Place maintenant au psychanalyste... tu t'installes confortablement
sur ton divan, tu médites les questions et tu réponds
...
Q
: Bon, avant de commencer, question rituelle, affaire de se mettre
en jambe, qui es-tu dans le civil ?
-
Dans le civil, je m'appelle Jean-Pierre Baissac, c'est du reste
le nom sous lequel j'écris désormais, ayant pour des
raisons personnelles abandonné mon pseudo. Sinon, je suis
un bipède appartenant à l'espèce dite humaine,
né quelque part sur une planète appelée Terre,
en un périmètre géographique situé à
l'Ouest de l'Europe; Quoique, n'ayant aucune espèce de certitude,
il m'arrive de douter de tout ceci.
Q
: La question qui me gratte, en t'écoutant, c'est comment
fais-tu pour vivre ! Il faut payer l'eau, le gaz et l'électricité,
non ?
-
Et si on parlait d'autre chose ?
Q
: Quand as-tu débuté dans la littérature ?
Quel est ton itinéraire ?
-
Il paraît que j'écrivais déjà des histoires
sur mes cahiers d'écolier. Manière de passer le temps;
J'écris plus sérieusement - c'est-à-dire à
destination d'un lectorat éventuel - depuis le début
des années 90, ceci sur l'insistance de mes proches. J'ai
signé dans des revues locales des articles traitant d'archéologie,
d'ésotérisme ; et pour des feuilles à la diffusion
aussi confidentielle qu'incertaine, des analyses socio-politiques,
des textes courts, des poèmes. En matière de littérature
proprement dite, mes premières publications furent des pastiches
de Conan Doyle, reprenant les personnages de Holmes & Watson,
pour le défunt "Collectif Mag" de Jean-Marc FAURE.
L'un de ces pastiches a été traduit en espagnol, et
publié dans "Circulo Holmes", organe de la Société
Sherlock Holmes ibère. Ensuite, une première nouvelle
pour la revue "Sol'Air" de Nantes, des poèmes chez
"Poésie sur Seine", " Poetic 7", une
analyse de film pour "Nuits Blanches", et puis le Sphinx
m'a cligné de l'oeil...
Q
: Quels sont tes débouchés, et pour commencer, quelle
est ton expérience du fandom ? Un milieu clos où l'on
se fait plaisir ou un galop d'essai ?
-
Le Fandom n'est ni un tremplin, ni un microcosme nombriliste. Cela
va bien au-delà. Le Fandom se positionne dans ce que j'appellerais
une approche alternative de la culture. Je m'explique. Il y a en
France une façon officielle de concevoir la culture, celle
qui use des médias comme vecteur promotionnel, et dont on
nous fait croire qu'elle est représentative des attentes
du public moyen. Ou plutôt de la vision technocratique d'un
public assimilé à une masse découpée
en sociotypes, selon des schémas élaborés à
partir de panels et autres statistiques à la c... Cette culture
officielle est un peu à l'image de ce qu'était l'Office
de la Propagande durant la guerre 39-45. Désinformer pour
rassurer, maintenir le moral. En l'occurence, il s'agit de faire
croire au français moyen qu'il est intelligent s'il lit (ou
plutôt achète) le dernier Duras, s'il est allé
voir "Le hussard sur le toit" et l'exposition Cézanne.
Cette Culture officielle -littérature comprise - adopte les
règles du show-biz. On hypertrophie des égos à
coup d'images bien ciblées, l'important n'étant pas
de promouvoir du talent, de l'esthétique, de l'universel,
mais de ratisser large pour séduire un max de gens. Faut
faire populaire, alors on verse dans le populisme et pour ça,
on nivelle par le très, très bas ; on crée
des produits de référence appelés, disons,
Marlène, Michel Leeb, Eric Cantona, Céline Dion, BHL,
Sulitzer, que l'on montre partout, que l'on publie, que l'on clone,
qui ont leur mot à dire sur tout, chacun de ces produits
(et je pèse mes mots) répondant à une demande
précise d'une catégorie donnée d'individus.
Demande d'identification (qui n'a autour de soi une vieille concierge
vivant par la procuration de Jackie Sardou ?), demande d'idéation
(le p'tit Beur de banlieue qui rêve de devenir Cantona et
qui le prend pour modèle), etc. Alors que la démarche
d'écrire, la façon de vivre dans "l'authenticité"
son état d'auteur, vont radicalement à l'encontre
de cette logique de marché. A moins de s'adonner à
la littérature- marketing, il me semble qu'il faut être
un peu dingue pour passer une partie de sa vie devant un clavier,
se donner à fond dans quelque chose qui est épuisant,
profondément ingrat et dont on sait pertinemment qu'on ne
tirera que des accumoncellements de frustrations, des tonnes de
solitude et de rancoeur ruminées. Celle, celui qui écrit
avec son âme et ses tripes, qui pense avoir à dire
sur la vie, l'amour, le monde tel qu'il est ou tel qu'il devrait
être, doit se faire à l'idée que sa seule chance
de pouvoir s'exprimer et de toucher quelque public, relève
d'une approche alternative, marginale de sa culture. A travers,
notamment, des initiatives comme le Fandom.
Ce Fandom, je le vois comme une pépinière de talents
atypiques ; je me bornerai à citer, ceci sans aucune complaisance,
des auteurs comme Claire PANIER, JJ NGUYEN, Gilles DUMAY, cas extrêmes
s'il en est, d'une écriture se jouant des figures imposées.
Autre aspect des moins négligeables : A travers "Dragon's
News", auteurs et dessinateurs recueillent un écho du
lectorat. C'est beaucoup plus important qu'il n'y paraît dans
ma mesure où l'artiste ne vit pas que de son expression ;
il lui faut, me semble-t-il, recevoir de ceux qu'il touche, une
gratification qui lui donne l'impression de n'être pas totalement
inutile et seul. Les artistes du Spectacle ont un contact direct
avec les gens, ceux-ci font la démarche d'aller vers eux
; l'auteur aussi a besoin, je crois, de cette dimension tangible
du rapport artiste-public. Ne serait-ce que pour ne pas perdre de
vue qu'il y a quelqu'un au bout de la chaîne. N'oublions pas
l'aspect relationnel du Fandom, parade contre l'isolement (et je
sais de quoi je parle).
Mes débouchés ? Je vis au jour le jour, en évitant
de me demander si ce que j'essaie de faire aura ou non des suites
concrètes. Car je ne suis pas précisément quelqu'un
d'optimiste.
Q
: j'ai lu avec beaucoup de plaisir ton roman DESTINY. Où
en es-tu en matière d'édition ?
-
J'ai reçu deux propositions d'éditeurs qui semblent
pour le moins ambigües. J'ai éliminé la première,
j'étudie la seconde, en essayant de réunir le maximum
de données afin de voir si ce qui est proposé peut
permettre une vision à long terme. Il ne s'agit pas de carriérisme,
mais de cohérence. J'ai le souci de fournir quelque chose
qui approcherait un semblant de perfection, et j'attends une attitude
analogue d'un partenariat avec un éditeur se prétendant
tel. Il ne sert à rien de travailler seize mois un manuscrit
si c'est pour le voir condamné à une diffusion problématique,
faute de prospects solides, d'un budget promo réaliste. Pour
un auteur, le pilon équivaut à la guillotine. Et c'est
rarement une question de talent. Evidemment, il faut tout tenter,
y compris proposer son projet au cénacle littéraire
officiel. Mais je ne nourris aucun espoir concernant ce type de
démarches. Vois-tu, à la lumière de ce qui
m'en a été dit des personnes à qui j'en ai
confié la lecture, je crois que "Destiny" est un
bouquin qui tient la route. Il m'intéresserait de le proposer
à un éditeur débutant, en lui abandonnant tout
ou partie de mes droits d'auteur, pour autant qu'il soit habité
d'une réelle passion du Livre et des mots. Tant qu'à
prendre des risques, autant le faire à plusieurs... convaincus
comme moi que la littérature représente autre chose
que ce qu'on nous en dit. et puis j'attache beaucoup d'importance
à la qualité de la relation que je puis avoir avec
mes éventuels partenaires.
Q
: Quels sont tes projets après DESTINY ? D'autres choses
en cours ?
-
Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai longuement exposé. Un
projet suppose qu'il y ait quelqu'un en face pour t'aider à
le réaliser. L'expérience m'a enseigné qu'il
vaut mieux éviter de croire que des décideurs, soucieux
d'innovation, vont remuer ciel et terre pour toi et te signer des
liasses de chèques en blanc. Le Système tel qu'il
est n'est propre qu'à broyer, laminer les talents. Ou tu
es dans le circuit, ou tu n'y es pas. Si tu n'y es pas, n'attends
rien de ceux qui y sont. Il n'y a aucune raison que ça change,
car personne n'en a vraiment envie, et cette négation de
culture est indissociable de la négation de société
dans laquelle nous survivons. J'essaie de retirer quelque plaisir
de la création, mais je n'en attends rien sur le plan de
mon devenir matériel. Après "Destiny" ?
Je parachève un roman d'amour noir, nihiliste, très
hard, et j'ai commencé un polar bizarre confrontant un couple
de détectives anglais et un duo de flics parisiens totalement
décalés, parlant l'argot, style Bourrel. Conjointement,
et aux côtés de deux jolies comédiennes, j'ai
entrepris l'écriture d'une pièce de théâtre
à l'argument mythologique. Il sera beaucoup question de Celtie,
d'une Dame Blanche et d'Eternel Feminin.
Q
: Au sujet de ton roman et de tes nouvelles, j'ai le sentiment que
le thème est toujours le même : un éternel amour,
inaccessible et sans cesse remis sur l'établi ! Je me trompe
?
-
Non. Au-delà d'un seuil critique de lucidité, l'amour
au quotidien me paraît inconcevable. je suis davantage préoccupé
par le mythe de l'Eternel Féminin, que l'on retrouve en psychanalyse
sous la forme de l'Anima jungienne ; c'est aussi la Muse Archétypale.
La mienne s'appelle Vanessa, elle est belle et le destin nous a
mis en présence au moment où il le fallait. Une longue
période de maturation a été nécessaire,
avant que je prenne conscience de toute la dimension légendaire
de notre relation. Vanessa prête son entité, son physique
souvent, à la plupart de mes personnages féminins
; des révélatrices, des accoucheuses d'êtres,
qui initient mes personnages mâles, irréfléchis
et pleins d'illusions, à une lucidité qu'elle les
aide ensuite à transmuter en quelque chose d'autre, qui peut
s'apparenter à une Queste. Il me semble que considérer
sa vie du simple point de vue du terre-à-terre, est une façon
socialisée de la gâcher. A qui sait voir et écouter,
à qui sait ressentir et pressentir, l'âme du monde,
"seconde réalité", adresse ses clins d'oeil
complices. L'enseignement est celé au plus intime de soi,
il est de l'ordre de l'information, une affaire de connections neuronales
qui s'opèrent au fil de l'Oeuvre que l'on accomplit au jour
la nuit. Auto-analyse pour moi, démarche religieuse, spirituelle
pour d'autres, la vie ne peut se concevoir à mes yeux sans
cette dimension initiatique, et l'Eternel Féminin, qu'il
prenne la forme de Vanessa ou d'une autre, y participe intensément.
Q : Tu participes au zine SCEN'ART de l'ami Alexandre Garcia.
Est-ce à dire que le cinéma et le théâtre
sont également dans tes cibles ?
-
Le cinéma fut de mes cibles, ce n'est plus le cas. Un milieu
où il y a énormément de fric dilapidé,
d'égos indéboulonnables et de promesses jamais tenues.
Le cinéma français passe son temps à se regarder
le nombril sous couvert d'exception culturelle ("à ce
sujet, lire d'urgence le dossier que l'ESPRIT LIBRE de décembre
95 a consacré à l'antédiluvienne " Commision
d'avance sur recettes"), autrement dit, une incapacité
à s'adapter aux réelles demandes d'un public qui sait
ce qu'il veut, et surtout ce qu'il ne veut pas aller voir".
J'ai écrit quatre scénarios, dont une version cinéma
de "Destiny", j'ai écumé une rencontre ciné
et deux festivals audiovisuels, j'ai adressé des tonnes de
scripts et de projets de séries à des monolithes qui
n'ont même pas pris la peine de répondre... et j'ai
rencontré d'autres scénaristes dans le même
cas. Résultat des courses : j'ai détruit mes quatre
scripts et je ne veux plus jamais entendre parler de cinoche. Le
théâtre ? La seule approche que j'en ai jusqu'à
présent, est au niveau des écoles d'acteurs auxquelles
j'ai pris part lors de ma formation "sur le tas" à
l'écriture scénaristique. A présent, j'ai pour
objectif théâtral la pièce évoquée
plus haut, qui en est au stade embryonnaire.
Q
: Tu n'hésites pas, à l'occasion à taquiner
la Muse. Que représente la poésie pour toi ?
-
La poésie est reliance à cette "seconde réalité"
dont je parlais à l'instant. Inconscient collectif, âme
du monde, intériorité, cosmos, qu'importe. J'ai l'impression
quand je compose un poème comme "Renaissance" qu'il
me vient d'ailleurs. Les vers "transcendants" surgissent
comme ça, à l'impromptu, sans prémisses. Rien
à voir avec mes poèmes plus contestataires, disons
libertaires, où je travaille les mots à la manière
des rappers, pour tendre vers une euphonie.
Q : Tu te définis comme un rationnel impénitent.
Mais je sais que tes goûts te portent volontiers vers l'ésotérisme.
C'est quoi pour toi ?
-
J'ai à l'égard de l'ésotérisme une position
paradoxale. Rationnel, oui, car je ne pense pas que Dieu, la "pensée
positive" ou l'évocation des anges gardiens puissent
remplir un estomac vide, régler un arriéré
de loyer, guérir un cancer. Toutefois, si on veut bien sortir
de sa logique apprise, et se laisser aller à être réceptif
à ce que j'appelle la "seconde réalité",
alors prend-t'on conscience de toute la relativité de ce
que l'on croit être, au regard d'espiègleries appelées
synchronicités, rêves prémonitoires, signes
se réitérant, présages de toutes sortes, qui
sont offerts à ceux qui décident de s'ouvrir au Merveilleux.
Mon approche de l'ésotérisme est surtout philosophique
et porte essentiellement sur la symbolique ; je n'en dénie
pas le caractère égocentrique, puisque cette approche
participe d'une quête du Soi, et du Sens à donner à
ce Soi à conquérir. Quant aux groupes, cercles, Ordres,
écoles initiatiques...je me méfie de tout ce qui est
collectif, qui rassemble autour d'une même façon de
penser.
Q
: Question subsidiaire. Tu nous a fait part de tes expériences
de NDE ou plutôt de voyage astral. Cultives-tu ce genre de
trip ? Et quelles conclusions en tires-tu ?
-
Je reste très prudent avec quelque chose que je ne contrôle
pas du tout, et qui jusqu'à présent reste le phénomène
majeur me reliant à la "seconde réalité".
J'y ai été confronté par trois fois, de façon
inégale. J'ai fréquemment des rêves prémonitoires,
et des sortes de flashes qui surviennent au cours de méditations,
où j'ai la vision de paysages où je ne suis jamais
allé, de situations non vécues qui par la suite ont
pu s'avérer, là encore prémonitoires. Je n'en
tire aucune conclusion, sinon que, peut-être, à force
de travailler sur soi (de se travailler), l'on fait se connecter
entre elles des parties inexploitées de son cerveau. Attention
cependant, la frontière est mince entre expériences
intérieures extrêmes et folie.
Q
: Quels sont tes goûts en matière de littérature
?
-
Peu de romans, ou par périodes ; j'ai eu ma période
Vian , ma période polars, ma période gothique, je
traverse actuellement une période sciences humaines ; pas
mal de philo, des bios, de la poésie...En fait, je lis ce
que je trouve au hasard de mes périgrinations, et en général,
c'est toujours en rapport avec le questionnement présent.
-
Je vais rarement au cinéma, n'y trouvant plus aucun rêve,
et j'ai jeté ma télé. Une prédilection
pour les vieux films américains des années 40, ceux
avec Gene Tierney en particulier, sinon j'aime le cinéma
d'auteur, Truffaut, Fellini, la période Nouvelle Vague, les
films d'horreur du bon vieux temps de la Hammer, les polars des
années 50, pas du tout les actuels, ni la SF high-tech.
Q
: Des projets, en ce moment, en dehors de ce que tu viens de citer
?
-
Certain philosophe écrivait, en parlant des cimetières,
qu'ils sont peuplés de gens qui avaient des projets. C'est
une attitude suicidaire que de former des projets, par les temps
qui courent. Pardon d'encore digresser, mais dans une société
où la citoyenneté se résume à la capacité
que l'on a , ou que l'on n'a plus, de passer à la caisse,
je vois mal comment on peut se projeter dans l'avenir. Parlons plutôt
de désirs, avec toute la distance qu'implique cette nuance.
D'abord, c'est incroyablement compliqué de vouloir quelque
chose. Un de mes objectifs serait de nous libérer ma Muse
et moi de notre exil en terre z"azurées, pour nous installer
sur Paris. Affaire de moyens. Une autre histoire à écrire,
mais nous manquons d'inspiration
.
Merci
Jérémy et good luck.
Bibliographie.
"Allison
la sibylline", Ed. Sol'Air, sur commande à Laure MENOREAU,
1 rue Aggrippa d'Aubigné, 44300 NANTES (40 FF port compris)
A publié également dans la revue Sol'Air:
"Ma petite fille" (N°6,oct. 94) et "La Passion
selon Lady Megan" (N°10, Janv. 96), nouvelles
Auteur de "Dialogues avec un Supérieur Inconnu"
(Murmures d'Irem), a publié aussi dans CREEPS, et poursuit
dans GENERATION SCENARIO (EX Scén'Art) son feuilleton Néo-pataphysique,
"Robernard-Bé, cinéaste virtuel".
Deux pastiches Holmesiens, dans COLLECTIF MAG 94, "La lettre
de Baker Street".
En fait, depuis la réalisation de cette interview, Jérémy
a changé d'opinion et redevient..... Jérémy
pour les intimes !