JOSÉ        MOSELLI

SA VIE, SON ŒUVRE  

 par René BARONE et Claude HERMIER

 

 

QUATRIÈME PARTIE

 

AUTOUR DE JOSE MOSELLI

 

4.1 - ANDRE GALLAND

par Henri Cadiou

(Article paru dans Désiré 1ère série, n° 2, décembre 1965)

 

Les lecteurs et les amateurs d'illustrés pour la jeunesse ne connaissent d'André Galland, qui vient de disparaître qu'une production aussi féconde que talentueuse. Ils ignorent que cet excellent artiste trouva encore moyen d'organiser ses confrères et de se dévouer durant toute une existence à l'Union des Artistes dessinateurs qu'il avait fondée, avec son ami Jean Chaperon au retour de la guerre de 14-18, alors que la reconversion des ex-poilus se révélait difficile et qu'une crise de chômage sévissait sur la profession.

 

Je l'ai entendu bien des fois évoquer cette époque héroïque où les illustrateurs, en grand nombre émoulus des Beaux-Arts et des Arts décos, avaient pleinement conservé l'esprit Quatz'Arts, ce qui nous valut une forme de syndicalisme original et efficace, car ne pouvant imposer leurs revendications par le nombre, ils surent en diverses occasions attirer l'attention de la presse et du public selon une mode qui nous est revenue d'Amérique sous le nom de "public-relations". Il n'est pas dit que les artistes, broyés par le rouleau compresseur d'un prétendu "progrès" ne devront pas, pour survivre, revenir à cette forme fantaisiste d'action revendicatrice, profitant ainsi de la soif de sensationnel qui marque notre époque d'uniformité ennuyeuse.

 

Par la suite, sous l'influence d'un certain utilitarisme à l'Américaine, style homme d'affaires à lunette d'écaille, bien des dessinateurs des nouvelles couches se détournèrent de l'esprit bon enfant qui n'a jamais cessé d'exister, avec Galland et ses amis, l'Union qu'ils avaient fondée. Jusqu'à ces dernières années s'était maintenue la sortie champêtre, avec réception en fanfare par le maire et les pompiers. Le dîner annuel seul subsiste désormais, toujours animé par la joyeuse faconde des illustrations, qui n'ont pas besoin de vedettes du disque pour animer cette soirée.

 

Élève de Paul Renouard aux Arts décos, Galland avait su tirer le maximum d'une méthode originale de dessin, dite "des points d'os" qui a fourni de véritables reporters du crayon, habiles à photographier d'un clin d'œil une scène animée. Cette formation procédait, comme tout l'art du début de ce siècle, du dessin rapide des Japonais. "Soyez capable de dessiner un couvreur dans le temps qu'il tombe du toit" conseillait Delacroix. Nul n'a mieux appliqué ce précepte qu'André Galland. Lorsque l'engouement excessif de la photographie retira aux dessinateurs-reporters leur gagne-pain, il resta l'un des derniers à concurrencer victorieusement l'appareil photographique, notamment dans les colonnes de "l'Illustration". Après la guerre il conserva bien plus par goût que par lucre, le reportage judiciaire, le kodak étant exclu de l'antre de Thémis. Il se passionnait pour les grands procès et n'arrêtait pas de crayonner des dizaines, des centaines de croquis d'audience plus véridiques et combien plus lisibles que la photo. De cette moisson un ou deux clichés passaient à la une du "Parisien". Par là il fut un exceptionnel "témoin de son temps" et sa conversation, toujours enjouée, était une mine inépuisable d'anecdotes. J'ai rarement rencontré d'esprit aussi concret et d'homme aussi sociable, toujours curieux des hommes et des choses. C'est cette sociabilité altruiste qui l'amenait dans chacune des spécialités qu'il abordait, à fonder, à animer un groupement : dessinateurs-journalistes, parlementaires, judiciaires, de journaux d'enfants durent à son initiative la création d'un groupement professionnel, ou tout au moins d'un dîner mensuel. La place de premier plan qu'il occupa dans le dessin, proprement dit, l'amena à délaisser la peinture et ce fut dommage, car il était très doué, notamment pour le paysage, et nullement gâté par la virtuosité ou la vivacité de la main qui va parfois, chez les illustrateurs, plus vite que l'œil.

 

Travailleur fécond et infatigable, l'âge n'apportait pas de frein, semble-t-il à sa production, cependant gravement touché par une maladie de cœur, il dut restreindre son activité syndicale. Mais il eut beaucoup de mal à se retirer de l'action militante pour son "Union des Artistes dessinateurs" muée depuis en "Syndicat" malgré tout le temps que lui prenait cette présidence sans la moindre contrepartie.

Ses amis le croyaient presque guéri lorsqu'à la fin des dernières vacances, ils reçurent le faire-part qui devait les réunir en l'église N.D. de Lorette. Quelques-uns des illustrateurs qui charmèrent l'enfance de deux générations se trouvaient réunis autour de son cercueil : Alain Saint Ogan, Bob Dansler, Mat, Iselin... J'en oublie.

 

Jusqu'à ses derniers moments il ne cessa de travailler. Dans un monde plus attaché aux valeurs artistiques, on ferait une exposition posthume d'une œuvre aussi féconde et variée et chacun en tirerait des enseignements. Les illustrateurs, hélas, quelque talent dont ils fassent preuve sont les parents pauvres de l'art. Mais grâce à l'esprit de collection, qui se répand toujours plus, bien des barbouilleurs célèbres aujourd'hui seront oubliés, qu'on prendra encore plaisir à feuilleter les pages de "l'Intrépide", où Galland répandit les trésors de son imagination.

 

 

 


 

 

 

4.2 - MES DEBUTS CHEZ OFFENSTADT

par Maurice Mario

(Article paru dans Désiré 1ère série, n° 3, février 1966)

 

Comment je suis devenu un des collaborateurs attitrés des publications Offenstadt ? Ce fut à la fin de mon service militaire en 1905 ; cette maison d'édition se trouvait alors rue de Trévise. Marc Mario, mon père, d'une activité débordante, aurait pu se contenter d'écrire chez Rouff des romans en livraisons qui obtenaient un grand succès, comme "Mariée en Blanc", "l'Enfant de la Folle", "Mariage in Extremis", mais il lui fallait la direction de journaux illustrés, et ce fut ainsi qu'il fonda, entre autres, une deuxième version du RÉGIMENT.

Naturellement, n'ayant jamais douté que j'écrirais comme lui pour gagner ma vie, il me dit : "Commence par pondre des nouvelles, je t'en passerai dans le RÉGIMENT".

Je lui en remis une, deux jours plus tard. Le lendemain, il me la rendit couverte de ratures et d'ajoutures à l'encre rouge : "Pas mal, me dit-il, mais recopie-la". J'étais atterré : ce n'était plus ma nouvelle, c'était la sienne. Cela dura quelques semaines et petit à petit il y eut moins d'encre rouge.

Or, un soir, coup de théâtre, mon père nous déclara qu'il avait rompu avec les Offenstadt et qu'ils lui avaient versé un assez fort dédit. La vérité c'était qu'il avait 30% sur les bénéfices, cause de continuels désaccords.

Persuadé que j'étais liquidé comme mon père, en allant toucher ma dernière pige, je demandai à parler au directeur.

- Il faut que vous attendiez, me dit le caissier, vous les entendez, ils sont en conférence.

La conférence était tellement bruyante de l'autre côté de la porte, les trois frères s'engueulaient avec une telle force que je jugeai prudent de partir.

- Pourquoi ! s'étonna le caissier, c'est tous les matins comme ça, patientez, ils n'en ont plus pour longtemps.

En effet, cinq minutes s'écoulèrent et je fus reçu par Georges, Charles et Maurice. Comme je demandais d'une voix mal assurée si je pouvais continuer à apporter des nouvelles, Georges me répondit :

- Pourquoi pas ? Rien de changé pour nos collaborateurs. Nous avions depuis un certain temps quelques discussions avec votre père et c'est tout à fait à l'amiable et en très bons termes que nous avons repris mutuellement notre liberté.

Je jugeai inutile de poursuivre une conversation qui pouvait devenir gênante et, après quelques banales paroles de remerciements, je pris congé.

Quelques jours plus tard, je tentai ma chance en soumettant une idée d'aventures amusantes qui auraient pour cadre nos différentes colonies ; elle fut acceptée et elle m'assura durant plusieurs années 250 lignes dans chaque numéro, le Pactole à cette époque.

Mais cette idée eut un autre avantage : me permettre d'écrire des romans dramatiques. Avec les quatre premiers je fus reçu sociétaire de la Société des Gens de Lettres. L'ambition de tout jeune écrivain.

Je débutai dans "Le Petit Illustré" avec "Le Trésor du Planteur" qui obtint un certain succès... Une jeune lectrice n'avait-elle pas signé une de ses lettres du nom de mon héroïne : Djiamma la Farouche ! Peu après j'eus le plaisir de voir le premier numéro de "Fillette" lancé avec mon roman "Projetée par les Flots". Dans "Cri-Cri" parut mon "Tour de France de Gaspard Bras-de-Fer" édité ensuite par Tallandier, etc. etc.

Tels furent mes débuts dans la littérature !

 


 

 

4.3 - MES DÉBUTS CHEZ OFFENSTADT

par Paul Mystère

(Article paru dans Désiré 1ère série, n°4, avril 1966)

 

J'ai fait mes débuts d'auteur chez Offenstadt (sans jamais y avoir mis les pieds d'ailleurs, puisque je suis un provincial indécrottable). C'était... ma foi, en même temps que chez Rouff (brochures). Quelques contes dans "L'Epatant". Vers 1935, peut-être un peu avant : je ne devais pas avoir tout à fait 20 ans. J'étais, comme tant d'autres, n'est-ce-pas, saturé et émerveillé par la "littérature" de ces temps-là (les temps où comptait autre chose que la bande dessinée - je le dis sans acrimonie, puisque j'écris encore régulièrement des scénarios pour bandes dessinées ! Mais enfin, à cette époque, les gosses n'avaient pas la flemme de lire). Mon idole était José Moselli. Je débutais dans la noble profession d'instituteur public et je percevais le traitement royal de 640 Fr. par mois. (Ma pension au restaurant, pour deux repas : 20 Fr. par jour). Certain jeudi, je décide "je vais écrire un conte d'aventures, ou de police et l'envoyer à l'Epatant". Remarquez que je n'avais jamais rien écrit et que j'ignorais jusqu'au nom "Offenstadt". Sans doute étais-je bien disposé ce jeudi-là, car j'écrivis deux contes et non pas un. Je les envoyai... sans espoir. Quinze jours plus tard, le facteur m'apportait un mandant de 400 Fr. ... ; soit 3 semaines de travail "enseignant". Un peu ahuri (je n'avais nulle idée des "tarifs") je me dis "et si j'essayais un roman d'aventures à la Moselli ?". En un mois je l'achevai et l'envoyai. 80 pages dactylo non interlignées ! Des bagarres, un héros casse-cou, etc. Titre : "L'enfer de la Papouasie". A ma connaissance, il n'a jamais paru. Mais 15 jours après l'envoi je recevais un mandat... de 2500 Fr. ! Quatre mois de traitement d'instituteur "public" ! De ce jour je collaborai tous les mois aux publications Offenstadt - et j'ajoute que je n'ai jamais vu paraître mes textes, sauf trois ou quatre nouvelles. Je présume qu'ils avaient une énorme "avance" que la guerre de 40 a dispersée ? Un mot encore, puisque cela semble intéresser DESIRE... Dans ma naïveté, lorsque j'écrivis ce premier feuilleton "L'enfer de la Papouasie", comme il fallait un traître, que l'Allemand était un peu démodé, et que... oui, j'étais vraiment naïf... je donnai au "traître" un surnom. Tenez-vous bien... "Le Juif". Mais je vous le répète, je n'avais jamais entendu parler d'Offenstadt. Eh bien, huit jour après mon envoi, le manuscrit me revint, sans aucune lettre d'accompagnement. Partout où j'avais écrit "le juif" on avait rayé le mot et on l'avait remplacé au crayon par "le hollandais". J'écrivis alors sur la page du titre : "approuvée la correction" et je renvoyai le manuscrit, qui me fut payé sans discussion deux semaines plus tard. On ne saurait oublier des choses de ce genre ! (Quelqu'un m'a certifié que c'était Moselli lui-même qui ayant lu le bouquin, avait insisté pour qu'on le prît. Rien ne pouvait m'être plus agréable).

Dix fois, cent fois, j'ai envisagé de fonder "les amis de Moselli" (ou Jack Mahan, ou Nord 55 Ouest, etc.). Si je vivais à Paris, je l'aurais fait. Actuellement il est un peu tard.

Je ne suis pas collectionneur mais j'ai une idolâtrie pour José Moselli. L'année dernière encore, j'essayais de faire éditer ses "John Strobbins" au Club du Livre Policier, où j'ai eu des nouvelles de Madame Vve José Moselli et où l'on a conclu, pour J. Strobbins, après hésitations, que c'était vraisemblablement démodé.

Sait-on aussi que José Moselli a publié un ouvrage en librairie, j'en ai oublié le titre, c'était au sujet de "la mer" et "les navires".

(NdE : Paul Mystère est le pseudonyme de Paul Bérato, qui signa de nombreux romans de SF au Fleuve Noir sous le nom de Paul Béra. A aussi utilisé (entre autres) le pseudo de Yves Dermèze).

 


 

 

4.4 - JOSE MOSELLI A L' HONNEUR

(Article paru dans Désiré, 1ère série, n° 9, février 1967)

 

Le n° 484, du 29 novembre 1928, de la revue "Sciences et Voyages", à l'occasion du début du roman de Moselli "La Guerre des Océans", a publié, accompagné de la photographie de l'écrivain, l'article suivant, qui est reproduit in-extenso :

José Moselli, qui vient d'écrire spécialement pour "Sciences et Voyage" la "Guerre des Océans", dont nous commençons dans notre prochain numéro la publication, n'est pas un inconnu pour nos lecteurs qui ont déjà pu lire ici "La Montagne des Dieux", "Le Dernier Pirate", "La Prison de Glace", "La Fin d'Illa"...

A l'encontre de trop de romanciers d'aventures qui n'ont jamais quitté leur table à écrire et ne font que copier, plus ou moins platement, les descriptions de CEUX QUI ONT VU, José Moselli, qui fut marin, a longuement parcouru toutes les mers du globe. Il a visité les grands ports d'escale mondiaux, qui finissent par se ressembler tous comme se ressemblent les gares, - mais encore, les coins ignorés du monde, fréquentés seulement par des "tramps", ces navires qui sillonnent les océans à la recherche du frêt, où qu'il soit, les îlots de corail des mers du Sud, les côtes inhospitalières du Labrador et de la Patagonie, les grands fleuves océaniques d'Afrique et d'Amérique.

Beaucoup de ses héros, il les a connus... De là le succès de ses œuvres où passe la vie des hommes libres, des grands aventuriers qui courent le monde à la recherche de la fortune ou, plus souvent, de l'imprévu.

"La Guerre des Océans", nous en sommes persuadés, ajoutera encore, à la renommée de José MOSELLI.

(L'article n'était pas signé)

C'est M. Michel Guillaumin, qui a signalé à "Désiré" cet article et cette photo.


 

 

4.5 - EN HOMMAGE AU VIEUX CAPITAINE

par Jacques Montréal

(p.c.c. René Lathiere)

(Article paru dans Désiré 1ère série, n° 12, août 1967)

 

Bonne ou mauvaise, notre ami Jean Leclercq ne laisse jamais moisir une idée. Voilà pourquoi il m'a pris de court en publiant dans le n° 1 de DESIRE-DIMANCHE le premier feuilleton des "COLONNES DE LUMIERE".

En effet, mon intention était d'avertir au préalable les lecteurs de DESIRE - ou, plus exactement, un certain nombre de gamins de jadis (par "jadis", entendez une période allant grosso modo de 1912 à 1939).

Ces gosses, nous les fûmes. Et grâce à Dieu, nous les sommes encore. L'autre jour, me regardant feuilleter des fascicules de l'INTREPIDE, Jean Leclercq m'a dit : "Vous les comptez comme un avare son trésor". Oui. Pourquoi m'en défendrais-je ?

Rappelez-vous certains battements de cœur lorsqu'approchait le mercredi ou le jeudi. Rappelez-vous le problème que posait parfois l'obtention des 5, 15, 20, puis 30 centimes hebdomadaires, quand les exploits de Marcel Dunot, de Jean Lenoël, de Richard Daguerre, de Simon Doguereau, du comte Louis de La Fère et de bien d'autres nuisaient un peu trop à votre ardeur sur les bancs de l'école. Je suis passé par là, je ne pense donc pas être une exception ! Rappelez-vous enfin le galop que vous piquiez jusqu'à la boutique du coin de la rue "pour avoir la suite".

Depuis un an que je me suis joint à votre grande ribambelle, j'ai retrouvé "mon" Moselli, celui des années 1926-1938, dont les héros furent dessinés par Giffey, Puyplat, Vallet, Jobbé-Duval, Roig, Clérice, Duteurtre, Claude Whip, Niezab. Comble de bonheur, j'ai fait connaissance du Moselli de la génération précédente, quand il lui arrivait de signer Pierre Agay, et de dessinateurs qui s'appelaient Raymond Tournon, André Galland, René Gary, Janko. J'ai même découvert un troisième Moselli, d'aussi bonne venue, dans les ROMANS MILITAIRES et la VIE DE GARNISON.

Et à les feuilleter, vingt ou trente ans après, ces pages de mauvais papier qui nous offraient d'inoubliables aventures, j'ai regretté plus que jamais la disparition de notre auteur favori.

Certes, il est mort à une époque où nos fascicules ne pouvaient déjà plus lutter contre l'engouement incompréhensible pour le super-Guy made in USA. Mais enfin, on ne nous fera pas croire que le héros mosellien est démodé quand, précisément, son émule (ou un de ses émules) nous vient d'Amérique sous la plume de l'excellent Frank G. Slaughter.

Que foutre des Rastapopoulos et autres... âneries ! Quand on pense que certain plagiaire sans vergogne a eu le front de voler à Moselli un de ses navires, de le rebaptiser... et de le vendre à un éditeur, on peut supposer que la piraterie en haute mer n'est décidément pas morte.

Alors, un soir, presque machinalement, j'ai laissé courir mon stylo sur quelques feuilles de brouillon destinées en principe à la préparation d'une leçon d'anglais (Oui, je suis toujours à l'école, mais de l'autre côté de la barricade).

Je n'ai eu, je crois, qu'à LE laisser me guider la main pour tracer la route du torpilleur "Yosémite" dans les parages de l'Aventure.

Voici donc tout mon dessein : vous divertir, au sens premier du terme, en écrivant un "grand roman" à la manière de Moselli.

Je reprends le genre de notre vieux capitaine. Son style (ce qui est le plus délicat, une imitation servile n'ayant guère d'intérêt), ses "tics", voire certaines ficelles dont il usait pour allécher le lecteur à la fin de tel ou tel chapitre.

Il n'y aura point de forçats évadés - je dis cela pour rassurer le sympathique André Lavezzolo - mais des bandits qui resteront affreux jusqu'au bout : si Moselli nous faisait parfois sourire, il ne rabaissait jamais ses anges noirs au rôle de guignols pour théâtres de jardins publics.

Et, bien entendu, des navires.

La traversée sera-t-elle réussie ? Vous seuls pourrez me le dire, puisque c'est pour vous que je l'ai entreprise.

Un dernier point.

Certains d'entre vous auront sans doute noté la ressemblance du titre que j'ai choisi avec celui d'un roman en images paru dans l'Intrépide de 1932 à 1933 : LE COULOIR DE LUMIERE, illustré par Rolno.

Il ne s'agit là, bien sûr, que d'une ressemblance à laquelle je n'avais pas songé tout d'abord.

Le texte en question, signé P.-A. de Cassagnac, était une reprise du fameux MONDE PERDU de Sir Arthur Conan Doyle. Agréable à lire, il pâtissait cependant du voisinage de L'EMPEREUR DU PACIFIQUE, et ne valait d'ailleurs pas L'OMBRE INACCESSIBLE, de Nube, publié précédemment à la même place, en double page centrale, et dont je me propose de parler un jour.

 


 

 

4.6 - LES BEAUX ILLUSTRES FRANÇAIS

CEUX D'OFFENSTADT

LES ROMANS DE LA JEUNESSE

======= 1912 - 1914 =======

par Jean Leclercq

(article paru dans Désiré)

 

Les maquettistes d' "Offenstadt" avaient du génie. A chaque couverture d'illustré, son cadre approprié, accrocheur, attirant, typique, qui lui faisait se constituer une particulière, jeune et fidèle clientèle.

"Les Romans de la Jeunesse", série courte mais captivante, n'ont pas manqué d'avoir, comme couverture de début, un modèle en leur genre : Romans et Jeunesse en majuscules un peu fantaisistes couchées, blanches dans un encadrement fond rouge, ce rouge continué en colonne à gauche et banderolé par les titres des 5 principaux illustrés Offenstadt : L'EPATANT, Fillette, L'ILLUSTRE, l'Intrépide et CRI-CRI (j'en ai respecté autant que possible la typographie) pour marquer que cet illustré était (et le fut jusqu'au n°59) le Supplément du Dimanche des Publications de la Rue de Rocroy.

Restait un grand cadre à droite, qui portera au n°1 du 31 mars 1912 et à ce numéro seul, deux illustrations : Une sur "Les Aventures d'un Gamin de Paris au pays du Scalp" et où l'on voit le départ audacieux de COUCOU s'accrochant à la nacelle d'un ballon rond (dessinateur André Galland) et une illustration plus petite (dessinateur G. Bigot) sur "Les petits Chanteurs de Hampton-Square" de G. Fabien où l'on voit une fillette et un jeune garçon en haillons, menacés par un bouledogue.

Remarquez l'habileté du choix et de la présentation : 2 romans qui s'opposent et se complètent à la fois ; comme qui dirait un western et un policier ! De plus, 3 enfants en péril, 2 garçons et 1 fille (bonne mesure entre ces catégories !) et M. G. Fronval nous disait un jour au défunt Cercle Lafayette : "Pour avoir du succès dans une publication juvénile, il faut mettre comme vedette des enfants !". C'est d'ailleurs sur ses PETITS explorateurs, chasseurs, aviateurs, etc., qu'Arnould Galopin a bâti son intarissable production.

A partir du n° 2, une seule grande image par couverture. Et c'est l'extraordinaire ballet des couvertures sur la prairie américaine que va dresser André Galland jusqu'au n° 58. Ces 57 grandes couvertures de Galland sont enchanteresses et je ne résiste pas au plaisir de les rappeler. 2 : Chute dans un abîme. 3 : Face à un boa. 4 : Coucou fait front de l'arc. 5 : Cadavre dans un cachot. 6 : Lutte contre poulpe et vampires. 7 : Une taverne. 8 : Noirs révoltés drapeau français en tête. 9 : Combat dans la forêt. 10 : Feu de camp. 11 : Danse du scalp. 12 : Un souterrain. 13 : Halte-là dans la prairie. 14 : Cerné dans une forêt. 15 : Combat dans une hacienda (comme dans Costal l'Indien). 16 : Guerriers rouges. 17 : Capturé. 18 : Agression dans la forêt. 19 : En parachute de fortune (comme 15 ans plus tard Casse-Cou de Marcel Vigier, en Afrique du Sud). 20 : Les Cœurs-de-Feu. 21 : Avalanche. 22 : "L'Oiseau-Moqueur" sachem des "Bonnets noirs". 23 : Un père et sa fille capturés. 24 : Ville du Far-West en feu. 25 : Relevé d'empreintes. 26 : Un brasier. 27 : Cadavres dans un marais. 28 : Dans un souterrain. 29 : Combat dans une cave. 30 : Tourmente. 31 : Fuite d'un ours. 32 : Radeau attaqué. 33 : Danse du scalp. 34 : Alligator. 35 : Corde au cou. 36 : Speech entre lac et forêt. 37 : Champ de bataille, 38 : Le chef indien "Bison-Terrible", 39 : Duel du Coucou et du "Bison". 41 Bucher des morts. 42 : Justice. 43 : Suicide. 44 : Dans les hautes herbes. 45 : Cerné. 46 : Une capture. 47 : Combat dans la prairie. 48 : Chute d'un pont de bois dans l'abîme. 49 : Aganie dans la prairie. 50 : L'or. 51 : Une fuite. 52 : Apparition du terrible "nain au collier de chien". 53 : Un piano au Far-West. 54 : Captif. 55 : Feu d'artifice. 56 : Désert de la mort. 57 : Traqué dans la forêt. 58 : Embarquement. 60 (n°1 d'une nouvelle série) Sur une Jangada à l'embouchure de l'Amazone.

La couverture du n° 40 est de René Gary pour "Jeannot Tapin", un grognard de 12 ans (encore un enfant formidable !) par Fabien d'Argelles. Pour arriver au nombre de 57 couvertures de Galland sur Coucou, il faut donc comprendre celle du n° 60. Galerie incomparable, merveille pour l'imagination et la rêverie d'aventures.

Elles sont curieusement complétées à l'intérieur de chaque illustré, par une bande de 3 images en frontiscipe de chaque page, et on sait que Galland excellait dans ces dessins d'oppositions de noirs et de blancs. Je ne parlerai pas du texte même : "Les aventures de Coucou" par Gaston Choquet méritant une étude spéciale.

J'attire l'attention des collectionneurs sur un fascicule de 4 pages, sans numéro, encarté dans le n° 23 du 1/09/1912, que nous allons appeler 23 bis, couverture de Lubin de Beauvais, et qui contient le début de "La Tringle et Paolo", (encore deux enfants martyres) de Jean Kerlecq. Roman qui se continuera dans le n° 24. Le n° 58 du 4 mai 1913 terminait la première partie des aventures de Coucou.

Le n° 59, du 11 mai, était gratuit. Contrairement à ce qu'écrit Mr Fronval, il terminait (au lieu de commencer) "Jeannot Tapin" ainsi que "L'enlèvement mystérieux". Mon n° 60 (nouvelle série n° 1) portait aussi n° gratuit. Sauf erreur, on était généreux dans ce temps là ! Il est du 11 mai, comme le 59 ; je me trouve encore en désaccord avec Mr Fronval : a) "Les nouvelles aventures de Coucou" font suite à la première partie achevée 8 jours et non 15 jours plus tôt. b) il est clair que ce n'est pas un nouveau roman, puisque dans le n° 58 est bien écrit que Coucou se trompe de bateau et part pour le Brésil au lieu de la France ; c'est probablement pour les besoins de la transformation de l'illustré - dont je parle plus loin - que la suite des aventures du gosse a été baptisée "Nouvelles Aventures..."

A l'intérieur du n° 60, début d'un fameux roman de René Gary : "Les aventures de P'tit Louis au pays des merveilles", l'Inde ! Fin au n° 101, P'tit Louis devenant Rajah de Mysore et époux de la Princesse Rhunda, la Perle des Indes ! En dernière page du 60 "Bambochard et Trémolo" qu'on dirait sortis de "L'Epatant" et frères de Claudius et Tétonbec !

Puis, les illustrations de première page se suivent et... diffèrent. Tour à tour, Starace le fils, René Gary, A. Huguet, E. Yrondy, Galland, Lubin de Beauvais vont faire les couvertures de fascicules qui tendent à se rapprocher des Offenstadt classiques avec des romans sous images.

Après P'tit Louis, voici un autre très beau roman illustré en couleurs par A. Vallet : "La Ramée, Grenadier de Champagne" qui se passe du temps de Lafayette (pas le Cercle, le vrai !). Commencé au n° 100 du 15 /02/1914, il se terminera dans un autre illustré.

Cela, tout comme le chef d'œuvre des chefs d'œuvre de José Moselli, que j'ai gardé pour la bonne bouche : "Les Champs d'Or de l'Urubu". Commencé dans le n° 109 du 19 avril 1914 (le même qui termine Coucou) avec une hallucinante couverture de Lubin de Beauvais représentant les héros mauvais et bons du roman, trois des 50 chats noirs traîneurs de marmite d'où l'OR est versé en fusion sur le forçat Paul Stoppeur. Ah ! Moselli ne batifolait pas avec les supplices. Il savait les décrire et Lubin de Beauvais les dessiner ! Le début des Champs d'Or... - 4 pages gratuites - a été inséré dans tous les illustrés Offenstadt du 19 avril de l'affreuse année.

Stop au n° 124 du 2 août 1914. Le bal de la mort est commencé. Le n° 125 du 9 août ne paraîtra qu'après la levée de la censure et portera au tampon 13 décembre. Sur le dit, un papillon rose : "Aujourd'hui reparaissent LES ROMANS DE LA JEUNESSE. Prochainement une très intéressante modification sera apportée à cette publication qui fera le plus grand plaisir à nos lecteurs".

Nouveau papillon rose au n° 126 du 16 août, tamponné 20 décembre 1914 : "Très prochainement LES ROMANS DE LA JEUNESSE tout en continuant les romans en cours, publieront des narrations, nouvelles et anecdotes de la guerre, ainsi que de nombreuses illustrations prises dans les champs de bataille".

La France s'enfonçait dans la guerre. Avec leur n° 128 du 3 janvier 1915, LES ROMANS DE LA JEUNESSE disparaissent pour faire place à une publication plus adéquate.

Quel fut le projet des fameux frères Offenstadt en publiant "Les Romans de la Jeunesse" ?

On peut le concevoir à l'examen des premiers n°s : a) Placer de grands romans juvéniles qu'ils devaient avoir en tiroir. b) Battre monnaie du succès de leurs premières publications en faisant acheter par chaque gosse un supplément à son illustré habituel. Je les comprends quelque peu, ayant subi en plus petit-petit les mêmes tentations avec "Désiré-Dimanche". Moi aussi j'avais en main un grand roman et des récits divers et j'étais plein de l'espoir que tous les lecteurs de "Désiré" allaient acquérir en plus "Désiré-Dimanche" ! ...

Les frères O. ont pas à pas battu en retraite et au bout des 100 premiers numéros, la publication avait perdu sa forme originelle et originale. Pourquoi ? - Une raison pécuniaire : ce n'est pas parce qu'un enfant pouvait s'acheter "L'Intrépide" toutes les semaines qu'il pouvait aussi s'acheter son supplément. En 1912, un sou était un sou ! qu'il fallait extraire non sans mal aux parents et j'ai peu connu de petits camarades qui pouvaient s'offrir plusieurs illustrés.

Secondement : Si bons soient-ils, il y avait trop de texte dans les romans de cette série. La chose a été bien comprise depuis et le triomphe des bandes dessinés l'a prouvé.

La caractéristique des enfants, c'est la paresse ! La recherche du plaisir sans efforts. Ils préféraient un texte sous image (les Illustrés) à un texte sans images (un livre) et les enfants de 1936 ont préféré des images presque sans texte (les bandes dessinées) aux textes sous images (les derniers illustrés). Ils en arrivent maintenant à regarder paresseusement les images de la télévision sans plus rien n'avoir à faire que de sucer des bonbons. C'est le comble du bonheur pour eux : avoir du plaisir sans aucun effort, sans l'effort de lire. C'est aussi l'aboutissement de l'évolution.

Les Offenstadt ont dû apprendre cela les premiers et finalement, comme déjà dit, "Les Romans de la Jeunesse" ne devinrent plus qu'un autre illustré classique, une publication pareille et concurrente des autres, qu'enfin la guerre élimina.

Et maintenant "Les Romans de la Jeunesse" sont très recherchés par les hommes d'un certain âge, sinon d'un âge certain. Pour le souvenir et aussi parce qu'au fond, c'était une publication pour adultes, capables de lire, de soutenir le récit, etc. etc. On dira, mais "Unic-Bibliothèque", "La Collection d'Aventures", etc. Ceci est une autre histoire comme dit qui ? Comme dit Kipling.

 


 

 

4.7 - Jean LECLERCQ, Marcel LAGNEAU, Georges FRONVAL

par Claude Hermier

 

C'est un entrefilet, signé Roland Stragliati, paru en 1966 dans "Fiction", qui me fit connaître DESIRE. Quelle surprise d'apprendre que cette nouvelle revue se penchait sur des romanciers qui avaient noms : Jean de LA HIRE, Arnould GALOPIN, José MOSELLI,... ! C'est que dans les années '45 - j'avais une dizaine d'années - il m'avait été donné d'avoir en mains quelques fascicules OFFENSTADT, FERENCZI, TALLANDIER,... Cette littérature, d'un autre âge, m'avait fasciné. Dans le lot figuraient quelques numéros du ROI DES BOXEURS d'un nommé José Moselli (je fis tout d'abord le rapprochement avec Emile Mossely dont certains textes figuraient dans mes LIVRES DE LECTURE COURANTE). Ah, ces grandes illustrations de première page m'empoignaient-elles ? Quant au texte, étant donné que mes numéros étaient dépareillés, ils me laissaient sur ma faim. Qu'allait-il advenir à Marcel DUNOT dans les numéros suivants qui ne m'étaient pas parvenus ? N'empêche, le peu qu'il m'était donné de lire me laissait à penser que l'auteur était d'une trempe exceptionnelle.

Je fis la connaissance du père de DESIRE en 1968 lors d'un congé administratif ; j'enseignais depuis trois ans à la Réunion. Je profitai de l'opportunité d'une réunion des Amis de Désiré dans un café de la place de la Bastille. J'étais en avance, comme à mon habitude. Il y avait là un grand jeune homme, qui, debout, semblait attendre. Un habitué des réunions, sans nul doute, n'avait-il pas à la main un Fayard 65 centimes ? C'était Yves OLIVIER-MARTIN.

Je compris très vite que Moselli était l'un des romanciers préférés de Jean LECLERCQ, dans le domaine du roman d'aventures. Au vrai, c'était celui dont il parlait le plus, qu'il relisait sans se lasser. L'INTREPIDE était, faut-il le souligner, son illustré de chevet, c'est que Moselli y figurait presque à chaque numéro. Les articles qu'il fit paraître dans Désiré et qui figurent dans le présent recueil nous éclairent sur l'intérêt qu'il éprouvait pour le pilier des OFFENSTADT.

Jean LECLERCQ était fort attachant. Beaucoup de personnalité. Assez impulsif, il lui arrivait de s'emporter. Ceux qui le connaissaient n'y attachaient aucune importance sachant que ce ne serait qu'un feu de paille.

Je suis allé plusieurs fois chez lui alors qu'il habitait boulevard de Charonne. Sa bibliothèque ! En fait les murs du vestibule, du salon, d'autres pièces, étaient tapissées par ses collections. A noter qu'il n'y en avait là qu'une petite partie ; le reste se trouvant dans sa demeure campagnarde du Cher. Je trouvai là les romanciers que j'avais entrevus quelque vingt ans plus tôt ! Je fus surpris autant qu'ému ! Ainsi il existait des personnes déjà âgées pour trouver du plaisir à ces publications vieillottes, dont personne dans le milieu dans lequel je vivais ne semblait se souvenir. Une débauche de collections, de titres, d'auteurs. Des couvertures tapageuses aussi bien par la composition que par la couleur. J'avais l'impression de me trouver dans un endroit clos et secret. Une atmosphère feutrée, ouatée, ignorant le tapage de l'extérieur. De ce jour je me suis dit : "Pourquoi pas toi ?".

Devant mon regard un tantinet inquisiteur, Jean Leclercq me fit étalage, avec quelque fierté, de ses trésors. Quel émerveillement ! Les 32 Fantômas à 65 centimes, les Boys-Scouts de Jean de La Hire, des Galopin, L'Intrépide,... A ma question : "Et le Roi des Boxeurs ?". Leclercq avait souvent quelque chose de théâtral dans sa manière : "Ils sont là !" et ce, d'un ton brusque. "Eh !" me suis-je dit, "après tout, quelle question, il a tout !". Et il pointa un doigt sur un rayonnage. Je voulus les voir. Et ce furent les 516 fascicules qui sortirent de l'endroit qui leur était imparti. 516 numéros ! Diable ! Des milliers de pages de lecture, en grand format et petits caractères ! 516 couvertures illustrées par PUYPLAT (je découvrais le nom de ce puissant dessinateur). Certaines étaient des plus prometteuses quant aux scènes qu'elles offraient. Je me promis de posséder cette collection, moi aussi, dès que l'occasion s'en présenterait. "Ce ne sera pas facile !" me fit-on remarquer.

Je découvris ce jour-là, entre autres, les Harry Dickson. Quelques fascicules rangés dans un carton sous un canapé : manque de place ! Et Jean Leclercq : "Est-ce beau ! ...".

Peu de temps après j'acquis par voie d'annonces la grande série fasciculaire du "Roi des Boxeurs" que je me fis envoyer par voie aérienne de Paris à la Réunion, tant était grande mon impatience. Je pus alors satisfaire ma curiosité, m'étourdir des illustrations de Puyplat et vivre les aventures de Marcel Dunot. Aventures lues une première fois dans leur totalité, puis par la suite, relues deux, trois et même quatre fois pour certains épisodes.

Mais José Moselli c'est aussi L'INTREPIDE. Dans les années '70 cet illustré était très prisé des collectionneurs dits de la "première génération" car Moselli y donnait une grande partie de sa production, et probablement la plus intéressante. L'EPATANT, l'illustré OFFENSTADT le plus coté aujourd'hui, l'était moins dans les années '70. Marcel LAGNEAU le trouvait "trop mièvre", ce qui peut surprendre. L'INTREPIDE, c'était la référence.

Leclercq tempêtait-il contre la disparition des publications OFFENSTADT, et en particulier de L'INTREPIDE, fin des années '30. Il en voulait aux hebdomadaires de L'AGE D'OR de la Bande Dessinée, des bédés comme il disait péjorativement et avec mépris. Son emportement, que son caractère excessif ne trompait personne, se justifiait car c'était ce qui avait charmé sa jeunesse et son adolescence, qui s'en allait à jamais. Mais c'était peut-être plus que cela. Les aventures en pays lointains ne seraient plus ce qu'elles avaient été durant plusieurs décennies. N'empêche, qu'il y croyait encore un peu. Je me souviens, qu'en 1979, avant mon départ pour Tahiti, il m'avait dit : "Vous allez dans le Pacifique Sud ! Quelle chance ! Je ne connaîtrai jamais de telles contrées ! Les Océaniens, les atolls, les barrières de corail ! L'EMPEREUR DU PACIFIQUE ! LES REQUINS DU PACIFIQUE ! LES MYSTERES DE LA MER DE CORAIL !". Allusions aux romans de Moselli comme il fallait s'y attendre. Et encore : "Il faudra me raconter vos pérégrinations qui paraîtront dans Désiré".

Jean Leclercq, je n'ai pas voulu vous décevoir, mais le Tahitien d'aujourd'hui ne porte plus le paréo ou si peu ! Il est en short et en sandales. Le lait de coco ? Il lui préfère la bière locale. Le fruit à pain, de moins en moins ; par contre la baguette de pain, oui, pour le repas du soir, avec beurre et café au lait...

A dire vrai, les aventures des "Boys-Scouts", des "Petits Chasseurs" de Galopin, celles du "Roi des Boxeurs" et consorts, vous les viviez comme moi-même je les vis encore aujourd'hui, même si, à votre différence, j'ai voyagé et côtoyé pas mal de gens de toutes ethnies. Votre contentement à lire Moselli était, comme le mien, d'ordre esthétique.

Ceux qui lisent aujourd'hui Moselli, en retirent un plaisir total. Aucun de ses romans ne laisse indifférent. Jean de La Hire est moins convaincant avec ses "Boys-Scouts". Quant à Galopin... C'est que nous ne trouvons pas chez Moselli ce débordement d'exotisme propre à ses confrères. Par contre il use des mêmes poncifs pour camper les êtres malfaisants surtout s'ils sont hommes de couleur. Nous savons bien aujourd'hui que le topos Noir, Jaune, transplanté en Occident, et en particulier en France, était sujet il n'y a pas encore si longtemps, à toute licence. L'homme de couleur c'était le "sauvage". Le roman d'aventures français antérieur à 1940 fait aujourd'hui partie de notre imaginaire.

Relisant les articles de Jean Leclercq qui figurent dans ce recueil je le redécouvre avec quelque étonnement. Ainsi dans "José Moselli El Grande" : "La nullité des Noirs est absolue, allant parfois à la férocité ou au grotesque. [...] Arabes, Turcs, Kurdes, ont été croqués dans les aventures de Marcel Dunot pendant la guerre. Hommes durs, aptes à souffrir, à torturer. Qu'est-ce qu'Arthur Rimbaud est allé faire là, à la fin du XIX°siècle ?". Alors pour Jean Leclercq, les Noirs, les Arabes,..., sont nés sauvages et le resteront !

Jean Leclercq était d'humeur changeante, je le dis à l'intention de ceux qui ne l'ayant pas connu pourraient le mal juger. Je le retrouve ici dans ses emportements. Ainsi "La nullité des Noirs est absolue..." C'était un coup de gueule, rien d'autre. Ce n'étaient pas les Africains qu'il jugeait, mais plutôt le marasme dans lequel l'Afrique était en train de s'enfoncer.

Cet article "José Moselli El Grande" a toutes les caractéristiques d'un pamphlet.

Je me souviendrai toujours de ma première rencontre avec Marcel LAGNEAU. C'était peu de temps avant de connaître Jean Leclercq. Il était 14 heures ce jour-là quand je poussai la porte du 5, boulevard Jules Ferry, un magasin à devanture vert foncé, à l'enseigne CIRCULAIRES. Dans la vitrine des reproductions de quelques EICHLER. Pas de doute, j'étais chez Marcel LAGNEAU.

Un monsieur était là, derrière un bureau. Dans les cinquante ans ; une petite moustache blanche. Je me présente. "Ah ! Notre abonné de l'île de la Réunion ! Louise !". Arrive une dame, petite et ronde. "La secrétaire du Chasseur d'Illustrés". C'était Madame Lagneau.

Si Lagneau était un homme mesuré et paisible, il n'en aimait pas moins les romans corsés, et en particulier ceux de José Moselli. Les cruautés qui émaillaient ses récits, c'était pour Lagneau un dérivatif à la monotonie de la vie du romancier. L'aspect ludique des scènes ne lui avait pas échappé. Car n'en doutons pas, Moselli écrivant c'était une perpétuelle jubilation à laquelle le lecteur lui-même n'échappe pas. Le romancier populaire transpire-t-il dans ce qu'il écrit ? Pas nécessairement, et souvent même, pas du tout. Paul Bérato (Paul Béra, Paul Mystère, Yves Dermèze) me le disait, persuadé du contraire qu'il était. On peut aimer le sanglant, le révoltant, le répulsif sans pour autant être une brute. En écrire et en lire...

Le pessimisme de Moselli, si l'on en juge par ce qu'il nous a laissé, n'est probablement que de surface. Marcel Dunot, le MOUSSE, et bien d'autres de ses héros, ne sont-ils pas les solides garants de ce qu'il y a de bon dans l'homme ? Ne sont-ils pas l'honneur d'être homme ?

Un des romans de Moselli que préférait Marcel Lagneau était "Les Champs d'Or de l'Urubu". La scène du supplice de l'or lui revenait souvent en mémoire. C'est lui, qui le premier, m'avait parlé de la vallée de l'Urubu.

C'est par Marcel Lagneau que je connus George FRONVAL. Une figure emblématique dans le milieu des collectionneurs de la "première génération". Le Collectionneur ! Son emballement faisait plaisir à voir quand il venait de mettre la main sur la pièce recherchée. Il en faisait immédiatement partager son entourage : appel téléphonique, lettre,... "Je l'ai trouvé !". Fronval ne lisait plus depuis belle lurette de peur, disait-il, d'être influencé. Certes, il avait dévoré nos chers romanciers durant sa jeunesse et son adolescence. Mais dès qu'il entra dans le journalisme et se mit à écrire, il cessa de lire.

Fronval ne fit pas équipe avec Désiré. Il rêvait d'une belle revue quasi professionnelle. Désiré ne lui semblait pas un support convenable. Jamais rien de lui n'y parut. Mais, comme il avait à dire, il "concurrença" Désiré en envoyant des papiers à PHENIX.

C'est un article de Leclercq, "Fantômas et la révolution prolétarienne" qui lui offrit l'opportunité - si je puis dire - de couper brutalement les ponts avec Leclercq. Lagneau avait, lui aussi, peu apprécié l'article, et écrivit à Leclercq afin de lui signifier qu'il cessait de participer à Désiré. Il terminait sa lettre par "Je suis un homme de la paix" ; lettre que Leclercq me montra. Et LE CHASSEUR D'ILLUSTRES - le titre est de Fronval - vit le jour. Fronval avait là un support mieux fagoté pour faire partager ses connaissances. Je n'en fus pas étonné : Mr et Mme Lagneau avaient une petite imprimerie. Entendons-nous ! Mme Lagneau tapait à la machine à écrire des textes que son mari ronéotypait. Le travail ne manquait pas.

Dès que LE CHASSEUR parut, Leclercq dit "J'ai un concurrent !". Ce qui ne l'empêcha pas de s'y abonner ! Pas fier, Leclercq !

Les collections de Fronval ! Il devait avoir quasiment tout de ce que collectionnaient ses amis de la "première génération". Si bien que n'ayant plus rien à chercher, il se mit en quête des récits à l'eau de rose, et avec autant de passion que pour le reste.

Je me rendis plusieurs fois chez lui alors qu'il habitait au 6° d'un appartement sans ascenseur, ce qui avait effrayé André Lavezzolo, venu à Paris, faire connaissance avec ceux de Désiré et du Chasseur.

L'appartement était petit. Peu ou pas de placards ni de rayonnages ! Ça faisait fouillis, ces innombrables livres, fascicules, revues entassées à même le sol. On en trouvait même dans la salle de bain, ce qui avait fort étonné ma femme.

Fronval, un bon cœur. Vous ne le quittiez jamais sans un cadeau : livre, fascicule...

Une grande sensibilité qu'il cachait en affectant un air parfois bourru. Il parlait haut et fort, mais avec toujours un sourire comme pour s'excuser. Il aimait les démonstrations d'estime. C'est qu'il vivait seul. Aussi, un peu de chaleur humaine, c'est ce qu'il demandait. Il parlait beaucoup. Lors des réunions du Chasseur d'Illustrés il lui arrivait de semoncer le cercle : "Ecoutez-moi ! Allez vous me laisser parler ?". Alors qu'on ne faisait que ça !

Les articles qu'il donna au Chasseur sont fort précieux. Mais écrits rapidement ils ne sont pas exempts d'inexactitudes. Lagneau lui en avait fait la remarque. "Bah ! Les collectionneurs rectifieront d'eux-mêmes !".

Fronval alla visiter la compagne de Moselli. Il ne fut pas le seul. Il nous en donne le compte-rendu dans Le Chasseur. Cet article me laissa sur ma faim. Beaucoup plus intéressant est celui qui parut dans Désiré.

Fronval parlait beaucoup... Il nous dit avoir rencontré, alors qu'il était jeune garçon, Jean de la Hire en train d'expédier - dans le bureau de poste du village où il était en vacances - un paquet. Un envoi destiné sans nul doute aux éditions Ferenczi : sa dernière production !

Egalement entrevu José Moselli chez les Offenstadt mais trop timoré pour lui adresser la parole.

C'est à prendre avec prudence. Et, comme de toutes façons, ça ne débouche sur rien, c'est donc sans importance. Mais c'est du Fronval "tout craché". Un côté vantard qui le rendait ineffable.

Cher Leclercq ! Cher Lagneau ! Cher Fronval ! Vous fûtes de ceux qui comptèrent pour moi, car sans vous serais-je devenu collectionneur de Publications d'Autrefois ? Aurais-je retrouvé José Moselli, Jean de la Hire,..., les Fayard 65 cts, l'Intrépide,... que j'avais entr'aperçus dans ma jeunesse ?

Il faut rendre hommage à ces trois là, qui furent les premiers à sortir de l'oubli tout un pan de la littérature populaire. Grâce à eux est née la paralittérature ou peu s'en faut. Ils ne s'en rendaient même pas compte ! Je l'avais fait remarquer à Leclercq : "Désiré, vivra bien après sa disparition. Il sera la référence. Vous êtes le premier à avoir soulevé le voile". Il m'avait fait cette réponse : "Croyez-vous ! Désiré disparaîtra avec moi !"

Encore une fois je pose la question : qu'en serait-il des Offenstadt, des éditions Ferenczi,... ? Qu'en serait-il de José Moselli sans vous trois ?


 

 

4.8 - MORT DE MADAME FERNANDE MARCELIN

(article paru dans Désiré, 2ère série, n°3, avril 1974)

 

L'avis de décès envoyé boulevard ce Charonne ne m'a pas été transmis, mais ses neveux et nièces ont eu ma nouvelle adresse par Y. Olivier-Martin et m'ont de nouveau envoyé, en février dernier, le faire-part suivant :

 

Monsieur et Madame CHARLES-MARCELIN

Monsieur et Madame MARCELIN-NEBILON

ses Neveux et Nièces

ont la douleur de vous faire part du décès de

Madame Fernande MARCELIN

survenu à Cannes, le 29 août 1973, à l'âge de 85 ans.

Les obsèques religieuses ont eu lieu le 31 août et l'inhumation

au cimetière du Cannet, en la même concession que JOSÉ MOSELLI

 

Ainsi, encore une page est tournée de l'épopée Offenstadt-Moselli. La compagne de celui qui fut le grand écrivain de la rue de Rocroy et enthousiasma la jeunesse pendant 40 ans, l'a rejoint. Comme je regrette de ne pas être allé visiter la vieille dame, comme je le voulais. Je ne la savais pas si âgée ; on oublie toujours que les ans s'ajoutent aux ans.

Nous renouvelons, au nom de tous, les condoléances envoyées à la famille.

D'après la correspondance reçue, il semble certain que leurs nièces et leurs neveux vont conserver fidèlement la mémoire de Mme Marcelin et de José Moselli. C'est bien, c'est très bien. Les lecteurs de ce bulletin, tous admirateurs de Moselli, peuvent compter sur lui, pour leur transmettre tous les renseignements que nous recevrons. De même, nous répétons à la famille Moselli-Marcelin que les pages de ce bulletin leur sont entièrement ouvertes.

(article signé Jean Leclercq)

 

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