Poursuivons nos " Témoignages " avec maintenant un dossier,
consacré à Patrick Ferté, auteur d'une bien curieuse
thèse sur Arsène Lupin. Je vous confesserai avoir beaucoup
de plaisir à publier ces documents, qui évoquent en moi beaucoup
de choses et un parcours dont je me sens particulièrement proche.
Merci à Patrick d'avoir bien voulu répondre à nos questions
et toute ma reconnaissance à l'ami Jérémi Sauvage qui
nous a mis en relations. En parlant de Jérémi, je vous signale
qu'il édite une revue sympathique, LA REVUE DE L'IMAGINAIRE (1),
dans laquelle Patrick Ferté tient une étonnante chronique
littéraire, La Bibliothèque des Grands Anciens.
Commençons
donc par un petit papier d'Aurélien Savoie présentant l'uvre
de Patrick.
ARSENE
LUPIN SUPÉRIEUR INCONNU
de Patrick FERTÉ
ou le Trésor d' Arkham Leblanc!
par Aurélien Savoie
"Arcanes, filigranes et cryptogrammes: la clé de l'oeuvre
codée de Maurice Leblanc", ou comment passer des mystères
de Rennes-le-Château, de Gisors et de Stenay au secret de l'Aiguille
Creuse par les souterrains de l'Histoire. Et pour ce faire, la Bibliothèque
fertéenne ne le cède en rien à la Bibliothèque
fortéenne, et guère moins ...à la Bibliothèque
d'Arkham: comme par hasard- mais ce n'en est pas un non plus!-, Charles
Fort et H.P.Lovecraft sont deux "initiés" du XXe siècle
qui subjuguent Patrick Ferté, avec Gurdjieff, Gustav Meyrink et
Guénon, sans parler de...Maurice Leblanc! Arsène Lupin :
Supérieur Inconnu ! démontre-t-il contre toute attente mais
sans conteste tout au long d'un dossier de 554 pages- pour le tome I,
et pas moins pour le tome II, encore plus arkhamique et fortéen.
Malgré la gageure d'une révélation a priori incroyable,
hissée au plus haut degré d'étrangeté, les
critiques, et c'est un signe irréfragable, ont plébiscité
"cet essai ensorceleur - au vrai sens
du mot- qui se lit, faut-il le dire, avec le même plaisir que la
saga lupinienne "(Alain Sanders , Présent, 01/08/1992). Pour
Monde et Vie (n°535), pour Rivarol (août 1992), pour Serge de
Beketch, Arsène Lupin Supérieur Inconnu est une "prodigieuse
jonglerie littéraire et intellectuelle de Patrick Ferté"
(Minute n°1582 et Libre Journal de Radio-Courtoisie, 05/08/1992).
"L'aventure est belle, la démonstration édifiante.
Au point d'être aussi fascinante que les intrigues d'Arsène
Lupin" (Paris-Normandie, 29/07/1992) et que "les bras nous en
tombent " (René Duchateau dans le Panorama de France-Culture,
09/01/1993).
" Même les initiés des secrets trésoraires de
Rennes-le-Château, de Gisors et de la France hermétique applaudissent
à ce grand-oeuvre de décryptement définitif et incontestable
" car, poursuit J.-P. Deloux dans la revue Polar n°9, "tout
ce qui est avancé par Patrick Ferté est indiscutable car
vérifiable (...) "Il est allé au fond des choses ".
Dans ses "Livres propos", P.-L. Moudenc souligne "l'ingéniosité
de sa méthode qui joue, avec une stupéfiante virtuosité
de la cabbale phonétique, des anagrammes, des "coïncidences"-
mais si nombreuses que le plus incrédule des lecteurs finit par
se prendre au jeu et par être ébranlé (...). D'autant
que Patrick Ferté n'affirme rien à la légère.
Ses références sont aussi nombreuses (1641 exactement!)
qu'irréfutables. Son livre est un monument d'érudition...Il
a tout lu...tout vérifié..On reste confondu devant la somme
d'ouvrages qu'il a dû consulter pour mener à bien son décryptage...Il
en joue en maître, établissant les relations les plus inattendues
mais toujours lumineuses (...).. Avec cela des intuitions proprement géniales...(Rivarol,
31/07/1992). Pour la revue Trésors Magazine (n°7, novembre
1992), "de fil (d'or) en aiguille (creuse), l'auteur dissèque
les faits, les documents, les hypothèses avec une incroyable habileté
et moyennant le recours à mille sources dûment citées
et contrôlables. Il y avait l'avant et l'après Gérard
de Sède (auteur du best-seller Le Trésor maudit de Rennes-le-Château),
il y a désormais l'avant et l'après Patrick Ferté".
De quoi s'agit-il donc ? Patrick Ferté s'assigne pour tâche,
déraisonnable a priori il le reconnaît, de démontrer
que les Arsène Lupin sont "une oeuvre à double fond,
Maurice Leblanc l'auteur masqué d'un vaste cryptogramme et le gentleman
cambrioleur un gentleman initateur ". Mais le plus étrange
est bien que " P. Ferté nous convainc vite de cette thèse
a priori improbable. Usant jusqu'au sortilège d'une érudition
prodigieuse et d'une sagacité rare, superposant les aventures lupiniennes
et les étranges affaires de Rennes-le-Château et de Gisors,
l'auteur nous révèle ici le filigrane inouï d'une lecture
au second degré richissime.
Prenant Maurice Leblanc au mot et contre toute attente, Patrick Ferté
renouvelle entièrement le dossier et enchaîne les découvertes
d'envergure. D'entrée de jeu, ne retrouve-t-il pas le reliquaire
où repose saint Lupin dans la cathédrale audoise? S'avisant
qu'un héros trésoraire de M. Leblanc fut évêque
de Carcassonne, il découvre qu'il était le patron de Mgr
Billard, le protecteur de l'étrange curé Saunière,
de Rennes-le-Château ! Et "813", titre d'un roman de M.
Leblanc, n'est-ce pas la date de fondation de l'abbaye d'Alet (Aude) ?
Une autre aventure met en scène un certain abbé Gélis,
curé de Coustaussa que Bérenger Saunière consulta
après la découverte d'un mystérieux tombeau et dont
l'assassinat est resté inexpliqué? De là, traquant
Lupin comme jamais, P. Ferté nous entraîne d'un pas sûr
dans des catacombes aussi insoupçonnées qu'irrécusables:
il en reconstitue l'occulte réseau que hantèrent sans relâche
tant de sociétés secrètes où Maurice leblanc
avait ses entrées ou ses antennes.
Si comme on l'a dit, Lupin cambriola l'histoire de France, c'est, à
n'en pas douter, l'histoire secrète de la France hermétique.
Et Patrick Ferté a pu lui ravir la plus belle clef de son passe-partout:
magique, elle ouvre sur les cryptes d'une hallucinante cathédrale
souterraine où il fait jouer, jusqu'à l'étourdissement,
la symphonie des coïncidences. On en sort ensorcelé, ...si
l'on en sort ".
" Mais le fait est qu'on n'en sort pas" déclare dans
la revue bruxelloise Vouloir (n°109-113, oct.-déc.1993), l'écrivain
initiatique Jean Parvulesco qui situe le "travail de dévoilement
ininterrompu" de "Patrick Ferté l'éveilleur"
aux plus hauts niveaux révélationels: grâce à
ce "livre véritablement monumental et torrentiel (...), Maurice
Leblanc pourrait fort bien prétendre aux titres initiatiques et
occultistes de Supérieur Inconnu et peut-être même
à bien plus haut encore (...) et son oeuvre écrite constitue
en réalité un discours chiffré en profondeur, activement
porteur d'un message métahistorique aux implications mystérieuses,
subversives..., au but apocalyptique, engagé à faire émerger
des gouffres du secret initatique et conspirationnel une autre histoire
de France, une histoire secrète de la France hermétique".
Diable !- c'est sans doute le cas de le dire...
" J'affirme, conclut Jean Parvulesco, que Patrick Ferté parvient
à en administrer la preuve d'une façon qui ne saurait subir
ne fût-ce que la plus ténue des contradictions".
Loin de la mystériosophie, sur le registre profane, Alfred Eibel
dans le Quotidien de Paris n'est pas moins subjugué: "Patrick
Ferté se réfère à tellement de sources sérieuses,
cite tant de spécialistes qu'on est convaincu de sa démarche.
On en vient à le croire sur parole, on finit par s'incliner sans
trop savoir pourquoi devant son immense savoir " (Le Quotidien de
Paris, 07/10/1992).
Et tous d'attendre pour bientôt le tome 2 qui nous guidera expertement
"dans le Secret des Dieux ".
Aurélien Savoie ©
PATRICK FERTÉ
"Né en 1950 à Elbeuf, Patrick
Ferté passe son enfance dans le Triangle d'or haut-normand d'Arsène
Lupin. Déraciné dans le Midi cathare, il y poursuit des
études d'histoire et de philosophie jusqu'au doctorat mention très
bien.
Cet universitaire, spécialiste reconnu d'histoire sociale étudiante
et d'histoire des idées (XVIe-XVIIIe siècles), édité
en France, en Irlande et au Canada, avoue avoir délaissé
l'histoire quantitative et la méthodologie scientifique pour se
divertir non moins savamment sur la piste piégée de son
fascinant Arsène Lupin Supérieur Inconnu qui confine à
l'histoire des structures mentales, à l'ésotéro-occultisme
et à la maçonnologie, composantes non moins passionnantes
des sciences humaines...et de la philosophie de l'histoire."
Ivan de Duve , Les Amis des Amis, Bulletin n°4, Bruxelles, hiver 1994,
p.14.
(1) La Revue de l'Imaginaire, 530 rue Saint Clair, 76116 Catenay.
Vous
voulez en savoir plus ? Alors nous avons fait parler Patrick Ferté
et, attention, il est bavard le bougre !
ARSENE
LUPIN ET PATRICK FERTÉ,
GENTLEMEN - CAMBRIOLEURS DE L'HISTOIRE .
Entretien.
MdI : Bonjour, Aurélien Savoie
a fait le boulot pour moi, donc je ne te demanderai pas qui tu es dans
le civil.
P.
FERTÉ
: Objection votre Honneur ! Je ne crois pas qu'Aurélien Savoie
se soit jamais aventuré sur ce terrain-là, car c'est terra
incognita. Mais il est vrai que ça m'arrange d'éviter la
question de mon identité; mon NID D'ENTITÉS ! Qui suis-je
? Question d'anthologie; d'ontologie! Je ne connais pas de question plus
propre à plonger plus profondément au cur du fantastique.
D'abord parce que je m'avance masqué, comme l'ami Descartes, et
de surcroît parce que je vous laisse libre d'imaginer qui est derrière
le masque: pour ma part c'est une énigme majeure , et je plains
beaucoup ceux qui croient pouvoir répondre à une telle question.
Qui suis-je ? " Patrick Ferté " m'a-t-on dit et répété
depuis qu'on m'a délivré mon permis de séjour sur
cette planète, et c'est ce que les gens s'attachent à croire;
moi-même parfois je le pense et comme je le pense, je le suis !...Mais
comme disait l'ami Nerval, probablement " Je est un autre ".
C'est l'écrivain Jean Parvulesco qui dans un article très
inspiré consacré aux dimensions occultes de mon Arsène
Lupin Supérieur Inconnu s'était très intelligemment
interrogé sur ma quatrième de couverture en posant une question
lourde de sens: couverture de qui ? Sur mes papiers dits d'identité
- quelle imposture!-, une rubrique ambiguë m'a toujours plongé
dans un abîme de réflexions: " Signes particuliers:
Néant " ! Ironie du sort, d'un sort lovecraftien... Cela devrait
vous mettre en alerte... Désolé si je réponds par
une boutade philosophique, mais seule la boutade convient à une
question insoluble.
MdI
: Alors j'embrayerai immédiatement sur l'Imaginaire, en faisant
référence à ton récent article dans LA REVUE
DE L'IMAGINAIRE (n° 6) sur les littératures fantastiques. Ce
qui frappe, en te lisant, c'est cet aller retour permanent dans tes lectures
entre la fiction pure et des écrits au parfum occulte plus prononcé.
Certains dénonceraient l'amalgame et le mélange des genres
!
P.
FERTÉ
: Dans l'article en question sur les littératures fantastiques,
il est vrai que je mélange des genres, l' ésotéro-occultisme
et la fiction littéraire - et sans grand cas de conscience. Mais
il me semble que la réponse réside dans mon article complémentaire
sur " l'essence du fantastique " qui s'avère indéfinissable
de par lui-même. S'il est indéfinissable, c'est donc un genre
" ouvert ", rebelle aux tiroirs, étiquettes et catalogages,
et dès lors que ses frontières se dérobent à
toute cartographie , je ne vois pas ce qui permet de dire que tels livres
lui sont étrangers et qu'un tel mélange, ou une telle annexion,
doive être " dénoncée " comme contre-nature.
Le Fantastique ne se définit en fait qu'indirectement , par l'impact
sur le lecteur dont il déboussole les paradygmes; comme le dit
Claude Roy, " il dément et " démantibule "
l'ordre des choses admis ". Et dans l' article cité, c'est
le Patrick Ferté lecteur - et non plus l'auteur - qui parlait:
il se trouve que la lecture du Sepher ha-Zohar ou du Livre hébreu
d'Hénoch me plonge, moi, dans les mêmes ravissements "
fantastiques " que Lovecraft ou Edwin Abbott. C'est ainsi, et c'est
tant mieux pour moi, car si c'est une hérésie, elle a du
moins l'avantage d'étendre à l'infini mon Jardin des Délices.
Je crois que le Fantastique est un domaine à géométrie
variable - comme l'amour ou la poésie - aux contours strictement
personnels en fonction de paramètres indicibles qui sont du ressort
de la psychanalyse, de la culture, du caractère et des expériences
de chaque individu...Ce fief n'a en fait d'unitaire que la vibration qui
en résulte sur le lecteur: bref on reconnaît davantage ce
genre à ses cibles qu'à ses sources.
MdI
: Mais quel est donc ce besoin qui t'anime, celui d'aller voir du côté
de l'aspect réel du fantastique ? Que représente au fond
l'ésotérisme pour toi ?
P.
FERTÉ
: Graves et belles questions ! Mais elles me font l'impression des fins
de Radioscopies de Jacques Chancel, du genre: " Il nous reste une
minute trente d'émission mais avant de rendre l'antenne dites-nous
rapidement qu'est-ce que Dieu pour vous, et la Liberté, ainsi que
le processus d'individuation dans la psychanalyse jungienne!... "
Tout cela pour dire que si je me prends au jeu de ces fortes questions,
je serai forcément un peu long.
Alors abordons l'aspect réel du fantastique; appelons cela le réalisme
fantastique si l'on veut: car il est certain qu'adolescent, j'ai été
fasciné par la revue Planète et par le Matin des Magiciens
de Pauwels et Bergier. Mais il n'y a pas eu influence. La démarche
correspondait à certaines de mes ambitions secrètes et même
à un véritable projet existentiel qui m'anime toujours.
Par la suite, devenu historien, j'ai décelé toutes les insuffisances
de la méthodologie pseudo-historique du best-seller et nombre d'erreurs
parfois grossières qui servaient souvent de clés de voûte
à toute une argumentation fallacieuse. Bref plus je devenais historien,
plus ce livre devenait fantastique, et moins il devenait réaliste!
N'empêche, ce raté magnifique - tout comme l'Enigme sacrée
ou L'Ile des Veilleurs d'Alfred Weysen, autres admirables et somptueuses
impostures - n'abolit pas en moi le désir de décoder la
réalité cachée des choses et de vérifier si
le sens de l'Histoire n'aurait pas parfois d'éventuels ressorts
occultes comme le soutiennent certains ésotéristes .
Je ne m'interdis donc aucune catégorie d'enquêtes, d'autant
que nous ne savons pratiquement rien sur rien . Il faut dire que je suis
viscéralement fasciné par les Enigmes, petites ou grandes,
je ne sais pas si c'est au nom du Fantastique que j'aime, ou bien au nom
du Réalisme qui m'anime simultanément ; car j'ai l'instinct
décodeur et rien ne me plaît autant que de décrypter
et de percer les secrets: or Enigme et Histoire font bon ménage:
d'ailleurs la matière première de l'historien est toujours
une énigme, que ce soit l' histoire d'une corporation, la biographie
d'un évêque , les ressorts d'une révolution ou bien
l'affaire du Masque de Fer... J'ai donc fait des études passionnées
d'Histoire jusqu'au doctorat; jusqu'à être aujourd'hui enseignant-chercheur
à l'Université et au CNRS.
Mais détestant les demi-mesures - comme tout bon Scorpion m'a t-on
dit!- pourquoi ne pas s'atteler aux grandes Enigmes, voire à l'Enigme
majuscule liée à la transcendance, à l'anthropogenèse,
donc à l'histoire comparée des Religions, aux messages ésotériques
et à l'activisme des sociétés secrètes à
travers l'Histoire? Notre Histoire n'est-elle d'ailleurs pas fille de
l'Enigme ? J'évoque souvent " le grand trou de mémoire
de l'humanité " qui ne sait pas - ou plus - bien d'où
elle vient et qui se perd en conjectures et en croyances " fantastiques
": voilà donc mon volontarisme réaliste d'historien
pur et dur au service de dimensions " fantastiques " qu'il me
faut vérifier sans m'interdire d'envisager certaines hypothèses
d'allure irrationnelle.
N'oublions pas non plus qu'en outre l'histoire est pétrie et sous-tendue
par l'irrationnel, quoi qu'on veuille, et même si c'est à
tort. Toute notre histoire socio-culturelle et religieuse, notre histoire
politique et militaire n'ont presque toujours été animées
que par l'irrationnel, à tort ou à raison! Qui a dit que
l'homme était un animal doué de raison ? Quelle contre-vérité!
Réalisme et fantastique se conjuguent donc plus qu'on ne le soupçonnerait
a priori: voilà donc de quoi satisfaire conjointement mon goût
du fantastique et mon goût du réalisme et faire travailler
simultanément les deux hémisphères de mon cerveau
. Paré dès lors pour scruter la réalité qui
se cache souvent derrière l'univers fantastique et vice-versa.
Pour ce faire, il était indispensable d'analyser les textes sacrés
- et les Apocryphes -, les mythologies, les cosmogonies - pourquoi celles-ci
ne renfermeraient-elles pas une vérité cachée ou
mal interprétée ?-, les uvres ésotériques
qui prétendent donner les clés de décryptement d'aspects
insolites d'événements indéchiffrés et qui
parfois déverrouillent bel et bien certaines entrées insoupçonnées
aux souterrains de l'Histoire, la grande ou la petite...
Voilà donc pourquoi j'ai mené de front en Faculté
études de philosophie et études d'histoire, me dotant de
deux armes complémentaires pour sacrifier à mon penchant
simultané pour le réalisme et pour le fantastique. Le tout
bizarrement sans schizophrénie, et sans paradoxe, car l'avenir
de la connaissance ne réside à mon sens que dans une ample
synthèse pluridisciplinaire et transversale. Dans une interview,
on m'a dépeint un jour comme " le gentleman cambrioleur de
l'Histoire ": je dirais immodestement que cela me convient. Mais
mon modèle serait encore plus le héros de La Faune de l'Espace
de Van Vogt , Elliott Grosvenor, le maître du nexialisme , cette
" science qui a pour but de coordonner les éléments
d'un domaine de la connaissance avec des autres domaines " et qui
" offre des moyens d'accélérer le processus d'absorption
de la connaissance et d'utiliser efficacement ce qui a été
appris ". L'idée n'est pas vraiment neuve; sa réalisation
est improbable, mais nous devons y tendre. Je fonctionne ainsi pour ma
part, systématiquement. J'avais déjà été
fasciné en lisant l'Homme cet inconnu d'Alexis Carrel par son idée
folle de moines-scientifiques qui consacreraient toute leur vie aux études
totales de façon à devenir spécialistes de toutes
les disciplines et pouvoir un jour effectuer la synthèse de tous
les savoirs parcellaires. Le concept prométhéen, fantastique
et irréaliste pour le coup, m'avait séduit, même si
l'idée est politiquement dangereuse d'une élite qui prétendrait
incarner omniscience et omnipotence; car comme disait l'autre, toute élite
est rature!
MdI
: Revenons précisément à la littérature. Le
titre de l'article précédemment cité est la Bibliothèque
des Grands Anciens, encore appelée plus loin la Bibliothèque
d'Arkham. Une prédilection marquée pour Lovecraft, je suppose
?
P.
FERTÉ
: Une telle question qui contient en elle-même la réponse
m'oblige à des lieux communs. Est-il utile de répéter
qu'il s'agit véritablement d'un Maître ? Que son uvre
littéraire est d'une densité envoûtante ? Que la Mythologie
qu'il a su créer est une réussite accomplie et que même
si on limite le mythe en l'imitant, l' inspiration de Lovecraft a su atteindre
les profondeurs abyssales de la psyché et y repêcher des
archétypes terriblement efficaces qui ne peuvent qu'émouvoir
ceux qui n'ont pas coupé tous les ponts avec leur inconscient,
ou, pourquoi pas, avec quelqu'autre Au-delà? Sur un registre voisin,
beaucoup plus occultiste et certes d'approche plus malaisée pour
le profane, je ne vois que Gustav Meyrink qui ait eu une telle puissance
soutenue d'évocation , et le mot évocation est employé
à dessein... Mais encore une fois, sans même parler du mythique
(?) Nécronomicon, n'est-ce vraiment que de la fiction littéraire
? Qui pourrait en jurer ? Il y aurait lieu de fouiller du côté
des sociétés secrètes américaines, souchées
sur les Elus Coëns de Martinez de Pasqually, sur les Rites de Memphis
et de Misraïm, explorer certains groupes cultistes lucifériens
ainsi que les archives énochiennes du Dr John Dee, et du côté
de l'abbé Trithème ... J'explore ces pistes scabreuses...
Mais pour rester dans le registre fantastique, on pourra lire dans le
tome II d'Arsène Lupin Supérieur Inconnu des conjectures
fort subversives sur la théorie des écrivains-médiums
dont je ne dirais rien de plus pour l'instant sinon qu'il pourrait bien
s'agir d'un pléonasme! C'est dire qu'en ce qui concerne le Maître
de Providence né à Angell Street, j'aimerais aussi me pencher
un jour sur son NID D'ENTITÉS...Et la réalité risque
de devenir une fois de plus aussi fantastique que ses fictions. Aimé
Michel dans la préface à un livre passionnant de Bertrand
Meheust, Science-fiction et soucoupes volantes (Mercure de France, 1978)
avait déjà osé poser la question provocatrice que
j'explore sans complexe: " Quand vous créez de la fiction,
peut-être n'est-elle pas ce que vous croyez; peut-être prend-elle
sa source dans des réalités qui ne doivent pas l'essentiel
à votre pensée, même ensevelie sous les incertaines
sophistications de l'inconscient collectif " . Cela ruine le cogito
ergo sum de Descartes et tous les fondements ontologiques de la pensée
occidentale, mais peut-être ce syllogisme doit-il être enfin
remis à jour, ou à contre-jour...
MdI
: Venons-en à ton oeuvre Arsène Lupin, Supérieur
Inconnu. Un bouquin étonnant que je classerai dans les grandes
sagas ésotériques, au côté de l'Enigme Sacrée,
du Pendule de Foucault, ou pourquoi pas par certains aspects de la Fosse
de Babel d'Abellio. Mais contrairement aux deux derniers, ce n'est pas
de la fiction, mais une enquête minutieuse et une démarche
quasi initiatique.
P.
FERTÉ
: Merci pour les comparaisons élogieuses; et judicieuses. Je ne
l'ai jamais dit, mais on peut me reconnaître en effet dans Le Pendule
de Foucault . Umberto Ecco y évoque mon entreprise folle il est
vrai et parle de ces " lupinologues avertis qui anagrammatisent chaque
mot de Maurice Leblanc ". D'ailleurs son idée de Pendule de
Foucault, point immobile au plafond du Conservatoire des Arts et Métiers
pendant que la Terre tourne au-dessous de lui, n'est qu'une transposition
habile du mythe du Méridien de Paris qui axe toute ma recherche
: et ce Méridien origine n'est d'ailleurs lui-même qu'un
symbole polaire qui est un tropisme psychique fondamental peut-être
lourd de secrets cosmogoniques, voire originels.
D'ailleurs lorsque j'ai lu la fiction savante et dilettante d'Umberto
Ecco, j'avoue avoir eu la frayeur de ma vie: au terme de 7 années
de recherche intensive, j'achevais alors la rédaction des deux
tomes d'Arsène Lupin Supérieur Inconnu (1100 pages ) et
m'apprêtais à en publier le premier volume quand le livre
d' Ecco et les aventures de son héros Casaubon vinrent faire exactement
miroir à mon aventure personnelle : je redoutais à chaque
page de voir trahies, ou " doublées " toutes mes découvertes.
Casaubon était si j'ose dire mon ECHO (Umberto pour les intimes...):
il me suivait à la trace, décryptait les mêmes livres
- nos bibliographies sont quasiment identiques - Il quêtait les
mêmes clés dans les mêmes jardins secrets, hantait
les mêmes caveaux initiatiques, un peu comme dans l'Aiguille Creuse,
Isidore Beautrelet traquant la piste de Lupin et s'en rapprochant de plus
en plus dangereusement : heureusement in fine, Casaubon lâche prise:
il n'a fait que frôler le pot-aux-Roses-Croix et démissionne
en quêtant comme Beautrelet un leurre ingénieux - le château
de l'Aiguille dans la Creuse - . Fourvoyé, désabusé,
après une pirouette désolante et un constat d'échec
à la sauce fleur bleue, Casaubon mon alter ego, mon écho
qui s'avoue gogo, me laissait le champ libre et l'accès au passe-partout
de l'Aiguille Creuse: Ouf ! je pouvais ainsi à loisir et seul y
retrouver la clé de l'oeuvre codée de Maurice Leblanc et
déverrouiller nombre de portes secrètes des souterrains
de l'Histoire. Je dis bien de l'Histoire. Car il est vrai que l'enquête
quoique folle et " fantastique " est parée de toute la
méthodologie cartésienne et du renfort d'une bibliographie
il est vrai himalayenne : je crois faire dans le seul tome I environ 2000
références qui fondent plusieurs centaines de coïncidences
renversantes. Et c'est le fait de réaliser que la fiction une fois
décryptée est le compte-rendu codé d'une authentique
réalité insoupçonnée qui fonde sa dimension
fantastique : paradoxalement ce n'est fantastique que parce que c'est
véridique !
MdI
: Quelle est la genèse de ton livre, qu'est-ce qui t'a amené
à te lancer sur une piste aussi surprenante ?
P.
FERTÉ : J'en parlerai précisément un jour.
Disons pour l'instant qu'au départ il ne s'agissait pour moi que
d'une vérification d'honnête homme ". Les affaires de
Rennes-le-Château, de Gisors, de Nicolas Poussin et j'en passe,
fleurissaient en librairie. En tant qu'historien, j'avais à inspecter
les ficelles souvent un peu grosses pour me faire une idée et démonter
les impostures s'il se pouvait : car je me refuse toujours à nier
sans connaître ! Tout se démonte ou se démontre. Bref
je suis un sceptique converti chemin faisant : après avoir évacué
les pièges à gogos comme la pseudo-généalogie
de Jésus-Christ (cf. L'Enigme Sacrée, t.I, pour la performance
de la fiction du moins, car il se situe au degré zéro du
réalisme) ou les Mérovingiens, j'ai trouvé des choses
bien plus fantastiques et d'autant plus fantastiques qu'elles étaient
inconnues et pourtant historiques, donc réelles. Encore une fois
la réalité n'est fantastique que parce qu'elle est ailleurs,
comme le proclame à bon droit X-Files; ailleurs que là où
on croit la savoir.
La genèse est donc somme toute assez banale. C'est l'aventure et
son résultat qui sont d'ordre fantastique.
MdI
: Peux-tu nous dire, en quelques mots, à quelles conclusions ton
enquête t'a mené ?
P.
FERTÉ : Il suffit de lire ci-après mon article
ou le compte-rendu d'Aurélien Savoie qui donne un aperçu
des tenants et aboutissants ahurissants de cette recherche. Pour les vrais
passionnés de fantastique réel, il vaut mieux encore lire
mon ouvrage car il s'agit d'une opulente démonstration en bonne
et due forme avec tout l'appareil critique et l'argumentaire souhaité
par tout être raisonnable. Pas un esprit chagrin jusqu'ici n'a d'ailleurs
démenti mes découvertes, c'est plutôt bon signe. Mais
moi-même, si j'en avais lu les résumés, je serais
resté sceptique et n'aurais été convaincu qu'au cours
du dossier exhaustif: c'est pourquoi je répugne souvent à
en parler " en diagonale " car pour tout un chacun ce ne sera
a priori que la " diagonale du Fou "!
Par contre, je dirai un jour toute la dimension fantastique des coïncidences
extraordinaires qui ont jalonné cette recherche de longue haleine
car un malin génie s'est bel et bien ingénié à
croiser incompréhensiblement mon destin personnel à la trame
crypto-historique que j'inventoriais.
MdI
: Peux-tu nous en donner un aperçu ?
P.FERTÉ
: Un indice ? C'est vraiment une primeur!
Quand j'inaugurai cette aventure, j'étais étudiant à
Toulouse, déraciné à jamais de ma Normandie natale
depuis 7 ans. Croyez-moi ou non, je n'avais jamais encore jamais lu le
moindre Arsène Lupin, quoique Normand ! Histoire, philosophie et
poésie suffisaient alors à mes nuits blanches. Je plonge
un jour dans les Gérard-de-Sède qui m'intriguent: je veux
vérifier ses dires et de fil en Aiguille -creuse!- je dénoue
un formidable écheveau insoupçonné où Maurice
Leblanc se trouve être un guide inattendu.
J'y décrypte alors la clé " Bonnechose ", clé
de voûte de toute la cathédrale souterraine : M. Leblanc
dans un roman cite en effet l'Archevêque de Rouen Mgr de Bonnechose
comme détenteur d'un fabuleux secret trésoraire. Je m'acharne
à y voir un indice qui me renverrait vers l'Aude. Bien m'en prit!
Eurêka! Bonnechose avant de devenir prélat à Rouen
(et d'ailleurs d'y confirmer le jeune rouennais Maurice Leblanc!) fut
évêque de Carcassonne et a prospecté la région
de Rennes-le-Château! Bon signe...Mieux! Quand il est arraché
à son corps défendant de Carcassonne pour monter sur le
siège de Rouen, il prend pour vicaire général, bras
droit et confident, l'abbé Billard que plus tard il fera nommer
à sa place sur le siège de Carcassonne et ce sera Mgr Billard
le protégé de Bonnechose qui protégera toujours le
" curé aux milliards " de Rennes-le-Château, l'abbé
Bérenger Saunière. Gagné, en plein dans le mille!
La clé était rutilante! Il me fallait en savoir plus sur
le passé de ce " carcassonnais " ARSENE Billard, confident
du héros trésoraire de Maurice Leblanc et protecteur du
curé de Rennes-le-Château, d'autant plus que, sitôt
sacré à Carcassonne, il vint se recueillir devant saint
Hermès (tiens! tiens!) dans l'église même où
je découvre les reliques de saint LUPIN - autre trouvaille hallucinante
; tout en jubilant - c'est le cas de le dire !-, j'enquête donc
minutieusement (toujours dans les bibliothèques méridionales
et à la Bibliothèque Nationale, jamais en Normandie) et
je reconstitue son passé : il fut curé de Caudebec-les-Elbeuf
dont il a entièrement remanié et décoré l'église
inaugurée par son patron Mgr de Bonnechose, comme lui-même
inaugurera la célèbre église de Rennes-le-Château!
Cataclysme intérieur ! Révélation terrible - pour
moi seul cette fois! Clin d'oeil du Malin Génie du Non-Hasard qui
fait froid dans le dos! Irruption du Fantastique non plus seulement dans
ma recherche purement intellectuelle mais dans mon existence . Je tombai
terrassé par la surprise: car il se trouve, comme par hasard (!),
que toute ma famille maternelle est de Caudebec-les-Elbeuf et a été
baptisée dans cette église. Imaginer que ma mère,
mon grand-père, mon frère même - et pas moi !- ont
été baptisés dans l'église et dans le bénitier-même
choisis par l'évêque qui a solennellement inauguré
l'église de Rennes-le-Château et fut le complice du curé
Saunière me pétrifiera toujours. L'historien-cryptographe
avait bien travaillé, c'était au philosophe de prendre le
relais. On ne m'expliquera jamais cela en termes positivistes. Evidemment
si j'avais su, avant mon exil, l'existence de ce Billard dans mon canton
natal et qu'au loin je me fusse penché après-coup sur la
biographie de ce compatriote et ses implications dans les mystères
audois, il n'y aurait rien eu de plus naturel et j'aurais pu être
rassuré. Hélas ce n'est pas le cas : c'est par un gigantesque
détour géographique, historique et littéraire que
vingt ans après mon départ, je me retrouve propulsé
dans un dispositif pré-existant, effarant, qui semblait m'attendre
comme de toute éternité. Le " réseau dormant
" m'a à mon heure - à son heure - happé pour
une mission qui m'échappe. Je croyais expliquer, je me retrouve
impliqué! J'apporte des solutions qui posent encore plus de problème
! L'arroseur arrosé: comme l'Alchimiste qui au terme de son uvre
philosophale, bien loin de modifier la matière qu'il triture, opère
sa propre transmutation; comme le Chercheur d'or de Le Clézio...
Et il y a bien d'autres coïncidences vertigineuses qui feront peut-être
matière à un roman fantastique : fiction dira-t-on alors
- moi seul saurai que c'est autobiographique, tant pis. Le fantastique
est là, partout, il faut savoir soulever les voiles - savoir, ou
être prédestiné pour déchiffrer le Mutus Liber,
le Livre muet de la réalité. Que sais-je? disait Montaigne
le sceptique... Poser cette question c'est pourtant être le contraire
du sceptique; croire qu'on ne sait pas grand-chose, c'est laisser la porte
ouverte à tous les possibles, et je reste persuadé que la
réalité est à rechercher aux plus hauts niveaux d'étrangeté.
MdI
: De façon générale, est-ce à dire que Maurice
Leblanc, comme Jules Verne (cf Jules Verne, Initié et Initiateur
de Lamy) était un inité.
P.
FERTÉ : Des sociétés secrètes ont
toujours agi dans les catacombes de l'histoire, - que ce fût au
nom d'un savoir authentique ou au nom de fantasmes creux. Ce faisant elles
ont, quoi qu'il en fût, influencé l'histoire à leur
mesure qu'il faut savoir déceler en évitant à la
fois la loupe et les illères; sans paranoïa mais sans
nihilisme. Elles ont même séduit et enrôlé des
écrivains qui ont abreuvé cryptographiquement leurs uvres
de leur credo vain ou divin. Maurice Leblanc est de ceux-là.
Je ne me suis donc pas limité à décrypter les uvres
de Maurice Leblanc et à y déceler les éléments
d'un fantastique message secret connecté sur d'authentiques mystères
historiques. Fouillant sa biographie, ses relations, j'ai réussi
à démontrer que cet homme extrêmement discret avait
ses entrées, ou en tout cas ses antennes, dans des chapelles ésotériques
qui ont souvent hanté les souterrains de Rennes et de Gisors et
d'autres hauts-lieux du Mystère. Des noms ? Son ami et confrère
à la Société des Gens de Lettres était l'ésotériste
Jules Bois, initié de la Golden Dawn, et surtout l'amant de la
cantatrice Emma Calvé, égérie du curé de Rennes-le-Château
! Son beau-frère René Renoult fut ministre de l'Intérieur
au moment où l'affaire du curé Saunières battait
son plein : il était en outre un haut-dignitaire franc-maçon.
J'ai même trouvé, avant-goût du tome II, que ce beau-frère
fut le disciple -dans la même loge - du frère Camille Savoire
, fondateur du Rite Ecossais Rectifié appelé aussi Ordre
des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte - fort lié
aux mystères audois et que M. Leblanc crypte dans plusieurs romans
; sans compter que ce Haut-initié signera plusieurs articles dans
la revue collaborationniste de P. Plantard, le futur maître du Prieuré
de Sion qui tirera les ficelles de l'Affaire de Rennes-le-Château
après la Guerre. Ajoutez que ce précieux et initié
beau-frère, comme probablement Maurice Leblanc, était également
lié à Dujardin-Beaumetz, député de l'Aude
et hôte du curé de Rennes-le-Château : devenu "
ministre " des Beaux-Arts, ce dernier décerna d'ailleurs la
médaille de chevalier de la Légion d'honneur à Maurice
Leblanc en même temps qu'à deux autres initiés - dont,
comme par hasard! le gourou du futur maître du Prieuré de
Sion : de plus c'est publié au Journal Officiel à une date
fatidique, un 17 janvier, qui est en elle-même un signe , mieux
une signature hermétique. La sur de Maurice Leblanc quant
à elle était initiée à différentes
chapelles, puisqu'elle fréquenta la Rose-Croix Catholique du sâr
Péladan - dont le secrétaire initiera un jour le futur maître
du Prieuré de Sion-, ou la Rose-Croix Kabbalistique de Stanislas
de Guaïta avant de plonger dans des expériences supranormales
sous la direction du mage Gurdjieff, venu de Fraternités initiatiques
de l'Asie Centrale... Et j'en aurais tant et tant à ajouter.
A vous de juger si Maurice Leblanc homme discret sinon secret était
initié ou non : son uvre atteste à tout le moins d'un
Haut Savoir qu'il tient à ne distiller que dûment voilé
au profane, au prix d'astuces cryptographiques des plus ingénieuses...
MdI
: Tu prépares une suite à cette " thèse
"; peux-tu nous en dire un mot ?
P.
FERTÉ
: Joker ! La surprise n'en sera que meilleure. A titre indicatif, je peux
révéler le titre du tome II: Dans le Secret des Dieux et
celui de la deuxième partie: " Où le lupin fleurit
dans le champ des étoiles "...Sache simplement que la saga
se hisse de plusieurs crans aux plus hauts niveaux d'étrangeté
: il s'agira d'Histoire extrême, comme on parle de ski extrême.
Exploratoire et foncièrement fantastique, elle tente de suivre
rationnellement un même message - fantastique ou fantasmatique -
déjà suggéré par Lamy d'ailleurs - mais obstinément
véhiculé sous le sceau du secret à travers les siècles
par certaines sociétés secrètes au moyen de certaines
plumes ou pinceaux , missionnés semble-t-il. Fantastique ai-je
dit parce que j'ai la folie d'essayer d'ancrer ces spéculations
dans l'historicité, pour voir leur taux de cohérence et
de crédibilité. Et le résultat est si souvent stupéfiant
que j'aimerais ne pas me croire ! En tout cas, les amateurs de Fantastique
seront servis. Sauf Conspiration du Silence .
MdI
: D'autres projets en cours ?
P.
FERTÉ : A part cette monstrueuse fleur carnivore qui
attend son heure dans mon jardin secret et deux travaux connexes, à
long terme, l'un sur la littérature codée, l'autre sur l'idée
de pluralité des mondes à travers l'histoire, je suis très
sage! Follement sage! Beaucoup de travaux austères et très
universitaires qui n'intéresseront sans doute guère les
lecteurs de Murmures d'Irem, car tout m'intéresse : tout m'émerveille;
tout m'est merveille, et j'assume la devise de Nicolas Poussin : Ne rien
négliger! Donc paraîtront d'ici à deux ans dans un
tout autre registre des travaux de sociologie étudiante sur la
fonction du diplôme dans la société d'Ancien Régime,
avec une colossale Prosopographie des étudiants méridionaux
aux 17e et 18e siècles ( une première de l'historiographie
dont je ne serai pas peu fier ) ; un livre sur les relations universitaires
franco-espagnoles du Moyen-Age à la Révolution ; un copieux
travail sur la Contre-Réforme catholique et les réfugiés
irlandais ; un autre en chantier sur les jansénistes et la science...
Bref je suis Chercheur au sens fort, au sens noble - comme on dit Noble
Voyageur -, et je varie les plaisirs ; sans compter évidemment
la direction de mémoires de maîtrise d'Histoire - toujours
enrichissante - car il faut préparer la relève des Chasseurs
d'Enigmes, quelles qu'elles soient...Et n'oublions pas une chronique d'épouvAnthologie
trimestrielle dans la Revue de l'Imaginaire de l'ami Jérémi
Sauvage, pour garder un il - le troisième - du côté
du registre fantastique...
MdI
:Merci Patrick et bon vent !
P.
FERTÉ
: Que ce soit du moins le vent de l'Histoire, ou peut-être même,
comme l'écrivait Novalis, " le vent sacré des origines
"...
|
Patrick
Ferté, Arsène Lupin Supérieur Inconnu. La clé
de l'oeuvre codée de Maurice Leblanc.(Du secret de l'Aiguille Creuse
aux mystères de Rennes-le-Château par les souterrains de l'Histoire),
Paris, 1992, Guy Trédaniel Editeur, 76 rue Claude-Bernard, 75005
Paris, 554 p, 160F. En Librairie ésotérique ou à commander
à l'éditeur. Un indice suspect de Conspiration du Silence
(?) réside dans le fait que depuis sa parution, le Cercle de la Librairie
Française, bible des libraires qui recence exhaustivement tous les
ouvrages parus disponibles ignore ce livre pourtant déposé
et acheté depuis 3 ans dans les FNAC et Librairies ésotériques
et honoré de maints comptes rendus enthousiastes. Bizarre .Vous avez
dit bizarre?
Et pour terminer
ce dossier, un petit article repris de la Revue de l'Imaginaire.
Arsène
Leblanc et Maurice Lupin !
ou Le train de l'Histoire
et ses wagons plombés
par
Patrick FERTÉ
Dans la nuit de l'Inconnu,
le train de l'Histoire va Dieu ou Diable sait où - ne dit-on pas:
"tout le diable et son train"?-, laissant apparaître à
ses innombrables fenêtres tout un capharnaüm d'ombres chinoises
aux gesticulations dérisoires. Les historiens s'ingénient
à tenir la chronique des faits et gestes de toutes ces silhouettes
entrevues comme autant de galeries de portraits profanes . Mais toutes
ces pantomimes aperçues à la lueur blafarde du passé
pourraient n'être que les jeux de rôle gratuits de simples
passagers-fantômes, entraînés perinde ac cadaver :
et leurs saynètes, absurdes malgré eux, n' ont sans doute
aucune influence ni même corrélation avec la destination
du convoi mystérieux. Un vieil archiviste kafkaïen m'a suggéré
sentencieusement que les rails sont eschatologiques ; qu'à chaque
aiguillage il y a une lutte sourde de lampistes opposés obéissant
chacun à des ordres, voire des Ordres, contradictoires et que les
contrôleurs sont en civil dissimulés parmi les passagers
et vérifieraient à leur insu ce qu'ils ont à vérifier
en fonction d'instructions énigmatiques et parfaitement inéquitables.
De surcroît le train de l'Histoire aurait aussi des wagons plombés!
A l'intérieur, des initiés, des personnages muets et mandatés,
des Veilleurs qui savent ce qu'il en est, où le train en est, où
il va et pourquoi. Il peut survenir malgré tout que l'un d'eux
décide en secret d'éventer le secret, de ne plus jouer le
jeu et qu'il s'arrange pour faire savoir à ses risques et périls
les tenants et aboutissants des jeux de rôles distribués
aux uns et aux autres: griffonnant alors sous le manteau un message chiffré
interdit, il peut chercher à le transmettre aux compartiments profanes
où quelque passager perspicace décryptera l'information
et découvrira le pot aux Rose-Croix. Mais, m'a précisé
ce vieux fou d'archiviste, tout n'est pas si simple car la désinformation
fait aussi partie du jeu et il arrive que de faux messages chiffrés
soient transmis des wagons plombés vers les profanes à seule
fin de jeter le doute sur les vraies révélations. Avec une
telle vision - ou voyance? -ésotérique de l'Histoire, le
vieil archiviste était-il un vieux fou ou un sage? Délit
d'Initié ou délire d'initié ? Mais si l'on acceptait
son scénario occultiste, Maurice Leblanc ne serait-il pas un de
ces mystagogues sauvages, un profanateur charitable? Et ses Arsène
Lupin ne constitueraient-ils pas un ingénieux testament palimpseste
par où filtrent en chiffre des secrets de haut péril?
Beaucoup s'endorment avec un Arsène Lupin sur la table de chevet
: c'est grand tort: Maurice Leblanc n'écrivait sans doute que pour
éveiller.
Alors selon la formule alchimique, lege, lege et relege et invenies, lis,
lis et relis et tu trouveras...
Le "normandissime" Maurice Leblanc naît à Rouen
en 1864 et passe toute son enfance et son adolescence dans le Pays de
Caux et la vallée de la Seine, le Triangle d'or Rouen-Le Hâvre-Dieppe
qu'il célèbrera avec son complice Arsène Lupin. Très
tôt tenaillé par l'ambition littéraire, il "monte"
à Paris et produit des romans psychologiques de haute tenue qui,
malgré les éloges de Léon Bloy, de Maurice Barrès,
de Guy de Maupassant et de son "beau-frère" Maeterlinck,
ne rencontrent guère de succès. Lorsqu'en 1906, l'éditeur
Pierre Lafitte lui commande une nouvelle pour sa revue populaire Je Sais
Tout, Maurice Leblanc condescend à sacrifier au genre policier
qu'il considère alors comme de l'infralittérature: c'est
ainsi qu' il crée le personnage qui lui donnera aussitôt
la gloire : Arsène Lupin est né ; né sans avenir
d'ailleurs car Maurice Leblanc veut aussitôt arrêter..., en
le faisant arrêter ! - "Fais-le évader!" lui intime
l'éditeur qui pressent là un formidable évènement,
mieux un formidable avènement. Maurice Leblanc est alors pris au
piège d'Arsène Lupin, ce sujet volant non identifié
qui vampirise son talent et le séquestre désormais au fond
de l'Aiguille Creuse d'Etretat pour rédiger la chronique de ses
exploits. La nouvelle devient feuilleton et le feuilleton devient un véritable
cycle mythologique policier de plus d'une quarantaine d'aventures : Maurice
Leblanc est devenu à contre-coeur l'historiographe du gentleman
cambrioleur qui ne le lâchera plus jusqu'à sa mort en 1941.
Mais Maurice Leblanc avait plus d'un tour dans son sac : au sein de ses
fresques lupiniennes, il a su broder avec une aiguille creuse un somptueux
filigrane d'or où il fait cryptographiquement des révélations
interdites sur la véritable histoire secrète de Lupin et
sur son identité occultissime.
Car les romans lupiniens vont bien au-delà du simple et sain divertissement
d'adolescents : c'est du moins ce que j'ai pu démontrer dans Arsène
Lupin Supérieur Inconnu. La clé de l'oeuvre codée
de Maurice Leblanc: Arcanes, filigranes et cryptogrammes (Editions Guy
Trédaniel*). Par sa soeur Georgette Leblanc, la mystique compagne
de Maeterlinck, disciple du Sâr Péladan puis du mage Gurdjieff,
par son beau-frère René Renoult, ministre de l' Intérieur
et haut dignitaire franc-maçon, par ses amis, notamment l'ésotériste
Jules Bois amant d'Emma Calvé, l'égérie dit-on du
curé Saunière de Rennes-le-Château, Maurice Leblanc
était lié directement ou indirectement à des cénacles
initiatiques qui ont eu à hanter les souterrains mythiques de Gisors,
de Rennes-le-Château ou de Stenay. Il a ainsi pu infiltrer les convents
des Rose-Croix de tous poils et de tous pétales, Rose-Croix kabbalistique
de Stanislas de Guaïta, Rose-Croix Catholique de Péladan,
Eglise Gnostique néo-cathare de Doinel, Martinisme et Martinézisme
mais aussi la Théosophie et la Franc-Maçonnerie Egyptienne,
les Rites de Memphis et de Misraïm surtout dont les racines mystagogiques
remontent à la mission étrange de Cagliostro : Maurice Leblanc
fait d'ailleurs grand cas du Grand Cophte puisqu'il place à dessein
toute la geste de Lupin sous les auspices prophétiques de Cagliostro.
C'est un signe,...mieux, une signature.
Son bien peu catholique héros devient ainsi un véritable
Roi du Monde à la mission messianique. Digne du Rose-Croix Zanoni
de sir Bulwer Lytton, -que Maurice Leblanc a d'ailleurs intéGraalement
pastiché avec son autre héros Le Prince de Jéricho
- Arsène Ier Pantocrator trône dans l'Aiguille Creuse d'Etretat,
symbole du royaume souterrain de l'Agarttha ! Recette littéraire
? suggérera-t-on. On pourrait le croire si le dossier des coïncidences
chiffrées par centaines, croisé aux relations ésotériques
de M. Leblanc, ne venait disqualifier l'explication passe-partout du hasard
et emporter la conviction des plus sceptiques. On pourrait aussi le croire
à condition d'ignorer les agissements et les secrets d'un réseau
arachnéen d'authentiques et historiques -voire hystériques-
sociétés secrètes qui depuis des siècles dans
les souterrains de l' Histoire trament, à tort ou à raison,
Dieu -ou Diable- sait quoi au nom de la métaHistoire: survoltés
depuis 1 siècle par l'approche de l'Apocalypse, elles redoublent
d'actions sulfureuses dans les catacombes de l'Histoire immédiate.
Jean Robin a consacré un beau livre aux Sociétés
Secrètes au rendez-vous de l'Apocalypse (Ed.Trédaniel, 1985)
qu'on relira non sans vertige. Il y a deux travers à éviter
dans cette perspective : sombrer dans la paranoïa et voir partout
des tentacules de sociétés secrètes aux pouvoirs
surestimés ; ou à l'inverse, se figer dans un scepticisme
aveugle et nier purement et simplement leur activisme. Se défier
autant des oeillères que des loupes ! Les affaires du Prieuré
de Sion mais plus spectaculairement du Temple du Soleil, de la secte davidienne
de Waco ou du gaz sarin au Japon sont là pour montrer que les sociétés
initiatiques ou illuministes de tous Ordres ne sont pas d'ordre phantasmatique
même si leurs adeptes fondent leur activisme sur des phantasmes.
Mais toute l'Histoire des hommes n'est pétrie que de phantasmes
: lumineux ou nocifs, phantasmes malgré tout ! Et je plaide qu'il
n'est pas déraisonnable de chercher rationnellement les traces
de l'irrationnel dans l'Histoire des hommes si peu raisonnables !
Qui l'eût cru ?- mais j'espère qu' on le croira après
m'avoir lu - l'oeuvre de Maurice Leblanc sécrète donc un
grand Secret. Il convient donc de le relire avec un autre oeil, si possible
le Troisème Oeil. J'ose parler de l'oeuvre au noir de Maurice Leblanc.
Et si toute sa vie Maurice Leblanc s'était fait passer pour un
auteur de romans policiers? Machiavélique, sachant que "la
plus belle ruse de Satan est de nous persuader qu'il n'existe pas ",
l'auteur feint de nous décrire un gentleman cambrioleur fictif
pour mieux révéler diplo-matiquement- en double langage-
son gentleman initiateur. Ainsi décrypté ou démasqué,
Arsène Lupin reçoit l'aura messianique du Supérieur
Inconnu en charge de travaux occultes d'ordre eschatologique, repérables
en certains hauts-lieux étranges marqués d'une croix rouge,
rose ou noire sur les cartes secrètes de la géographie sacrée.
Ainsi dévoilé, Arsène Lupin Supérieur Inconnu
semble en phase avec certains personnages qui hantent les mythes de Cthulhu.
Finalement, Maurice Leblanc et H.P. Lovecraft nous entretiennent peut-être
en secret de la même chose. J'aurai à le montrer quelque
jour. Et quand je dis énigmatiquement "chose", c'est
au sens de "la Chose" supranormale quêtée au cours
de leurs rituels cérémoniels par les Elus Coën de Martinès
de Pasqually. "Ib n'est plus, mais ses Dieux vivent encore "proclame
Brian Lumley en écho à son maître Lovecraft. Et je
me plais à imaginer le Bouchon de Cristal, le sous-marin de Lupin
Supérieur Inconnu, appareillant en secret de l'Aiguille Creuse
pour hanter les eaux noires des mêmes hauts-fonds de l'Histoire
où ne dort -que d'un oeil -le Grand Cthulhu... Décidément
j'aurais mieux fait de sous-titrer Arsène Lupin Supérieur
Inconnu: "Arkham, filigranes et cryptogrammes "!
Quoi qu'il en soit, ainsi décrypté, Maurice Leblanc, doublé
tout d'abord par sa créature et en proie à un véritable
phénomène de hantise littéraire, en est redevenu
le maître, mieux, un Grand-Maître...
Patrick
FERTÉ
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