|
Les lecteurs de D&M
connaissent bien Nancy Kilpatrick que l'ODS a eu le plaisir de
publier, grâce à Philippe Ward, en avant-première en France.
Mais la France n'a pas encore donné à la Dame en Noir sa véritable
place. Quelques apparitions dans Territoires de l'Inquiétude et,
plus récemment, dans Ténèbres. Mais ses romans restent
inconnus. Nous avions essayé de publier Near Death par les
Presses du Temps. Mais la faillite de cette maison d'édition à
mis un terme au projet. Des tractations sont en cours avec la
maison Olivier Laurens, mais rien n'est encore fait. COURAGE
NANCY…….
Je vous propose de retrouver notre amie avec la fine équipe de l'ODS
à laquelle elle a rendu visite en novembre 1997 . Christophe
Thill assure la couverture de l'événement. Les photos sont une
production de votre serviteur…
|
Ce papier a été publié sur la liste de diffusion de l'ODS sur
Internet
A la demande générale, et principalement à celle des non-anglophones de la bande, je me suis dit qu'à peine remis de la soirée j'allais écrire un petit compte-rendu des longues conversations d'hier soir avec Nancy Kilpatrick. Alors voilà.
Nancy est une dame qui ne passe pas inaperçue : longue robe noire, bijoux et pendentifs divers, collier à pointes, regard perçant sous un maquillage sombre... J'ai découvert au cours de la conversation une personne sympathique, cordiale et pleine d'humour (nous avons d'ailleurs tous eu droit à un petit cadeau: une bague en forme de crâne!). Après avoir participé à la World Fantasy Convention à Londres il y a 2 semaines, elle est donc de passage à Paris en compagnie de son ami et correspondant de longue date, Rob Brautigan, d'Amsterdam, éditeur du fanzine "Vampire International" (nous n'avons pas vu Rob qui n'était pas, paraît-il, dans la meilleure des formes possibles).
D'origine américaine puisqu'elle est née en Pennsylvanie (et non en Transsylvanie, comme l'a fait remarquer Philippe), Nancy est aujourd'hui canadienne et vit à Toronto. Cependant elle est encore peu familière avec la langue française, d'autant plus qu'elle a plutôt l'habitude de l'entendre avec un accent fort différent du nôtre.
Tout en faisant honneur au Panier-repas qui nous avait été savamment concocté par Claire selon les principes de la cuisine elfique (arrosé d'un ratafia maison aussi sucré que gouleyant), nous avons bombardé Nancy de nos questions diverses et variées; j'ai tenté ci-après de résumer ses réponses. Elle a finalement regagné son hôtel un peu après minuit; pour nous, la soirée n'était pas terminée pour autant. Mais ceci est une autre histoire...Si la délégation de l'ODS était loin d'être négligeable (même notre envoyé Dominik , qui exerce sa mission civilisatrice auprès des peuplades icaunaises, était là), l'absence de Philippe Ward (dit " Laguerre ") a par contre été remarquée et regrettée ; d'autant que le Cathare n'a pas été pour rien dans l'organisation de la soirée, c'est le moins qu'on puisse dire. Je suis sûr que chacun de nous a, dans son for intérieur, appelé la malédiction des ténèbres sur ses supérieurs hiérarchiques.
Enfin, une observation personnelle au passage: l'ODS c'est quand même unique. C'est un des rares groupes humains dans lesquels on parle des absents... pour en dire du bien! Machin (qui n'est pas là) est la crème des hommes, quant à Truc (qui vient de quitter la pièce), ce qu'il a écrit est une pure merveille, etc. Hé, ça vous réconcilierait presque avec l'humanité, ce genre d'attitudes! Mais donnons plutôt la parole à l'invitée d'honneur.
INTERNET
Nancy reçoit une bonne soixantaine d'e-mails chaque jour, en plus du courrier papier. Elle ne répond pas à tous mais essaye d'avoir un mot d'encouragement pour les jeunes auteurs qui lui envoient dix pages de questions et de demandes de conseils. Elle sait que la plupart de ses collègues masculins, tels Brian Lumley et Harlan Ellison, confient à leur femme le soin de répondre aux e-mails, et regrette de ne pouvoir se payer un secrétaire! Depuis quelques temps Nancy anime un cours d'écriture sur Internet. Elle envoie à ses étudiants (ils sont cinq ou six) des conseils, des instructions et des exercices à faire, par e-mail, et les réponses de chacun sont rediffusées à tous les autres afin qu'ils en profitent également. Cependant seuls les plus motivés s'accrochent, les autres finissant souvent par abandonner au bout de quelques temps.
EDITION
C'est sur un faux départ que Nancy a entamé sa carrière dans notre pays, puisque la disparition des Presses du Temps n'a guère permis à son roman "Near Death" d'être très largement diffusé. Mais grâce à nos deux Philippe (Marlin et Ward), voici qu'elle vient tout juste de signer avec l'éditeur Olivier Laurens . Alors: Nancy Kilpatrick, bientôt dans une librairie près de chez vous? Les éditeurs américains, par contre, lui ont souvent laissé de fort mauvais souvenirs. Ainsi, lors de ses débuts, écrivant à 35 éditeurs pour leur proposer un de ses premiers romans, elle a reçu 34 lettres de refus immédiat, l'éditeur ne se donnant même pas la peine d'examiner le livre! Assez traumatisée par cette expérience, Nancy s'en est ensuite tenue pendant plusieurs années à l'écriture de nouvelles...
CANADA
Le Canada, c'est un très grand pays en superficie, mais avec peu de gens dedans. Et contrairement à l'idée reçue, on parle beaucoup français dans les zones anglophones comme Toronto ou Ottawa, et pas mal anglais dans les zones francophones comme Montréal. Le résultat c'est que le public potentiel (permettez-moi d'éviter le vilain mot de "marché") de la littérature d'horreur est très dispersé. D'ailleurs, au Canada, rares sont les livres, quel que soit le domaine, qui sortent sans un soutien financier du gouvernement, car si celui-ci ne participait pas, aucun éditeur n'arriverait à rentrer dans ses frais! Et un éditeur dit là-bas "de taille moyenne" passerait aux Etats-Unis, ou même ici, pour carrément petit. Nancy ne connaît pas beaucoup la small-press canadienne, mis à part le francophone "Solaris" ainsi qu'un fanzine anglophone dont j'ai malheureusement oublié le nom. Les titres de "Temps Tôt" et d' "Horrifique" ne lui évoquaient pas grand chose.
VAMPIRES
Les histoires de vampires représentent environ la moitié de l'ouvre de Nancy. Pourquoi une telle prédilection? Elle nous a confié qu'étant tout jeune, elle a vu à la télévision "Le Cauchemar de Dracula" de Terence Fisher et a été fascinée par Christopher Lee, qu'elle a trouvé extrêmement sexy... Elle a d'ailleurs eu la joie de rencontrer l'acteur à la convention londonienne. Malgré le poids des ans, Lee est toujours aussi séduisant, dit-elle, élégant et aristocratique, un comte transsylvain plus vrai que nature! Avec ses cheveux gris, il ressemble exactement à Dracula vieilli tel qu'il apparaissait dans le film de 1958... Un autre invité de la convention était le fils de Bela Lugosi, mais celui-ci était apparemment réticent à parler de son père, sur qui on a raconté un peu tout et n'importe quoi. Tout ceci témoigne d'un renouveau d'intérêt pour les histoires de vampires, dont Coppola, puis Ann Rice ont recueilli les fruits. Comme le rappelle JL Sarro, les vampires ont même leur monument en plein New York (il s'agit évidemment du Vampire State Building). Quoi qu'il en soit, cette tendance est aussi visible dans la production littéraire. Nancy a beaucoup aimé un livre récent intitulé "Daughters of Darkness", publié par un auteur britannique dont elle avait malheureusement oublié le nom.
CINEMA
Nancy adore les films fantastiques et d'horreur, vampires ou pas vampires, anciens ou récents. Elle a aimé "L'antre de la folie" pour ses côtés lovecraftiens mais n'est pas une inconditionnelle de John Carpenter, capable, comme dit le cliché, du meilleur comme du pire. Je n'ai hélas pas pensé à lui demandé ses impressions sur son prochain film: "Vampires"... Un de ses films de vampires préférés est "Kronos", du Mexicain Guillermo del Toro, qui s'est fait connaître plus récemment avec "Mimic". Bien que peu au fait du cinéma français, elle a beaucoup aimé "La Belle et la Bête" de Cocteau ainsi que "Et mourir de plaisir" de Vadim (tiré de "Carmilla") et m'a mentionné un film "Le Polygraphe" avec Depardieu, dont je n'ai pas encore entendu parler. Par contre elle ne connaissait pas Jean Rollin! Aimerait-elle voir ses histoires adaptées au cinéma? Oui, certainement, et plus d'une se prêterait sans doute à ce traitement. Cependant, l'auteur qui vend ses droits à la grosse machine hollywoodienne ne sait jamais exactement à quel résultat il doit s'attendre; elle se souvient de cas où des répliques, voire des scènes entières, ont été modifiées ou supprimées, parce l'acteur principal l'avait demandé, qu'il s'agissait d'une star connue et qu'il n'était pas question de rien lui refuser...
ÉROTISME
En réponse aux questions qu'est venu lui poser Jean-Jacques , une étincelle de lubricité dans le regard, sur ses ouvrages érotiques, Nancy nous a parlé de la série "Darker Passions", lancée il y a 2 ans. Chacun de ces livres reprend la trame d'un grand classique du fantastique, mais en y ajoutant une nette coloration érotique. Sont déjà parus: "Dracula", "Frankenstein", "Dr Jekyll et Mr Hyde", "La Chute de la maison Usher", "Carmilla", "Le Puits et le Pendule"... Quant à moi, j'ai appris que j'avais dans ma bibliothèque des textes de Nancy, puisqu'elle n'est autre qu'Amarantha Knight, l'éditrice de l'anthologie "Flesh Fantastic" (un des textes est également signé Knight et un autre est sous son vrai nom) publiée chez un éditeur au nom évocateur de RhinocEros. D'autres intéressants auteurs, tels
La dame en noir est-elle une adepte des diableries? Nullement! En fait, et au grand désarroi de Sylvain , elle ne connaissait pas la différence, pourtant évidente, entre un sataniste et un luciférien. Mais, au rayon des créatures sulfureuses, il y en quelques-unes par chez nous que Nancy tenait à tout prix à rencontrer. L'ODS? Oui, bon, d'accord, évidemment, mais c'était aux gargouilles de Notre-Dame que je faisais allusion! Le dessin animé américain "Gargoyles" et "Le Bossu de Notre-Dame" version Disney en dénaturent le sens, dit-elle, en en faisant des personnages amicaux souvent prêts à pousser la chansonnette. Il s'agit en réalité d'êtres inquiétants et hybrides, à mi-chemin entre le démon et la bête sauvage, et c'est cela qui les rend fascinantes, ainsi que leur infinie variété. Sa préférée a un physique vaguement canin et tient entre ses griffes une chose de forme allongée qu'elle est en train de dévorer; elle possède une gravure représentant cette gargouille, sur laquelle la chose en question apparaît clairement comme un corps humain. Eh oui, il semblerait que le modèle de Pickman a sa résidence en plein cœur de Paris!
INSPIRATION
D'où Nancy la tire-t-elle? Souvent de faits réels, dit-elle. Ainsi par exemple elle a loué il y a quelques temps une ferme qui était restée à l'abandon pendant plusieurs années. Dans une pièce fermée, quelques mouches s'étaient introduites, puis reproduites. Résultat: sol et murs étaient recouverts d'une épaisse couche de mouches mortes qu'il a fallu enlever à la pelle. Montant au grenier, elle y a découvert un cercueil miniature, d'une trentaine de centimètres, parfaitement fabriqué et semblable à un vrai (il était vide) ainsi qu'un curieux jeu de cartes. De taille inhabituelle, plus grandes que des cartes de tarot, et peintes à la main, sans doute par le précédent occupant des lieux, ces cartes montraient la série de scènes suivantes: une jeune femme sur une balançoire; un jeune homme à cheval; le mariage des deux personnages; les mêmes, avec un bébé dans les bras; la femme, dans sa cuisine, dans une ambiance de catastrophe, avec des objets brisés partout et le bébé qui hurle dans un coin; enfin, sur la dernière image, elle est seule et se balance gaiement comme au début. A partir de ces éléments énigmatiques, elle a bâti une histoire dans laquelle un homme revient dans la maison de ses ancêtres et y découvre tout cela lui aussi. Dans la version psychologique de l'histoire, l'homme traîne un passé lourd et traumatisant d'enfant maltraité. Dans la version surnaturelle, il est bien sûr le descendant d'une famille de vampires et vient à la rencontre de son destin.
ECRITURE
Suite aux questions de Claire, Nancy a essayé de préciser quelle est sa méthode de travail. Dans certains cas (généralement pour les nouvelles), l'histoire se construit dans sa tête et elle n'a plus qu'à s'asseoir et à la taper du début à la fin. Pour des projets plus ambitieux, l'établissement d'un plan est nécessaire. La relecture, par elle-même ou d'autres personnes, lui suggère souvent des changements dont les répercussions peuvent l'amener à réécrire les passages qui précèdent, parfois en remontant assez loin. Enfin en guise de conclusion, ce petit conseil qu'elle donne à ses étudiants: Dans le domaine littéraire, on peut opposer deux formes de logique. La première, celle d'Aristote, dit "A est A". Elle est basée sur le fait que les mots recouvrent des réalités communes qui permettent à tous de s'y retrouver et de se comprendre. La seconde est celle de Lewis Carroll, elle dit plutôt: "A est non-A". C'est la subjectivité absolue de l'artiste, l'expression pure de son monde intérieur et totalement personnel. Les choses n'ont telle signification que pour lui, en fonction de son histoire personnelle, de son imagination etc. Quelqu'un qui écrit, dit-elle, se place dans la seconde logique. C'est elle qui lui permet de construire une œuvre à partir de ce qui lui tient à cœur. Mais c'est la logique du premier type qui lui permet d'être lu. N'utiliser que celle-ci revient à faire du commercial à l'état pur; n'utiliser que la seconde c'est tomber dans l'autisme; mais toute création nécessite un savant dosage entre les deux. Merci pour votre attention, et j'espère ne pas vous avoir trop saoûlés avec ce roman-fleuve...
Photos
: Nancy et votre serviteur, Nancy
| |