l'auteur, M. d'Espagnac réalise, à l'aide de son invincible dague, d'invraisemblables exploits, s'emparant de frégates barbaresques, pénétrant au cœur des châteaux et des prisons turques les mieux gardées, s'introduisant enfin dans la forteresse assiégée pour sauver, in-extrémis, M. de Fergan et ses soldats qu'il ramène triomphalement à Venise. Mais, par un rebondissement inattendu, M. de Fergan se voit alors emprisonné et condamné à mort sous le prétexte d'avoir délibérément livré Pradiki aux Turcs. Par le plus grand des hasards, M. d'Espagnac, aidé par ses amis des tavernes de Venise, retrouve Gugliemo, l'artisan de l'enlèvement du jeune de Fergan et obtient de lui des aveux complets : c'est le sénateur Lucchèse qui a tout combiné. Il s'agissait de faire pression sur le père pour l'amener à reddition. Une fois enrichi par la dot de la cousine de Robert, qu'il comptait épouser, le sénateur devait destituer le Doge régnant, prendre sa place et s'allier avec le Sultan ! En fin de compte d'Espagnac rentre en France avec M. de Fergan et, grâce au crédit de celui-ci, reconstitue sa fortune et rentre en possession du château de ses ancêtres. Parutions successives : Le Cri-Cri, du n° 132 (07/04/1921) au n° 165 (24/11/1921) avec illustrations non identifiées. Collection d'Aventures, 4 fascicules (n° 494 à 497), illustrations de Puyplat.
3 - RADASSAR
Ce long roman, publié uniquement dans "L'Epatant", entre 1928 et 1930, commence comme un "policier". Le français Philippe Randaux, condamné à mort par les anglais pour le meurtre d'un colonel britannique et le vol de documents militaires secrets, attend son exécution bien qu'il ne soit pour rien dans l'affaire. Au moment d'être pendu, il est délivré par de mystérieux inconnus qui vont le séquestrer, l'obliger à apprendre une énigmatique langue orientale, ceci afin de le faire passer pour le Sultan de Korowong, petit état souverain situé aux confins de l'Inde et de l'Afghanistan. Tout ceci a pour but de faire signer au pseudo-sultan un contrat autorisant l'exploitation d'énormes nappes de pétrole, par l'homme d'affaires douteux, Russell Baxter. Cependant, aidé par le jeune mécanicien parisien, Lucien Fardin et par l'ingénieur Fauconnier, à qui avaient initialement été concédés les terrains pétrolifères, Philippe Randaux parvient à s'évader avant d'avoir signé le contrat. Il va, dès lors, organiser la lutte contre la mystérieuse organisation, qui avait voulu se servir de lui et qui semble dirigée par le mystérieux et tout puissant Radassar, dont toute la bande parle avec respect et terreur. Radassar sait tout, prévoit tout, organise tout ; il se fait fort de rattraper une victime où qu'elle se trouve. Mais nous ne verrons jamais son visage, nous ne saurons jamais qui il est exactement, et si, après maintes péripéties, Philippe Randaux parvient à rétablir le vrai Sultan sur le trône, à rendre à Fauconnier les gisements de naphte, à faire la preuve que le meurtre de l'officier anglais et le vol des documents avaient été manigancés par les bandits, il n'éclaircira jamais le mystère de Radassar. Peut-être même celui-ci n'était-il qu'un personnage mythique, inventé par les têtes de l'association : l'américain Baxter, l'énigmatique Téobald Cromp, le docteur Ali-Mirza Solumba. On rencontre dans ce roman plusieurs personnages qui sortent du commun : Ted Mudir le Grand Vizir de Korowong, possesseur de bien des secrets et qui finira étranglé, Dendra, son fidèle domestique, et surtout le pseudo Marseillais, le capitaine Bardoufle, doué d'une faconde extraordinaire, dont on se demande longtemps s'il est un ami ou un ennemi. Il se laisse cependant prendre dans les pièges de Radassar et va tenter d'empoisonner Philippe Randaux à l'aide d'une drogue subtile. Bardoufle est finalement confondu et sera pendu haut et court, mais il faut lire les deux chapitres consacrés à cette exécution où Bardoufle se défend comme un beau diable pour tenter de sauver sa peau, mais sera exécuté tout de même, sans avoir avoué ses crimes... Ce roman parut sur 100 numéros de l'Epatant du n° 1020 (16/02/1928) au 1119 (09/01/1930)
4 - L'AVION FANTÔME
Ce roman fit les derniers beaux jours de "l'Intrépide" ; il parut même avec illustrations en couleurs dans la formule agrandie de cet hebdomadaire et eut même, lorsqu'il débuta, les honneurs d'une image de première page signée René Giffey. Cette couverture fit, en outre, l'objet d'un "tiré-à-part" publicitaire, présentant au verso le début de l'histoire. Celle-ci débuta par l'enlèvement systématique des savants européens et leur déportation dans une zone désertique de l'Afghanistan, où ils doivent travailler au service d'un dangereux bandit. Le "Bowanée", tel est le nom du mystérieux avion, doué d'une rapidité fantastique, qui est utilisé pour ces enlèvements et qui, en outre, grâce à un étrange rayon lumineux, est capable de mettre hors de combat les appareils les plus rapides et de détruire n'importe quel objectif à l'aide de bombes ultra-puissantes, d'un modèle inconnu. Akbar Firoz, le créateur de cet engin, est un ancien prince indien, jadis dépossédé de ses biens et jeté en prison par les Anglais, auxquels il voue une haine implacable, étendue à la race blanche tout entière. Le médecin de marine, Bernard Brun, a été par erreur déporté dans le sinistre repaire de Firoz, entouré de sables mouvants. C'est là, qu'à son corps défendant, il se trouve contraint de soigner Akbar Firoz, atteint d'une fracture du crâne, blessure que lui a faite le général anglais Campbell, prisonnier également, qui devait ensuite être dévoré par trois terribles gorilles blancs, gardes du corps du bandit. Bernard Brun, décidé à tout, parvient à s'évader et réussit en particulier à traverser les sables mouvants, à l'aide de raquettes de fortune. Il s'empare ensuite, par surprise, d'un petit avion appartenant au bandit et fait la connaissance d'un richissime Yankee, qui désire construire un avion ultramoderne, capable de rivaliser avec "Bowanée" et de le vaincre. Cet avion parviendra effectivement tout près d'un repaire de Firoz, mais il est attaqué par ce dernier et "Bowanée" s'apprête à n'en faire qu'une bouchée... c'est alors que l'avion fantôme explose. Le mécanicien Goulven Kerboul resté prisonnier de Firoz, mais qui entre temps avait pu s'évader à son tout, a, in-extrémis, saboté l'appareil avant de sauter en parachute. Le cadavre de Firoz est retrouvé dans les débris... Parution dans "L'Intrépide" du n° 1325 (12/01/1936) au n° 1384 (28/02/1937) avec des illustrations de René Giffey.
Cette fois, le roman tourne autour d'un engin plus insolite que l'avion fantôme, mais dont la silhouette deviendra d'actualité après guerre. Il s'agit, en effet, d'une soucoupe volante avant la lettre. L'île volante imaginée par Moselli a, comme le "Bowanée", été construite secrètement par un mystérieux slave nommé Tchorok, avec le concours, plus ou moins contraint, du savant Antoine Chantour, retenu prisonnier. A l'inverse d'Akbar Firoz, Tchorok ne nourrit pas de projet de vengeance, mais désire, dit-il, vivre en paix loin des humains. L'équipage de l'île volante est constitué par des hommes à peau bleue, dont l'organisme a été modifié de façon artificielle pour qu'ils puissent subsister dans la haute atmosphère. Les secrets de Tchorok ont été mis au point par l'aviateur français, Pierre Forestier, retenu aussi prisonnier dans l'île, mais qui finit par s'échapper. L'histoire se complique ensuite par l'intervention d'un groupe allemand (nous sommes en 1939) qui désire vivement s'emparer de l'île volante pour en connaître les propriétés. L'île est, en effet, construite à l'aide d'un métal antigravité ; cette particularité s'estompant cependant avec le temps. C'est au moment où, justement, elle est ramenée à sa base secrète, pour y subir une révision, qu'elle rompt ses amarres pour disparaître à tout jamais avec ses secrets. Entre temps, le fils d'Antoine Chantour, décidé à enlever son père, avait fait construire un avion stratosphérique ultra-rapide, piloté par Pierre Forestier, mais les Allemands essaient sans succès de saboter l'appareil. Au moment où les Allemands vont, alors, attaquer l'avion de Forestier, le mécanicien Corentin Kerbihan, caché dans l'appareil des Allemands, sabote ce dernier avant de sauter en parachute. Comme Antoine Chantour avait pu s'évader de l'île, avant qu'elle ne dérive, tout le monde se retrouve sain et sauf. Mis à part une fin abrupte - très fréquente chez Moselli - "L'île des hommes bleus" constitue une excellente histoire d'aventure et de science-fiction. C'est le dernier roman de l'auteur à avoir été publié complet. Parution dans "L'Epatant" nouvelle série, du n° 66 (01/12/1938) au n° 92 (01/06/1939), soit 37 numéros. Illustrations de Noël Cerutti.
in "Sciences et Voyages" du n° 354 (10.06.1926) au n° 410 (07.07.1927) Illustrations d'André Galland (133 dessins) par Claude Hermier
Trois parties : 1 - Le Grand Catalyseur 15 chapitres 2 - Le Pirate Mondial 27 chapitres 3 - L'Atoll des Lépreux 15 chapitres José Moselli écrivait depuis une quinzaine d'années quand parut "La Montagne des Dieux". Il était alors au meilleur de son talent. L'année précédente il avait donné, toujours dans "Sciences et Voyages", son chef d'œuvre, "La Fin d'Illa". "La Montagne des Dieux" est, comme la plupart des romans de Moselli, une œuvre bouillonnante dont certaines scènes sont d'une dureté quasi insoutenable. Œuvre qui baigne dans une atmosphère glacée. Le style en est lapidaire et incisif, d'une âpreté tranchante. L'auteur y reprend les thèmes qui sont désormais familiers à ses lecteurs : quête d'un trésor, sauvagerie de l'homme, affairisme. Waré-Atua, un volcan éteint de l'île d'Espirito Santo aux Nouvelles-Hébrides. Le cratère est décrit un peu à la manière naturaliste avec un soupçon de pointillisme. Cette apparente froideur est le prélude, nous en avons l'intuition, d'une scène peu ordinaire. Une sorte de distanciation par rapport à l'événement. Malgré tout, le conteur ne peut s'empêcher de faire un usage appuyé du qualificatif. Cette manière a pour effet de plonger le lecteur dans l'expectative. Voici... "La nuit. Une nuit étoilée des tropiques où rayonne la splendeur de la Croix du Sud. Un immense cratère de forme circulaire, dominé par les falaises à pic, aux sommets déchiquetés, hautes de plusieurs centaines de mètres. Le sol, de lave solidifiée, est d'un noir d'ébène et réfléchit les moindres étoiles. Au centre de ce cratère, une cavité de trente à quarante mètres de diamètre, qui semble dallée avec une matière dure, translucide, assez semblable à du jade qui serait intérieurement éclairé. Une clarté verdâtre, laiteuse, phosphorescente, s'en dégage. Elle se reflète sur une large et basse muraille de corail qui entoure le cercle. De légers sifflements qui, par instants, se taisent, troublent seuls l'effrayant silence. Ils sont produits par des jets de vapeur souterraine qui jaillissent des feuilles zébrant les falaises. Ce cratère, c'est Waré-Atua, la Montagne des Dieux..."
Une étroite piste creusée à flanc de précipice à l'intérieur du cratère. Une procession de vieillards et de guerriers Canaques. Puis, de tout jeunes guerriers : "Deux à deux, ils portent sur l'épaule de gros madriers de bambou auxquels sont suspendues par les poignets et les chevilles, comme des moutons fraîchement tués, des créatures humaines. Cinq hommes et une femme. De race blanche. La femme est évanouie. Les hommes ne valent guère mieux". Ils vont être sacrifiés, à coups de javeline, sur le mur de corail entourant le fond du cratère !
Dans une jarre de terre, de l'eau. On en asperge la dalle phosphorescente et... sifflement, un éclair ! Les Canaques se prosternent. Une torche enflammée est présentée au-dessus du mur de corail : "Un large jet de flamme blanche éblouissante fusa, illuminant violemment l'immense cratère." Trois prisonniers, deux hommes et la femme, seront sacrifiés. Bientôt ce sera le tour d'Honoré Sanard, le chimiste "membre de l'Institut et d'innombrables sociétés savantes de tous les pays." Tels sont les commencements à "la plus grande découverte des temps modernes" selon le savant qui ajoute : "cette pierre... ce minéral... ce métal vert, un catalyseur... le catalyseur de l'eau..." Un orage s'annonçait depuis quelque temps. Des averses d'eau immédiatement décomposées en hydrogène et en oxygène. "Les gaz ainsi libérés s'enflammèrent soudain. Une trombe de feu sembla envahir le cratère qui, pendant quelques instants, fut transformé en fournaise..." Les Canaques terrorisés fuient devant la colère des Dieux. Les survivants : Honoré Sanard, William-Walter White (W.-W. W.) le grand fabricant de savons de San-Francisco et l'Allemand Klagendorf. Ils sont délivrés par le mousse Robert Lani.
"La Montagne des Dieux", un roman d'aventures scientifiques à l'époque de sa parution. Aujourd'hui un roman d'anticipation ancienne. J'y vois surtout un roman d'aventures exotiques. Le catalyseur de l'eau n'étant qu'un prétexte non négligeable certes. En effet... Chapitre XXII de la deuxième partie "Dans le cratère". Le savant Allemand Leduke-Krahm : "Je me demande ce que c'est ?" (parlant de l'étrange matière). Il enduisit de salive un de ses doigts, le frotta contre le sol et le porta à sa bouche : "Il y a des sels métalliques là-dedans ! Ou du moins qui en ont le goût ! ... Nous sommes en présence d'une matière qui, ordinairement, ne doit pas exister à la surface de notre planète à l'état naturel ! Une combinaison qui a sans doute été amenée du centre du globe par quelque éruption. A moins que... [...] A moins que ce bloc ne soit tombé du ciel ! ... [...] Oui. Un aérolithe. En frappant le sol, il s'est écrasé, aplati ; ce qui expliquerait sa forme circulaire !" Les dernières lignes du roman parlant d'Honoré Sanard : " Il achève actuellement un mémoire sur l'énigmatique matière. Il émet l'hypothèse qu'elle a été apportée sur notre globe par un aérolithe." Un mot sur la catalyse et les catalyseurs. Honoré Sanard : "Dans la nature, chaque corps est soumis à un certain nombre de réactions produites par des agents physiques ou chimiques. La chaleur, la pression, la lumière... Des réactions qui, dans certaines circonstances, semblent ne pas se produire (probablement parce qu'elles se produisent à des vitesses extrêmement lentes) ou bien qui ne se produisent que très lentement, peuvent, soit être mises en marche, soit être accélérées lorsqu'on fait intervenir certains corps qui, la réaction terminée, se retrouvent intacts. Ces corps sont des agents catalytiques ! ..." C'est ce qu'on apprend au lycée. "L'eau est composée d'un mélange de deux gaz : l'hydrogène et l'oxygène, autrement dit une partie d'hydrogène et deux d'oxygène". Une belle coquille, c'est le contraire ! Et puis parler d'un "mélange de deux gaz" c'est mal dit et ça peut prêter à confusion. "Ces deux gaz sont très coûteux à produire et leurs applications sont pour ainsi dire infinies...". Sanard exagère. "L'oxygène, notamment, dégage en brûlant une chaleur intense, et peut être employé à faire fonctionner les moteurs". Aïe ! l'oxygène est un comburant, non un combustible. "Eh bien nous avons découvert un corps, une substance qui, mis en présence de l'eau, la décompose instantanément en ses deux éléments, hydrogène et oxygène !" Ce corps, Honoré Sanard lui donne le nom de Grand Catalyseur ou Catalyseur Sanard. L'eau que jetait le Canaque sur le catalyseur était décomposée en hydrogène et en oxygène. De même les trombes d'eau survenues durant l'orage. Ces deux gaz mis ensemble en présence d'une flamme ou au contact d'une étincelle électrique (un éclair) se recombinent en eau. D'où une succession de réactions chimiques - décomposition et synthèse de l'eau - très impressionnantes : sifflements, flammes. En présence de la substance Leduke-Krahm : "... En tous cas, cette matière n'est pas un catalyseur ! D'après les phénomènes que vous (Klagendorf) m'avez décrits, cette matière verte n'est pas qu'un catalyseur. Je m'entends. Un catalyseur accélère les réactions, mais ne les produit pas. Cette matière possède, d'abord, la propriété de décomposer l'eau en ses gaz essentiels ; elle possède aussi la propriété d'effectuer cette opération en un minimum de temps, ce qui fait intervenir la catalyse. Mais tout cela, ne sont que des hypothèses." Pas mal vu ! Leduke a mieux compris le phénomène que Sanard.
"La Montagne des Dieux" ne fait pas exception : c'est un roman de l'aventure maritime. Bon nombre de péripéties se déroulent sur l'océan. Et ici, également, sur un large cours d'eau tumultueux où une cataracte de trente mètres de hauteur surprendra et nos amis et leurs ennemis. Les différents bâtiments à bord desquels les uns et les autres vogueront vont de la goélette au... sous-marin, en passant par le paquebot, le yacht, le trois-mâts sans oublier le radeau de fortune, le tronc d'arbre, la bouée et même la simple planche. Nous sillonnerons surtout le Pacifique Sud, des Nouvelles-Hébrides à l'Australie, avec des points de chute plus ou moins obligés, tels l'archipel des Hawaï, celui des Marshall et autres îles, îlots et atolls. Les bateaux - le schooner anglais Corysandre de Brisbane, capitaine Stickney : "La Corysandre vue de près, ne payait pas de mine. Sa coque "blanche" était éraillée, rafistolée avec de vieilles planches, dont les clous, rouillés par l'eau salée, avaient d'innombrables taches rousses. Le gréement n'était pas en meilleur état. Le grand mât, fendu en deux, avait été renforcé par un long rail maintenu contre lui par des ligatures de fil de fer goudronné. Etais, haubans et galhaubans, gris d'usure, étaient réparés - et mal réparés - en maints endroits. A l'avant, des hardes séchaient sur la filière de la tente, laquelle tente était un véritable manteau d'arlequin et se composait de morceaux de prélarts goudronnés, de vieux sacs ayant contenu du coprah, de lambeaux de toile à voile, assemblés tant bien que mal." On aura reconnu LE BATEAU de la plupart des romans de Moselli. Et qui est intéressant, la Corysandre s'adonne au "recrutement des travailleurs". Un euphémisme. Les Canaques des Nouvelles-Hébrides trompés, de différentes manières, par des marins peu scrupuleux, sont emmenés en Australie pour servir de main-d'œuvre dans les plantations. Une sorte de traite. Commerce très lucratif. Le Laranda, capitaine Simon Ferragut, un ancien chasseur de sous-marins transformé en yacht, il est armé de fusils-mitrailleurs. Le grand yacht de W.-W. White. Le sous-marin de Klagendorf, mû par un moteur à oxygène - invention de l'ingénieur Leduke-Khram - utilisant le fameux catalyseur. Le trois-mâts Commodore-Gibson, un baleinier américain, commandant Michaël Marduke, dit le "vieux". Ce trois-mâts, un damné hell-ship, un bateau d'enfer. A bord, une vie impossible ; et le vieux une affreuse brute.
Les hommes - Honoré Sanard homme savant et bon. Robert Lanni le mousse gentil garçon, débrouillard et charitable. L'Américain W.-W. White, l'Allemand Klagendorf, deux coquins chacun à leur manière. Les marins - capitaines et matelots - des gens durs. L'Américain et l'Allemand offrent à Moselli l'opportunité de malmener leurs compatriotes. Alors qu'ils sont ligotés dans le cratère, Klagendorf à Sanard : "Sans ces marchands de cochons et de confitures, nous vous aurions écrasés comme des chenilles". A l'adresse de l'Américain qui le menace d'une correction : "Vous vous mettrez à dix huit contre un, comme pendant la grande guerre, l'homme aux dollars. Escroquez les gens mais ne vous mêlez pas de vous battre, ça ne vous va pas !" A bord du Corysandre qui vient de recueillir l'Américain et l'Allemand. Capitaine Stickney à White : "W.-W. White ? Cette fripouille, qui achète le coprah au-dessous des cours ? J'ai entendu parler de vous, monsieur W.-W. White. Vous êtes une belle canaille, hé ?... Et riche comme de juste !" Le même Stickney : "Je n'aime pas les Allemands ; ils sont trop brutaux en affaires... de vrais hippopotames ! ..." Stickney, un grossier personnage. S'adressant au chimiste qu'il vient de recueillir : "Des idiots ces Canaques, hé ? Laisser échapper un morceau comme vous ! Deux cents livres de bonne viande... De la viande coriace, c'est vrai ! ..."
Laissons ces gens, pour nous pencher sur Honoré Sanard. Son comportement, ses propos sonnent juste. C'est un homme raisonnable. Mais il ignore tout de la vie. Honnête, scrupuleux, bon. Un idéaliste aussi. Et prêt à se faire rouler par le premier venu. Ainsi, alors que l'ouragan déferle sur le cratère au fond duquel il est ficelé avec W.-W. White et Klagendorf - les Canaques ont fui. "Il faut que nous nous sauvions pour faire connaître le merveilleux, l'extraordinaire catalyseur de l'eau, qui doit changer la face du monde ! Moi, je ne suis bon à rien, Messieurs, mais qu'importe ma personne ! Vous deux, qui êtes vigoureux, vous allez tout tenter pour fuir, et au plus vite ! Pensez qu'en vous sauvant vous pouvez faire avancer la civilisation de plusieurs siècles peut-être !" Quand il rend visite à son cousin le banquier Jacques Ledrû et que ce dernier lui explique les arcanes qui lui permettront de gagner beaucoup d'argent grâce au Grand Catalyseur, il est réticent : "Oui... mais... Si je m'étais trompé, pourtant, Jacques ? Tu oublies, Jacques, que les Nouvelles-Hébrides ne sont pas Françaises complètement ! Les Anglais y sont pour le moment, chez eux comme chez nous ! Si pourtant je m'étais trompé ! ... Je ruinerais de braves gens ! J'accepte. Mais il est bien entendu que je ne veux aucun bénéfice, sous quelque forme que ce soit, que les statuts de la société me seront soumis, et que je me réserve le droit, si, par hasard, je m'étais trompé, de le faire savoir sans délai ! Sinon, non !" Le grand savant, comme pas mal d'intellectuels, hésite quand il s'agit de prendre une décision. Laissons de côté ses scrupules et son honnêteté maladive. Mais Moselli voit juste quand il s'amuse à le faire user de détours quand il s'agit de s'engager.
Le mousse Robert Lani est l'égal, entre autres, de celui des "Champs d'Or de l'Urubu", Jean Lenoël. Chez Moselli, le mousse est une figure emblématique. C'est lui qui rachète bien souvent l'homme par ses vertus cardinales. A l'époque, la vie de ces apprentis marins n'était pas rose. Moselli l'a été, et sait de quoi il parle. Le mousse, chez Moselli en fait, à vrai dire, un peu trop, mais c'est la façon du romancier de se libérer par une fiction compensatrice. Il lui rend un bel hommage. Un garçon débrouillard, le mousse. Robert Lanni a été à bonne école. A peine à quatorze ans "... à l'âge ou tant d'autres ne connaissent que l'école ou le lycée, il avait déjà couru maintes aventures". Il perd de bonne heure son père. Aide sa mère à élever sa demi-douzaine de frères et sœurs. Exerce différents métiers : cireur de chaussures, porteur de bagages, chasseur de restaurant, crieur de journaux, s'engage comme mousse. Fait du cabotage sur la côte provençale. Trouve une place de mousse sur un paquebot allant en Australie. A la suite d'un grave accident à la jambe, est hospitalisé à Sydney. S'embarque, une fois guéri, sur la Sarcelle, un petit vapeur navigant entre Sydney, la Nouvelle-Calédonie et les Nouvelles-Hébrides. Enthousiasmé à la pensée de voir des "sauvages", des vrais. Il allait être servi ! C'est sur la "Sarcelle" que naviguent Honoré Sanard, White, Klagendorf comme passagers, chacun allant à ses affaires. Robert Lanni sauvera le chimiste maintes fois, de la noyade en particulier. Car si le Membre de l'Institut connaît bien le calcul différentiel, il ne sait pas nager. Mais aussi et surtout il découvrira la bombe camouflée dans une bouteille de champagne, à bord du "Laranda", qui devait faire sauter le navire. S'introduira dans le sous-marin de Klagendorf afin de le détruire. Et j'en passe.
Sous les Tropiques, les maladies infectieuses sont nombreuses. Aussi Moselli avait-il le choix. Mais n'étant pas de ceux qui font dans le banal, la lèpre s'imposa d'elle-même. Le romancier en avait vu des lépreux, aussi bien dans les îles du Pacifique Sud, que dans le Sud-Est Asiatique. Aussi connaissait-il les effets dégradants de la "terrible maladie". C'est chez le père du Roi des Boxeurs la maladie symbole, elle témoigne d'ailleurs d'un caractère récurent tout au long de son œuvre. White, après bien des aventures, est tombé entre les mains de Klagendorf. Comment se débarrasser de cet encombrant concurrent ? Le tuer ? Non ! Des problèmes pourraient surgir. Joseph Robic, le médecin-assassin, propose de le rendre fou en lui faisant absorber un poison et de parfaire l'opération en lui inoculant le bacille de la lèpre. Klagendorf et son compatriote et associé Sauerkopf sont de fieffés coquins, n'empêche, ils sont gênés : " Mais la lèpre ! ... La plus horrible des maladies !" Le sous-marin Thor mouille non loin de l'atoll des Lépreux dans l'archipel des Marshall où vivent "une centaine de misérables Canaques atteints de l'horrible mal". L'un d'eux est enlevé. Joseph Robic "préleva sur un large ulcère qui lui rongeait l'aisselle, une quantité de pus suffisant à contaminer tout un régiment". Le bacille de Hansen sera ensuite inoculé à White qui se verra transféré au lazaret de Molokhaï, îles Hawaï. Selon Moselli, c'est un "sinistre lazaret, véritable enfer que Dante n'avait pas rêvé." La lèpre c'est le "chinese-evil", le mal chinois selon les Polynésiens, dont la contagion n'est que très faible. Les Américains, nous apprend-on, se débarrassaient des lépreux en les déportant à Molokhaï. Eliezer Stickney est décidé à délivrer White pour de sordides raisons d'argent. Le voici dans la place : "Mais les lépreux apparurent. Les uns avaient les membres atrophiés, desséchés par le mal, leurs mains, leurs jambes étaient recouvertes d'une peau plissée, grisâtre, qui, au soleil, avait des reflets métalliques, et puis ceux qui étaient atteints de la face - des visages sans nez, sans oreilles, des bouches agrandies, tuméfiées, des horreurs sans nom" Apparaît White accompagné d'un "être plutôt fantastique : un petit homme vêtu de soie noire, à qui une jambe manquait. L'individu possédait une tête énorme, rouge et rasée, qui ressemblait de loin, à un formidable fromage de Hollande. Ni nez, ni oreilles, une bouche largement fendue et deux petits yeux noirs, sans sourcils au regard métallique. Appuyé sur une cane de jonc, l'homme sautelait aux côtés de W. W. White". C'est le docteur Sien Yang.
Moselli semble avoir une bonne connaissance des opérations boursières. Le fait mérite d'être signalé. Le chimiste contacte son cousin, le banquier Jacques Ledrû, à qui il raconte ses aventures. Ledrû à Sanard : "Je la prends ton affaire ! Société du Grand Catalyseur comme tu dis." En un rien de temps, l'affaire est réglée et il assène au savant... Capital de dix millions dont Ledrû se réserve des parts de fondateur. Vingt mille actions de cinq cents francs. Cent actions A et dix neuf mille neuf cents actions B. Les actions A ont droit à cent voix chacune aux assemblées. Les actions B se mettront à cent pour avoir une voix. En se réservant les actions A, Ledrû sera le maître de l'affaire "sans avoir besoin d'immobiliser un grand capital". Les actions doivent être souscrites en deux jours et avec prime.
Mais les Anglais sont aussi chez eux aux Nouvelles-Hébrides ! Oui, à l'époque, l'archipel était un condominium anglo-français. Ledrû :" Nous annoncerons que le catalyseur est situé au Congo ! Nous mettrons : au Congo Français et en autres lieux, connus seulement de M. Honoré Sanard. Ainsi les Anglais seront roulés !" La fin est rondement menée. Le lecteur qui connaît bien Moselli ne sera pas surpris, il s'y attendait même. Le Grand Catalyseur ne verra jamais son exploitation. Bon nombre de récits du romancier reposent sur la recherche d'un trésor. Et jamais, bien que découvert et mis au jour - après quelles difficultés - il ne profitera à ceux qui ont sué sang et eau pour tenter de l'obtenir. Un peu comme si le trésor était du domaine de l'inaccessible. Le conquérir, et ce ne serait plus un trésor.
Pour Moselli la vie est une lutte de tous les instants. Pas de répit. Il faut mériter son pain. Probablement sa vie de marin jusqu'à l'âge de trente ans lui a-t-elle forgé cette antienne. Tu gagneras ta vie... Les trésors ne sont pas de ce monde. Ainsi "La Montagne des Dieux", volcan éteint depuis longtemps, va pourtant se réveiller. Alors que les Allemands sont à pied d'œuvre pour extraire de la mystérieuse matière : "Le catalyseur de l'eau avait, maintenant, la dureté du granit". Le second jour moins de quarante kilos seront extraits, au prix de gros efforts, alors que "Et, autour d'eux, sous leurs pieds, les Allemands épuisés de chaleur, entendaient des grondements menaçants Le volcan allait-il se réveiller ?" Le jour suivant "Les grondements souterrains augmentaient de violence [...] Dans le ciel orageux, des nuages cuivreux s'amassaient, cependant que, par les mille fissures de la lave, tant au fond du cratère que sur les pentes, des jets de gaz blanchâtres ou jaunâtres fusaient [...] Dans le ciel cuivré, des éclairs éblouissants zébrèrent les nuages [...] au-dessus du cratère, des rafales furieuses passèrent, poussant les nuées en déroute ; des sifflements lugubres s'entendaient, produits par la bourrasque [...] Les nuées, n'étant plus poussées par le vent, s'amoncelaient au-dessus du cratère. Progressivement, elles s'abaissaient vers le sol, obscurcissant davantage l'atmosphère. Une demi-obscurité régna bientôt au fond de l'entonnoir de lave"
Mais voilà qu'on entend un "cri guttural" et qu'apparaît sur le "bord supérieur du cratère [...] debout sur l'arête de lave un Canaque de haute taille dont le corps décharné, garni pour tout vêtement d'une ceinture de coquillages, (se détache) comme une statue de bronze sur le fond blafard des nuées. L'homme (agite) ses deux longs bras dans un geste de malédiction." Il disparaît comme englouti par le sol "et un grondement formidable retentit [...] la partie inférieure du cratère venait de s'ouvrir, de se fendre comme une coupe brisée. Et, par cette faille, un liquide rouge-sombre montait avec rapidité, submergeant tout sur son passage..." Les Allemands fuient, mais la lave en fusion les poursuit, les submerge. "En bas, la lave bouillonnante avait entièrement recouvert le sol. Du cercle de catalyseur, il ne restait rien".
3.10 - JOSÉ MOSELLI, RENÉ PELLOS ET LES GANGSTERS DE L'AIR par Michel Guillaumin (article paru dans le Chercheur de Publications d'Autrefois, n° 10, décembre 1973)
Le seul roman de José Moselli illustré par René Pellos, "Les Gangsters de l'Air", fut publié en 1939. Il parut en 28 fascicules hebdomadaires et fut interrompu par le début de la guerre. A cette époque, soit de son propre chef, soit plus probablement à la demande de son éditeur, car il fallait bien concurrencer les illustrés de la "nouvelle vague" d'alors, José Moselli cherchait à se renouveler. Si, dans le passé, il avait déjà publié des romans de science-fiction, principalement dans "Sciences et Voyages", il commençait à en écrire à l'intention des jeunes : "L'Avion fantôme" venait de paraître dans "L'Intrépide", "L'Ile des Hommes Bleus (Il s'agit d'une soucoupe volante avant la lettre. Voir dans le numéro spécial consacré à José Moselli les lignes écrites par René Lathière sur ce roman) était en cours, dans "L'Epatant" "Les Gangsters de l'Air" font partie de cette série "moderne" : le héros Jack Temple, est un aviateur de profession (l'aviation est dans le vent), les bandits disposent de puissants moyens techniques. Le premier numéro, non daté, des "Gangsters de l'Air" fut diffusé gratuitement, à la mi-mars 1939, encarté dans d'autres publications de l'éditeur. C'était un cahier de 8 pages, petit format, présenté comme les fascicules du "Roi des Boxeurs". Il était illustré par Pellos de dessins en noir et blanc et d'une couverture en couleurs. La publication, vendue ensuite 30 centimes, se poursuivit jusqu'au n° 28 daté du 14 septembre 1939. Ce numéro fut-il vraiment le dernier ? Aucune mention n'avisait les lecteurs de l'interruption du récit et on trouve encore dans "L'As", n°130, du 24 septembre, une publicité pour le n° 29 "en vente partout". J'ignore si celui-ci fut publié. Un collectionneur pourrait peut-être nous renseigner sur ce point. Le roman raconte la lutte de l'aviateur Jack Temple contre une bande de gangsters puissamment organisés, qui, à l'aide d'avions très rapides, obligent les appareils de transport à atterrir et les détruisent après s'être emparés du fret intéressant. L'affaire commence mal pour Jack Temple qui, accusé de complicité avec la bande, est envoyé au bagne. Délivré par son ami Anatole Zèbre, grâce à un avion invisible, Jack Temple s'empare d'un hydravion appartenant aux pirates, mais finit par tomber avec son autre ami Guillaume Lebaron, entre les mains des forbans. Les deux hommes sont délivrés par Anatole Zèbre qui a réussi à découvrir leur prison. Les trois amis détruisent le repaire, une des bases principales des gangsters, à Maracaïbo, et s'enfuient par un souterrain secret, non sans avoir appris que leurs ennemis comptent s'emparer d'un riche lot de perles qui doit quitter le Venezuela par la voie des airs. Nos amis arrivent justement, en vue de la côte du Venezuela, mais l'essence manque... C'est là que le récit s'interrompt (n°28). Mais dans le n°23, le fil normal de l'histoire est coupé, et le lecteur conduit en avant dans le temps, vers l'avion aux perles. Celui-ci, tombé mystérieusement en panne, vient d'amerrir et se trouve attaqué par les gangsters. C'est alors que l'appareil des pirates est lui-même attaqué à coups de mitrailleuse... Cette fois, l'histoire s'arrête définitivement.
Depuis 1910, les romans de José Moselli étaient illustrés par les dessinateurs attachés à la Maison Offenstadt. On leur distribuait sans doute la tâche au fur et à mesure, un peu au hasard. André Galland, Jack Abeillé, René Giffey, Le Rallic, Puyplat, Vallet... se sont ainsi relayés, mais il faut bien admettre que, prisonniers du style général de l'époque, aucun d'eux ne convenait vraiment pour illustrer les romans de Moselli, pour hausser la qualité des images, trop petites, trop statiques, trop conventionnelles, à celles des récits. C'est seulement en 1938 avec Duteurtre, ayant illustré la réimpression du "Roi des Boxeurs" pour "L'As", que José Moselli eut enfin un dessinateur à sa mesure. L'éditeur devait ensuite avoir l'heureuse idée de confier à Pellos l'illustration des "Gangsters de l'Air". Pellos était alors dans le meilleur de sa forme. Il venait de terminer "Futuropolis" dans "Junior" et publiait "Electropolis" dans "Jean-Pierre". Il était le premier en France à sortir des conventions, à faire éclater les images hors de leur cadre, à rendre les expressions sur les visages, à mettre en relief les jeux de mains, à injecter le mouvement dans les corps, en un mot, à faire vivre ses personnages. Il savait utiliser la couleur, les contre-jours, les jeux d'ombre et de lumière, pour traduire une atmosphère (on aura une idée des possibilités de la couleur dans ce domaine en lisant la remarquable étude de Claude Le Gallo, publiée dans "Phénix" n° 21 et intitulée "L'importance de la couleur dans l'œuvre d'Edgard P. Jacobs").
Il est dommage que la guerre ait interrompu un roman d'aventures aussi bien parti et aux dessins si évocateurs. Il paraît qu'au total, une soixantaine de fascicules auraient été écrits. Mais quel éditeur se risquerait à les publier, voire même à reprendre l'histoire à ses débuts, voire même à demander à Pellos, puisqu'il dessine toujours, de reprendre la suite d'une de ses meilleures séries, délaissée depuis 35 ans, et dont la guerre nous a frustrés ? Peut-être cela viendra-t-il un jour ?
Quelques couvertures des "Gangsters de l'Air" :
Fascicule n° 1 - A plat ventre au bord de l'aile d'un avion en pleine vitesse, les jambes enserrant une poutrelle, le pilote retient à bout de bras l'infortuné Anatole Zèbre suspendu au-dessus du vide. Fascicule n° 2 - Au premier plan, en contre jour, Jack Temple et ses deux compagnons ligotés, étendus à même le sol, assistent, impuissants, à l'explosion de leur avion dans un grand déploiement rouge. Fascicule n° 11 - Dans la pénombre glauque, sous un ciel lourd de gros nuages roux, le canot chargé des bidons d'essence que ramène Jack Temple, va aborder l'hydravion en panne qui tangue, ses flotteurs submergés par les vagues verdâtres. Fascicule n° 14 - Tandis qu'au premier plan, près de l'aileron noir d'un requin, une main crochue entourée d'un flot de sang émerge de l'eau pour agripper quelque support, le gros Domingo-Hernandez Castro, de l'eau à mi-corps, les yeux agrandis par la terreur, s'accroche au flotteur de l'hydravion. Le moteur, l'hélice et l'avant du fuselage emplissent tout le haut de l'image, tandis qu'à l'arrière-plan, on voit la queue d'un squale qui plonge. Fascicule n° 15 - Un requin jailli de l'eau sectionne la jambe d'un malandrin qui hurle, la face tordue par l'épouvante et la douleur. Des flots de sang rougissent déjà l'eau noire et bleue tandis qu'en arrière, dans le remous des vagues, l'hydravion, hélices tournant à plein régime, s'apprête à décoller vers le ciel jaune. Fascicule n° 16 - L'homme à la jambe droite sectionnée tombe à la verticale de l'hydravion lancé en pleine vitesse. On aperçoit Jack Temple à la porte du fuselage, encore figé dans le geste par lequel il vient de précipiter son adversaire dans le vide. Fascicule n° 18 - Dans une vision d'enfer, un canot automobile tout noir, occupé par trois silhouettes agitées, fend l'eau sombre à travers la mer de flammes de l'hydravion en feu. Fascicule n° 20 - Deux individus, coiffés de chapeaux à larges bords et portant des masques à gaz, dirigent dans la pénombre, le faisceau de leur lampe électrique sur le visage de Jack Temple qui repose. Des vapeurs verdâtres de gaz lourds noient la partie inférieure de la chambre. Fascicule n° 21 - Une étrange silhouette rouge vif, la tête emprisonnée dans une sphère métallique de même couleur, paraît défier les lois de la pesanteur en effectuant, renversé en arrière, une sorte de danse burlesque. Seules les mains, crispées sur le vide, expriment les violentes souffrances du supplicié. Deux hommes, l'un à la face bestiale, l'autre plein d'astuce et de ruse, contemplent cette scène. Jack Temple, ligoté sur son siège, l'angoisse au visage, regarde lui aussi la scène. Fascicule n° 25 - Un dessin de Pellos illustrant une scène qu'on trouve souvent dans les romans de José Moselli : un homme a saisi un gangster par les chevilles et le fait tournoyer au-dessus de lui, la victime essayant en vain, les bras étendus, d'agripper un support. La bataille se déroule dans la nuit violet sombre, sous l'énorme aile noire de l'hydravion dont un flotteur sert de perchoir aux combattants. Fascicule n° 28 - Une image qui exprime la violence d'un combat acharné : tandis que le malheureux Youp-la s'avance en rampant, les yeux hagards, Anatole Zèbre, éclairé par le rougeoiement des coups de feu, plaqué contre une porte blindée, maintient d'une main le gros Kafadjian terrifié et essaie de se protéger du feu de la mitrailleuse adverse dont le canon vient de pénétrer à travers le mur crevé. Un brouillard multicolore flotte dans la pièce en débâcle et la tête d'un gangster, dont la main est encore accrochée au pan de mur, s'affale lamentablement au bord de l'orifice dans le flot de sang qui a tout éclaboussé la paroi.
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